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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_572/2023  
 
 
Arrêt du 11 juin 2024  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, présidente, Hohl, Kiss, Rüedi et May Canellas. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Mes Sébastien Besson, Antonio Rigozzi, Silja Schaffstein et Eolos Rigopoulos, avocats, 
requérante, 
 
contre  
 
1. B.________ Limited, 
2. C.________ Limited, 
toutes deux représentées par Mes Philippe Bärtsch, Anya George, Christopher Boog et Anne-Carole Cremades, avocats, 
intimées. 
Objet 
arbitrage international, 
 
demande de révision de la sentence rendue le 5 mai 2020 par un Tribunal arbitral avec siège à Genève (CPA no 2019-03). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 25 avril 2001, B.________ Limited (ci-après: B.________), société incorporée aux Bermudes dont l'adresse principale se situe aux Émirats Arabes Unis, et la société de droit iranien A.________ (ci-après: A.________) ont conclu un contrat, intitulé "Gas Sales and Purchase Contract" (ci-après: le GSPC), en vertu duquel cette dernière s'est engagée à fournir certaines quantités de gaz à sa partenaire contractuelle et à les transporter jusqu'au lieu de livraison prévu par les parties.  
En 2003, B.________ a cédé le GSPC à C.________ Limited (ci-après: C.________), société incorporée aux Îles Vierges britanniques dont l'adresse principale se trouve aux Émirats Arabes Unis. 
A.________ n'a jamais livré de gaz à B.________ et C.________. 
 
A.b. Par sentence du 31 juillet 2014, un tribunal arbitral, siégeant à Londres, a reconnu que A.________ avait violé ses obligations de livraison de gaz découlant du GSPC et continuait à ne pas respecter ses engagements.  
 
B.  
 
B.a. Le 28 juin 2018, B.________ et C.________, se fondant sur la clause arbitrale insérée dans le GSPC, ont introduit une nouvelle procédure d'arbitrage contre A.________ en vue d'obtenir le paiement de dommages-intérêts en raison de la non-livraison du gaz à compter du 1er août 2014 et du préjudice en résultant. Les demanderesses ont estimé provisoirement le montant de leur dommage à 18,6 milliards de dollars américains (USD), soit 5,7 milliards USD pour la période comprise entre le 31 juillet 2014 et le 28 juin 2018, ainsi que 12,9 milliards USD pour celle courant à partir du dépôt de la requête d'arbitrage jusqu'à l'échéance du GSPC prévue en décembre 2030.  
Un tribunal arbitral comprenant trois arbitres, administré par la Cour permanente d'arbitrage (CPA), a été constitué. Son siège a été fixé à Genève et l'anglais désigné comme langue de l'arbitrage. Il était composé des arbitres Charles Poncet et Klaus Sachs, désignés respectivement par les demanderesses et la défenderesse, et du président Laurent Aynès, associé d'un cabinet d'avocats français, nommé le 20 février 2019 par les arbitres précités. 
Le 18 avril 2019, les demanderesses ont informé le Tribunal arbitral qu'elles avaient résilié le GSPC le 11 septembre 2018. 
Statuant le 30 juillet 2019, le Tribunal arbitral s'est déclaré compétent pour connaître du différend opposant les parties. Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral. 
En date des 5 et 6 février 2020, le Tribunal arbitral a tenu une audience consacrée à la question de la validité de la résiliation du GSPC. 
Par sentence du 5 mai 2020, intitulée "Award on Termination", le Tribunal arbitral a jugé que le GSPC avait été valablement résilié le 11 septembre 2018. Il a précisé que le sort des frais serait réglé dans la sentence finale. 
 
B.b. Le 4 juin 2020, A.________ a formé un recours en matière civile au Tribunal fédéral aux fins d'obtenir l'annulation de cette sentence.  
Statuant par arrêt du 24 juillet 2020 (cause 4A_300/2020), le Tribunal fédéral a prononcé l'irrecevabilité du recours. En bref, il a estimé que la décision attaquée devait être qualifiée de sentence incidente. Or, A.________ n'avait pas soulevé de grief recevable selon l'art. 190 al. 3 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291). 
 
B.c. Le Tribunal arbitral a poursuivi l'instruction de la cause. En cours de procédure, soit le 27 février 2023, la défenderesse, se fondant sur l'annexe 2 au GSPC, laquelle attribuait à la Cour d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (ci-après: la CCI) la compétence de statuer sur une éventuelle demande de récusation, a sollicité la récusation du président Laurent Aynès, celui-ci ayant préalablement refusé de renoncer à son mandat.  
Statuant le 23 mars 2023, la CCI a ordonné la récusation du président du Tribunal arbitral. 
Le 4 mai 2023, l'arbitre Klaus Sachs a démissionné de ses fonctions. 
Le 30 mai 2023, A.________, se fondant sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, a présenté une demande de révision de la sentence incidente rendue le 5 mai 2020 aux fins d'obtenir son annulation, en soutenant que divers éléments permettaient de remettre en cause l'indépendance et l'impartialité du président du Tribunal arbitral (cause 4A_288/2023). 
 
