Chapeau
148 III 436
52. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause République de U. contre F. (recours en matière civile)
4A_69/2022 du 23 septembre 2022
Regeste
Arbitrage international; révision d'une sentence arbitrale (
art. 190a LDIP); portée d'une clause de renonciation aux voies de droit (
art. 192 LDIP).
Les nouvelles dispositions légales entrées en vigueur le 1er janvier 2021 relatives à la révision des sentences arbitrales internationales s'appliquent aux demandes de révision introduites devant le Tribunal fédéral après cette date, même lorsque la sentence attaquée a été rendue avant le 1er janvier 2021 (consid. 3).
Selon l'art. 192 al. 1 LDIP, les parties peuvent exclure toutes les voies de droit permettant de contester une sentence arbitrale internationale auprès du Tribunal fédéral, y compris celle de la révision, sous réserve du cas visé par l'art. 190a al. 1 let. b LDIP. Savoir si une clause d'exclusion au sens de l'art. 192 LDIP vaut renonciation au seul recours en matière civile ou si elle vise également la demande de révision est affaire d'interprétation. En l'espèce, la clause de renonciation emporte aussi exclusion de la révision en tant que celle-ci repose sur le motif prévu à l'art. 190a al. 1 let. a LDIP, vu la volonté claire des parties de soustraire tout litige aux tribunaux étatiques, même si celles-ci n'ont pas mentionné expressément la voie de la révision dans ladite clause (consid. 4.3).
Faits à partir de page 437
A.a Le 17 janvier 2014, la République de U. (ci-après: U.) a engagé une procédure d'arbitrage contre F., la plus importante compagnie pétrolière et gazière de l'Etat V., conformément au Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Elle a requis, entre autres conclusions, la constatation de la nullité
ab initio du
First Amendment to the Shareholders Agreement (ci-après: FASHA) et du GAS Master Agreement (ci-après: GMA), au motif que lesdits contrats passés par elle avec la société précitée le 30 janvier 2009 avaient été conclus grâce à un pot-de-vin de 10 millions d'euros offert par C., le PDG de F., à A., lequel avait été le Premier Ministre de U. jusqu'au 1
er juillet 2009.
Un Tribunal arbitral de trois membres a été constitué et son siège a été fixé à Genève.
Après avoir instruit la cause, le Tribunal arbitral, par sentence finale du 23 décembre 2016, a débouté U. des fins de sa demande.
A.b Le 1
er février 2017, U. a formé un recours en matière civile au Tribunal fédéral suisse et, subsidiairement, une demande de révision, à l'encontre de ladite sentence.
Statuant le 17 octobre 2017, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevables le recours et la demande de révision (arrêt 4A_53/2017 partiellement publié aux
ATF 143 III 589).
BGE 148 III 436 S. 438
B. Le 8 février 2022, U. (ci-après: la requérante) a présenté une demande de révision de la sentence finale rendue le 23 décembre 2016 aux fins d'obtenir l'annulation de celle-ci.
A l'appui de sa demande de révision, fondée sur l'art. 190a let. a et b de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP; RS 291), la requérante fait valoir que C. et A. ont tous deux été définitivement reconnus coupables de corruption par arrêt du 7 juillet 2021 de la Cour suprême de U. pour avoir respectivement promis et accepté un pot-de-vin en vue de la conclusion du GMA et du FASHA. Elle estime dès lors que l'arrêt précité constitue un moyen de preuve concluant au sens de l'art. 190a let. a LDIP et considère en outre que la sentence attaquée a été influencée par un crime ou un délit.
Le Tribunal fédéral a rejeté la requête de révision dans la mesure de sa recevabilité.
(résumé)
Extrait des considérants:
3.1 Dans sa version en vigueur depuis le 1
er janvier 2021 (RO 2020 4184), la LDIP contient des dispositions relatives à la révision des sentences arbitrales internationales. Celles-ci s'appliquent aux demandes de révision introduites devant le Tribunal fédéral après le 1
er janvier 2021, même lorsque la sentence attaquée a été rendue avant cette date (
art. 132 LTF;
ATF 144 I 214 consid. 1.1; arrêts 4A_422/2021 du 14 octobre 2021 consid. 4.2; 4A_210/2021 du 28 septembre 2021 consid. 1 et les références citées).
