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Chapeau

141 III 407


55. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A.A. Group SA et B.A. SA contre B. (recours en matière civile)
4A_653/2014 du 11 août 2015

Regeste

Art. 322 et 322d CO; très haut revenu; qualification d'un bonus comme gratification ou élément du salaire?
Lorsque la rémunération totale de l'employé équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse (secteur privé), son revenu doit être qualifié de très haut, de sorte que son bonus est une gratification, laquelle demeure au bon vouloir de l'employeur (consid. 4-7).

Considérants à partir de page 407

BGE 141 III 407 S. 407
Extrait des considérants:

4.

4.1 Le droit suisse ne contient aucune disposition qui définisse et traite de façon spécifique du bonus. Déterminer s'il s'agit d'un élément du salaire (art. 322 s. CO) ou d'une gratification (art. 322d CO) revêt une grande importance, dès lors que le régime de la gratification est beaucoup plus flexible pour l'employeur que celui applicable aux éléments du salaire (cf. arrêt 4C.426/2005 du 28 février 2006 consid. 5.1 et les arrêts cités).
BGE 141 III 407 S. 408
Pour qualifier un bonus dans un cas d'espèce, il faut interpréter les manifestations de volonté des parties (cf. art. 1 CO).

4.2 Il s'agit tout d'abord d'établir si le bonus est déterminé (respectivement déterminable) ou indéterminé (respectivement indéterminable).

4.2.1 Si le bonus est déterminé ou objectivement déterminable (ce qui est le cas lorsque la rémunération ne dépend plus de l'appréciation de l'employeur), l'employé dispose d'une prétention à ce bonus (cf. REHBINDER/STÖCKLI, Berner Kommentar, 2010, n° 1 ad art. 322d CO; en lien avec l'art. 1 CO: KRAMER/PROBST, Bundesgerichtspraxis zum Allgemeinen Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, 2003, p. 28 et les références citées). Dans cette hypothèse, l'employeur doit tenir son engagement consistant à verser à l'employé la rémunération convenue (élément essentiel du contrat de travail) et le bonus doit être considéré comme un élément (variable) du salaire ( ATF 139 III 155 consid. 3.1 et 3.3).

4.2.2 Si le bonus n'est pas déterminé ou objectivement déterminable, l'employé ne dispose en règle générale d'aucune prétention: la rémunération dépend du bon vouloir de l'employeur et le bonus est qualifié de gratification.
Tel est le cas lorsque la quotité du bonus n'est pas fixée à l'avance, mais dépend pour l'essentiel de la marge de manoeuvre de l'employeur (cf. ATF 139 III 155 consid. 3.1 et 3.3 p. 156 s.).

4.3 Dans cette dernière hypothèse, soit lorsque le bonus n'est pas déterminé ou objectivement déterminable, la jurisprudence a opéré des distinctions en fonction de l'importance du revenu de l'employé (par quoi il faut entendre la rémunération totale perçue de l'employeur durant l'année; cf. consid. 5.3.1 ci-après).

4.3.1 En cas de revenus moyens et supérieurs, le Tribunal fédéral a estimé qu'un bonus très élevé en comparaison du salaire annuel, équivalent ou même supérieur à ce dernier, et versé régulièrement, doit être, par exception, considéré comme un salaire variable même si l'employeur en réservait le caractère facultatif. La gratification (art. 322d CO) doit en effet rester accessoire par rapport au salaire (art. 322 s. CO); elle ne peut avoir qu'une importance secondaire dans la rétribution du travailleur.
En cas de revenus modestes, un bonus proportionnellement moins élevé peut déjà avoir le caractère d'un salaire variable (sur
BGE 141 III 407 S. 409
l'ensemble de la question: ATF 131 III 615 consid. 5.2 p. 621; ATF 129 III 276 consid. 2.1 p. 279 s.).

