Chapeau
129 III 727
111. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. S.A.L, Y. S.A.L. et A. contre Z. Sàrl et Tribunal arbitral CCI (recours de droit public)
4P.115/2003 du 16 octobre 2003
Regeste
Arbitrage international; recours de droit public et demande de révision connexes; extension de la convention d'arbitrage à un tiers (art. 190 al. 2 let. a, b et d LDIP).
Ordre de traitement d'un recours de droit public et d'une demande de révision connexes visant la même sentence arbitrale (consid. 1).
Extension de la convention d'arbitrage à un tiers: conditions de forme et de fond (consid. 5.3).
Faits à partir de page 727
A.- A la suite d'un appel d'offres, Z. Sàrl (ci-après: Z.), société de droit libanais, a conclu, le 15 octobre 1997, avec les sociétés de droit libanais Y. S.A.L. (ci-après: Y.) et X. S.A.L (ci-après: X.), agissant respectivement en qualité de maître de l'ouvrage et de mandataire du maître de l'ouvrage, un contrat d'entreprise ayant pour objet
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la réalisation de travaux de construction dans le cadre de l'édification d'un grand complexe immobilier à U., au Liban. Le droit libanais était applicable à ce contrat. Les différends auxquels l'exécution de celui-ci pourrait donner matière devaient être résolus par voie d'arbitrage, conformément à une clause compromissoire fixant le siège de l'arbitrage à Genève.
Par lettre du 27 octobre 2000, Z. a informé Y. et X. de son intention de résilier le contrat en raison du défaut de paiement d'une facture pour des travaux exécutés par elle. Il en est résulté un différend que les parties n'ont pas pu régler à l'amiable.
B.- Le 14 février 2001, Z. a adressé à la Chambre de Commerce Internationale (CCI) une requête d'arbitrage visant non seulement Y. et X., mais encore le dénommé A., au motif que cet homme d'affaires libanais était intervenu de façon constante dans l'exécution du contrat d'entreprise. Tirant argument du fait que A. n'avait pas signé le contrat d'entreprise, les parties défenderesses ont sollicité sa mise hors de cause.
La demanderesse a proposé comme arbitre Me D. Quant aux parties défenderesses, elles ont avancé le nom de M. E. Les coarbitres ont désigné Me S. comme président du Tribunal arbitral. La CCI a entériné ces choix.
Par sentence finale du 22 avril 2003, rendue à la majorité de ses membres, le Tribunal arbitral a dit que la résiliation du contrat d'entreprise par Z. était justifiée. En conséquence, il a condamné solidairement Y. et X. à payer à la demanderesse un total de quelque 1'746'000 US$ à différents titres, intérêts en sus. Considérant que A. avait été attrait à bon droit dans la procédure d'arbitrage, il l'a déclaré conjointement responsable des condamnations prononcées à l'encontre des deux sociétés défenderesses. Enfin, le Tribunal arbitral, admettant partiellement la demande reconventionnelle formée par celles-ci, a condamné Z. à leur verser la somme de 50'000 US$ et ses accessoires à titre de dommages-intérêts pour les malfaçons affectant l'ouvrage livré.
C.- Y., X. et A. ont formé un recours de droit public au Tribunal fédéral aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence arbitrale. Se fondant sur les art. 190 al. 2 let. a, b et d LDIP, les recourants reprochent au Tribunal arbitral, plus précisément aux arbitres majoritaires, d'avoir clos la procédure probatoire alors que des éléments de fait primordiaux, mis en lumière par des expertises subséquentes, n'avaient pas été éclaircis, de n'avoir pas consulté l'arbitre minoritaire - M. E. - lors de l'élaboration du texte définitif de la sentence
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et d'avoir rendu celle-ci à l'encontre d'une personne - A. - qui n'était pas liée par la clause arbitrale insérée dans le contrat d'entreprise.
Par mémoire séparé, les recourants ont formé simultanément une demande de révision à titre subsidiaire.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public.