3.2 Le Tribunal fédéral est l'autorité judiciaire compétente pour connaître d'une demande de révision visant une sentence arbitrale internationale (
art. 191 LDIP). Selon l'
art. 119a al. 2 LTF, la procédure de révision est régie par les
art. 77 al. 2bis et 126 LTF. Si le Tribunal fédéral admet la demande de révision, il annule la sentence et renvoie la cause au tribunal arbitral pour qu'il statue à nouveau, ou fait les constatations nécessaires (
art. 119a al. 3 LTF).
4.3 Indépendamment de ce qui précède, la demande de révision, en tant qu'elle est fondée sur le motif prévu par l'
art. 190a al. 1 let. a LDIP, apparaît de toute manière irrecevable pour un autre motif.
4.3.1 En l'espèce, les conventions d'arbitrage figurant dans les contrats topiques conclus par les parties contiennent le passage suivant:
BGE 148 III 436 S. 439
"Awards rendered in any arbitration hereunder shall be final and conclusive and judgment thereon may be entered into any court having jurisdiction for enforcement thereof. There shall be no appeal to any court from awards rendered hereunder."
La recevabilité de la présente demande de révision suppose, ainsi, que les parties n'aient pas exclu la possibilité de solliciter la révision de la sentence attaquée.
4.3.2 Dans l'arrêt rendu le 17 octobre 2017 dans le cadre de la présente affaire, le Tribunal fédéral a jugé que la clause précitée constituait assurément une renonciation valable au recours au sens de l'ancien
art. 192 LDIP (
ATF 143 III 589 consid. 2.2). En revanche, il a laissé indécise la question de savoir si la disposition précitée était applicable ou non à la révision (
ATF 143 III 589 consid. 3).
4.3.3 Depuis lors, la situation a évolué sur le plan législatif. Dans sa nouvelle version en vigueur depuis le 1
er janvier 2021, l'
art. 192 al. 1 LDIP dispose que si les parties n'ont ni domicile, ni résidence habituelle, ni siège en Suisse, elles peuvent, par une déclaration dans la convention d'arbitrage ou dans une convention ultérieure, exclure tout ou partie des voies de droit contre les sentences du tribunal arbitral; elles ne peuvent exclure la révision au sens de l'
art. 190a al. 1 let. b LDIP; la convention doit satisfaire aux conditions de forme de l'
art. 178 al. 1 LDIP.
Dans sa nouvelle teneur, l'art. 192 al. 1 LDIP n'exige ainsi plus que la renonciation fasse l'objet d'une "déclaration expresse". Il résulte également du texte de cette disposition que les parties peuvent exclure toutes les voies de droit permettant de contester une sentence arbitrale internationale auprès du Tribunal fédéral, y compris celle de la révision, sous réserve du cas visé par l'art. 190a al. 1 let. b LDIP.
Dans son Message du 24 octobre 2018, le Conseil fédéral précise que les nouvelles dispositions de la LDIP seront également applicables aux conventions d'arbitrage conclues avant leur entrée en vigueur et souligne qu'il en ira de même pour les conditions formelles permettant de renoncer aux voies de droit selon l'
art. 192 al. 1 LDIP (Message concernant la modification de la loi fédérale sur le droit international privé [Chapitre 12: Arbitrage international], FF 2018 7191). Cepassage tend à démontrer qu'une renonciation aux voies de droit figurant dans une convention d'arbitrage, conclue avant le 1
er janvier 2021, peut aussi permettre d'exclure le droit de demander la révision d'une sentence, dans les limites de l'
art. 192 LDIP BGE 148 III 436 S. 440
(cf. dans le même sens: BERGER/KELLERHALS, International and Domestic Arbitration in Switzerland, 4
e éd. 2021, n. 1863 et 1983; RETO ANDREA TETTAMANTI, Intertemporales Schiedsrechts, Die für die Revision des 12. Kapitels IPRG relevanten Übergangsbestimmungen, Bull. ASA 2020 p. 838 s.).