4.3.2 En revanche, lorsque l'employé perçoit un très haut revenu, il n'y a pas lieu d'admettre une exception: le bonus reste toujours une gratification.
A cet égard, le Tribunal fédéral a récemment indiqué que, dès l'instant où le revenu atteint un chiffre dépassant substantiellement le montant nécessaire à la couverture des frais d'entretien de l'employé, l'accessoriété ne constitue pas un critère déterminant pour décider du caractère salarial d'une rétribution spéciale. En effet, lorsque le revenu convenu dépasse largement celui nécessaire à un train de vie approprié et qu'il représente en outre un multiple du salaire moyen, une restriction de la liberté contractuelle des parties ne saurait se justifier par un besoin de protection du travailleur ( ATF 139 III 155 consid. 5.3 p. 159; arrêts 4A_721/2012 du 16 mai 2013 consid. 2.2; 4A_447/2012 du 17 mai 2013 consid. 2.2, résumé in JdT 2014 II p. 305; 4A_216/2013 du 29 juillet 2013 consid. 5.3, in JdT 2014 II p. 307).
La jurisprudence a ainsi renoncé à l'application du critère de l'accessoriété en matière de très hauts revenus, comme le souhaitaient de nombreux auteurs (parmi d'autres: RÉMY WYLER, Droit du travail, 2 e éd. 2008, p. 168 s. cité dans l'arrêt 4A_511/2008 du 3 février 2009 consid. 4.3.2.2; WOLFGANG PORTMANN, in Basler Kommentar, Obligationenrecht, vol. I, 5 e éd. 2011, n o 19 ad art. 322d CO et les auteurs cités). Cette jurisprudence a été, sur le principe, largement saluée par la doctrine (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 3 e éd. 2014, p. 163 s.; ROGER P. MORF, Akzessorietät von Gratifikationen: Die jüngsten Entscheide des Bundesgerichts [ci-après: Akzessorietät],Jusletter 9 septembre 2013 ch. I.4; ANDREAS LIENHARD, Akzessorietät einer Gratifikation, Kommentar, ius.focus 5/2013 p. 9; SVENSSON/MEYER, Spitzenboni, L'Expert-comptable suisse 2014 p. 217; cf. RICHA/RAEDLER, Le caractère accessoire du bonus, Gesellschafts- und Kapitalmarktrecht [GesKR] 2013 p. 415; critiques:GABUS/ROHMER, Bonus et hauts salaires: liberté contractuelle ou protection du travailleur?, SJ 2014 II p. 245 s.).

5. Il s'impose d'examiner désormais ce que l'on entend par très haut revenu.

5.1 Pour la cour cantonale, ce montant doit être fixé à 500'000 fr. La banque recourante estime que le seuil correspond à un montant de
BGE 141 III 407 S. 410
300'000 fr., éventuellement (et au plus) de 367'080 fr. (soit cinq fois le salaire médian suisse [secteur privé] pour l'année 2012). L'employé intimé considère, quant à lui, que l'exclusion du principe de l'accessoriété ne peut être envisagée qu'à partir d'un montant de l'ordre de 2'000'000 fr.

