145 IV 17
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Chapeau
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3. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. contre Ministère public de la République et canton de Neuchâtel (recours en matière pénale)
6B_77/2019 du 11 février 2019
Regeste
Art. 124 al. 2 CP; mutilation d'organes génitaux féminins; principe d'universalité illimitée de la poursuite pénale.
L'art. 124 al. 2 CP permet la poursuite de l'auteur qui se trouve en Suisse, commet la mutilation à l'étranger et n'est pas extradé. Le principe d'universalité illimitée découlant de cette disposition autorise la poursuite de l'infraction rattachée à la Suisse par la seule présence de l'auteur sur le territoire au moment de l'action pénale. Peu importe, en particulier, que l'infraction eût été commise à une époque où l'auteur n'était encore jamais venu en Suisse (consid. 1).
A. Par jugement du 12 juillet 2018, le Tribunal de police du Littoral et du Val-de-Travers a condamné X., pour mutilation d'organes génitaux féminins, à une peine privative de liberté de huit mois, avec sursis durant deux ans.
B. Par jugement du 14 décembre 2018, la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel a rejeté l'appel formé par X. contre ce jugement.
B.a X. - née en 1987 - et A. sont mariés et tous deux ressortissants somaliens, nés en Somalie. Ils sont les parents de quatre enfants, dont deux filles, B. née en 2006 et C. née en 2007, tous nés en Somalie.
A. est venu seul en Suisse, où il est arrivé en 2008 pour y déposer une demande d'asile. Sa mère, son épouse et les quatre enfants ont quitté leur quartier de D. vers octobre 2013 puis ont passé un certain temps dans un centre pour réfugiés en Somalie. Les intéressés ont ensuite gagné l'Ethiopie. Une demande de regroupement familial ayant été acceptée, ils sont venus rejoindre A. en Suisse, où ils sont arrivés en novembre 2015.
B.b Avant de gagner la Suisse, en Somalie, au printemps 2013 puis en septembre 2013, X. a amené un tiers à pratiquer une excision totale ou quasi-totale sur sa fille B., respectivement une ablation clitoridienne partielle sur sa fille C.
C. X. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 14 décembre 2018, en concluant, avec suite de frais et dépens, principalement à sa réforme en ce sens qu'elle est acquittée et, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Elle sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire.
Extrait des considérants:
1. La recourante fait grief à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 124 CP. Selon elle, cette disposition ne permettrait pas de poursuivre en Suisse un auteur ayant mutilé des organes génitaux féminins alors que celui-ci n'avait aucun lien avec ce pays.
Il convient ainsi de déterminer si la disposition en question permet de poursuivre un auteur ayant réalisé les éléments constitutifs de l'infraction avant sa venue sur le territoire suisse.
1.1 Aux termes de l'art. 124 CP, celui qui aura mutilé des organes génitaux féminins, aura compromis gravement et durablement leur fonction naturelle ou leur aura porté toute autre atteinte sera puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire de 180 jours-amende au moins (al. 1). Quiconque se trouve en Suisse et n'est pas extradé et commet la mutilation à l'étranger est punissable. L' art. 7 al. 4 et 5 CP est applicable (al. 2).
1.2 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations
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sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 144 V 313 consid. 6.1 p. 316 et les références citées).
1.2.1 La lettre de l'art. 124 al. 2 CP précise que cette disposition peut sanctionner toute personne, commettant la mutilation à l'étranger, se trouvant en Suisse et n'étant pas extradée. Il ne ressort pas de la lettre de la loi que la poursuite pénale serait exclue lorsque l'auteur a agi alors qu'il ne séjournait ou ne résidait pas en Suisse.
