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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_701/2020  
 
 
Arrêt du 6 septembre 2021  
 
IIe Cour de droit social  
 
Composition 
M. et Mmes les Juges fédéraux Stadelmann, Juge présidant, Moser-Szeless et Truttmann, Juge suppléante. 
Greffière : Mme Elmiger-Necipoglu. 
 
Participants à la procédure 
Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève, rue des Gares 12, 1201 Genève, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________, 
représentée par Me Dominique Bavarel, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-invalidité (rente), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 30 septembre 2020 (A/1178/2017 - ATAS/821/2020, A/1178/2017 - ATAS/844/2020). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, née en 1963, était engagée depuis septembre 1992 comme conseillère de vente auprès de B.________ SA, à temps partiel. 
En incapacité de travail depuis juin 2015, A.________ a déposé le 8 janvier 2016 une demande de prestations de l'assurance-invalidité, en invoquant souffrir depuis 2012 notamment de douleurs chroniques des épaules ainsi que de douleurs cervico-brachiales et lombaires. 
L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI) a versé à son dossier celui de l'assurance-maladie de l'assurée, qui contenait notamment un rapport d'expertise pluridisciplinaire de la Clinique C.________ du 26 février 2016. Par décision du 3 mars 2017, l'office AI a rejeté la demande de l'assurée, au motif qu'elle ne présentait pas d'atteinte à la santé au sens de l'assurance-invalidité. 
 
B.  
A.________ a déféré cette décision à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève. Entre autres mesures d'instruction et après avoir considéré que le rapport établi par la Clinique C.________ n'était pas probant, la cour cantonale a ordonné le 13 mai 2019 une expertise psychiatrique et rhumatologique auprès du docteur D.________, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, qui a établi son rapport le 18 août 2019. Le rhumatologue pressenti s'étant désisté, elle a mandaté par ordonnance du 17 septembre 2019 le professeur E.________, spécialiste FMH en rhumatologie, pour le volet rhumatologique de l'expertise qui a rendu son rapport du 3 décembre 2019. Les experts ont rendu un avis consensuel le 23 avril 2020, selon lequel l'assurée était totalement incapable de travailler dans toute activité depuis le mois de décembre 2015. 
Par arrêt du 30 septembre 2020, la juridiction cantonale a réformé la décision de l'office AI en ce sens que l'assurée avait droit à une rente entière d'invalidité dès le 1er décembre 2016. 
 
C.  
L'office AI forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à son annulation et à la confirmation de la décision du 3 mars 2017. Le recours est assorti d'une requête d'effet suspensif. 
A.________ conclut au rejet de la requête d'effet suspensif et du recours. L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a renoncé à se déterminer sur le recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le litige porte sur le droit de l'intimée à une rente de l'assurance-invalidité dès le 1er décembre 2016.  
 
2.2. A cet égard, l'arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables à la notion d'invalidité (art. 8 LPGA et art. 4 LAI) et à son évaluation (art. 16 LPGA et art. 28a LAI), en particulier s'agissant du caractère invalidant de troubles psychiques et autres syndromes sans substrat organique (ATF 143 V 409 consid. 4.5; 143 V 418 consid. 6 et 7; 141 V 281), ainsi qu'à la valeur probante des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3). Il suffit d'y renvoyer.  
On rappellera en outre, s'agissant de la valeur probante de rapports médicaux, que le juge ne s'écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2; 135 V 465 consid. 4.4; arrêt 8C_711/2020 du 2 juillet 2021 consid. 3.2 et la référence citée). 
 
3.  
 
3.1. La cour cantonale a retenu que l'intimée était totalement incapable de travailler dans toute activité dès le mois de décembre 2015, en se fondant sur les conclusions des rapports d'expertise du docteur D.________ et du professeur E.________, auxquelles elle a reconnu une pleine valeur probante. L'expert psychiatrique avait en particulier procédé à l'examen des indicateurs développés par le Tribunal fédéral, ce qui relevait de sa compétence. Il n'avait pas retenu une incapacité de travail sous l'angle purement psychiatrique, en réservant toutefois l'appréciation globale du cas, selon les conclusions de l'expert rhumatologue. Après avoir eu connaissance de ces dernières, il avait conclu de manière consensuelle avec le professeur E.________ que l'intimée était totalement incapable de travailler en raison de l'ensemble de ses atteintes physiques et psychiques, retenant que l'ensemble de ses atteintes réduisait ses ressources.  
 