5.2 En jurisprudence et en doctrine, différents montants ou modes de calcul ont été proposés.

5.2.1 Dans son arrêt du 26 février 2013 ( ATF 139 III 155 ), le Tribunal fédéral, contrairement à ce que pense l'intimé, n'a pas tranché la question. Il s'est limité à constater que, dans les circonstances de l'espèce, la rémunération (salaire de base et partie du bonus versée en espèces) de l'employé s'élevait à 2'015'294 fr. et il a d'emblée jugé qu'en présence d'un tel chiffre (correspondant, selon les parties, à la contrepartie d'une prestation de travail à temps complet), la protection sociale accordée au travailleur ne pouvait plus jouer aucun rôle ( ATF 139 III 155 consid. 5.4 p. 159 s.).
Dans un arrêt rendu le 16 mai 2013 (4A_721/2012), le Tribunal fédéral s'est rallié à l'approche du Tribunal cantonal zurichois (décision du 1 er novembre 2012, LA120002) qui, après avoir requalifié partiellement le bonus promis à l'employé, a arrêté son salaire au sens strict à 425'000 fr., le solde du bonus demeurant une gratification à bien plaire accordée à l'employé (arrêt précité consid. 3.2). Si le Tribunal fédéral, en confirmant cette décision cantonale, a implicitement reconnu qu'un montant de 425'000 fr. atteint (ou dépasse) le seuil à partir duquel l'accessoriété n'a plus à être respectée, il n'a en revanche pas tranché explicitement la question.
Dans son arrêt du 17 mai 2013 (4A_447/2012), le Tribunal fédéral n'a pas eu besoin de revenir sur cette question. Il a observé que les parties étaient convenues d'un revenu annuel brut de 334'000 fr. (salaire de base), mais, au terme de l'interprétation du contrat de travail, il a observé que, contrairement aux allégations du travailleur, elles ne s'étaient pas mises d'accord sur un montant en sus (bonus) (arrêt précité consid. 2.3).
Quant à l'arrêt rendu le 29 juillet 2013 (4A_216/2013), s'il rappelle les critères fixés à l' ATF 139 III 155 , il ne contient aucun développement à ce sujet, le salaire de l'employé n'atteignant pas en l'espèce un ordre de grandeur nécessitant de débattre de cette question (arrêt précité consid. 5.3).
BGE 141 III 407 S. 411

5.2.2 Les tribunaux cantonaux ont également eu l'occasion de se prononcer sur cette question.
Dans une décision du 11 février 2008 (antérieure à l' ATF 139 III 155 ), publiée in Jahrbuch des schweizerischen Arbeitsrechts (JAR) 2009 p. 569, le Tribunal cantonal de St-Gall, bien qu'affirmant ne pas remettre en question l'application générale du critère de l'accessoriété, a implicitement retenu que celui-ci n'était pas applicable à partir d'un seuil de 330'600 fr. (sur le constat: STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, Arbeitsvertrag, 7 e éd. 2012, n° 4 ad art. 322d CO p. 339).
Dans le canton de Zurich, l'Obergericht, dans une décision du 17 septembre 2013, a considéré qu'un salaire annuel de 335'000 fr. excédait de plusieurs fois le salaire moyen et dépassait largement le revenu nécessaire pour assurer un train de vie convenable, ce salaire dépassant substantiellement le montant nécessaire à la couverture des frais d'entretien du travailleur; aucun bonus n'a été alloué à l'employé (cause NP120018).
Le 6 février 2014, la même autorité judiciaire a jugé qu'un salaire fixe de 710'040 fr. dépassait substantiellement le montant nécessaire à la couverture des frais d'entretien de l'employé concerné (cause LA130003).
Le Tribunal cantonal de Zoug, dans un arrêt du 11 août 2014, a jugé qu'un montant (salaire fixe et bonus) de 254'700 fr. (pour l'année 2006), respectivement de 306'200 fr. (pour 2007), était un multiple du salaire moyen et permettait largement de couvrir les coûts générés par un train de vie approprié, de sorte que l'accessoriété ne constituait plus un critère déterminant (cause A2 2012 3).