Selon la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien
art. 192 LDIP, il est nécessaire, mais suffisant, que la clause considérée fasse ressortir sans conteste la commune volonté des parties de renoncer à tout recours. En revanche, lorsque les parties ne souhaitent exclure le recours que pour l'un ou l'autre des motifs énumérés à l'
art. 190 al. 2 LDIP, le Tribunal fédéral a précisé que celles-ci devaient en principe mentionner expressément le ou les motifs exclus dans la clause arbitrale, que ce soit par l'indication de la ou des lettres correspondantes de l'
art. 190 al. 2 LDIP, la reprise du texte légal ou toute autre formulation permettant d'identifier à coup sûr le motif exclu (
ATF 131 III 173 consid. 4.2.3.1). On peut dès lors légitimement se demander si les parties qui souhaiteraient renoncer uniquement au recours en matière civile à l'exclusion de la voie extraordinaire de la révision ne devraient pas l'indiquer clairement dans la clause de renonciation. En l'absence de précision quant à la portée exacte d'une clause de renonciation libellée de façon très large, on conçoit en effet difficilement que celle-ci n'emporte pas exclusion de la demande de révision, laquelle est un moyen de droit extraordinaire obéissant à des règles encore plus strictes que le recours. Il apparaît également douteux de vouloir limiter la portée d'une telle clause sous prétexte que des parties, qui proviennent d'horizons les plus divers et qui n'ont pas de rattachement territorial avec la Suisse, n'ont pas spécifiquement mentionné la voie de la révision de la sentence dans leur clause de renonciation. Cela étant, point n'est besoin ici de pousser plus avant l'examen de cette question et de poser des règles générales applicables à toutes les situations envisageables.
Savoir si, en l'occurrence, la clause d'exclusion conclue par les parties vaut renonciation au seul recours en matière civile ou si elle vise également la demande de révision est affaire d'interprétation. Le Tribunal fédéral a déjà précisé que le mot "appeal", dans son acception large, est un terme générique qui embrasse les moyens de droit les plus divers. Dans cette acception, les dictionnaires bilingues anglais-allemand, plus explicites que les dictionnaires bilingues anglais-français, en font le synonyme, tout à la fois, de "Berufung", de "Revision", de "Beschwerde", d'"Einspruch" ou encore de "Rechtsbehelf"
BGE 148 III 436 S. 441
(
ATF 131 III 173 consid. 4.2.3.2 et les références citées). Dans son arrêt rendu le 17 octobre 2017 dans le cadre de la présente affaire, la Cour de céans, après avoir soigneusement examiné la clause de renonciation litigieuse, a estimé que le mot "appeal" utilisé par les parties devait manifestement être compris, en l'espèce, dans son acception générique (
ATF 143 III 589 consid. 2.2). Elle a ainsi jugé qu'il ressortait de manière claire et nette de cette clause que les parties avaient entendu exclure
tout recours contre d'éventuelles sentences futures. Elle en a conclu que ladite clause constituait assurément une renonciation valable au recours, dès lors qu'elle faisait indubitablement ressortir la volonté des parties de renoncer à tout droit de recourir contre toute décision du Tribunal arbitral devant quelque tribunal étatique que ce soit (
ATF 143 III 589 consid. 2.2). Dans ces conditions, vu la volonté claire des parties, mise en évidence dans l'arrêt précité, de soustraire tout litige aux autorités étatiques, il y a lieu d'admettre que la clause de renonciation litigieuse emporte également exclusion de la révision en tant que celle-ci repose sur le motif prévu à l'
art. 190a al. 1 let. a LDIP.
La requérante tente vainement de paralyser les effets de ladite renonciation respectivement d'en limiter la portée. Sa démonstration n'apparaît toutefois pas convaincante. Contrairement à ce que semble suggérer l'intéressée, on ne saurait en effet apprécier différemment la validité d'une clause de renonciation en fonction de la nature des faits ou moyens de preuve nouveaux invoqués. Par ailleurs, c'est en vain que la requérante reproche à l'intimée de commettre un abus de droit en se prévalant d'une telle clause, dès lors que le Tribunal fédéral examine d'office les conditions de recevabilité des actes qui lui sont soumis et vérifie ainsi librement si les parties ont valablement renoncé, conformément à l'art. 192 LDIP, aux voies de droit permettant de contester une sentence arbitrale. En tout état de cause, on ne discerne pas pour quelle raison les condamnations prononcées par les autorités pénales à l'encontre de personnes physiques non parties au litige empêcheraient l'intimée de pouvoir se prévaloir de la clause de renonciation.