Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
2C_219/2022
Arrêt du 30 janvier 2025
IIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz, Hänni, Ryter et Kradolfer.
Greffière : Mme Vuadens.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________,
3. C.________,
4. D.________,
5. E.________,
6. F.________,
toutes représentées par Me Hrant Hovagemyan, avocat,
recourantes,
contre
Administration fédérale des contributions, Service d'échange d'informations en matière fiscale SEI,
Eigerstrasse 65, 3003 Berne,
intimée.
Objet
Assistance administrative (CDI CH-RU),
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour I, du 21 février 2022 (A-232/2020).
Faits :
A.
Le 30 octobre 2018, l'autorité compétente russe (ci-après: l'autorité requérante) a adressé une demande d'assistance administrative internationale en matière fiscale à l'Administration fédérale des contributions (ci-après: l'Administration fédérale) concernant la société russe A.________ (ci-après: la Société), fondée sur l'art. 25a de la Convention du 15 novembre 1995 entre la Confédération suisse et la Fédération de Russie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (RS 0.672.966.51; ci-après: CDI CH-RU). L'autorité requérante y exposait que la Société avait versé des dividendes à des sociétés chypriotes sur trois comptes bancaires ouverts en Suisse auprès de la banque G.________ AG (ci-après: la Banque) et qu'elle avait prélevé à cette occasion un impôt à la source de 5%, conformément à la convention de double imposition liant la Fédération de Russie et Chypre. L'autorité requérante doutait toutefois que ces sociétés chypriotes soient les véritables bénéficiaires économiques de ces dividendes. Elle a partant demandé à l'Administration fédérale une série de renseignements sur les comptes bancaires concernés pour la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, afin d'identifier les bénéficiaires économiques de ces dividendes et, le cas échéant, de réévaluer le montant d'impôt à la source dû par la Société.
Déférant à une ordonnance de production de l'Administration fédérale du 16 novembre 2018, la Banque lui a fourni les renseignements requis par courrier du 27 novembre 2018.
B.
Par décision finale du 10 décembre 2019 notifiée à la Société, ainsi qu'aux sociétés H.________, B.________, C.________, D.________, E.________ et à F.________, l'Administration fédérale a accordé l'assistance administrative à l'autorité requérante.
La Société, ainsi que H.________, B.________, C.________, D.________, E.________ et F.________ ont recouru contre cette décision finale auprès du Tribunal administratif fédéral.
Le Tribunal administratif fédéral a statué le 21 février 2022. Il a jugé que les conditions de l'octroi de l'assistance administrative étaient remplies et que la décision finale du 10 décembre 2019 de l'Administration fédérale devait être confirmée, sous réserve du fait qu'elle avait été notifiée à tort à H.________, car cette entité n'avait plus d'existence à ce moment-là (consid. 5.6.5 de l'arrêt). Le Tribunal administratif fédéral a par conséquent partiellement admis le recours en ce sens et l'a rejeté pour le surplus dans la mesure de sa recevabilité (chiffre 1 du dispositif), enjoignant à l'Administration fédérale de préciser que les informations transmises ne pourraient être utilisées qu'à l'encontre de la Société et dans le cadre d'une procédure fiscale, conformément à l'art. 25a CDI CH-RU (chiffre 2 du dispositif).
C.
La Société, B.________, C.________, D.________, déclarant agir aussi pour le compte de la société H.________ qui a cessé d'exister, E.________ et F.________ ont formé un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 21 février 2022 du Tribunal administratif fédéral. Elles concluent, principalement, à son annulation et à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet de la demande d'assistance administrative du 30 octobre 2018, plus subsidiairement, à son annulation, sous réserve du chiffre 2 de son dispositif, et au renvoi de la cause au Tribunal administratif fédéral pour nouvelle décision dans le sens des considérants. En substance, elles font valoir que, depuis l'intervention militaire de la Fédération de Russie en Ukraine, aucun échange de renseignements ne peut intervenir avec la Russie.
A titre préalable, elles ont demandé que l'effet suspensif soit accordé à leur recours et que la procédure soit suspendue "jusqu'à ce que la guerre en Ukraine prenne fin et que soient connus, à l'issue de la guerre, le sort de la Fédération de Russie, et celui de l'Ukraine, vis-à-vis des nations du monde, y compris vis-à-vis de la Suisse".
Le Tribunal administratif fédéral s'est référé à son arrêt. L'Administration fédérale a conclu au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué. Elle s'en remet à justice quant à la question de la suspension de la procédure et à celle de la contrariété à l'ordre public de l'arrêt attaqué invoquée dans le recours. Les recourantes se sont déterminées.
