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Chapeau

116 II 575


102. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 21 décembre 1990 dans la cause W. C. contre Autorité de surveillance du Registre foncier du canton de Fribourg (recours de droit administratif)

Regeste

Art. 4 AF concernant une charge maximale en matière d'engagement des immeubles non agricoles; calcul de la valeur vénale.
La valeur vénale ne comprend pas les frais d'acquisition (honoraires de notaire, frais de registre foncier, droits de mutation, etc.). Cette interprétation n'est pas contraire au principe de l'égalité de traitement.

Faits à partir de page 575

BGE 116 II 575 S. 575

A.- Par contrat de vente du 15 juin 1988, W. C. a acquis les immeubles art. 666 et 1024 de Domdidier, pour le prix de
BGE 116 II 575 S. 576
300'000 francs. Ces immeubles étaient grevés d'une cédule hypothécaire en faveur du propriétaire, du capital de 15'000 francs. W. C. a constitué, à charge de ces fonds et en faveur du porteur, une seconde cédule hypothécaire, de 200'000 francs, dont le capital a été augmenté à 350'000 francs le 27 janvier 1989.
Par acte du 5 décembre 1989, il a déclaré augmenter de 50'000 francs le capital de cette dernière cédule hypothécaire, pour le porter de 350'000 à 400'000 francs. A l'appui de sa réquisition d'inscription, le notaire instrumentateur a présenté au conservateur du Registre foncier de la Broye un "devis estimatif pour la rénovation de l'immeuble". Ce document, approuvé par la Société de Banque Suisse le 21 décembre 1989, faisait apparaître un montant de 210'000 francs.
Le 16 janvier 1990, le conservateur a rejeté partiellement cette réquisition: il ne l'a acceptée qu'à concurrence de 43'000 francs, car il estimait ne pas pouvoir prendre en compte un montant de 19'833 fr. 90 qui représente les frais d'acquisition des immeubles et ceux de constitution des gages. Estimant que la valeur vénale était de 510'000 francs (300'000 francs + 210'000 francs), le conservateur a en effet retenu une charge maximale de 408'000 francs (80% de la valeur vénale). En déduisant de cette charge maximale la valeur nominale des deux gages existants (365'000 francs), il n'a admis l'augmentation de capital qu'à concurrence de 43'000 francs.

C.- Le 22 mars 1990, l'Autorité de surveillance du Registre foncier du canton de Fribourg a rejeté un recours formé contre la décision du conservateur.

D.- Agissant par la voie du recours de droit administratif, W. C. requiert du Tribunal fédéral qu'il ordonne au conservateur de faire droit à sa réquisition.
Le conservateur du Registre foncier de la Broye et le Département fédéral de justice et police concluent tous deux au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral rejette le recours.

Considérants

Extrait des considérants:

