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Chapeau

112 Ia 391


62. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 26 novembre 1986 dans la cause Association Vaudoise des Vieillards, Invalides, Veuves et Orphelins (AVIVO) et consorts contre Grand Conseil et Conseil d'Etat du canton de Vaud (recours de droit public)

Regeste

Art. 85 OJ. Votation sur une initiative populaire cantonale; loi, adoptée avant le scrutin, faisant de facto office de contre-projet partiel; message officiel.
1. Rappel de la jurisprudence relative
- à l'interdiction d'une influence illicite sur la formation de la volonté des citoyens, notamment par l'information émanant de l'autorité (consid. 3a);
- au principe de l'unité de la matière, notamment en cas de vote simultané sur une initiative et un contre-projet (consid. 3b).
2. Les limites apportées à l'activité législative de l'Etat par le dépôt d'une initiative législative sont de nature strictement procédurale et ont pour seul but de sauvegarder le libre exercice du droit de vote. Le dépôt d'une initiative n'empêche pas le législateur d'adopter une loi touchant le même objet et de la munir d'une clause de caducité en cas d'acceptation de l'initiative. Même s'il est de nature à exercer une influence importante sur le corps électoral, un message officiel exposant cette démarche de manière objective est admissible (consid. 5).

Faits à partir de page 392

BGE 112 Ia 391 S. 392
En décembre 1985, l'Association des Vieillards, Invalides, Veuves et Orphelins du canton de Vaud (AVIVO) a déposé une initiative populaire législative rédigée en termes généraux et intitulée "Pour une loi d'impôt plus juste". Cette initiative demandait que soit soumise au peuple vaudois la question suivante:
"Acceptez-vous que la loi du 25 novembre 1956 sur les impôts directs cantonaux soit modifiée de sorte que les revenus inférieurs aux plafonds donnant droit aux prestations complémentaires AVS-AI ne soient pas soumis à l'impôt?."
Le 20 mai 1986, le Grand Conseil du canton de Vaud a adopté un décret ordonnant la convocation des assemblées de commune à l'effet de se prononcer sur cette initiative et décidé de recommander au peuple de la rejeter. Le Conseil d'Etat a fixé la date de la votation aux 28 et 29 juin 1986. Le corps électoral devait simultanément se prononcer sur cet objet et sur deux autres initiatives populaires législatives proposant des allégements fiscaux en faveur des locataires.
Le 21 mai 1986, le Grand Conseil du canton de Vaud a adopté une loi modifiant celle du 26 novembre 1956 sur les impôts directs cantonaux (LI). Parmi les modifications énumérées à l'art. 1er de cette loi figuraient divers allégements fiscaux en faveur de la famille, du couple marié et des contribuables de condition modeste. L'art. 2, qui ne figurait pas dans le projet élaboré par le Conseil d'Etat, avait la teneur suivante:
"En cas d'acceptation par le peuple de l'initiative de l'AVIVO (Pour une loi d'impôt plus juste), la présente loi sera considérée comme caduque."
L'AVIVO, d'une part, Armand Forel et Nelly Cachin, d'autre part, ont, le 9 juin 1986, formé un recours de droit public pour violation du droit de vote au sens de l'art. 85 lettre a OJ. Ils demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'art. 2 al. 2 de la loi
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modifiant la loi du 26 novembre 1956 sur les impôts directs cantonaux. Ils requièrent, à titre de mesure provisionnelle, que l'effet suspensif soit accordé à leur recours, le Conseil d'Etat du canton de Vaud étant invité à renvoyer à une date ultérieure la votation sur l'initiative de l'AVIVO "Pour une loi d'impôt plus juste", prévue pour les 28 et 29 juin 1986. Ils concluent, à titre subsidiaire, c'est-à-dire pour le cas où l'effet suspensif serait refusé, à l'annulation de cette votation.
Par ordonnance du 12 juin 1986, le Président de la Ire Cour de droit public a refusé d'accorder l'effet suspensif au recours. L'initiative de l'AVIVO "Pour une loi d'impôt plus juste" a été rejetée en votation populaire.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Considérants

Extrait des considérants:

3. Les recourants soutiennent que l'adoption par le Grand Conseil de l'art. 2 al. 2 de la novelle du 21 mai 1986 et l'argumentation qui en a été tirée par le Conseil d'Etat dans son Message explicatif ont exercé une pression inadmissible sur le corps électoral appelé à se prononcer sur leur initiative. Cette démarche des autorités cantonales aurait en outre violé le principe de l'unité de la matière, les électeurs ayant été contraints de donner une seule réponse à deux questions, dont l'une leur était posée expressément et l'autre implicitement. Elle serait enfin en contradiction avec les exigences de l'art. 108 de la loi vaudoise du 17 novembre 1948 sur l'exercice des droits politiques (LEDP), qui met en oeuvre l'art. 27 Cst.cant.
a) Le droit de vote garanti par la Constitution fédérale donne à tout citoyen la faculté d'exiger que le résultat d'une votation ne soit reconnu que s'il est l'expression fidèle et sûre de la libre volonté du corps électoral (ATF 108 Ia 157, ATF 106 Ia 22, 199 consid. 4a et les arrêts cités). S'il apparaît que des irrégularités de procédure ont pu affecter le résultat d'un vote, le Tribunal fédéral l'annule (ATF 105 Ia 155 consid. 5b). Tel peut notamment être le cas lorsqu'une influence illicite a été exercée sur la formation de la volonté des citoyens (ATF 108 Ia 157, ATF 102 Ia 268 consid. 3). Cette influence peut être le fait soit de l'autorité qui présente le projet au vote, soit, dans certaines circonstances, de tiers, notamment des organes de presse (ATF 102 Ia 268 /269, ATF 98 Ia 80, 625, ZBl 1980 p. 251). Il y a influence illicite de l'autorité lorsque celle-ci intervient dans la
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campagne électorale en usant de procédés inadmissibles, en particulier lorsqu'elle s'adresse au corps électoral par un message qui ne constitue pas une information objective des citoyens, mais les oriente de manière fallacieuse sur le but et la portée de l'objet de la votation (ATF 112 Ia 131 consid. 1, ATF 108 Ia 157, ATF 106 Ia 199 consid. 4a). La simple constatation que des irrégularités ont entaché la procédure d'une votation n'entraîne toutefois pas à elle seule son annulation. Il faut en outre qu'elles aient été propres à influencer de manière décisive le résultat du vote. Il n'incombe cependant pas au recourant d'apporter la preuve d'un tel lien de causalité entre le vice allégué et son résultat. Il suffit que l'ensemble des circonstances laisse apparaître une telle influence comme étant du domaine du possible, ce que le Tribunal fédéral examine en principe librement (ATF 106 Ia 200 consid. 3b et les arrêts cités). Le juge constitutionnel s'impose toutefois une retenue particulière dans le cas, non réalisé en l'espèce, où ces éléments ont déjà été appréciés par une autorité judiciaire de dernière instance cantonale. Si le droit fédéral oblige l'autorité cantonale ou communale à faire preuve d'objectivité lorsqu'elle s'exprime publiquement sur le thème d'une votation avant le déroulement de celle-ci, il ne la contraint pas à présenter des avis de minorité; l'autorité peut se contenter d'exposer les motifs qui ont paru décisifs à la majorité (ATF 98 Ia 622). Le droit fédéral ne lui interdit pas davantage de donner son avis sur des questions d'appréciation générale, car, en définitive, c'est à l'électeur qu'il appartient de se faire sa propre opinion (cf. ATF 106 Ia 200 consid. 4a, ATF 105 Ia 153, 245 consid. 5a, ATF 98 Ia 622). Ces règles constituent un standard minimal et il est loisible aux cantons de définir plus rigoureusement le devoir d'information des autorités cantonales. Les recourants ne prétendent pas, à juste titre, que tel soit le cas de la législation vaudoise: l'art. 108 LEDP se borne à prévoir, sans autres précisions, la faculté pour le Grand Conseil de donner un préavis; au surplus, répondant en 1983 à une motion parlementaire, le Conseil d'Etat a exposé de façon circonstanciée les raisons qu'il y avait, selon lui, de renoncer à une réglementation plus précise (Bulletin des séances du Grand Conseil du canton de Vaud (BGC), printemps 1983, p. 242 à 256), et le Grand Conseil s'est rallié à son avis (ibid., p. 258).
b) Le droit des électeurs de voter de manière conforme à leur volonté réelle et, partant, de s'exprimer à l'abri de toute influence extérieure illicite (ATF 108 Ia 157, 102 Ia 268 consid. 3) postule aussi que
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la question à laquelle ils doivent répondre lors d'une votation ne porte que sur un seul objet ou, tout au moins, sur des objets étroitement interdépendants, réunis entre eux par un lien réel et objectif. Ce principe dit de l'unité de la matière est toutefois relatif (ATF 104 Ia 224 consid. 2b, 90 I 74 consid. 2c): il n'exige pas toujours que chaque disposition d'un projet soit soumise séparément au corps électoral; l'essentiel est que les dispositions sur lesquelles celui-ci est appelé à se prononcer aient entre elles un rapport intrinsèque étroit et poursuivent le même but. Comme tel, le principe de l'unité de la matière est applicable, d'une manière générale, à tous les cas où le peuple est appelé à voter (ATF 104 Ia 223 consid. 2b, ATF 99 Ia 183, 646, 731 consid. 3). Il vaut par conséquent aussi pour le vote sur une initiative à laquelle les autorités cantonales opposent un contre-projet. Dès lors que, en l'absence d'une disposition légale contraire, l'initiative et le contre-projet doivent être soumis simultanément au vote du peuple (ATF 104 Ia 248 ss consid. 4), il doit exister entre eux ce rapport intrinsèque étroit qu'exige le principe évoqué.