D.
Le 25 février 2022, le Conseil de l'OCDE a décidé de clôturer le processus d'adhésion de la Fédération de Russie et, le 8 mars 2022, de suspendre la participation de cet État aux organes de l'OCDE (documents consultables à l'adresse https://www.oecd.org/fr/pays/ russie/).
Par résolution du 22 mars 2022, la CourEDH a déclaré qu'en application de l'art. 58 CEDH, la Fédération de Russie cesserait d'être une Haute Partie contractante à la CEDH à compter du 16 septembre 2022.
Le 7 avril 2022, l'Assemblée générale des Nations Unies a suspendu la Fédération de Russie du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.
Le 16 septembre 2022, le Conseil fédéral a décidé de suspendre temporairement l'échange de renseignements avec la Fédération de Russie, en fondant sa décision sur la réserve de l'ordre public prévue par la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (communiqué de presse du Secrétariat d'État aux questions financières internationales du 16 septembre 2022, consultable à l'adresse https://www.sif.admin.ch/sif/fr/home/ documentation/information-specialisees/aia-russland.html).
E.
E.a. Par ordonnance du 31 mai 2022 (publiée in RF 77/2022 p. 600 et in StE 2023 A 32 Nr. 51), la Présidente de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral, donnant suite à la requête des recourantes, a suspendu la procédure pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 30 septembre 2022. Par ordonnance du 25 novembre 2022, elle a maintenu la suspension de la procédure, pour une durée indéterminée cette fois, en précisant que la procédure pourrait être reprise en tout temps, d'office ou sur demande, en fonction de l'évolution de la situation.
E.b. Par requête de mesures provisionnelles du 31 octobre 2023, complétée le 3 novembre suivant, les recourantes ont indiqué au Tribunal fédéral que la Fédération de Russie avait notifié directement à F.________, à son domicile suisse, des actes judiciaires lui signifiant qu'elle était considérée comme membre d'une organisation terroriste visant la Russie, que le Procureur général de Russie avait confisqué tous ses biens et qu'il avait également confisqué les biens des autres actionnaires de la Société en Russie. La requête contenait les conclusions suivantes:
1.
1.1. interdire à la Russie d'accéder, directement ou indirectement, au dossier de la présente cause, ainsi qu'au dossier en mains de l'AFC,
1.2. interdire à A.________ d'accéder au dossier de la présente cause, ainsi qu'au dossier en mains de l'AFC, sauf par intermédiaire du conseil soussigné,
1.3. ordonner à l'AFC d'interdire à A.________ d'accéder au dossier de la présente cause, ainsi qu'au dossier en mains de l'AFC, sauf par l'intermédiaire du conseil soussigné,
1.4. constater la violation par la Russie de la souveraineté nationale suisse et dénoncer au Ministère public de la Confédération les faits susceptibles d'être qualifiés pénalement d'actes exécutés sans droit par un État étranger (art. 271 CP) et de contrainte (art. 181 CP),
1.5. constater, au besoin après avoir ordonné des mesures probatoires et/ou un échange d'écritures, la nullité absolue des décisions des autorités russes des 5 et 10 octobre 2023, celle à venir du 1er novembre 2023 pour violation de l'ordre public suisse et dire qu'aucune mesure d'exécution ne peut être prise en Suisse sur la base de ces décisions,
1.6. donner acte aux recourants et intervenants que le litige a été dénoncé au sens de l'art. 16 PCF à la Confédération suisse, et l'admettre, le cas échéant, comme partie intervenante à la présente cause,
1.7. inviter le Conseil fédéral de la Confédération suisse à prendre toutes mesures utiles à protéger les intérêts des recourants et intervenants dans la présente cause, et à assurer la sécurité des recourants et intervenants, en particulier la sécurité de Madame F.________ et de sa famille, et celle de l'avocat soussigné et de sa famille,
2.
2.1 admettre comme parties recourantes à la présente cause F.________, I.________, J.________, K.________, L.________, M.________, N.________, O.________ et P.________,
2.2 dire que ces intervenants sont en l'état dispensés de mentionner leur domicile,
2.3 dire que Me Hrant Hovagemyan demeure avocat de la Société, au besoin en le désignant comme avocat d'office de la Société,
3.