2. Pour diminuer sensiblement le nombre de mutations concernant le même immeuble dans un court laps de temps, accompagnées chaque fois d'un bénéfice en partie exorbitant (Message du Conseil fédéral du 16 août 1989, ch. 222.2; FF 1989 III 183 ss), l'Assemblée fédérale a, le 6 octobre 1989, pris diverses mesures
BGE 116 II 575 S. 577
d'urgence entrées en vigueur le 7 octobre 1989. Parmi celles-ci figure l'arrêté précité, qui prohibe la constitution des gages au-delà de la charge maximale, pendant cinq ans à compter de la dernière acquisition en propriété (art. 2 al. 1 AF concernant une charge maximale en matière d'engagement des immeubles non agricoles, RS 211.437.3; AFCM).
Conformément à l'art. 4 AFCM, la charge maximale équivaut aux quatre cinquièmes de la valeur vénale. Par valeur vénale, la loi entend le prix d'acquisition indiqué dans l'acte authentique ou l'estimation officielle prévue à l'art. 843 CC; lorsque de nouvelles constructions ou des transformations sont projetées, les frais prévus dans le devis admis par le prêteur s'ajoutent au prix d'acquisition. En l'espèce, seule doit être examinée la question de savoir si le prix d'acquisition comprend ou non les frais d'acquisition et de constitution des droits de gage. En effet, le coût de la rénovation de l'immeuble admis par le prêteur, qui s'ajoute à ce prix, a été pris en considération par le conservateur du registre foncier.
a) Comme le constate d'emblée l'autorité cantonale, le texte de l'art. 4 al. 2 AFCM ne laisse planer aucun doute sur la question posée; il exclut la prise en compte des frais d'acquisition: seul le prix indiqué "dans l'acte authentique" (ou l'estimation officielle) est déterminant. Il faut dès lors admettre que le législateur exige du débiteur qu'il dispose de fonds propres d'un montant supérieur au cinquième du prix d'achat, plus les frais de construction ou de transformation.
Le sens obvie de cette disposition est confirmé par le Guide pour la tenue du Registre foncier établi, par l'Office fédéral du registre foncier, pour l'application de l'arrêté fédéral concernant un délai d'interdiction de revente des immeubles non agricoles et la publication des transferts de propriété immobilière, du 6 octobre 1989 (ci-après: AFIR, RS 211.437.1). Ce guide précise que si le "bénéfice" en cause pour l'autorisation d'une aliénation anticipée dans le délai d'interdiction de revente se fonde sur le "coût de production" qui "comprend le prix d'acquisition (y compris les frais accessoires)" (art. 4 al. 1 let. a et al. 2 AFIR), à l'inverse, les frais accessoires ne sont pas compris dans le calcul de la charge maximale selon l'art. 4 al. 2 AFCM (Guide pour la tenue du registre foncier, 2e éd. française, p. 21, n. 4).
b) Le recourant soutient en substance que l'interprétation littérale du texte applicable n'exprime pas la volonté du législateur et
BGE 116 II 575 S. 578
que la loi contient une lacune, qu'il faudrait précisément combler par l'application de l'art. 4 de l'AFIR.
D'après la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l'interprétation littérale est la première à laquelle il faut avoir recours pour interpréter une disposition légale (ATF 110 Ib 61 consid. 2b; ATF 105 II 138 consid. 2a). L'autorité qui applique la loi est en principe liée par un texte légal clair et sans équivoque. Toutefois, ce principe n'est pas absolu; il est en effet possible que la lettre d'une norme ne corresponde pas à son sens véritable (ATF ATF 103 Ia 117 consid. 3). Par conséquent, une interprétation allant à l'encontre de la lettre de la loi peut être envisagée, mais seulement dans des cas exceptionnels (ATF 108 Ib 401). Il convient de rechercher l'esprit et l'objectif véritables de la norme et, dans ce but, de se mettre en quête de la volonté du législateur.
L'autorité cantonale estime avec raison que les interprétations systématique et téléologique ne contredisent pas le sens littéral, encore que les trois arrêtés fédéraux du 6 octobre 1989 forment un tout (Message du Conseil fédéral, ch. 221 FF 1989 III 182) et poursuivent un seul et même but: freiner la spéculation foncière.
L'AFCM se fonde d'abord, pour déterminer la charge maximale, sur la valeur vénale, par quoi il faut entendre "le prix d'acquisition indiqué dans l'acte authentique" (art. 4 al. 1 et 2), et cela sans adjonctions ni précisions à cette définition. L'AFIR, au contraire, rapporte le bénéfice au "coût de production", à savoir une notion tout autre que la valeur vénale et définie avec une précision significative: ce coût "comprend le prix de l'acquisition (y compris les frais accessoires") (art. 4 al. 2). Cette différence expressis verbis est évidente dans le texte des deux arrêtés; elle ne peut qu'exprimer une volonté de traiter chaque situation selon sa particularité. Le second n'interprète pas le premier, qui contiendrait un oubli, alors que le législateur aurait toujours voulu "privilégier le critère économique".
Si l'on considère le but des deux arrêtés, la notion étroite du prix d'acquisition déterminant pour le calcul de la charge maximale se justifie par rapport à l'extension admise pour l'estimation du bénéfice en cas de revente. Pour le revendeur, un bénéfice n'est réalisé que si l'on compte aussi les frais d'acquisition. La charge maximale, en revanche, est une notion abstraite et objective, qu'il est normal de définir en proportion, notamment, de la valeur vénale, à savoir du seul prix d'acquisition constaté dans l'acte de vente. En effet, les droits d'enregistrement, les émoluments du
BGE 116 II 575 S. 579
registre foncier et le coût des interventions du notaire - tant pour la vente que la constitution des gages - sont étrangers à la "valeur" de l'immeuble sur lequel doit peser la charge maximale.
c) L'interprétation l'un par l'autre des deux arrêtés fédéraux ne serait justifiée que s'ils ne comportaient pas de définition propre, ni d'omission voulue, et si en outre un même but particulier était poursuivi qui justifierait la définition d'une notion imprécise par les déterminations de l'autre arrêté dans une situation analogue. Ainsi "l'acquisition en propriété" de l'art. 2 al. 1 AFCM doit être conçue d'un point de vue économique, comme elle est décrite à l'art. 1er al. 3 AFIR (ATF 116 II 572, consid. 4). Mais lorsque l'arrêté fédéral définit expressément une notion, l'interprétation doit être recherchée et trouvée à l'intérieur de l'arrêté en cause. On ne saurait en effet considérer, comme le soutient le recourant, qu'il y a une lacune qui devrait être comblée par l'application analogique de l'autre arrêté.

3. Le recourant prétend enfin que l'interprétation de la notion de valeur vénale retenue par l'autorité cantonale serait contraire au principe de l'égalité des citoyens. Il fait valoir que les frais liés à l'acquisition des immeubles et à la constitution de gages varient d'un canton à l'autre et que seule l'intégration de ces frais dans la valeur vénale, déterminante pour le calcul de la charge maximale, permettrait de traiter de façon égale l'ensemble des propriétaires concernés.
A l'appui de ce grief, le recourant invoque, implicitement tout au moins, l'art. 4 Cst. qui pose le principe général de l'égalité de traitement. A cet égard, le recours de droit administratif, qui peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 104 let. a OJ), joue le rôle du recours de droit public pour violation de l'art. 4 Cst. (art. 87 OJ; ATF 112 Ib 504 consid. 2d; ATF 111 Ib 202).
Comme exposé sous ch. 2, l'interprétation retenue par l'autorité cantonale correspond à la volonté du législateur. Dès lors, le recourant reproche en réalité au législateur fédéral de ne pas avoir éliminé les différences pouvant résulter de la souveraineté cantonale en matière fiscale. Cela revient à contester, au nom de l'art. 4 Cst., la constitutionnalité de l'art. 4 AFCM. Un tel grief est irrecevable, car le Tribunal fédéral doit appliquer les lois et arrêtés de portée générale votés par l'Assemblée fédérale (art. 113 al. 3 Cst.).

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 2 3

références

ATF: 110 IB 61, 105 II 138, 103 IA 117, 108 IB 401 suite...

Article: art. 4 Cst., art. 4 AFCM, art. 4 al. 2 AFCM, art. 843 CC suite...