4. En droit vaudois, les droits d'initiative et de référendum en matière législative sur le plan cantonal sont régis fondamentalement par l'art. 27 Cst.cant. Cette disposition est mise en oeuvre par les art. 102 à 112 LEDP. L'art. 27 ch. 1 Cst.cant., de même que l'art. 108 LEDP qui traite de la délibération du Grand Conseil notamment sur les initiatives, ne parle pas de la procédure à suivre lorsqu'une initiative est rédigée en termes généraux. Il n'y est nommément question que des initiatives rédigées de toutes pièces, auxquelles le Grand Conseil a la faculté d'opposer un contre-projet quand il n'en approuve pas le texte.
L'initiative législative déposée par les recourants le 17 décembre 1985 n'était pas une initiative rédigée de toutes pièces, mais une initiative rédigée en termes généraux. Il résulte, a contrario, du texte clair des art. 27 ch. 1 al. 3 Cst.cant. et 108 LEDP que le droit cantonal ne prévoit pas la possibilité d'opposer un contre-projet à une telle initiative (cf. BGC, printemps 1977, p. 342). Il serait dès lors vain d'approfondir la question de savoir si la novelle du 21 mai 1986 constituait, en partie, un contre-projet indirect à l'initiative des recourants (voir, pour la notion de contre-projet indirect et les développements de ce concept en doctrine et en jurisprudence, ANDREAS AUER, Contre-projet indirect, procédure à une phase et clause référendaire constitutionnelle, dans RJB 122/1986, p. 209 ss). Il n'est pas davantage nécessaire de se pencher sur la
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question de savoir si le principe de l'unité de la matière peut être violé - quand bien même la question posée au peuple n'a qu'un seul objet - du fait des conséquences diverses attachées par les autorités cantonales à l'éventuelle acceptation d'une initiative. La règle de l'unité de la matière n'est en effet qu'un moyen de mieux assurer la liberté de vote des citoyens. Il suffit donc, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, d'examiner si la manière dont le Grand Conseil a revisé le droit fiscal cantonal avant le vote sur l'initiative et a présenté cette revision dans son information officielle a exercé sur les électeurs une influence illicite et violé, partant, leur liberté de vote.