Extrait des considérants:
1. Les recourants ont déposé, parallèlement, un recours de droit public et une demande de révision visant tous deux la même décision, à savoir la sentence finale du 22 avril 2003, laquelle jouissait de la force de chose jugée dès sa communication (
art. 190 al. 1 LDIP). Le Tribunal fédéral est compétent pour statuer sur l'un et l'autre de ces moyens de droit extraordinaires (
art. 191 al. 1 LDIP;
ATF 118 II 199 consid. 2). Il n'existe pas de disposition spécifique, tel l'
art. 57 al. 1 OJ pour le recours en réforme ou l'
art. 6 al. 1 PCF en liaison avec l'
art. 40 OJ pour les autres recours, qui réglerait la priorité de traitement entre le recours de droit public et la demande de révision dirigés contre une sentence rendue dans le cadre d'un arbitrage international. Le but assigné à ces dispositions - éviter, pour des motifs d'économie procédurale, que le Tribunal fédéral ne s'occupe d'une affaire tant que la décision attaquée est susceptible d'être annulée par une autorité cantonale (
ATF 83 II 422) - ne joue pas de rôle dans un tel contexte puisque c'est la même autorité qui est appelée à statuer sur les moyens de droit connexes. Cela étant, on observe, en particulier au niveau cantonal, que la révision est généralement conçue comme une voie de recours subsidiaire par rapport aux instruments prioritaires que constituent les autres voies de recours mises à la disposition du justiciable (cf., parmi d'autres, FABIENNE HOHL, Procédure civile, vol. II, n. 3079; PHILIPPE SCHWEIZER, Le recours en revision, thèse Neuchâtel 1985, p. 331). Dans le même esprit, la jurisprudence fédérale considère que les motifs mentionnés à l'
art. 136 OJ ne sauraient fonder une demande de révision d'une sentence arbitrale internationale dès lors qu'ils peuvent être invoqués à l'appui d'un recours de droit public au sens de l'
art. 190 al. 2 LDIP (arrêt 4P.104/1993 du 25 novembre 1993, consid. 2;
ATF 118 II 199 consid. 4). La logique veut donc que l'on traite en priorité le recours de droit public. Il ne s'agit là cependant que d'une règle générale et il est tout à fait concevable que, dans certaines hypothèses comme celle prévue par l'
art. 137 let. a OJ, il puisse se justifier de commencer par l'examen de la demande de révision.
En l'espèce, il n'y a aucune raison de déroger à la règle. Le faire s'impose d'autant moins que, dans sa réponse à la demande de révision, l'intimée conclut à l'irrecevabilité de celle-ci du fait que ses auteurs y articuleraient les mêmes griefs que ceux qu'ils formulent dans leur recours de droit public parallèle et qui entreraient dans les prévisions de l'art. 190 al. 2 LDIP. Il convient donc d'examiner en premier lieu les moyens soulevés dans le recours de droit public.
(...)
5. Il reste à examiner si le Tribunal arbitral était compétent pour rendre sa sentence à l'égard de A., alors même que cette personne n'avait pas signé le contrat d'entreprise incluant la clause compromissoire et que son nom n'apparaît pas dans cette clause.
5.1.1 La majorité du Tribunal arbitral a tenu, en substance, le raisonnement suivant pour justifier l'extension de la clause d'arbitrage à A.:
Le présent arbitrage revêt un caractère international au regard tant du droit suisse que du droit libanais, contrairement à ce que soutiennent les parties défenderesses, ce qui rend inopérants les moyens que ces dernières entendent tirer des dispositions du Code de procédure civile libanais relatives à l'arbitrage interne ainsi que d'autres règles matérielles du droit libanais. Par conséquent, la jurisprudence touchant l'extension, en matière d'arbitrage international, de la clause compromissoire aux tiers non-signataires est applicable en l'espèce. A cet égard, la jurisprudence française illustre bien la tendance actuelle de la pratique arbitrale internationale. Selon cette jurisprudence, le fondement juridique de l'extension de la clause compromissoire à un tiers non-signataire réside dans les usages du commerce international, en vertu desquels la participation du non-signataire à la conclusion ou à l'exécution du contrat constitue l'élément déterminant. La possibilité d'une telle extension est d'ailleurs admise par le droit suisse sur le fondement de la volonté réelle des parties ou, à défaut, sur celui du principe de la bonne foi. C'est à la lumière de ce droit qu'il convient de rechercher si A. pouvait être mis en cause dans la procédure arbitrale pendante. Cependant, conformément à l'art. 17 du Règlement d'arbitrage de la CCI, le Tribunal arbitral doit aussi tenir compte de la lex mercatoria, le recours aux usages du commerce étant de surcroît justifié par le principe de l'autonomie de la clause d'arbitrage, selon lequel celle-ci n'est pas nécessairement soumise au droit applicable au contrat.