3.1 rendre publique les mesures provisionnelles ordonnées afin de contribuer à assurer la sécurité des intervenants et recourants, de leur avocat, et de leurs familles,
3.2 confirmer la suspension ordonnée par décisions des 31 mai et 25 mai 2022,
3.3 ordonner en outre la suspension de la présente cause jusqu'à droit connu dans le cadre de la procédure pénale diligentée par le Ministère public de la Confédération à la suite de la dénonciation de ce jour de Madame F.________, et cas échéant, celles de la Confédération suisse et du Tribunal fédéral suisse.
E.c. Après avoir ordonné la reprise de la procédure (ordonnance du 13 novembre 2023), la Présidente de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a, par ordonnance du 22 décembre 2023, en substance dit que la décision sur la poursuite de la suspension de la procédure serait prise ultérieurement et que les autres conclusions de la requête étaient rejetées dans la mesure où elles n'étaient pas sans objet ou irrecevables. Elle a par ailleurs imparti à l'Administration fédérale un délai de trente jours pour se prononcer sur le sort du recours.
Dans ses déterminations du 25 janvier 2024, l'Administration fédérale a demandé que la procédure soit à nouveau suspendue, aussi longtemps que durerait la suspension de l'échange de renseignements décidée par le Conseil fédéral le 16 septembre 2022. Les recourantes ont déposé des observations spontanées les 31 janvier, 19 février et 29 février 2024. En substance, elles se sont opposées à ce que la procédure soit à nouveau suspendue et ont demandé au Tribunal fédéral de rejeter la demande d'assistance administrative.
E.d. Le 22 août 2024, la Présidente de la IIe Cour de droit public a demandé des précisions à l'Administration fédérale au sujet du décret par lequel le Président de la Fédération de Russie aurait, selon plusieurs journaux suisses, suspendu en août 2023 l'application de certaines dispositions de la CDI CH-RU, sans toutefois notifier officiellement cette suspension à la Suisse. Elle lui a demandé de lui indiquer, d'ici au 6 septembre 2024, si ces informations étaient correctes, de lui transmettre, le cas échéant, la teneur de ce décret et si, depuis lors, la Fédération de Russie avait officiellement notifié à la Suisse un acte visant à dénoncer ou à suspendre l'application de cette Convention. Dans ce cas, l'Administration fédérale était priée de lui transmettre ledit acte.
Le 5 septembre 2024, l'Administration fédérale a répondu que, depuis la décision du Conseil fédéral du 16 septembre 2022 de suspendre l'échange de renseignements en matière fiscale avec la Fédération de Russie, celle-ci n'avait pris aucune décision ni aucune mesure à ce sujet à l'égard de la Suisse. En particulier, si le Président de la Fédération de Russie avait, par décret du 8 août 2023, suspendu l'application de certaines dispositions de la CDI CH-RU, cette suspension ne concernait pas l'art. 25a CDI CH-RU consacré à l'échange de renseignements fiscaux. L'Administration fédérale a ajouté que la Fédération de Russie n'avait pas non plus retiré les demandes d'assistance administrative qu'elle avait adressées à la Suisse avant cette date et qu'elle avait continué à lui en envoyer depuis lors. Les recourants se sont déterminés sur ce courrier.
Considérant en droit :
1.
Selon l'art. 83 let. h LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions en matière d'entraide administrative internationale, à l'exception de l'assistance administrative en matière fiscale. Il découle de l'art. 84a LTF que, dans ce dernier domaine, le recours n'est recevable que lorsqu'une question juridique de principe se pose ou lorsqu'il s'agit, pour d'autres motifs, d'un cas particulièrement important au sens de l'art. 84 al. 2 LTF.
1.1. D'après la jurisprudence, la présence d'une question juridique de principe suppose que la décision en cause soit importante pour la pratique; cette condition est en particulier réalisée lorsque les instances inférieures doivent traiter de nombreuses causes analogues ou lorsqu'il est nécessaire de trancher une question juridique qui se pose pour la première fois et qui donne lieu à une incertitude caractérisée, laquelle appelle de manière pressante un éclaircissement de la part du Tribunal fédéral (ATF 139 II 404 consid. 1.3; arrêt 2C_289/2015 du 5 avril 2016 consid. 1.2.1 non publié in ATF 142 II 218). Selon l'art. 84 al. 2 LTF, un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des raisons de supposer que la procédure à l'étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d'autres vices graves. La reconnaissance d'un cas particulièrement important doit être admise avec retenue. Le Tribunal fédéral jouit à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 145 IV 99 consid. 1.2 et les références; 139 II 340 consid. 4).
