Chapeau
135 III 259
39. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. Ltd et Y. Ltd contre Z. (recours en matière civile)
4A_561/2008 du 9 février 2009
Regeste
Art. 394 al. 3 CO; fixation des honoraires dus à l'avocat.
Il n'est pas contraire au droit fédéral de tenir compte du résultat obtenu par l'avocat pour fixer le montant de ses honoraires. Application au cas d'espèce (consid. 2).
Faits à partir de page 259
A.
En mai 2001, R.A., par le truchement de sa société X. Ltd, a octroyé un prêt à court terme de 80'000'000 CHF à B. En garantie,
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ce dernier a transféré à X. Ltd la propriété de deux cédules hypothécaires grevant un immeuble à Genève; parallèlement, il a accordé un droit d'emption sur le même immeuble à une autre société contrôlée par les frères A.
B. n'a pas remboursé les montants prêtés à l'échéance et a partiellement contesté que le montant réclamé soit dû.
Dans le courant du mois d'août 2001, Y. Ltd et X. Ltd ont chargé l'avocat genevois Z. de recouvrer le montant du prêt, en capital et intérêts, au plus vite et par tous les moyens légaux possibles.
Le mandat a duré environ six ans et demi; l'avocat, ses associés, collaborateurs et stagiaires y ont consacré, selon leur calcul, 1'289 heures. Les notes d'honoraires intermédiaires présentées par l'avocat, déterminées exclusivement en fonction du temps de travail, ont été régulièrement payées pour un montant total de 634'420,25 CHF.
A la suite des démarches et procédures engagées, l'avocat a encaissé pour le compte de son client, le 20 février 2008, la somme de 90'004'046,80 CHF.
Le 14 mars 2008, Z. a établi une note définitive fixant le montant total de ses honoraires à 2'127'000 CHF. Après déduction des sommes déjà versées, le décompte fait apparaître un solde de 1'521'972,70 CHF.
Il a été contesté que l'avocat puisse ainsi majorer ses honoraires pour tenir compte du résultat obtenu.
B.
Le montant de ses honoraires n'ayant pas été admis, l'avocat Z. a saisi, par requête du 2 mai 2008, la Commission de taxation des honoraires d'avocat du canton de Genève.
Dans sa décision du 31 octobre 2008 [datée par inadvertance du 31 novembre 2008], la commission de taxation, après avoir constaté que les parties n'avaient pas conclu de convention en relation avec le mode de calcul des honoraires, a pris en considération l'ampleur du travail accompli et la complexité de la tâche. Elle a retenu que l'activité de l'avocat avait "été causale par rapport (au) résultat" à savoir l'encaissement pour le compte du client d'une somme très élevée. Si elle a estimé qu'il était conforme à l'art. 34 de la loi de la République et canton de Genève du 26 avril 2002 sur la profession d'avocat (LPAv; RSG E 6 10) de tenir compte du résultat obtenu, elle a toutefois estimé que le montant des honoraires, à considérer l'importance du dossier et sa complexité, ne devait pas dépasser
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2 % du résultat obtenu. En conséquence, elle a réduit le montant des honoraires de 2'127'000 CHF à 1'800'000 CHF.
C.
X. Ltd et Y. Ltd exercent conjointement un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Invoquant une application arbitraire des art. 34 et 39 LPAv, une transgression de l'art. 12 de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (LLCA; RS 935.61), ainsi qu'une violation du droit d'être entendu, les recourantes concluent principalement à l'annulation de la décision attaquée et au déboutement de l'avocat; subsidiairement, elles requièrent le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.
Extrait des considérants:
2.1
La présente cause revêt un aspect international du fait que les deux sociétés recourantes ont leur siège à l'étranger, soit en Irlande pour X. Ltd, et au Royaume-Uni, archipel des Bermudes, pour Y. Ltd. Il sied donc de contrôler d'office la question du droit applicable au litige, en fonction de la loi du for, singulièrement de la LDIP (RS 291;
ATF 133 III 323
consid. 2.1).