Il est constant que les terrains sur lesquels ont été construits les immeubles objet du contrat d'entreprise du 15 octobre 1997 appartenaient à A. qui les a transférés à une société - Y. - contrôlée par ses proches et qui est demeuré titulaire du permis de construire jusqu'à une date bien postérieure à celle de la conclusion dudit contrat. Il est également possible, voire vraisemblable, que A. ait donné ou prêté à son épouse et à ses fils les fonds nécessaires à la constitution du capital des sociétés Y. et X. L'intéressé a en outre personnalisé à l'extrême la présentation du projet immobilier à la presse et au public. Ces éléments de fait sont toutefois insuffisants, à eux seuls, pour permettre à la demanderesse de l'attraire dans la procédure d'arbitrage. En revanche, il ressort des pièces du dossier que A. s'est manifestement et volontairement immiscé, non seulement dans la direction des sociétés défenderesses en ce qui concerne la gestion du projet immobilier, mais encore dans l'exécution du contrat d'entreprise litigieux, dont il n'a pu, de ce fait, ignorer les termes et conditions, en particulier la clause compromissoire qui y figure. Aussi bien, il est clairement établi que les sociétés Y. et X. n'ont été, à l'évidence, que les instruments de l'activité personnelle de A., ce dernier ayant ainsi manifesté son intention d'être personnellement partie à la convention d'arbitrage. Il serait du reste contraire aux règles de la bonne foi, qui gouvernent les relations commerciales internationales, qu'une personne physique qui est intervenue, de façon constante et répétée, dans l'exécution d'un contrat, puisse, le moment venu, s'abriter derrière la ou les personnes morales signataires de celui-ci, en contestant être liée par les clauses qu'il contient, et notamment la clause compromissoire. Dans ces conditions, la clause arbitrale incluse dans le contrat doit être étendue à A. personnellement, lequel a dès lors été attrait à bon droit dans la procédure d'arbitrage.
5.1.2 Se fondant sur l'
art. 190 al. 2 let. b LDIP, les recourants soutiennent que le Tribunal arbitral n'était pas compétent pour dire que A. est conjointement responsable des condamnations prononcées à l'encontre des sociétés Y. et X. Cette affirmation repose sur les motifs ci-après résumés.
Le chapitre 12 de la LDIP, relatif à l'arbitrage international, est applicable en l'espèce. Aussi, en vertu de l'
art. 178 al. 1 LDIP, l'extension de la clause compromissoire, elle-même valable du point de vue formel, à A. personnellement, devait, elle aussi, satisfaire aux conditions de forme posées par cet article. Or, tel n'est pas le cas puisque le dossier de l'arbitrage ne contient aucun document se rapportant
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directement, indirectement ou par référence, à pareille extension. Par conséquent, celle-ci n'est déjà pas valable quant à la forme prescrite.
S'agissant du fond, la possibilité d'étendre les effets de la clause compromissoire à A. supposait que cette extension répondît aux conditions posées par l'un des trois droits envisagés à l'art. 178 al. 2 LDIP. En l'occurrence, seuls entraient en ligne de compte, d'une part, le droit libanais, en tant que droit choisi par les parties et droit applicable au contrat (lex causae) et, d'autre part, le droit suisse, au titre du droit du siège de l'arbitrage (lex fori). Pourtant, au lieu d'appliquer l'un ou l'autre de ces deux droits, le Tribunal arbitral a préféré se fonder sur la jurisprudence arbitrale relative à l'extension de la clause compromissoire à un tiers non-signataire, quand bien même elle repose sur des circonstances de fait totalement étrangères à celles qui caractérisent la cause en litige. S'il avait appliqué le droit libanais ou le droit suisse, le Tribunal arbitral aurait dû nécessairement aboutir à la conclusion qu'il n'existait aucune convention d'arbitrage valablement passée entre la demanderesse et A., ce qui l'eût amené à refuser d'étendre à cette personne les effets de la clause compromissoire insérée dans le contrat d'entreprise litigieux.