1.1.1. Les recourantes soutiennent qu'au vu de la situation qui prévaut depuis l'intervention militaire de la Russie en Ukraine, la présente cause est d'une importance manifeste pour la pratique et soulève la question juridique de principe de savoir si la Fédération de Russie peut toujours bénéficier de la présomption de bonne foi dans le cadre de l'exécution d'une clause de la CDI CH-RU, particulièrement vis-à-vis des citoyens et intérêts ukrainiens. Elles allèguent à cet égard, en renvoyant à des pièces du dossier, que les bénéficiaires ultimes des sociétés recourantes, de même que la recourante n° 6, sont de nationalité ukrainienne et que, dans les circonstances actuelles, l'arrêt attaqué, qui revient à livrer à la Fédération de Russie des renseignements au sujet de citoyens ukrainiens, contrevient à l'ordre public.
1.1.2. Les pièces du dossier mentionnées par les recourantes contiennent les formulaires A de trois comptes bancaires ouverts au sein de la Banque au nom des recourantes n° 2, 3 et 4. Il en ressort que les bénéficiaires économiques de ces trois comptes ont la nationalité ukrainienne. Bien qu'ils ne figurent pas dans l'arrêt attaqué, ces faits peuvent être pris en compte, dans la mesure où ils contribuent à déterminer la recevabilité du recours (infra consid. 5). En effet, la question de savoir si, dans le contexte actuel, l'échange de renseignements fiscaux avec la Fédération de Russie est admissible, en particulier lorsqu'il implique, comme en l'espèce, la transmission de renseignements concernant des personnes de nationalité ukrainienne, est particulièrement importante pour la pratique.
Le recours concerne donc un cas tombant sous le coup de l'art. 84 al. 2 LTF, applicable par renvoi de l'art. 84a LTF. Il convient donc d'entrer en matière, sans qu'il ne soit nécessaire de se demander si, comme le soutiennent aussi les recourantes, l'échange de renseignements avec la Fédération de Russie dans le contexte actuel soulève une question juridique de principe au sens de l'art. 84a LTF.
1.2. Au surplus, les recourantes, qui ont qualité pour agir (cf. art. 89 al. 1 LTF), ont recouru en temps utile (art. 100 al. 2 let. b LTF) et dans les formes prévues (art. 42 LTF). Il convient donc d'entrer en matière sur le recours, en précisant que, s'agissant de H.________, le Tribunal administratif fédéral a constaté, d'une manière qui lie le Tribunal fédéral (infra consid. 4), que cette entité n'existait plus lorsque l'Administration fédérale avait rendu sa décision finale le 10 décembre 2019. Les recourantes ne le contestent ni n'indiquent qu'elle ne serait qu'en liquidation. Par conséquent, cette société ne peut pas être partie à la procédure devant le Tribunal fédéral.
2.
En matière d'assistance administrative internationale en matière fiscale, le recours a un effet suspensif de plein droit en vertu de l'art. 103 al. 2 let. d LTF, de sorte que la requête correspondante des recourantes n'a pas d'objet (arrêt 2C_912/2022 du 26 avril 2024 consid. 2.3 et la référence).
3.
Dans ses observations spontanées du 19 février 2024, le mandataire des recourantes demande à nouveau (supra consid. E.b conclusion 2.3) à être désigné en qualité d'avocat d'office de la Société, afin de "faire porter la responsabilité de la critique sur l'avocat désigné d'office, et non sur A.________, et les personnes qui [l']ont à l'époque mandaté". La motivation de cette demande, qui semble liée au fait que les actionnaires de la Société auraient fait l'objet de mesures confiscatoires en Russie, n'est pas claire. Quoi qu'il en soit, comme cette demande n'est pas associée à une requête d'assistance judiciaire et que l'avocat a fourni une procuration indiquant qu'il représente de toute façon les recourantes devant le Tribunal fédéral, elle est également sans objet.
4.
Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, en vertu de l'art. 106 al. 2 LTF, il n'examine la violation de droits fondamentaux que si ce grief a été invoqué et motivé par la partie recourante, c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de façon claire et détaillée (ATF 149 III 81 consid. 1.3; 148 I 127 consid. 4.3; 145 V 304 consid. 1.2).
5.
Pour statuer, le Tribunal fédéral se fonde sur les faits établis par l'autorité précédente (cf. art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des situations visées à l'art. 105 al. 2 LTF. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté, à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). À titre d'exception à cette règle, les faits nouveaux déterminants pour la recevabilité du recours peuvent être invoqués devant le Tribunal fédéral (ATF 136 II 497 consid. 3.3; 136 III 123 consid. 4.4.3). Quant aux faits notoires (sur cette notion, ATF 143 IV 380 consid. 1.1; 138 II 557 consid 6.2), ils ne sont pas considérés comme des faits nouveaux et peuvent donc être pris en compte sans violer l'art. 99 al. 1 LTF (ATF 148 V 174 consid. 2.2).