1.2.2 L'art. 124 CP trouve son origine dans une initiative parlementaire déposée le 17 mars 2005 par la Conseillère nationale Maria Roth-Bernasconi. Cette dernière demandait alors l'élaboration d'une norme pénale réprimant la pratique directe et l'incitation à la commission des mutilations sexuelles féminines en Suisse, cette norme devant aussi être applicable aux personnes se trouvant en Suisse s'agissant d'actes commis à l'étranger (cf. Initiative parlementaire "Réprimer explicitement les mutilations sexuelles commises en Suisse et commises à l'étranger par quiconque se trouve en Suisse", Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 30 avril 2010, FF 2010 5125 [ci-après: Rapport CAJ-N]). A la suite de cette initiative parlementaire, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a élaboré un avant-projet de modification du CP impliquant notamment la création d'une nouvelle disposition pénale. Ce texte, qui proposait en substance de réprimer la mutilation des organes génitaux féminins - même si l'acte a été commis à l'étranger et n'est pas pénalement répréhensible dans l'Etat dans lequel il a été perpétré -, a été soumis à une procédure de consultation. A propos de la poursuite d'actes commis à l'étranger, quelques participants ont proposé de limiter l'application de la norme aux auteurs ayant leur domicile en Suisse, ou y étant établis, au moment de la commission de l'acte (cf. Commission des affaires juridiques du Conseil national, Révision partielle du CP [introduction d'une norme
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pénale réprimant explicitement les mutilations génitales féminines], Rapport sur les résultats de la procédure de consultation, septembre 2009, p. 13). Cette proposition n'a pas été suivie par la Commission des affaires juridiques du Conseil national, laquelle a, dans son avant-projet remanié, proposé un art. 124 al. 2 disposant qu'est punissable quiconque commet l'acte à l'étranger, se trouve en Suisse et n'est pas extradé. Le but était de s'écarter de la règle de la double punissabilité et de pouvoir engager en Suisse des poursuites pénales contre "tous les auteurs de mutilations génitales féminines, quel que soit le lieu où l'acte a été commis et indépendamment de sa punissabilité dans le pays où il a été perpétré" (cf. Rapport CAJ-N, p. 5144). La commission a également relevé qu'il convenait de combler les "lacunes" qui faisaient obstacle à la poursuite des actes visés en raison du principe de la double punissabilité, dès lors qu'une grande majorité des infractions étaient commises à l'étranger, "notamment dans des pays dans lesquels les mutilations génitales féminines ne sont pas punies (comme la Somalie)". Elle s'est, à cet égard, référée à l'art. 5 CP, en regrettant que les mutilations génitales féminines pratiquées sur des mineures ne figurassent pas dans la liste d'infractions de cette disposition (cf. Rapport CAJ-N, p. 5140). Le Conseil fédéral a quant à lui expliqué qu'il importait de mettre en oeuvre "tous les moyens appropriés pour lutter efficacement contre la pratique des mutilations génitales féminines et sanctionner pénalement les auteurs". L'introduction d'une nouvelle norme en la matière dans le CP devait ainsi notamment permettre la "prévention de telles pratiques" et faciliter la lutte contre celles-ci (cf. Avis du Conseil fédéral du 25 août 2010, FF 2010 5151; ci-après: Avis du Conseil fédéral). S'agissant de la répression des actes commis à l'étranger, le Conseil fédéral a indiqué ce qui suit (cf. Avis du Conseil fédéral, p. 5154):"La CAJ-N propose d'inscrire le principe de l'universalité illimitée à l'art. 124, al. 2, P-CP. Les lésions des organes génitaux féminins seraient donc poursuivies selon le droit suisse, quels que soient la nationalité de l'auteur et de la victime, le lieu de commission de l'acte et la législation applicable en ce lieu. On s'écarte ainsi de la règle de la double punissabilité. Comme, contrairement à l'initiative parlementaire, le libellé adopté par la CAJ-N n'exige pas que l'auteur soit établi en Suisse, même les personnes qui y séjournent brièvement, voire y sont en transit, pourront être poursuivies.
En renonçant à exiger que l'infraction soit soumise à la règle de la double punissabilité et que l'auteur ait son domicile en Suisse, le projet soumet la poursuite pénale des lésions infligées aux organes génitaux féminins à l'étranger aux mêmes conditions que celles qui valent pour les
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infractions commises à l'étranger sur des mineurs, qui sont énumérées à l'art. 5 CP. Les actes visés dans les deux cas présentant une gravité relativement comparable et les victimes de lésions infligées aux organes génitaux féminins étant assez souvent des mineures, le Conseil fédéral souscrit à la réglementation proposée."Au cours des débats parlementaires, le rapporteur de la Commission des affaires juridiques du Conseil national a rappelé que la répression des mutilations génitales féminines était essentiellement compliquée par le fait que celles-ci étaient souvent pratiquées à l'étranger, raison pour laquelle l'art. 124 al. 2 CP envisagé prévoyait la punissabilité de l'infraction en Suisse, même s'agissant d'un acte commis à l'étranger, cela indépendamment de la nationalité de l'auteur ou de la victime (cf. BO 2010 CN 2133). Il a ajouté que l'objectif était d'élaborer une norme permettant de "couvrir raisonnablement tous [l]es cas de mutilations" (cf. BO 2010 CN 2141). Les discussions n'ont, pour le reste, tant au Conseil national qu'au Conseil des Etats, pas porté sur la question du séjour ou du domicile de l'auteur en Suisse au moment de la commission de l'acte en tant que condition à la poursuite de l'infraction.