5.1.3 Dans sa réponse au recours, l'intimée commence par relever un certain nombre de contradictions dans l'argumentation des recourants. Rappelant qu'une convention d'arbitrage peut obliger même des personnes qui ne l'ont pas signée, elle conteste ensuite l'existence du vice de forme allégué par les recourants, en faisant valoir que la clause compromissoire incluse dans le contrat d'entreprise du 15 octobre 1997 est formellement valable au regard de l'
art. 178 al. 1 LDIP.
Cela fait, l'intimée s'emploie à réfuter la thèse des recourants au sujet de la validité de la convention d'arbitrage quant au fond. Elle souligne, à ce propos, que cette thèse repose sur les dispositions du droit procédural et matériel libanais, dont le Tribunal arbitral a pourtant écarté à juste titre l'application, et qu'en sont totalement absentes les considérations - laissées intactes par les recourants - des arbitres majoritaires ayant trait à la portée subjective de la convention d'arbitrage en droit libanais de l'arbitrage international. Le recours serait donc irrecevable sur ce point, de l'avis de la recourante (recte: l'intimée), laquelle estime, au demeurant, que le Tribunal arbitral était fondé à interpréter le droit libanais à la lumière de la jurisprudence développée en France sur la question de l'extension de la clause arbitrale à un non-signataire, étant donné la similitude des textes libanais et français réglementant l'arbitrage international.
L'intimée conteste, par ailleurs, que le Tribunal arbitral ait méconnu la jurisprudence suisse relative à l'art. 178 al. 2 LDIP.
Enfin, s'agissant de la conclusion du Tribunal arbitral voulant que A. ait manifesté son intention d'être personnellement partie à la convention d'arbitrage, l'intimée souligne que les arbitres y sont arrivés, non pas par un processus d'interprétation normative, mais bien par une reconstruction concrète de la volonté manifestée par les parties, effectuée sur la base d'indices révélés par l'administration des preuves. Il s'agit là, selon elle, d'une question de fait que le Tribunal fédéral revoit uniquement sous l'angle de la compatibilité avec l'ordre public et dont la solution ne saurait être remise en cause par les critiques appellatoires que les recourants formulent sur ce point.
5.2.1 A. soutient que le Tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent pour connaître des conclusions prises contre lui. Il invoque ainsi le motif de recours prévu par l'
art. 190 al. 2 let. b LDIP. Tel est bien le motif correspondant au grief formulé par le recourant. Effectivement, lorsqu'ils examinent s'ils sont compétents pour trancher le différend qui leur est soumis, les arbitres doivent résoudre, entre autres questions, celle de la portée subjective de la convention d'arbitrage. Il leur appartient, notamment, de déterminer quelles sont les parties liées par la convention (
ATF 128 III 50 consid. 2b/aa;
ATF 117 II 94 consid. 5b p. 98 et les auteurs cités).
5.2.2 Saisi du grief d'incompétence, le Tribunal fédéral examine librement les questions de droit, y compris les questions préalables, qui déterminent la compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral. Cependant, il revoit l'état de fait à la base de la sentence attaquée - même s'il s'agit de la question de la compétence - uniquement lorsque l'un des griefs mentionnés à l'
art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou lorsque des faits ou des moyens de preuve nouveaux (cf.
art. 95 OJ) sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours de droit public (
ATF 128 III 50 consid. 2a et les arrêts cités).