5. Le droit d'initiative, constitutionnelle ou législative, n'est pas un droit de nature purement formelle dont l'exercice constituerait une fin en soi. L'initiative populaire tend au contraire à la réalisation d'objectifs matériels qui peuvent être formulés avec plus ou moins de précision. Le dépôt d'une initiative populaire n'a donc nullement pour effet de paralyser l'activité législative de l'Etat dans le domaine visé par les initiants. Il n'empêche pas le constituant ou le législateur de s'adapter à l'évolution des circonstances sociales et de réaliser, si cela leur paraît nécessaire ou opportun, tout ou partie des buts poursuivis par l'initiative avant que celle-ci ne soit soumise au corps électoral (cf. AUER, op.cit., p. 214; KÖLZ, Die kantonale Volksinitiative in der Rechtsprechung des Bundesgerichts, ZBl 83/1982, p. 30). D'ailleurs, la faculté de retirer une initiative est admise de façon générale; il s'agit notamment d'éviter ainsi qu'elle soit soumise aux électeurs quand ses objectifs ont été, en tout ou en partie, réalisés après son dépôt. Dans le canton de Vaud, toute demande d'initiative doit être obligatoirement munie d'une clause de retrait (art. 109 al. 1 LEDP). Les limites apportées à l'activité législative de l'Etat en raison du dépôt d'une initiative législative, et plus particulièrement l'obligation de soumettre au corps électoral un éventuel contre-projet simultanément à celle-ci, sont de nature strictement procédurale et n'ont pour but que de sauvegarder la loyauté du débat électoral et, partant, de garantir le libre exercice du droit de vote. L'autorité ne viole pas le droit d'initiative tel qu'il est garanti par le droit fédéral et, en l'occurrence, par le droit cantonal, lorsque, saisie d'une initiative rédigée en termes généraux, elle entreprend une modification de la législation cantonale qui va totalement ou partiellement dans le sens de l'initiative. Rien ne lui interdit non plus d'adopter définitivement
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cette modification avant que l'initiative ne soit soumise au vote populaire. Un message explicatif, distribué aux électeurs avant le scrutin sur l'initiative, ne viole pas le droit d'initiative s'il expose objectivement l'état du nouveau droit cantonal adopté entre le moment où l'initiative a été déposée et celui où elle est soumise au vote populaire.
En l'espèce, le législateur cantonal a introduit dans la novelle du 21 mai 1986, qui réalisait partiellement le but visé par l'initiative de l'AVIVO, une disposition finale aux termes de laquelle cette loi serait caduque en cas d'adoption de l'initiative. Une telle clause abrogatoire n'est en principe admissible que si le contenu de la loi adoptée avant le vote sur l'initiative populaire a un lien objectif suffisant avec l'initiative. Il faut en outre que le législateur puisse admettre, sur la base d'une analyse sérieuse, que l'acceptation de l'initiative compromettrait réellement la mise en oeuvre de la loi qui réalise en partie ses buts.
En l'occurrence, cette démarche du législateur vaudois, portée à la connaissance des électeurs dans le Message explicatif qui leur a été distribué avant le scrutin, a sans nul doute exercé sur eux une influence considérable, eu égard aux allégements fiscaux apportés par la novelle. Il n'est cependant guère douteux que la disposition finale critiquée se soit justifiée pour des motifs sérieux, même si son adoption a pu être aussi inspirée par des préoccupations électoralistes. Les modifications apportées au droit fiscal par cette loi impliquaient en effet une diminution du produit des impôts de 141 millions de francs pour le canton et d'environ 120 millions de francs pour les communes, et les initiants eux-mêmes ont admis, dans leur prise de position publiée dans le message préélectoral, que leur initiative "entraînerait un manque à gagner pour l'Etat de 30'000'000 fr.". En cas d'acceptation de l'initiative par le peuple, la nécessité de préserver un certain équilibre entre les recettes et les dépenses publiques pouvait, par conséquent, amener le législateur cantonal soit à renoncer à des allégements introduits dans la novelle du 21 mai 1986, soit à augmenter la fiscalité sur d'autres points que ceux touchés par cette modification législative. Adoptant celle-ci avant le vote sur l'initiative, le Grand Conseil pouvait raisonnablement l'assortir d'une disposition en prévoyant la caducité en cas d'acceptation de l'initiative. On ne saurait donc dire que l'influence exercée sur le corps électoral par l'art. 2 al. 2 de la novelle du 21 mai 1986 ait été illicite.

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Considérants 3 4 5

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