94 II 313
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Chapeau
94 II 313
47. Arrêt de la Ire Cour civile du 3 décembre 1968 dans la cause Y. contre Union de Banques Suisses S. A.
Regeste
Compte-joint.
1. Le compte-joint relève essentiellement des régles applicables au mandat (consid. 2).
2. Le contrat peut prévoir que les pouvoirs des mandants passent à leurs héritiers (consid. 3).
3. Les titulaires du compte-joint sont créanciers solidaires; chacun d'eux est titulaire d'une créance; le paiement d'une d'entre elles éteint les autres (consid. 4 et 5).
4. Lorsqu'un titulaire meurt, un de ses héritiers peut infirmer les droits des autres titulaires en ouvrant une poursuite contre le débiteur conformément à l'art 150 al 3 CO; il ne peut, autrement, révoquer le mandat qu'avec l'accord des autres titulaires (consid. 6).
A.- Le 12 juillet 1963, à Genève, les époux X. et Y. étrangers domiciliés à l'étranger, ont signé, sur une formule imprimée de l'Union de Banques Suisses, un acte intitulé Convention. Cet acte prévoit qu'"agissant en qualité de déposants solidaires", ils font constituer à l'Union de Banques Suisses un dossier à leurs noms pour le dépôt des titres, valeurs et autres documents dont ils confient la garde à ladite banque, laquelle leur ouvrira, en outre, "un compte courant/carnet de dépôts, dont ils seront solidairement titulaires".
Sous son ch. 4, la convention porte la clause suivante:
"Chacun des déposants aura séparément qualité pour disposer valablement des titres, valeurs et autres documents qui se trouvent actuellement ou se trouveront déposés ultérieurement sous leur dossier à l'Union de Banques Suisses, de même que l'avoir en compte courant/sur carnet de dépôts. Chacun des déposants pourra en conséquence, par sa signature individuelle, donner valablement quittance et décharge à l'Union de Banques Suisses. De même, après la mort de l'un des déposants, le survivant pourra valablement disposer seul des titres et valeurs déposés et de l'avoir en compte courant/sur carnet de dépôts."
Dans la mesure où elle ne les règle pas par ses clauses, la convention soumet les rapports entre parties - banque et déposants - au règlement de la banque sur le dépôt et la gestion de valeurs et, pour le reste, au droit suisse.
X. décédé à l'étranger, le 14 septembre 1967, laissant comme héritiers, outre sa veuve Y. cinq enfants nés de son mariage avec celle-ci.
L'Union de Banques Suisses, à Genève, avait ouvert aux époux X. et Y. quatre comptes courants qui, le 27 mai 1968, présentaient tous des soldes actifs.
Le 30 janvier 1968, une des filles, Z. s'est présentée à l'Union de Banques Suisses, à Genève, et a donné l'ordre de bloquer les quatre comptes mentionnés ci-dessus jusqu'à ce que l'ensemble des héritiers donne des ordres à leur sujet. Elle a produit diverses pièces, soit un acte de décès, un certificat d'héritiers et une procuration en sa faveur, signée par deux de ses cohéritières.
Le 28 février 1968, l'Union de Banques Suisses a avisé Y. de cette démarche ajoutant qu'elle se tenait pour obligée d'y donner suite. Y. a alors mis la banque en demeure, le 3 avril 1968, de mettre à sa disposition la totalité des fonds portés sur les comptes prémentionnés. Elle a vainement réitéré cette
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démarche, sur quoi elle a fait notifier à la banque, à son siège central, à Zurich, le 13 juin 1968, un commandement de payer portant sur des sommes correspondant aux soldes des quatre comptes courants, ainsi que sur des intérêts à 5% l'an à compter du 3 avril 1968.Le 17 juin 1968, l'Union de Banques Suisses a fait opposition totale.
Les parties ont signé, le 5 juin 1968 pour Y. et le 20juin suivant pour l'Union de Banques Suisses, une convention par laquelle elles déclaraient d'un commun accord qu'elles soumettaient leur litige au Tribunal fédéral statuant en instance unique.
B. - Le 24 juin 1968, Y. a déposé une demande concluant à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral condamner l'Union de Banques Suisses, à Zurich:
Premièrement à lui payer toutes sommes qu'elle détient à raison de la convention de compte-joint du 12 juillet 1963, le tout avec intérêts à 5% l'an à compter du 3 avril 1968.
Secondement à lui remettre tous objets, valeurs quelconques, qu'elle peut détenir en raison de la même convention de comptejoint.