3.2. Invoquant une appréciation arbitraire des preuves et une violation du droit fédéral, l'office AI reproche à la juridiction cantonale d'avoir reconnu valeur probante aux rapports d'expertise judiciaire. Il estime en particulier que le courrier du 23 avril 2020 ne saurait constituer une appréciation consensuelle du cas portant sur un examen global de l'état de santé et de la capacité de travail de l'assurée à la lumière des exigences relatives aux diagnostics et des indicateurs déterminants. Il reproche en outre à la cour cantonale de ne pas avoir procédé à l'évaluation du caractère invalidant des atteintes psychiatriques au regard des indicateurs développés par la jurisprudence, se limitant à se rapporter aux conclusions des experts.  
 
4.  
 
4.1. Le Tribunal fédéral a considéré qu'il se justifiait sous l'angle juridique, en l'état des connaissances médicales, d'appliquer par analogie les principes développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux à l'appréciation du caractère invalidant d'une fibromyalgie, vu les nombreux points communs entre ces troubles (ATF 132 V 65 consid. 4). Quand bien même le diagnostic de fibromyalgie était d'abord le fait d'un médecin rhumatologue, il convenait ici aussi d'exiger le concours d'un médecin spécialiste en psychiatrie. Une expertise interdisciplinaire tenant à la fois compte des aspects rhumatologiques et psychiques apparaissait donc la mesure pour établir de manière objective si l'assuré présentait un état douloureux d'une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne pouvait plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part (ATF 132 V 65 consid. 4.3; arrêt 9C_176/2018 du 16 août 2018 consid. 3.2.2). La modification de la jurisprudence ayant conduit à l'introduction d'une grille d'évaluation normative et structurée du caractère invalidant des troubles psychiques au moyen d'indicateurs standards (ATF 143 V 409; 143 V 418; 141 V 281) n'a rien changé à cette pratique: la fibromyalgie est toujours considérée comme faisant partie des pathologies psychosomatiques et son évaluation sur le plan de la capacité de travail est par conséquent soumise à la grille d'évaluation mentionnée (cf. arrêt 9C_808/2019 du 18 août 2020 consid. 5.2 et la référence citée).  
 
4.2. Dans leur appréciation consensuelle du 23 avril 2020, les experts n'ont pas retenu, sur le plan psychique, l'existence d'une atteinte durablement incapacitante, mais ont indiqué qu'il existait une certaine fragilité au niveau de la personnalité et de l'humeur, ce qui entraînait une légère diminution des ressources adaptatives renforçant l'effet délétère des atteintes physiques. Sur le plan somatique, ils ont relevé "des atteintes cliniques et surtout une diminution sévère des ressources (cf. texte de l'expertise pour les détails) dans le cadre du syndrome douloureux chronique, la polyarthrose (périphérique et au rachis), la polytendinopathie avec des bursites". Les experts ont conclu que l'état de santé de l'expertisée et les répercussions fonctionnelles entraînaient une incapacité de travail totale dans toute activité depuis décembre 2015.  
 