6.
Le litige porte sur le point de savoir si l'assistance administrative requise le 30 octobre 2018 doit être accordée à la Fédération de Russie, ce que l'arrêt attaqué a admis.
6.1. Les recourantes font valoir que la demande d'assistance administrative à l'origine de la présente procédure, qui concerne des personnes de nationalité ukrainienne, ne peut pas être accordée à la Fédération de Russie, car cet État s'est comporté de manière contraire à la bonne foi et que, dans le contexte actuel, transmettre des renseignements qui concernent des citoyens ukrainiens à cet État serait contraire à l'ordre public.
6.2. L'Administration fédérale est d'avis que le litige ne peut pas être tranché au fond à l'heure actuelle et que la procédure doit être à nouveau suspendue. Elle fait valoir que la situation n'a pas évolué depuis le 16 septembre 2022, date à laquelle le Conseil fédéral a décidé de suspendre l'échange de renseignements avec la Fédération de Russie, et qu'il convient de suspendre à nouveau la présente procédure, afin d'adopter une ligne cohérente en la matière. En outre, le sort du recours sur le fond serait susceptible de dépendre d'éléments et de considérations qui ne sont pas déterminables aujourd'hui et qui pourraient dépasser le cas particulier.
7.
Il convient de commencer par rappeler certains principes posés par la jurisprudence en matière d'assistance administrative internationale en matière fiscale lorsque la demande repose, comme en l'espèce, sur une clause d'échange de renseignements calquée sur l'art. 26 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE concernant le revenu et la fortune (ci-après: MC OCDE).
7.1. Au préalable, il y a lieu de rappeler que, selon les informations fournies par l'Administration fédérale (supra consid. E.d), le décret du 8 août 2023 du Président de la Fédération de Russie n'a pas suspendu la CDI CH-RU, mais uniquement certaines de ses dispositions, dont l'art. 25a CDI CH-RU ne fait pas partie. L'art. 25a CDI CH-RU reste ainsi pleinement applicable du point de vue de cet État. Du point de vue de la Suisse, le Conseil fédéral a décidé le 16 septembre 2022 de suspendre temporairement l'échange de renseignements avec la Russie (supra consid. D). Cette décision (art. 184 al. 1 Cst.) n'a pas pour conséquence que le Tribunal fédéral doive automatiquement refuser d'accorder l'assistance requise en 2018, soit avant cette décision, par la Fédération de Russie. En revanche, elle peut être prise en compte dans l'examen du point de savoir si, dans le cas d'espèce, les conditions prévues à l'art. 25a CDI CH-RUS pour l'octroi de l'assistance administrative sont remplies.
7.2. Conformément à l'art. 25a par. 1 CDI CH-RU, les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour l'application des dispositions de la présente Convention ou pour l'administration ou l'application de la législation interne relative aux impôts visés par la Convention et à la taxe sur la valeur ajoutée dans la mesure où l'imposition qu'elle prévoit n'est pas contraire à la Convention. L'échange de renseignements n'est pas restreint par l'art. 1. Selon une jurisprudence établie, la condition de la pertinence vraisemblable figurant dans une clause d'échange de renseignements calquée comme en l'espèce sur l'art. 26 MC OCDE est réputée réalisée si, au moment où la demande est formulée, il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révéleront pertinents (cf. au surplus ATF 148 II 336 consid. 7 et les références; 146 II 150 consid. 6.1.1; 142 II 161 consid. 2.1.1).
7.3. En vertu de l'art. 25a par. 3 let. c CDI CH-RU (correspondant à l'art. 26 par. 3 let. c MC OCDE), les dispositions des par. 1 et 2 ne peuvent pas être interprétées comme imposant à un État contractant l'obligation de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public.
