Chapeau
138 III 537
77. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause dame A. contre B. et C. (recours en matière civile)
5A_434/2011 du 31 mai 2012
Regeste
Art. 260a CC,
art. 76 al. 1 LTF; action en contestation de la reconnaissance de paternité: qualité pour recourir au Tribunal fédéral; légitimation passive.
La mère a qualité pour recourir au Tribunal fédéral dans le cadre d'une action en contestation de la reconnaissance de paternité (consid. 1).
La mère n'est pas admise à défendre à l'action en contestation de la reconnaissance de paternité en tant que partie ni, par conséquent, à recourir à ce titre (consid. 2.2.1). Elle peut participer à la procédure comme intervenante accessoire et faire valoir tous les moyens d'attaque et de défense ainsi qu'interjeter recours, pour autant que ces actes soient compatibles avec ceux de la partie qu'elle soutient (consid. 2.2.2).
Faits à partir de page 537
A. Le 23 juillet 1994, dame A. a donné naissance à un garçon, prénommé B. que C. a reconnu devant l'officier d'état civil le 4 août suivant.
Dame A. et C. se sont mariés le 5 mai 1995. Par jugement du 27 mai 2008, confirmé par arrêt de la Cour de justice du 16 octobre 2009, le Tribunal de première instance de Genève a prononcé leur divorce.
BGE 138 III 537 S. 538
B. Le 3 octobre 2008, C. a formé une action en désaveu de paternité. La mère et l'enfant, représenté par son curateur, se sont opposés à la demande.
Par jugement du 3 décembre 2009, le Tribunal de première instance de Genève a constaté la non-paternité de C. Il a examiné la demande au regard des dispositions sur la contestation de la reconnaissance de paternité, dès lors que le demandeur avait reconnu l'enfant après sa naissance.
Le 28 mai 2010, sur appel de la mère, la Chambre civile de la Cour de justice a annulé ce jugement et rejeté l'action "en désaveu de paternité, respectivement en contestation de la reconnaissance de paternité", pour le motif qu'elle était périmée. S'agissant plus particulièrement de la recevabilité de l'appel, elle a reconnu à la mère la qualité pour recourir, quand bien même, selon la doctrine, celle-là ne peut participer à l'action en contestation qu'en tant qu'intervenante. Elle a jugé, sous l'angle de l'interdiction du formalisme excessif, qu'il fallait, en l'espèce, considérer l'intéressée comme une partie, dès lors que celle-ci avait été traitée comme telle en première instance, et, partant, lui reconnaître la qualité pour appeler du jugement.
Le 13 décembre 2010, le Tribunal fédéral a admis le recours en matière civile interjeté par le père contre cet arrêt, a annulé ce dernier et a renvoyé la cause pour examen des conditions de la demande en contestation de la reconnaissance de paternité. Il a jugé en bref que, les conditions d'une restitution du délai pour ouvrir action étaient réalisées en l'espèce (
ATF 136 III 593 consid. 6). Il n'a en revanche pas examiné plus avant les considérations de l'autorité cantonale reconnaissant à la mère la qualité pour recourir, dès lors que cette question ressortissant au droit cantonal de procédure n'avait fait l'objet d'aucun grief motivé (arrêt 5A_492/2010 du 13 décembre 2010 consid. 4, non publié aux
ATF 136 III 593).
C. Statuant sur renvoi le 20 mai 2011, la Chambre civile de la Cour de justice a confirmé le jugement de première instance du 3 décembre 2009 constatant la non-paternité de C. S'agissant de la recevabilité de l'appel de la mère sous l'angle de la qualité pour recourir, elle a renvoyé aux considérations de son premier arrêt, motif pris que celles-là n'avaient pas été critiquées devant le Tribunal fédéral. Au fond, elle a jugé que les conditions de la demande étaient remplies à satisfaction de droit.
BGE 138 III 537 S. 539
D. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours en matière civile de la mère qui tendait, principalement, au rejet de l'action du père et, subsidiairement, au renvoi pour nouvelle décision.
(résumé)
Extrait des considérants:
1.1 En l'espèce, l'arrêt litigieux confirme un jugement de première instance admettant l'action en contestation de la reconnaissance de paternité introduite par le père. Il s'agit d'une contestation civile (
art. 72 al. 1 LTF) de nature non pécuniaire. Le recours, dirigé contre une décision finale (
art. 90 LTF) rendue - sur renvoi - par l'autorité cantonale de dernière instance (
art. 75 al. 1 LTF), a par ailleurs été interjeté en temps utile (
art. 100 al. 1 LTF).
1.2 Selon l'
art. 76 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière civile quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et est particulièrement touché par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification (let. b, dans sa teneur en vigueur depuis le 1
er janvier 2011 [RO 2010 1739], l'arrêt attaqué ayant été rendu après cette date, cf.
art. 132 al. 1 LTF). Il incombe au recourant d'alléguer les faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir au Tribunal fédéral selon l'
art. 76 LTF, lorsqu'ils ne ressortent pas à l'évidence de la décision attaquée ou du dossier de la cause (
ATF 133 II 353 consid. 1 p. 356).
1.2.1 Il ne fait aucun doute que la première condition prise de la participation à la procédure devant l'autorité précédente est remplie en l'espèce.