4.3. A l'instar du recourant, on ne saurait suivre le raisonnement des premiers juges, selon lequel l'avis consensuel du 23 avril 2020 constitue un examen global de l'état de santé et de la capacité de travail de l'intimée. En effet, en l'absence de diagnostic psychiatrique invalidant et compte tenu du fait que l'intimée dispose, selon le volet psychiatrique de l'expertise, de ressources mobilisables suffisantes pour contrebalancer les effets limitatifs de la dysthymie de gravité légère à moyenne, l'appréciation du rhumatologue, qui semble attester une incapacité de travail totale principalement sur la base des troubles psychosomatiques (syndrome douloureux chronique; "syndrome anxio-dépressif sévère") apparaît contradictoire. Le professeur E.________ a indiqué que l'incapacité totale de travail s'explique "surtout par une réduction des ressources dans la globalité de la patiente" présentant un syndrome anxio-dépressif sévère, tandis que l'expert psychiatre n'a pas retenu un tel diagnostic, ni une autre atteinte de degré sévère.  
S'agissant ensuite de la question des limitations fonctionnelles, même si l'on se réfère aux rapports d'expertise respectifs, on ne parvient pas à comprendre en quoi celles-ci consistent concrètement ou de quel diagnostic elles résultent précisément, ni pourquoi elles limitent entièrement la capacité de travail de l'intimée. Ainsi, dans son rapport, l'expert rhumatologue énumère une liste de syndromes et d'atteintes somatiques dont souffre l'intimée, en indiquant de manière très générale que "tous les mouvements de la performance physique globale sont très limités", il en déduit directement une incapacité totale de travail sans expliquer en quoi les diagnostics posés ont des répercussions sur la capacité de travail, ni en quoi consistent celles-ci. Cela étant, l'avis consensuel fait plutôt apparaître un manque de cohérence entre les deux rapports d'expertises, dans lesquels les spécialistes renvoient - à tour de rôle - à l'appréciation de l'autre expert, particulièrement s'agissant de la fibromyalgie respectivement du trouble somatoforme douloureux, sans qu'il soit possible pour l'organe d'application du droit de comprendre si les critères de classification sont effectivement remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1). Aussi, force est de constater qu'en l'état de l'instruction, la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur l'appréciation consensuelle du 23 avril 2020 pour l'évaluation de la capacité de travail de l'intimée. 
 
4.4. L'argumentation du recourant est également fondée en tant qu'elle porte sur le grief selon lequel les premiers juges n'ont pas effectué d'évaluation du caractère invalidant des atteintes psychiatriques au regard des indicateurs développés par la jurisprudence (ATF 141 V 281). Dans la mesure où ils ont retenu une incapacité de travail totale sur la base de l'appréciation consensuelle, ils ne pouvaient pas renoncer à examiner les conclusions médicales en fonction de la grille d'évaluation déterminante. S'il est vrai qu'il appartient au médecin de poser un diagnostic selon les règles de la science médicale, il n'en demeure pas moins que l'évaluation du caractère invalidant au regard des indicateurs développés par la jurisprudence est du ressort de l'administration ou, en cas de litige, de celui du juge (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. in initio, arrêt 9C_176/2018 du 16 août 2018 consid. 3.2.2 in fine).  
 
4.5. En l'absence d'une appréciation globale interdisciplinaire suffisamment motivée et tenant à la fois compte des aspects rhumatologiques et psychiques pour établir de manière objective si l'intimée présente un état douloureux d'une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne pouvait plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part (cf. consid. 4.1 supra), il s'avère nécessaire de faire compléter l'instruction médicale. Contrairement à ce que fait valoir le recourant, on ne saurait se fonder sur l'avis de son service médical du 19 mai 2020, dès lors déjà que celui-ci constitue non pas une appréciation du cas à proprement parler, mais plutôt une critique à l'égard de l'expertise judiciaire. Par conséquent, il convient de renvoyer l'affaire à l'instance précédente afin qu'elle procède à un complément d'expertise, en demandant par exemple aux docteur D.________ et professeur E.________ une nouvelle prise de position consensuelle dûment motivée mettant en lien de manière coordonnée les diagnostics retenus et leurs effets éventuels sur la capacité de travail de l'intimée. Au besoin, il lui est loisible d'ordonner une nouvelle expertise.  
 
5.  
Dans cette mesure, le recours se révèle bien fondé. Le présent arrêt rend sans objet la requête d'effet suspensif. 
 
6. L'intimée, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Bien qu'il obtienne gain de cause, le recourant ne peut prétendre de dépens (art. 68 al. 3 LTF).  
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt de la Chambre des assurances sociales du 30 septembre 2020 de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé. La cause est renvoyée à cette autorité pour qu'elle complète l'instruction au sens des considérants et rende un nouvel arrêt. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 6 septembre 2021 
 
Au nom de la IIe Cour de droit social 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Stadelmann 
 
La Greffière : Elmiger-Necipoglu