7.3.1. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la réserve de l'ordre public figurant à l'art. 26 par. 3 let. c MC OCDE renvoie à l'ordre public national (ATF 149 II 302 consid. 6.6; arrêt 2C_750/2020 du 25 mars 2021 consid. 6.5, in StE 2021 A 32 Nr. 43). La notion doit être interprétée de manière restrictive et conformément aux règles de la bonne foi, en ce sens qu'elle ne doit pas être utilisée par un État en vue d'entraver la bonne application du traité (ATF 149 II 302 consid. 6.6; arrêt 2C_750/2020 précité consid. 6.4 à 6.6). Elle échappe par nature à une description précise. Il y a toutefois violation de l'ordre public lorsque des principes fondamentaux du droit sont violés ou que l'acte en question est incompatible avec l'ordre juridique et les valeurs suisses, que le résultat est en contradiction choquante avec le sens et l'esprit de l'ordre juridique ou qu'il heurterait de manière intolérable le sentiment du droit en Suisse (ATF 149 II 302 consid. 6.6). Toute dérogation aux dispositions impératives du droit suisse ne constitue pas une violation de l'ordre public. Le refus de reconnaître et d'exécuter des décisions étrangères au motif qu'elles seraient contraires à l'ordre public ne peut être admis qu'en cas de violation manifeste des principes fondamentaux de l'ordre juridique suisse (ATF 149 II 302 consid. 6.6 arrêt 2C_750/2020 du 25 mars 2021 consid. 6.7.1 et les références).
7.3.2. Les garanties minimales de la CEDH (RS 0.101) et du Pacte ONU II (RS 0.103.2) et, au premier plan, les garanties relevant du droit impératif (jus cogens), font partie de l'ordre public (ATF 149 II 302 consid. 6.6; arrêt 2C_750/2020 du 25 mars 2021 consid. 6.7.2 et les références). Le jus cogens désigne les normes fondamentales du droit international qui s'appliquent à tous les sujets du droit international et auxquelles il ne peut être dérogé, même par consentement mutuel. Il englobe l'interdiction de la torture, du génocide et de l'esclavage, les principes fondamentaux du droit humanitaire des conflits armés, ainsi que les garanties de la CEDH en cas d'état d'urgence, soit les art. 2 (sauf pour le cas de décès résultant d'actes licites de guerre), 3, 4 par. 1 et 7 CEDH (art. 15 par. 2 CEDH; ATF 149 II 302 consid. 6.6; arrêt 2C_750/2020 du 25 mars 2021 consid. 6.7.2 et 6.8). Comme les normes minimales en matière de droits de l'homme font partie des valeurs fondamentales du droit interne, elles doivent également être respectées lors de l'application de la réserve de l'ordre public selon l'art. 26 al. 3 let. c, CM-OCDE et l'art. 26 par. 3 let. c CDI CH-RU. Il est donc justifié d'interpréter ces dispositions en ce sens qu'il est possible de refuser l'assistance administrative en cas de menace sérieuse de violations élémentaires des droits de l'homme ou des garanties fondamentales de l'État de droit (arrêt 2C_750/2020 du 25 mars 2021 consid. 6.8).
7.4. Dans ce contexte, il faut rappeler que, selon l'art. 25a par. 2 CDI CH-RU, les renseignements reçus sont "tenus secrets" et ne sont "communiqués qu'aux personnes ou autorités (...) concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts mentionnés au par. 1, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts, ou par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts". Cette disposition, qui correspond à l'art. 26 par. 2 MC OCDE, instaure le principe dit de la spécialité de l'assistance administrative internationale en matière fiscale, lequel implique non seulement que l'État requérant est tenu de garder secrets les renseignements qu'il reçoit et qu'il ne peut les utiliser à d'autres fins qu'à des fins fiscales (sur ce point ATF 146 II 150 consid. 7.2), mais également qu'il ne peut pas les utiliser à l'encontre d'autres personnes que celles qui sont visées par la demande (portée personnelle du principe, cf. sur cet aspect l'ATF 147 II 13 consid. 3.4). Or, l'absence de garanties procédurales dans l'État requérant peut conduire au constat que le principe de la spécialité aboutira à une situation contraire à l'ordre public (en ce sens ANDREA OPEL, in Amtshilfe, 2020, § 3 Amtshilfe nach DBA [Art. 26 OECD-MA], n° 335; DONATSCH/HEIMGARTNER/MEYER/SIMONEK, Internationale Rechtshilfe unter Einbezug der Amtshilfe im Steuerrecht, 2e éd. 2015, p. 245). En ce sens, il peut donc y avoir à la fois atteinte à l'ordre public et au principe de la spécialité.
7.5. Les procédures d'assistance administrative internationale en matière fiscale sont notamment régies par le principe de diligence. Exprimé en droit suisse à l'art. 4 al. 2 LAAF, ce principe reflète l'obligation internationale de la Suisse d'assurer un échange de renseignements efficace, conformément au standard de l'art. 26 MC OCDE (arrêt 2C_804/2019 du 21 avril 2020 consid. 3.4; dans le contexte de l'assistance administrative sur demande avec la Russie, cf. le ch. 7 let. e 2e phrase du Protocole de la CDI CH-RU).