En l'espèce, les recourants n'ont pas motivé - d'une manière répondant aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ - un grief fondé sur l'art. 190 al. 2 LDIP en relation avec les constatations de fait du Tribunal arbitral. Ils présentent certes leur propre version des événements, mais cette manière de procéder, qui est étrangère au recours de droit public, n'est pas admissible. En l'absence d'un grief suffisamment motivé, il faut s'en tenir aux constatations contenues dans la sentence attaquée.
5.3 Le contrat d'entreprise conclu le 15 octobre 1997 par Y. et X. avec Z. contient une clause compromissoire fixant le siège de l'arbitrage en Suisse. Il n'est pas contesté, ni contestable au demeurant, que cette convention d'arbitrage satisfait à l'exigence de forme de l'
art. 178 al. 1 LDIP, disposition applicable à tout arbitrage ayant son siège en Suisse, au sens de l'
art. 176 LDIP, comme c'est le cas du présent arbitrage. Aussi, la clause compromissoire en question lie-t-elle indubitablement les trois sociétés qui ont signé le contrat d'entreprise litigieux. Le seul problème - délicat - à résoudre est de savoir si A., qui n'a pas signé ce contrat et n'y est pas non plus désigné en qualité de partie, est également lié par la convention d'arbitrage.
5.3.1 A suivre un courant doctrinal que l'on pourrait qualifier de formaliste et dont le principal tenant est le professeur POUDRET, il faudrait sans doute admettre que le défendeur A. n'a pas été régulièrement attrait devant le Tribunal arbitral. En effet, selon cet auteur, la volonté de compromettre de toutes les parties, y compris celle à laquelle on souhaite étendre la clause compromissoire, doit résulter d'un ou de plusieurs textes, si bien que l'on ne saurait se contenter de la preuve par actes concluants non écrits, tels que la simple exécution du contrat, seules des circonstances exceptionnelles, constitutives d'un abus de droit, permettant à la rigueur de s'écarter de l'exigence de forme posée par l'
art. 178 al. 1 LDIP. Ce n'est que si cette exigence réduite - la signature du tiers auquel on veut étendre la convention d'arbitrage n'est plus nécessaire, alors qu'elle l'était sous l'empire du Concordat - est remplie qu'il y a lieu d'interpréter le ou les textes pour déterminer si toutes les parties ont réellement voulu que le tiers qui n'a pas signé la convention d'arbitrage soit néanmoins lié par celle-ci (JEAN-FRANÇOIS POUDRET, L'extension de la clause d'arbitrage: approches française et suisse [cité ci-après: L'extension], in Journal du droit international [JDI] 1995 p. 893 ss, 904; voir aussi: JEAN-FRANÇOIS POUDRET/SÉBASTIEN BESSON, Droit comparé de l'arbitrage international, n. 258 p. 233, n. 260 p. 236 et n. 264 p. 239; cf. également les auteurs mentionnés par POUDRET/BESSON, op. cit., p. 233 note de pied 496) . Force serait de constater, s'il fallait se rallier à cette opinion, l'absence de tout texte dont on pourrait inférer l'existence, chez Z. et A., d'une volonté commune de compromettre ou, à tout le moins, l'acceptation anticipée, par le dernier nommé, de son éventuelle mise en cause dans la procédure arbitrale ouverte par ladite société.
Cependant, il n'est pas du tout certain que l'opinion professée par JEAN-FRANÇOIS POUDRET puisse être qualifiée de majoritaire,
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ni qu'elle corresponde à l'état actuel de la jurisprudence fédérale en la matière, laquelle n'est pas empreinte de formalisme mais révèle bien plutôt une approche libérale, par le Tribunal fédéral, des conditions de validité de la convention d'arbitrage dans le domaine de l'arbitrage international (cf., parmi d'autres, MARC BLESSING, Introduction to Arbitration - Swiss and International Perspectives, n. 504; voir également la note de PHILIPPE SCHWEIZER, in RSDIE 2002 p. 587).