5.2.3 Quant à la doctrine, elle propose divers montants dans une large fourchette comprise entre 280'000 fr. et 2'000'000 fr.
S'agissant du montant de 2'000'000 fr., un auteur estime, à la lecture de l' ATF 139 III 155 , qu'il doit être considéré comme une ligne directrice; il n'exclut toutefois pas qu'un chiffre plus modeste puisse être fixé comme limite (MORF, Akzessorietät, op. cit., ch. I.4), ce qu'il avait d'ailleurs affirmé quelques années auparavant, en considérant qu'un montant de 400'000 fr. constituait le seuil adéquat (ROGER P. MORF, Lohn und besondere Vergütungsformen im privatrechtlichen Arbeitsverhältnis, 2011, p. 326).
Un autre auteur semble fixer, dans un premier temps, cette limite à 300'000 fr., puis, il désigne une valeur seuil plus élevée, soit le montant de 410'000 fr. correspondant (à l'époque) au revenu d'un
BGE 141 III 407 S. 412
Conseiller fédéral (CONRADIN CRAMER, Der Bonus im Arbeitsvertrag, 2007, p. 110 et 112). D'autres mentionnent également ce dernier critère, sans toutefois prendre position (STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, op. cit., n° 4 ad art. 322d CO p. 339; cf. aussi arrêt attaqué).
Plusieurs auteurs professent qu'il convient de se fonder sur le salaire médian suisse. Partant de cette prémisse, certains, pour être "en ligne avec la jurisprudence du Tribunal fédéral" (cf. arrêt 4A_721/2012 déjà cité) et tenir "compte du niveau de vie en Suisse", considèrent que le seuil de référence correspond à l'heure actuelle à un salaire de 500'000 fr. (RICHA/RAEDLER, op. cit., p. 414). D'autres estiment qu'il convient de se baser sur un multiple du salaire médian suisse, soit, pour certains, cinq fois ce salaire (WYLER/HEINZER, op. cit., p. 165) et, pour un autre auteur, dix fois, soit un montant qu'il fixe à 720'000 fr. (AURÉLIEN WITZIG, La modification du rapport de travail, 2014, p. 62 s.). D'aucuns, enfin, donnent la préférence au salaire médian de la catégorie des "top managers", soit 280'000 fr. en 2012 (VON DER CRONE/BRUGGER, Salärgovernance, RSDA 3/2014 p. 244).
La doctrine est donc partagée s'agissant du montant à fixer en tant que limite au principe de l'accessoriété. On y distingue toutefois deux tendances (non exclusives). La première consiste à situer le seuil entre 280'000 fr. et 500'000 fr., les montants supérieurs auxquels font référence deux auteurs consistant en des positions plus isolées. La deuxième tendance vise le mode de calcul pour fixer ce montant; plusieurs auteurs adoptent une position commune consistant à se fonder sur le salaire médian suisse.

5.3

5.3.1 Pour fixer le seuil du très haut revenu, il y a lieu de préciser tout d'abord qu'il faut tenir compte de la totalité de la rémunération perçue par l'employé au cours d'une année donnée, à savoir le salaire de base et le bonus versé et calculé sur la base des données de l'exercice précédent. En effet et en l'espèce, c'est la rémunération effectivement reçue au cours de l'année 2009, soit le salaire de base de l'année 2009 et le bonus versé en 2009 sur la base des données de l'année 2008, qui est déterminante pour décider s'il y a lieu de requalifier ce bonus de salaire sur la base du critère de l'accessoriété; c'est à tort que la cour cantonale en a décidé différemment, en prenant en compte le salaire de base de l'année 2008 et le bonus versé sur la base des données de l'année 2008.
Si cette rémunération totale dépasse le seuil du très haut revenu, il n'y a pas lieu de qualifier le bonus de salaire, le critère de
BGE 141 III 407 S. 413
l'accessoriété n'étant pas applicable (cf. arrêt 4A_447/2012 déjà cité consid. 2.2; WYLER/HEINZER, op. cit., p. 164).
En revanche, si la rémunération totale de l'employé n'atteint pas ce seuil, le critère de l'accessoriété s'applique et, sur cette base, une requalification (partielle ou totale) du bonus doit intervenir (nullité partielle; cf. RICHA/RAEDLER, op. cit., p. 415; GABRIEL AUBERT, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 2 e éd. 2012, n° 16 ad art. 322d CO; WYLER/HEINZER, op. cit., p. 164; PORTMANN, op. cit., n° 19 ad art. 322d CO; ROGER RUDOLPH, Focus: Développements récents en matière de bonus en droit du travail, TREX 2/2011 ch. 2.2.3).