7.6. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la suspension d'une procédure d'assistance administrative entre en conflit avec le principe de diligence, mais aussi avec le principe de célérité garanti à l'art. 29 al. 1 Cst. Elle ne peut donc intervenir qu'à titre exceptionnel (arrêts 2C_814/2019 du 18 mai 2020 consid. 3.1; 2C_804/2019 du 21 avril 2020 consid. 3.5) et au terme d'une pesée des intérêts (ATF 119 II 386 consid. 1b; arrêts 2C_910/2022 du 8 janvier 2024 consid. 6.1; 2C_71/2023 du 3 août 2023 consid. 7.2). Une procédure d'assistance administrative ne peut donc pas être suspendue indéfiniment. Partant, s'il apparaît, avec le temps, que les éléments qui ont justifié la suspension de la procédure existent toujours et qu'il n'y a aucune raison de penser que la situation va évoluer dans un avenir prévisible, il incombe alors à l'autorité administrative ou judiciaire concernée d'en tirer les conséquences, c'est-à-dire de reprendre la procédure et de rendre une décision sur le fond sur le sort de la demande. Dans l'appréciation, il faut tenir compte des obstacles à l'échange immédiat de renseignements et des éléments qui ont justifié la suspension de la procédure. Il ne faut en outre pas perdre de vue que, comme les décisions rendues dans le domaine de l'assistance administrative ne jouissent pas de l'autorité matérielle de la chose jugée (ATF 139 II 404 consid. 8.2), un refus d'accorder l'assistance administrative ne prive pas l'État requérant de la possibilité de déposer ultérieurement une demande similaire.
8.
La question qui se pose en l'espèce est de savoir quel sort donner à la demande d'assistance formée par la Russie le 30 octobre 2018 dans le contexte actuel, étant précisé que la Fédération de Russie ne l'a pas retirée, ni n'a suspendu la disposition de la CDI CH-RU qui est à sa base.
8.1. En matière d'entraide pénale, les autorités suisses ont déjà été confrontées à une question similaire. Le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts à ce sujet (arrêt 1C_477/2022 du 30 janvier 2023, publié dans ATF 149 IV 144, et arrêt 1C_543/2023 du 7 mars 2024, publié dans ATF 150 IV 201). Les deux affaires concernaient des demandes d'entraide par lesquelles la Russie avait demandé des mesures conservatoires (blocage de comptes bancaires), qui avaient été exécutées par les autorités suisses compétentes et dont les personnes concernées ont demandé la levée à la suite de l'intervention militaire russe en Ukraine.
Dans l'arrêt publié à l'ATF 149 IV 144, le Tribunal fédéral, après avoir rappelé que la force de chose jugée ne s'appliquait que de manière restreinte en matière d'entraide pénale et qu'un refus de l'entraide n'empêchait pas l'État requérant de former une nouvelle demande, a retenu qu'une demande d'entraide pénale russe portant uniquement sur la transmission de renseignements pouvait "être purement et simplement refusée" dans les circonstances actuelles (ATF 149 IV 144 consid. 2.3). À la suite de son intervention militaire en Ukraine et de son retrait du Conseil de l'Europe et de la Convention européenne des droits de l'homme, la Fédération de Russie ne faisait en effet actuellement plus partie des États pouvant obtenir l'entraide judiciaire. Le Tribunal fédéral a toutefois ajouté que la Suisse restait tenue de prendre les mesures nécessaires au respect de ses obligations au cas où les relations avec cet État devraient se rétablir. Il en a conclu qu'une procédure d'entraide pénale ayant donné lieu à des mesures conservatoires entrées en force devait non pas être annulée, mais seulement suspendue, et la mesure conservatoire maintenue, aussi longtemps que cette mesure était conforme au principe de la proportionnalité (cf. ATF 149 IV 144 consid. 2.3 à 2.6). Le Tribunal fédéral a confirmé ces principes dans l'ATF 150 IV 201, en soulignant que la situation actuelle ne permettait pas de penser que la situation évoluerait dans un avenir prévisible (ATF 150 IV 201consid. 2.2).