1.2.2 Il faut aussi admettre que la seconde condition est réalisée, ne serait-ce que d'un point de vue économique (intérêt de la mère à ne pas assumer seule l'entretien de l'enfant). L'intérêt digne de protection consiste en effet en l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (
ATF 133 II 400 consid. 2.2 p. 404,
ATF 131 II 409 consid. 1.3 p. 413;
ATF 131 II 361 consid. 1.2 p. 365,
ATF 131 II 587 consid. 2.1 p. 588, 649 consid. 3.1 p. 651;
ATF 131 V 298 consid. 3 p. 300).
2.1 Renvoyant aux considérations (cf. supra, let. B) de son premier prononcé - que le Tribunal fédéral n'avait pas examinées plus avant
BGE 138 III 537 S. 540
dans son arrêt de renvoi, faute d'un grief motivé du père sur ce point (5A_492/2010 du 13 décembre 2010 consid. 4, non publié aux
ATF 136 III 593) -, la Cour de justice a considéré la mère comme une partie, quand bien même celle-là n'était censée participer à la procédure que comme intervenante, et a ainsi admis sa qualité pour appeler du jugement de première instance. Elle a ensuite examiné les conditions de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, qu'elle a considérées comme remplies en l'espèce. Cela étant, elle a rejeté l'appel de la mère et confirmé le jugement de première instance qui constatait la non-paternité.
2.2 Cette issue peut être confirmée par substitution de motifs (
ATF 133 III 545 consid. 2.2 p. 550).
2.2.1 La qualité pour appeler - question qui relevait de la procédure cantonale avant l'entrée en vigueur du Code de procédure civile - ayant été admise, la Cour de justice devait, conformément à l'arrêt de renvoi, examiner les conditions de la demande en contestation de la reconnaissance de paternité. Dans ce cadre, se posaient les questions - qui sont examinées d'office (cf.
ATF 110 V 347 consid. 1 p. 348; arrêt 9C_14/2010 du 21 mai 2010 consid. 3.1 et les références) - de la qualité pour agir (ou légitimation active) et pour défendre (ou légitimation passive), qui appartiennent aux conditions matérielles de la prétention litigieuse, lesquelles se déterminent selon le droit au fond et dont le défaut conduit au rejet de l'action (
ATF 125 III 82 consid. 1a p. 83/84;
ATF 123 III 60 consid. 3a p. 63; cf. arrêts 5A_713/2011 du 2 février 2012 consid. 4.1; 5A_641/2011 du 23 février 2012 consid. 5.1; 9C_14/2010 précité).
Or, dans l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, si la mère a la qualité pour agir (ou légitimation active) par la loi (
art. 260a al. 1 CC), elle ne dispose pas de la qualité pour défendre (ou légitimation passive). L'enfant qui conteste la reconnaissance agit contre l'auteur de celle-ci, alors que ce dernier agit contre l'enfant. Ainsi, alors même que, en dépit du fait qu'elle est étrangère au rapport de droit en cause, elle peut, par la loi, agir en son propre nom comme partie (FABIENNE HOHL, Procédure civile, vol. I, 2001, n
os 440 et 441; cf.
ATF 116 II 253 consid. 3 p. 257; cf. arrêt 5A_641/2011 du 23 février 2011 consid. 5.1), la mère n'est pas admise à défendre à l'action en tant que partie ni, par conséquent, à recourir à ce titre. Il importe peu que, sous l'angle de la qualité pour appeler selon le droit cantonal, la Cour de justice ait admis la qualité de partie pour des motifs tenant à
BGE 138 III 537 S. 541
l'interdiction du formalisme excessif (cf. supra, let. B et consid. 2.1). Comme il a été dit, la qualité pour agir et pour défendre appartiennent aux conditions matérielles de la prétention litigieuse, lesquelles se déterminent selon le droit au fond.
2.2.2 Certes, selon la doctrine, la mère peut participer à la procédure en tant qu'intervenante accessoire (OLIVIER GUILLOD, in Commentaire romand, Code civil, 2010, n
o 9 ad
art. 260a CC et les auteurs cités à la note 18; INGEBORG SCHWENZER, in Commentaire bâlois, Zivilgesetzbuch, vol. I, 3
e éd. 2006, n
o 8 ad
art. 260a CC; MEIER/STETTLER, Droit de la filiation, 4
e éd. 2009, n
o 126, p. 67; MARTIN STETTLER, Le droit suisse de la filiation, TDPS, vol. III/2/1, 1987, p. 214, let. B et p. 215, let. C), soit pour soutenir les conclusions de la partie qu'elle assiste (sur la notion d'intervention accessoire: FABIENNE HOHL, op. cit., n
os 558 et 562; cf. sous l'empire du CPC [RS272]: JACQUES HALDY, in Code de procédure civile commenté, 2011, n° 2 ad
art. 74 et 76 CPC). Si, à ce titre, elle peut faire valoir tous les moyens d'attaque et de défense ainsi qu'interjeter recours, il faut toutefois que ses actes soient compatibles avec ceux de la partie qu'elle soutient (HOHL, op. cit., n
o 577; cf. sous l'empire du CPC: HALDY, op. cit., n
o 4 ad
art. 76 CPC). Elle ne peut ainsi recourir si la partie principale s'oppose au recours ou acquiesce au jugement (HOHL, op. cit., n
o 578). Or, sous cet angle, l'appel de la mère était aussi voué à l'échec. Force est en effet de constater que l'enfant, qui était représenté par un curateur, n'a lui-même pas fait recours contre l'admission de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité par le Tribunal de première instance, tout comme il n'a d'ailleurs pas recouru devant la Cour de céans contre l'arrêt de la Cour de justice qui confirme ce jugement.