C.- Le 2 octobre 1968, la défenderesse a déposé sa réponse. Elle demande au Tribunal fédéral de lui donner acte de ce qu'elle tient à la disposition de la demanderesse conjointement et solidairement avec les autres héritiers de X. la totalité des avoirs qu'elle détient sur les comptes, soit les sommes indiquées par la demanderesse dans ses conclusions, le tout sans intérêts, sauf ceux qui auraient été antérieurement convenus. Elle requiert en outre que la demanderesse soit déboutée de toutes autres conclusions.
Le Tribunal fédéral a alloué ses conclusions à la demanderesse.
Considérant en droit:
1. La valeur litigieuse dépassant 20'000 fr., les parties pouvaient saisir le Tribunal fédéral à la place des juridictions cantonales de par l'art. 41 lit. c OJ.
2. La convention du 12 juillet 1963 qualifie les époux X. et Y. de "déposants" et concerne les dépôts aussi bien de monnaies que de titres, papiers-valeurs ou tous autres documents. Effectivement, des dépôts ont été faits sur quatre comptes courants distincts. De plus, selon une lettre de la défenderesse à Y., du 28 février 1968, la première, sur l'ordre de la seconde,
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payait les frais de séjour de la fille cadette des époux X. et Y. en Suisse.Ainsi, non seulement la défenderesse acceptait des dépôts de ses clients, mais encore elle faisait, au besoin à des tiers, des paiements, selon des ordres qui lui étaient donnés, et tenait les comptes relatifs à ces mouvements de fonds. Si donc le contrat présentait certaines particularités du dépôt, notamment du dépôt irrégulier, il n'avait pas moins pour objet, au premier chef, une gestion au sens de l'art. 394 CO, de sorte qu'il s'agissait essentiellement d'un mandat (arrêt du 25 octobre 1960 en la cause Okcuoglu c. Schweizerische Bankgesellschaft, non publié; GAUTSCHI, Commentaire ad art. 400 CO, n. 37), comme dans le cas du dépôt ouvert avec obligation de gestion assumée par la banque (RO 94 II 169). Au demeurant, dans la mesure où elles seraient applicables, les règles relatives au dépôt n'imposeraient pas une solution différente. Notamment, si le mandat est révocable en tout temps (art. 404 CO), le déposant peut, de même, réclamer la chose déposée (art. 475 CO) et ainsi mettre fin au contrat.
3. On admet en général que, vu la nature de l'affaire (art. 405 al. 1 CO), dans les relations entre une banque et son mandant, le décès de celui-ci ne met pas fin au contrat (OSER/SCHÖNENBERGER, Comm. ad art. 405, n. 3). De plus, la convention conclue entre les époux X. et Y. et la défenderesse prévoit qu'au décès de l'un d'eux, l'autre pourra disposer seul du compte. Elle implique donc clairement que le décès ne met pas fin au mandat, ce que l'art. 405 al. 1 CO autorise expressément.
4. Le ch. 4 de la convention du 12 juillet 1963 confère sans équivoque à chacun des époux X. et Y. séparément le pouvoir de disposer des titres déposés et des sommes portées en compte courant et de donner valablement quittance et décharge à la banque par sa signature individuelle. La clause les désigne comme "déposants solidaires", "solidairement titulaires" des comptes courants.
Les époux X. et Y. étaient donc solidairement créanciers de la banque selon l'art. 150 CO (solidarité active; RO 94 II 170; OSER/SCHÖNENBERGER, Comm. ad art. 150 CO, n. 3). Dans un tel cas, selon le droit suisse, chacun des codéposants est titulaire d'une créance; ces créances ont le même objet, de sorte que le paiement de l'une éteint l'autre. Symétriquement,
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l'obligation solidaire, qui est une par l'objet de la prestation, se décompose en autant de dettes qu'il y a de coobligés, obligations qui sont distinctes (RO 28 I 408; 50 III 85; OSER/SCHÖNENBERGER, Remarques préliminaires sur les art. 143 à 150, n. 10; v. TUHR, Allg. Teil des schweizerischen Obligationenrechts, p. 678; BECKER, Remarques préliminaires sur les art. 143 à 150, n. 5).On ne saurait soutenir - la défenderesse elle-même ne le tente pas du reste - que les titulaires d'un compte-joint ne seraient pas créanciers solidaires, mais n'auraient qu'un simple pouvoir de disposition; il y aurait ainsi une créance unique, mais dont pourraient disposer plusieurs personnes (opinion soutenue par A. MATTER, Zur rechtlichen Konstruktion des compte-joint, RSJ 1947, p. 319). Rien, dans la loi, n'autorise une telle analyse. La notion même de créance s'y oppose; on ne voit pas que l'on puisse distinguer de la créance le pouvoir de disposer, lequel est l'attribut même de la propriété (art. 641 CC); de plus, il faudrait, selon cette théorie, ou bien admettre qu'il existe une dette sans créancier ou bien considérer comme tel l'un des titulaires du pouvoir de disposer, ce qui obligerait à prendre en considération les rapports internes entre ces personnes, rapports dont le mandataire dépositaire n'a pas à connaître; enfin, on se heurterait à des difficultés extrêmes en cas de poursuites exercées contre l'un des titulaires du compte.