5.3.2 Dans l' ATF 139 III 155 , ainsi que dans les trois arrêts ultérieurs qui s'y réfèrent, la Cour de céans a déjà eu l'occasion d'indiquer que le seuil à partir duquel le principe de l'accessoriété n'est plus applicable doit représenter un multiple du "salaire moyen" (cf. supra consid. 4.3.2). Cela étant, il n'y a donc pas lieu de fixer un montant déterminé (fixe). Dans la ligne déjà esquissée par la jurisprudence, il faut déterminer le facteur (ou multiple) par lequel le "salaire moyen" doit être multiplié.
Ce procédé, qui correspond à une tendance observée en doctrine (cf. supra consid. 5.2.3), présente l'avantage de demeurer valable indépendamment des modifications salariales d'année en année, l'évolution de la valeur seuil étant fonction de celle du "salaire moyen".
Toutefois, comme le relève la doctrine, la notion de "salaire moyen" n'est pas la plus adaptée car elle est susceptible d'être influencée par des valeurs extrêmes. Il convient donc de lui préférer celle de "salaire médian", soit la valeur qui divise l'ensemble considéré en deux groupes de taille égale, une moitié des postes de travail recevant un salaire y étant inférieur et l'autre moitié un salaire supérieur (RICHA/RAEDLER, op. cit., p. 414 et la référence; WYLER/HEINZER, op. cit., p. 165; le même , Chronique Droit du travail, Commentaire, JdT 2014 II p. 307; WITZIG, op. cit., p. 62).

5.3.3 Il faut encore déterminer le facteur par lequel le salaire médian doit être multiplié.
Un facteur de "cinq" est adéquat (cf. WYLER/HEINZER, op. cit., p. 165). Le montant qui en résulte (environ 350'000 fr., cf. infra consid. 6.1) est dans l'ordre de grandeur des montants déjà arrêtés dans les pratiques cantonales, et il entre dans la fourchette qui comprend les propositions déjà faites par une large part de la doctrine. Il s'intègre en
BGE 141 III 407 S. 414
outre de manière adéquate dans la ligne déjà tracée par la jurisprudence, en particulier dans l'arrêt 4A_721/2012 précité (où il a été implicitement admis qu'un montant de 425'000 fr. de salaire excluait toute application du principe de l'accessoriété).
Un facteur plus important (comme celui de "dix" proposé par WITZIG, op. cit., p. 62) serait en ce sens disproportionné. Il aurait au demeurant pour effet de soumettre un montant conséquent aux règles afférentes au salaire, ce qui réduirait la marge de manoeuvre de l'employeur et l'empêcherait de différer, pour le montant en question, le versement de la rémunération. Cela irait à contre-sens de la tendance actuelle qui, en lien avec l'instrument de la gratification, vise à prévoir des "rémunérations différées [liant] la rémunération à l'évolution future du succès et des risques" (cf. la circulaire de la FINMAsur la rémunération[Circ.-FINMA 10/1], Principe n o 7; sur l'ensemble de la question: BENOÎT CHAPPUIS, Bonus des dirigeants: la jurisprudence du Tribunal fédéral à l'épreuve des règles de la FINMA, in La pratique contractuelle 2, Pichonnaz/Werro [éd.], 2011, p. 100 ss; cf. également: EHRENSTRÖM/OLOFSSON, La liberté du salaire et ses [nouvelles] limites, Jusletter 12 mars 2012 ch. 34).

5.3.4 Le critère de "cinq fois le salaire médian" est ainsi un critère essentiellement objectif. Il est en adéquation avec les motifs de l' ATF 139 III 155 . Selon ce précédent, il s'agit de tempérer, en cas de rémunération très élevée, la nécessité sociale de protection du travailleur et le besoin de limiter dans ce cadre la liberté contractuelle des parties (cf. ATF 139 III 155 consid. 5.3 p. 159; cf. THOMAS GEISER, Übersicht über die arbeitsrechtliche Rechtsprechung des Bundesgerichts, in St. Galler Tagung zum Arbeitsrecht 2013 [non publié], ch. 1.8 et les auteurs cités à la note 10). Dans ce cadre, le critère permettant de fixer le seuil de la "rémunération très élevée" est nécessairement une notion générale qui ne tient pas forcément compte des particularités de la situation concrète de l'employé. On ne peut en effet raisonnablement concevoir une pratique qui tempérerait la nécessité sociale de la protection du travailleur en fonction des circonstances particulières de l'espèce. Cela reviendrait à protéger le travailleur dispendieux qui mène un train de vie élevé et non celui qui, à salaire égal, se contente de moins (sur le constat: RICHA/RAEDLER, op. cit., p. 413).
Seul un critère essentiellement objectif permet de mettre en oeuvre les règles générales consacrées à l' ATF 139 III 155 , tout en permettant de répondre aux besoins de prévisibilité et de sécurité juridique
BGE 141 III 407 S. 415
que la pratique appelle régulièrement de ses voeux (RICHA/RAEDLER, op. cit., p. 415; WYLER/HEINZER, op. cit., p. 165; sur l'insécurité juridique en lien avec les très hautes rémunérations cf. GROSS/ZUBER/MAYHALL, op. cit., p. 183 s.).
C'est dans cette optique que le salaire médian s'entend tous domaines économiques confondus (dans le secteur privé), et non selon la branche d'activité concernée (cf. RICHA/RAEDLER, op. cit., p. 414; citant ces deux auteurs: WYLER/HEINZER, op. cit., p. 165, qui fait référence au "salaire médian suisse"; en ce sens: WITZIG, op. cit., p. 62; d'un autre avis: VON DER CRONE/BRUGGER, op. cit., p. 244, qui donnent la préférence au salaire médian des top managers).