Selon l'accord des parties, l'avocat devait déployer ses efforts et entreprendre toutes les démarches nécessaires en vue de recouvrer la créance due par le débiteur. Il s'agit donc d'un mandat (art. 394 al. 1 CO). Aucune élection de droit n'étant alléguée (art. 116 LDIP), le contrat est régi par le droit suisse, en tant que loi du lieu où le mandataire a son établissement (art. 117 al. 2 et al. 3 let. c LDIP; art. 20 al. 1 let. c LDIP). Les services étant fournis à titre professionnel, le mandat est onéreux en vertu de l'usage (art. 394 al. 3 CO; arrêt du Tribunal fédéral 4C.158/2001 du 15 octobre 2001 consid. 1b, in SJ 2002 I p. 204).
2.2
Les honoraires dus à un mandataire sont fixés en première ligne d'après la convention des parties (
ATF 101 II 109
consid. 2). En raison de la mission particulière confiée aux avocats en tant qu'auxiliaires de la justice, la jurisprudence a admis que le droit cantonal pouvait réglementer leur rémunération (
ATF 66 I 51 consid. 1 p. 55;
ATF 117 II 282
consid. 4a p. 283). La LLCA n'a pas modifié cette situation et n'a apporté aucune règle sur la fixation des honoraires (arrêt 4A_11/2008 du 22 mai 2008 consid. 4). A défaut de
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convention des parties et de règle cantonale, le montant des honoraires doit être fixé selon l'usage (
ATF 101 II 109
consid. 2). Certes, il a été contesté que l'usage, auquel se réfère l'
art. 394 al. 3 CO, puisse non seulement déterminer le caractère onéreux du contrat, mais encore conduire à fixer le montant des honoraires (
ATF 117 II 282
consid. 4b p. 283/284). Il n'y a cependant pas lieu de revenir sur la prise en compte de l'usage, qui a déjà été admise par la jurisprudence (
ATF 101 II 109
consid. 2) et qui est soutenue par la doctrine récente (FRANZ WERRO, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 2003, n° 46 ad
art. 394 CO; ROLF H. WEBER, in Commentaire bâlois, CO, vol. I, 4
e
éd. 2007, n° 39 ad
art. 394 CO). S'il n'y a pas d'usage, le juge fixe la rémunération en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, étant souligné qu'elle doit être objectivement proportionnée aux services rendus (
ATF 117 II 282
consid. 4c;
ATF 101 II 109
consid. 2 p. 111).
La question litigieuse en l'espèce est de savoir si et dans quelle mesure le montant des honoraires peut tenir compte du résultat obtenu.
2.3
Savoir si les parties peuvent convenir de faire dépendre les honoraires du résultat obtenu par l'avocat est une question d'actualité qui a suscité une récente publication de droit comparé (L'honoraire de l'avocat et le résultat, Congrès général de la Fédération des barreaux d'Europe [FBE] 2006, Mirko Ros [éd.], 2007). Il résulte de la contribution de l'un des auteurs (MATTHIAS KILIAN, Die erfolgsbasierte Vergütung des Rechtsanwaltes, en particulier p. 9 et 10) que les parties pourraient théoriquement tenir compte du résultat de trois manières fondamentalement différentes:
- elles pourraient décider que l'avocat n'a droit à des honoraires qu'en cas de résultat; une telle convention est prohibée en Suisse par l'art. 12 let. e 2
e
phrase LLCA;
- elles pourraient convenir que les honoraires consisteront en une quote-part du résultat; il s'agit du
pactum de quota litis
, qui est généralement prohibé (en Suisse par l'art. 12 let. e 1
re
phrase LLCA);
- elles peuvent prévoir que l'avocat aura le droit de toute manière à des honoraires (ce qui est conforme au principe selon lequel le mandataire ne promet pas de résultat), mais que le montant de ses honoraires pourra être augmenté en cas de succès; il s'agit du
pactum de palmario
, qui est de plus en plus généralement admis
BGE 135 III 259 S. 263
(cf. par ex. art. 12 al. 2 des Us et coutumes de l'Ordre des Avocats genevois).
En l'occurrence, il a été constaté en fait (art. 105 al. 1 LTF) que les parties n'avaient conclu aucune convention sur le montant des honoraires ou sur la manière de les calculer. Il n'y a donc pas à examiner si les plaideurs ont lié la rémunération au résultat d'une manière admissible ou non en fonction des règles qui viennent d'être rappelées. Toute référence au
pactum de quota litis
ou au
pactum de palmario
est ici hors de propos.