Aussi bien, dans un certain nombre d'hypothèses, comme la cession de créance, la reprise (simple ou cumulative) de dette ou le transfert d'une relation contractuelle, le Tribunal fédéral admet de longue date qu'une convention d'arbitrage peut obliger même des personnes qui ne l'ont pas signée et qui n'y sont pas mentionnées (voir déjà l'
ATF 120 II 155 consid. 3b/bb p. 163 et, plus récemment, l'
ATF 128 III 50 consid. 2b/aa; cf. également l'arrêt 4P.126/2001 du 18 décembre 2001, consid. 2e/bb, publié in Bulletin de l'Association suisse de l'arbitrage [ASA] 2002 p. 482 ss et in RSDIE 2002 p. 543 ss, et l'arrêt 4P.124/2001 du 7 août 2001, consid. 2c et d). Le libéralisme qui caractérise la jurisprudence fédérale relative à la forme de la convention d'arbitrage en matière d'arbitrage international se manifeste également dans la souplesse avec laquelle cette jurisprudence traite le problème de la clause arbitrale par référence (voir l'arrêt 4P.126/2001 précité, ibid.). Il apparaît encore plus nettement dans deux décisions récentes où il a été retenu que, par une simple démarche procédurale, une partie avait adhéré à une clause arbitrale (arrêt 4C.40/2003 du 19 mai 2003, consid. 4; arrêt 4P.230/2000 du 7 février 2001, consid. 2, traduit in RSDIE 2002 p. 585 ss). Pour le surplus, il a déjà été jugé, toujours dans la même optique et de manière plus générale, que, suivant les circonstances, un comportement donné peut suppléer, en vertu des règles de la bonne foi, à l'observation d'une prescription de forme (
ATF 121 III 38 consid. 3 p. 45 confirmé par l'arrêt 4P.124/2001, précité, consid. 2c).
En définitive et dans le droit fil de cette jurisprudence libérale, il n'y a pas lieu de poser des exigences trop strictes en ce qui concerne la validité formelle de l'extension d'une clause arbitrale à un tiers. Sans doute n'est-il pas possible de faire abstraction de l'exigence de forme posée à l'
art. 178 al. 1 LDIP. Ainsi, à supposer que l'une des deux parties à une convention d'arbitrage passée oralement assigne l'autre partie et un tiers devant un tribunal arbitral ayant son siège en Suisse et que ce tribunal rejette l'exception d'incompétence soulevée uniquement par le tiers mis en cause, ce dernier - l'hypothèse
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d'un abus de droit étant réservée - pourra soutenir avec succès, dans un recours de droit public fondé sur l'
art. 190 al. 2 let. b LDIP, qu'il n'a pas pu être valablement attrait dans la procédure arbitrale, étant donné que la convention d'arbitrage ne respectait pas la forme requise par l'
art. 178 al. 1 LDIP. Toutefois, cette exigence de forme ne s'applique qu'à la convention d'arbitrage elle-même, c'est-à-dire à l'accord (clause compromissoire ou compromis) par lequel les parties initiales ont manifesté réciproquement leur volonté concordante de compromettre. Quant à la question de la portée subjective d'une convention d'arbitrage formellement valable au regard de l'
art. 178 al. 1 LDIP - il s'agit de déterminer quelles sont les parties liées par la convention et de rechercher, le cas échéant, si un ou des tiers qui n'y sont pas désignés entrent néanmoins dans son champ d'application ratione personae -, elle relève du fond et doit, en conséquence, être résolue à la lumière de l'
art. 178 al. 2 LDIP (dans ce sens, cf., parmi d'autres, BLESSING, ibid.).
Appliqués au cas particulier, ces principes conduisent à écarter l'argument selon lequel A. n'a pas été valablement mis en cause dans la procédure arbitrale pour n'avoir pas manifesté de manière formelle, au sens de l'art. 178 al. 1 LDIP, sa volonté de se soumettre à la convention d'arbitrage liant Z. aux sociétés Y. et X.
5.3.2 Selon l'
art. 178 al. 2 LDIP, la convention d'arbitrage est valable, quant au fond, si elle répond aux conditions que pose soit le droit choisi par les parties, soit le droit régissant l'objet du litige et notamment le droit applicable au contrat principal, soit encore le droit suisse. Cette disposition consacre ainsi trois rattachements alternatifs in favorem validitatis, à savoir le droit choisi par les parties, la lex causae et le droit du siège de l'arbitrage. Il n'existe aucune hiérarchie entre ces rattachements et il suffit que la convention soit valable au fond au regard de l'un de ces trois droits (arrêt 4P.124/2001, précité, consid. 2c; BERNARD DUTOIT, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 3e éd., n. 7 ad
art. 178 LDIP).