Il découle de ce qui précède que le législateur n'a aucunement voulu limiter les poursuites pénales fondées sur l'art. 124 CP aux auteurs qui séjournaient en Suisse au moment des faits. Une telle restriction, proposée à l'occasion de la procédure de consultation de l'avant-projet, n'a pas été reprise dans le texte soumis à l'Assemblée fédérale. Le Conseil fédéral, dans son avis, a d'ailleurs souligné que la poursuite pouvait concerner des auteurs qui n'étaient aucunement établis en Suisse, voire qui n'y étaient que de passage. Les références à l'art. 5 CP confirment de surcroît qu'un principe d'universalité illimitée était bien envisagé, cette disposition autorisant la poursuite d'infractions rattachées avec la Suisse par la seule présence de l'auteur sur le territoire au moment de l'action pénale (cf. URSULA CASSANI, in Commentaire romand, Code pénal, vol. I, nos 8 s. ad art. 5 CP).
1.2.3 L'interprétation téléologique de la norme concernée conduit au même constat. L'art. 124 CP doit viser la répression la plus large possible des mutilations d'organes génitaux féminins, notamment dans un but de prévention générale. Un tel but ne serait pas atteint en admettant que des personnes puissent échapper à toute poursuite en Suisse par le simple fait d'avoir réalisé les éléments constitutifs de l'infraction à l'étranger. Ces personnes pourraient alors, en toute impunité, se livrer à la mutilation d'organes génitaux féminins dans leur
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pays avant de gagner la Suisse, en sachant qu'une telle pratique y sera proscrite. Cette situation aboutirait à un résultat contraire à celui que s'est proposé d'atteindre le législateur par l'adoption de l'art. 124 al. 2 CP.
1.2.4 La formulation de l'art. 124 al. 2 CP correspond par ailleurs à celle d'autres infractions du CP dont la poursuite - également fondée sur le principe d'universalité - est possible par le fait que l'auteur se trouve en Suisse et n'est pas extradé, lorsque les actes sont commis à l'étranger. Tel est le cas des infractions commises à l'étranger sur des mineurs (art. 5 al. 1 CP) ainsi que de celles réprimées par les art. 181a et 185bis CP . La formulation correspond aussi à celle de l'art. 264m CP, concernant les actes visés aux titres 12bis et 12ter ou à l'art. 264k CP commis à l'étranger ("s'il se trouve en Suisse et n'est pas extradé"; "sich in der Schweiz befindet und nicht ausgeliefert wird"; "si trova in Svizzera e non è estradato"). Cette similitude appuie une interprétation de l'art. 124 al. 2 identique à celle des dispositions précitées.
1.2.5 Au sein de la doctrine, plusieurs auteurs considèrent que l'art. 124 al. 2 CP permet de poursuivre l'auteur par le seul fait que celui-ci se trouve en Suisse et n'est pas extradé (cf. MEYLAN/GANDOY, in Commentaire romand, Code pénal, vol. II, 2017, n° 79 ad art. 124 CP; CHRISTOPHER GETH, in Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 3e éd. 2018, n° 5 ad art. 124 CP; DUPUIS ET AL., in CP Code pénal, Petit commentaire, 2e éd. 2017, n° 13 ad art. 124 CP), y compris si l'intéressé ne réside en Suisse que pour une courte durée ou n'y est que de passage (cf. ANDREAS DONATSCH, in StGB, JStG, Kommentar, Donatsch et al. [éd.], 20e éd. 2018, n° 5 ad art. 124 CP; ANDREAS DONATSCH, Delikte gegen den Einzelnen, Strafrecht, vol. III, 11e éd. 2018, p. 61; NIGGLI/GERMANIER, in Basler Kommentar, Strafrecht, vol. I, 4e éd. 2018, n° 47 ad art. 124 CP).
1.3 Ce qui précède conduit à interpréter l'art. 124 al. 2 CP comme permettant la poursuite de l'infraction dès lors que l'auteur, qui a commis la mutilation à l'étranger, se trouve en Suisse et n'est pas extradé.
Cette interprétation ne saurait être altérée par le fait que, comme le soutient la recourante, le législateur eût éventuellement adopté une disposition pénale dont la portée s'est révélée plus large que ce qu'avait initialement envisagé la Conseillère nationale à l'origine de l'initiative parlementaire, laquelle cherchait essentiellement à combattre
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le "tourisme" des mutilations, soit le fait, pour des parents établis en Suisse, de se rendre à l'étranger afin de pratiquer sur leurs filles des actes illicites. Peu importe également que cette large portée conférée à l'art. 124 al. 2 CP - voulue par le législateur - puisse produire un effet dissuasif quant à la venue en Suisse de parents, en particulier de mères, ayant mutilé des organes génitaux féminins. On ne voit pas, en effet, que le législateur aurait souhaité exempter de poursuites des femmes désireuses de "se réfugier en Suisse", comme le prétend la recourante.En définitive, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en considérant que la recourante pouvait être poursuivie pour mutilation d'organes génitaux féminins même si les actes qui lui sont reprochés ont été commis à l'étranger et à une époque où l'intéressée n'était jamais venue en Suisse. Le grief doit être rejeté.