5.4 En conclusion, lorsque la rémunération totale de l'employé équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse (secteur privé), son salaire doit être qualifié de très haut, de sorte que son bonus est une gratification, laquelle demeure au bon vouloir de l'employeur.

5.5 Les critiques de l'employé intimé, par lesquelles il propose la confirmation du dispositif cantonal par substitution de motifs, ne sont pas propres à remettre en question les considérations qui précèdent (cf. infra).

5.5.1 L'employé admet que le principe de l'accessoriété peut être exclu de manière générale, "et abstraction faite du cas d'espèce", lorsque, comme cela était le cas à l' ATF 139 III 155 , le salaire d'un travailleur dépasse deux millions de francs. Il soutient par contre que la fixation d'un seuil inférieur (comme celui correspondant au salaire médian multiplié par cinq, ou même le seuil de 500'000 fr. fixé par la cour cantonale), qui ferait fi de la situation concrète du travailleur (notamment de ses coûts concrets d'entretien), serait arbitraire et susceptible de conduire à des inégalités de traitement. Il insiste en particulier sur le fait qu'il "est inconcevable que les notions de 'train de vie approprié' et de 'coûts d'entretien' puissent avoir indifféremment la même portée pour tous les travailleurs", soit aussi bien pour un jeune travailleur célibataire (sous-entendu: dont les coûts d'entretien sont moindres) que pour lui, père de famille et fidèle à la même entreprise durant plus de vingt ans, qui a adapté son train de vie en fonction d'une rémunération annuelle oscillant entre 1'400'000 fr. et 2'000'000 fr. Selon lui, ni son salaire fixe ni "le montant arbitrairement arrêté à 500'000 fr. par la Cour d'appel civile ne lui permettraient de maintenir son train de vie et d'assurer ses coûts d'entretien".
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L'existence de coûts d'entretien différents entre les employés (notamment entre un jeune travailleur et un employé expérimenté ayant adapté son train de vie) tombe sous le sens; toutefois, on ne voit pas en quoi le fait de fixer une valeur limite - qui repose sur des critères essentiellement objectifs - au-delà de laquelle le critère de l'accessoriété n'est plus applicable serait, comme le soutient l'intimé, "arbitraire"; dans ce contexte, il n'appartient en outre pas au droit du travail de corriger les prétendues "inégalités de traitement" évoquées par le travailleur.
Il faut rappeler ici que, pour les "revenus très élevés", l'employé ne saurait se prévaloir d'un besoin de protection pour justifier une restriction à la liberté contractuelle (cf. supra consid. 4.3.2) et il lui appartient donc, avant de changer d'activité professionnelle (comme c'est le cas en l'occurrence), d'effectuer une pesée d'intérêts à cet égard et, ensuite, de faire son choix en toute connaissance de cause, soit de changer de travail (avec le risque de ne pas recevoir sa gratification), soit de rester à son poste (pour bénéficier de sa prime) (cf. en droit allemand: ULRICH PREIS, in Erfurter Kommentar zum Arbeitsrecht, 15 e éd. 2015, n° 534c ad § 611 BGB 230). Il faut d'ailleurs encore noter dans ce contexte que l'employé a pu négocier, en partie du moins, l'éventualité d'une perte subie "pour le bonus sur l'exercice 2008" avec son futur employeur.
(...)