2.4
Comme on l'a déjà rappelé, la jurisprudence a admis que le droit cantonal pourrait adopter un tarif et réglementer la rémunération des avocats (
ATF 117 II 282
consid. 4a p. 283). Le législateur genevois n'est pas allé aussi loin, mais il a néanmoins posé, à l'art. 34 LPAv, les principes généraux qui doivent présider à la fixation des honoraires. On ne voit pas pourquoi cette réglementation moins incisive (
a maiore minus
) ne serait pas applicable, alors qu'un tarif contraignant le serait.
Il faut en inférer que l'art. 34 LPAv est applicable. Cette disposition introduit expressément le résultat obtenu parmi les critères qu'il faut prendre en compte pour fixer les honoraires.
Certes, la jurisprudence a considéré que le droit cantonal ne pouvait réglementer que les honoraires de l'avocat pour son activité devant ses autorités et qu'il ne s'appliquait pas à l'activité extrajudiciaire (
ATF 117 II 282
consid. 4a p. 383). Il est probable en l'espèce que l'avocat intimé a aussi déployé une activité extrajudiciaire. Cependant, en l'absence de convention des parties et d'une réglementation cantonale applicable, il convient de se référer à l'usage. Hors, les Us et coutumes de l'Ordre des Avocats de Genève prévoient clairement, à l'art. 12 al. 1, que le résultat obtenu doit être pris en compte. Si l'on songe que le droit cantonal contient la même règle pour l'activité devant les autorités du canton, on peut en déduire qu'il existe à Genève un usage selon lequel le résultat obtenu est pris en considération pour déterminer le montant des honoraires (dans ce sens également: JEAN HEIM, Les honoraires d'avocat en Suisse, in L'honoraire de l'avocat et le résultat, ouvrage collectif déjà cité, p. 149). On observera en passant que le nouveau code suisse de déontologie adopté le 10 juin 2005 par la Fédération suisse des avocats (avec entrée en vigueur le 1
er
juillet 2005) contient le même principe à l'art. 18 al. 2.
Ainsi c'est à juste titre que la commission de taxation, qui est à Genève le juge compétent pour fixer le montant des honoraires
BGE 135 III 259 S. 264
judiciaires ou extrajudiciaires (art. 39 al. 1 LPAv), a tenu compte du résultat obtenu pour majorer la somme due. On ne distingue à cet égard aucune transgression du droit fédéral (
art. 394 al. 3 CO), ni aucune violation arbitraire des art. 34 et 39 LPAv.
2.5
Il reste à examiner si la majoration est excessive.
Il est manifeste que l'autorité cantonale, quand elle fixe le montant des honoraires dus à un avocat, dispose d'un large pouvoir d'appréciation. Or le Tribunal fédéral ne peut revoir qu'avec retenue l'usage de ce pouvoir d'appréciation (arrêt 4P.256/2005 du 18 janvier 2006 consid. 3.3 in fine).
Lorsque la norme applicable accorde au juge un large pouvoir d'appréciation, le Tribunal fédéral ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l'autorité compétente (
ATF 132 III 97
consid. 1 p. 99,
ATF 132 III 109
consid. 2 p. 111). Il n'intervient que si la décision attaquée s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, si elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou à l'inverse, si elle n'a pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il sanctionne en outre les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (
ATF 133 III 201
consid. 5.4 p. 211;
ATF 132 III 109
consid. 2 p. 111/112).
In casu, l'autorité cantonale a tenu compte de l'ampleur du travail fourni, de la complexité de la cause, de l'importance de l'enjeu et du résultat obtenu. Elle a ainsi procédé à un examen de tous les critères pertinents de l'espèce. Elle ne s'en est pas rapportée purement et simplement à l'appréciation de l'avocat, puisqu'elle a exercé son pouvoir de modération, en réduisant le montant des honoraires. Elle a estimé, sur la base de toutes les circonstances et du montant en jeu, que les honoraires ne devaient pas dépasser 2 % du résultat obtenu. Le montant fixé (1'800'000 CHF) peut certes sembler a priori élevé en chiffres absolus, mais si on le rapporte en pourcentage au résultat obtenu, lequel a permis aux sociétés recourantes d'encaisser de leur adverse partie plus de 90 mio de CHF, il n'apparaît pas critiquable. Dans ce contexte, l'autorité cantonale n'a pas excédé les limites du large pouvoir d'appréciation qui lui est accordé, pas plus qu'elle n'a abusé de ce pouvoir. En conséquence, on ne discerne pas de violation du droit fédéral ou du droit constitutionnel.