En droit allemand aussi, du reste, qui procède des mêmes sources que le droit suisse (droit commun), la doctrine cite comme exemple typique de la créance solidaire celle que confère à des époux ne vivant pas sous le régime de la communauté le contrat par lequel ils se font ouvrir en banque un compte-joint dont chacun peut disposer individuellement (LLEHMANN, dans Enneccerus-Kipp-Wolff, 15e éd., Tübingen 1958 II p. 365; LARENZ, Lehrbuch des Schuldrechts, 5e éd., München und Berlin 1962, p. 353; BGB, Kommentar herausgegeben von Reichsgerichtsräten und Bundesrichtern, n. 4 ad § 428). La jurisprudence consacre la même solution (Bank-Archiv 37-38, p. 434; NJW 1961 I p. 510). Le droit français suit des principes identiques (HAMEL, Banques et opérations de banque, Paris 1933, t. I, p. 513).
5. Il suit de là que la demanderesse, en sa qualité de créancière, pouvait disposer des valeurs confiées à la défenderesse et cela même après le décès de son mari. Celui-ci disposait,
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de son vivant, du même droit, qui passait en principe à ses héritiers, puisque, comme on l'a montré, le décès des créanciers solidaires ne mettait pas fin au mandat conféré à la défenderesse.Point n'est besoin de décider si la lettre de la clause selon laquelle "le survivant pourra valablement disposer seul" exclut ou non les droits des héritiers du prémourant; dans l'affirmative, l'action devrait manifestement être admise. Mais il n'en irait pas autrement dans la négative.
6. Dans ce cas, en effet, Z. aurait pu infirmer les droits de ses cohéritiers, de par l'art. 150 al. 3 CO, en ouvrant une poursuite contre le débiteur. Elle ne l'a pas fait et une simple sommation verbale ou sous seing privé ne suffit pas, du point de vue de cette disposition légale (OSER/SCHÖNENBERGER, Comm. ad art. 150 CO, n. 5; pour le droit français: HAMEL, op.cit., t. I, p. 515).
L'art. 150 al. 3, cependant, qui s'applique à toute créance solidaire, quelle que soit sa cause, ne concerne en rien les conséquences qui peuvent découler des rapports juridiques particuliers dont cette créance est issue. Ces rapports, constitutifs de mandats, de dépôts ou de prêts, peuvent prendre fin selon les règles qui leur sont propres et à l'application desquelles l'art. 150 al. 3 CO ne fait pas obstacle. Il n'exclut nullement, par exemple, que le déposant, le mandant ou le prêteur demande la restitution du dépôt ou du prêt ou révoque le mandat.
On a montré que la créance solidaire créait une relation juridique unique avec une pluralité de créances et, corrélativement, de dettes. Cette relation, régie par les règles du mandat, respectivement du dépôt, est issue d'une manifestation de volonté conjointe, en l'espèce celle des époux X. et Y. De leur vivant, aucun d'eux n'aurait pu, unilatéralement, révoquer le mandat de la banque; seule une révocation conjointe eût été opérante (cf., pour le droit allemand, § 356 BGB; § 425 auquel renvoie le § 429 BGB; STAUDINGER, 9e éd., comm. ad § 429 BGB, n. II, 1; PLANCK-SIBER, ibidem, n. 5; OERTMANN, 5e éd., comm. ad § 428, n. 2 et ad § 429, n. 2 b; contra, cependant: HELLWIG, Anspruch und Klagerecht, Jena 1900, p. 197, n. 24). C'est ainsi du reste que, dans le cas de la solidarité passive, l'un des débiteurs solidaires ne peut, par son fait personnel, aggraver la situation des autres (art. 146 CO).
Z. n'aurait donc pu mettre fin au mandat conféré à la défenderesse
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par ses parents que si elle avait eu qualité pour agir au nom des ayants droit de son père prédécédé et d'accord avec sa mère. Or aucune de ces deux conditions n'est réalisée.
7. La demande n'est pas litigieuse sur les montants, ni sur les taux de conversion des monnaies. L'intérêt moratoire est dû dès la communication de la mise en demeure, soit le 4 avril 1968 pour les avoirs en compte à vue et dès l'échéance pour les comptes à trois mois de terme. Par lettre du 10 septembre 1968, communiquée avant le dépôt de la réponse, la demanderesse a complété ses conclusions par une demande de mainlevée définitive. Cela était admissible de par l'art. 26 al. 1 PCF.