6. Il convient maintenant de déterminer, sur la base des principes développés plus haut (cf. supra consid. 4 et 5), si le demandeur peut réclamer un bonus supplémentaire à celui qu'il a déjà effectivement reçu en 2009 (bonus calculé sur la base des données de l'exercice 2008).

6.1 Le 4 mars 2009, l'employé a annoncé sa démission, avec effet au 30 juin 2009. S'il a été libéré de son obligation de travailler depuis le 10 mars 2009, la relation contractuelle entre les parties n'en a pas moins duré six mois en 2009.
Durant cette période, l'employé a reçu, au titre de salaire, le montant de 150'000 fr. (complètement d'office selon l'art. 105 al. 2 LTF). Après avoir reçu le montant de 848'282 fr. de CRA ("Cash Retention Award"), "récupéré" par la banque à hauteur de 636'210 fr. 95, il a en définitive touché le montant de 212'071 fr. 05, qui a été calculé sur la base des données 2008 et en fonction des modalités de remboursement prévues par les parties dans la convention de
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restitution et qui correspond (à 55 centimes près) au 6/24 du montant total du bonus (848'282 fr.).
En 2009, l'employé a donc perçu la somme totale de 362'071 fr. 05 (150'000 fr. + 212'071 fr. 05) pour une relation contractuelle d'une durée de six mois.
Pour l'année 2009 (année impaire), il n'existe pas de données statistiques sur le salaire médian suisse (secteur privé). Celui-ci peut toutefois être déterminé en partant des statistiques établies pour l'année 2008 (année paire). Il résulte des données mises à disposition sur le site internet de l'Office fédéral de la statistique que le salaire médian suisse (secteur privé) en 2008 était un salaire mensuel brut de 5'781 fr. (Tableau TA1_b "Salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les divisions économiques, la position professionnelle et le sexe, Secteur privé, Suisse 2008", disponible sur le site www.bfs. admin.ch). Pour l'année 2009, le salaire médian peut alors être évalué sur la base de l'indice suisse des salaires nominaux 2006-2010 (Tableau T1.05 disponible sur le site www.bfs.admin.ch), à 5'900 fr. (chiffre arrondi) (5'781 fr. x 2.1/100, soit la variation en pourcent par rapport à l'année 2008). Le seuil au-delà duquel on est en présence d'un très haut revenu est donc de 354'000 fr. (5'900 fr. x 12 x 5), pour l'année entière, et de 177'000 fr. pour six mois.

6.2 Dès lors que la rémunération effectivement perçue par l'employé en 2009 (362'071 fr. 05) est supérieure à la valeur seuil (177'000 fr.), le bonus reste une gratification.
Le moyen soulevé par la banque est fondé et c'est donc à tort que la cour cantonale a condamné la banque à verser à l'employé le montant de 149'999 fr. 95.

7. En ce qui concerne le bonus réclamé par l'employé pour 2010 (bonus qui aurait été versé en 2010, mais calculé sur la base des données de 2009), il faut d'emblée relever que les parties n'étaient plus liées par un contrat de travail (la relation contractuelle s'étant achevée à la fin du mois de juin 2009) et que l'employé n'avait droit à aucun salaire. Partant, contrairement à ce que la cour cantonale a estimé en retenant le chiffre de 100'000 fr., il n'y a évidemment pas à "reconstituer" un salaire pour l'année 2010; la question d'une requalification du bonus en salaire ne se pose donc pas.
Le grief invoqué par la banque est fondé et la demande doit également être rejetée sur ce point.

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Considérants 4 5 6 7

références

ATF: 139 III 155, 131 III 615, 129 III 276

Article: Art. 322 et 322d CO, art. 1 CO, art. 105 al. 2 LTF