8.2. Les considérations qui précèdent valent également dans le domaine de l'assistance administrative internationale en matière fiscale. En l'occurrence, à la suite de son agression en Ukraine en février 2022, la Fédération de Russie n'est actuellement plus membre du Conseil de l'Europe, n'est plus partie contractante à la CEDH et a été suspendue du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (supra consid. D). En outre, et comme le relèvent aussi les recourantes, depuis l'agression russe en Ukraine en février 2022, on ne peut exclure que l'arsenal législatif russe de lutte contre le terrorisme ou l'extrémisme soit utilisé pour limiter l'exercice des droits de l'homme dans le pays. Donner suite, dans le contexte actuel, à la demande d'assistance administrative de cet État n'offre donc pas les garanties nécessaires sous l'angle de l'ordre public ni du principe de la spécialité, qui plus est s'agissant de transmettre des renseignements concernant pour partie des citoyens ukrainiens (supra consid. 1.1.2). Cette conclusion correspond du reste à celle à laquelle est parvenu le Conseil fédéral en tant qu'il a fondé sa décision de suspendre temporairement l'assistance administrative avec la Russie en se fondant sur la réserve de l'ordre public (supra consid. D).
8.3. Deux solutions entrent dès lors en considération, à savoir suspendre à nouveau la procédure ou rejeter la demande d'assistance de la Fédération de Russie.
La suspension de la procédure, qui va à l'encontre du principe de diligence (supra consid. 7.5) et de célérité (supra consid. 7.6), doit demeurer exceptionnelle. Elle n'est envisageable qu'en présence d'une situation limitée dans le temps. Or, comme le Tribunal fédéral l'a déjà souligné, la situation actuelle ne permet pas de penser que la situation va évoluer dans un avenir prévisible. Il convient dès lors d'en tirer les conséquences et de ne pas opter pour une nouvelle suspension de la procédure pour une période dont on ne saurait évaluer le terme. Il n'y a donc pas lieu de donner suite à la requête de l'autorité intimée en ce sens.
L'admission du recours, qui revient à rejeter la demande d'assistance en application de la réserve de l'ordre public figurant à l'art. 25a par. 3 let. c CDI CH-RU, doit donc être privilégiée. Contrairement à des fonds bloqués dont la personne concernée demanderait la libération, de sorte que lui donner raison aboutirait à une décision irréversible, ce qui était le cas dans les deux affaires que le Tribunal fédéral a jugées dans le domaine de l'entraide pénale (supra consid. 8.1), la présente procédure ne porte que sur une mesure ponctuelle qui concerne la transmission de renseignements bancaires. L'admission du recours et le rejet de la demande d'assistance qui en découle ne reviennent donc pas à mettre fin à une mesure durable qui ne pourrait être rétablie ultérieurement. Au contraire, il convient de rappeler qu'à l'instar des décisions rendues en matière d'entraide pénale, les décisions rendues dans le domaine de l'assistance administrative ne jouissent pas non plus de l'autorité matérielle de chose jugée (ATF 139 II 404 consid. 8.2). Partant, refuser d'accorder l'assistance ne prive pas l'État requérant de la possibilité de déposer ultérieurement une demande similaire qui sera appréciée en fonction de la situation qui prévaudra alors.
9.
Ce qui précède conduit à l'admission du recours et à la réforme de l'arrêt attaqué, en ce sens que le recours est admis et que la décision finale du 10 décembre 2019 de l'Administration fédérale accordant l'assistance administrative à la Fédération de Russie est annulée.
10.
Les recourantes, qui ont obtenu gain de cause avec l'aide d'un mandataire professionnel, ont droit à des dépens (art. 68 al. 1 LTF). Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF).
Le Tribunal fédéral ne fera pas usage des art. 67 et 68 al. 5 LTF et renverra la cause à l'instance précédente pour qu'elle détermine à nouveau le sort des frais et dépens de la procédure antérieure.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
La demande de suspension de la procédure est rejetée.
2.
Le recours est admis.
3.
L'arrêt du 21 février 2022 du Tribunal administratif fédéral est réformé en ce sens que le recours est admis et la décision finale du 10 décembre 2019 accordant l'assistance administrative à la Fédération de Russie annulée.
4.
L'Administration fédérale des contributions versera aux recourantes, créancières solidaires, une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens.
5.
La cause est renvoyée au Tribunal administratif fédéral pour qu'il détermine à nouveau le sort des frais et dépens de la procédure antérieure.
6.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourantes, à l'Administration fédérale des contributions, Division Service d'échange d'informations en matière fiscale (SEI), et au Tribunal administratif fédéral, Cour I.
Lausanne, le 30 janvier 2025
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : F. Aubry Girardin
La Greffière : S. Vuadens