Dans le cas présent, seuls deux rattachements entreraient en ligne de compte, au dire du recourant: d'une part le droit suisse, en tant que droit du siège de l'arbitrage; d'autre part, le droit libanais, en tant que droit auquel les parties ont choisi de soumettre la clause arbitrale (cf. art. 67.1 du contrat d'entreprise), droit applicable au contrat (art. 5.1 let. b du contrat en question) et droit applicable selon le § 53 de l'acte de mission. En réalité, il ressort de ce paragraphe dudit acte que les parties ont élargi le domaine du droit applicable, en invitant le Tribunal arbitral à tenir compte également "des usages
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du commerce pertinents" conformément à l'art. 17 du Règlement d'arbitrage de la CCI.
Le Tribunal arbitral, pour justifier l'extension de la clause d'arbitrage à A., s'est référé notamment au droit libanais de l'arbitrage international, qu'il a interprété à la lumière de la lex mercatoria (cf. sentence attaquée, n. 246). Sur le vu de la jurisprudence française qui, selon lui, illustre bien la tendance actuelle de la pratique arbitrale internationale, il a rappelé que, selon cette jurisprudence, le fondement juridique de l'extension de la clause compromissoire à un tiers non-signataire réside dans les usages du commerce international, lesquels font de la participation du non-signataire à la conclusion ou à l'exécution du contrat le critère déterminant pour décider de l'extension de la clause compromissoire à cette partie (sentence attaquée, n. 236 à 242). Examinant alors les circonstances du cas concret en fonction de ce critère, il a constaté que A. s'était immiscé totalement dans l'exécution du contrat d'entreprise et il en a déduit, en accord avec la jurisprudence arbitrale citée par lui, que cette personne avait manifesté, ce faisant, son intention d'être partie à la convention d'arbitrage (sentence attaquée, n. 253 et 254).
Comme l'intimée le souligne à juste titre dans sa réponse au recours, les arguments avancés dans celui-ci ne visent pas les motifs retenus par le Tribunal arbitral pour justifier l'extension de la clause compromissoire à A., si bien qu'ils se révèlent inconsistants. De fait, le recourant ne s'emploie nullement à critiquer l'interprétation que le Tribunal arbitral a donnée du droit libanais de l'arbitrage international sous l'éclairage des principes déduits de la lex mercatoria. Il ne reproche pas aux arbitres majoritaires d'avoir tiré un parallèle entre ce droit et le droit français correspondant (sur la parenté existant entre ces deux droits, cf. MARIE SFEIR-SLIM, Le nouveau droit libanais de l'arbitrage a dix ans, in Revue de l'arbitrage 1993 p. 543 ss), ni ne conteste le recours qu'ils ont fait aux usages du commerce pertinents. Il se contente, bien plutôt, d'exposer les principes gouvernant la conclusion des contrats dans les droits libanais et suisse, bien que le Tribunal arbitral en ait expressément (pour le droit libanais interne) ou implicitement (pour le droit suisse) écarté l'application, sans que sa décision sur ce point ne fasse l'objet d'un grief dûment motivé. Pour le surplus, le recourant n'articule pas de grief recevable au sujet des constatations de fait du Tribunal arbitral relatives à sa forte implication dans l'exécution du contrat d'entreprise litigieux. Telle qu'elle est présentée, la critique qu'il formule en rapport avec sa mise en cause dans la procédure arbitrale tombe, dès lors, à faux.
Cela étant, on peut se dispenser d'examiner si c'est à tort ou à raison que le Tribunal arbitral a jugé que l'extension de la clause d'arbitrage à A. était également conforme au droit suisse.
5.4 Force est d'admettre, au terme de cet examen, que le Tribunal arbitral ne s'est pas déclaré à tort compétent à l'égard de A.