B.d. Depuis septembre 2022, Charles Poncet anime régulièrement une émission diffusée sur une chaîne télévisée genevoise, dans laquelle il discute de divers sujets politiques et sociétaux. Lors de l'émission diffusée le 31 août 2023, intitulée "Cachez ce sein!", traitant d'un sujet sociétal polémique - l'attitude agressive de certains individus de confession musulmane envers des personnes de sexe féminin pratiquant la natation dans des piscines suisses en portant des tenues jugées par eux inappropriées -, sous la forme d'un one man show de quelques minutes, le prénommé a, au cours de son monologue (ci-après: le Monologue), fustigé le comportement "des pachas de la vertu islamiste", qu'il a également qualifiés de "microcéphales prudes". Lors de son intervention, il a notamment tenu les propos suivants:  
(...) 
Non contents d'obliger leurs malheureuses filles ou leurs compagnes à se couvrir des pieds à la tête dans un accoutrement grotesque qui assure à la fois qu'elles mourront de chaleur avant de se baigner tout en risquant la crève en sortant de la piscine, ces pères la pudeur ou ces mères la pudeur prétendent régenter la liberté de nos filles et de nos compagnes à se baigner comme il leur plaît. A cette fin, ils n'hésitent pas à recourir aux vexations et aux pires grossièretés. « Couvre-toi, salope » grommellera un thon en burkini croisant à la piscine une attrayante Suissesse vêtue d'un seyant bikini.« T'as pas honte de t'exhiber comme ça? » ajoutera bien vite le pacha barbu et bedonnant dont le regard torve vissé sur l'entrejambe de la jeune femme ne cache en rien l'accent disons exotique. 
(...) Et nous tolérerions maintenant que des tartuffes barbus empêchent les jeunes femmes qui le veulent de se bronzer à loisir? (...) Si une imbécile veut se vêtir des pieds à la tête pour aller nager, grand bien lui fasse. Mais il n'est pas question de tolérer qu'un quarteron de débiles mentaux, sectaires, puritains, bégueules, prétende imposer à autrui sa manière de faire et se mette à dicter les comportements. 
(...) 
Il est urgent de sévir et d'imposer, je dis bien imposer, la tolérance d'autrui à ces petits pachas. Qu'on les frappe de fortes amendes, de réprimandes et qu'on les exclue manu militari et sans procès des établissements publics s'ils s'en prennent à de jeunes femmes libres (...) qui, si nous n'y veillons pas, seront bien vite réduites à la soumission à ces tartuffes modernes.  
(...) ". 
Après avoir vainement demandé à l'arbitre Charles Poncet de donner sa démission, A.________ a sollicité sa récusation auprès de la CCI le 28 septembre 2023. 
Les sociétés demanderesses ainsi que l'arbitre incriminé ont conclu au rejet de la demande de récusation. 
Par décision du 7 novembre 2023, dont la motivation a été communiquée aux parties le 16 janvier 2024, la CCI a prononcé la récusation de l'arbitre Charles Poncet. Les motifs qui étayent cette décision seront résumés plus loin. 
 
C.  
Le 27 novembre 2023, A.________ (ci-après: la requérante) a introduit devant le Tribunal fédéral une nouvelle demande de révision de la sentence incidente prononcée le 5 mai 2020 (cause 4A_572/2023), fondée sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, motif pris de la découverte d'éléments susceptibles de mettre sérieusement en doute l'impartialité de l'arbitre Charles Poncet. Elle a sollicité la jonction des causes 4A_288/2023 et 4A_572/2023 et maintenu cette requête dans le pli qu'elle a adressé au Tribunal fédéral le 26 janvier 2024. A titre de mesure d'instruction, elle a demandé aux juges fédéraux appelés à trancher cette affaire de visionner le Monologue "pour mieux percevoir le ton et les mimiques" de l'arbitre mis en cause. 
Par pli du 19 décembre 2023, Laurent Aynès a indiqué que le Tribunal arbitral ayant rendu la sentence attaquée n'était plus en mesure de se déterminer sur le recours, compte tenu de la récusation de deux arbitres et de la démission du troisième. 
Dans leur réponse du 8 février 2024, les sociétés demanderesses (ci-après: les intimées) ont conclu, principalement, à l'irrecevabilité de la demande de révision et, subsidiairement, à son rejet. Elles ont également proposé de rejeter la requête de jonction des causes présentée par leur adversaire. 
La requérante a répliqué suscitant le dépôt d'une duplique de la part des intimées. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'anglais), il utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant le Tribunal arbitral, celles-ci se sont servies de l'anglais, tandis que, dans les mémoires qu'elles ont adressés au Tribunal fédéral, elles ont employé le français. Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra, par conséquent, son arrêt en français. 
 
2.  
Le siège du Tribunal arbitral se trouve à Genève. Aucune des parties n'avait son siège en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont donc applicables (art. 176 al. 1 LDIP). 
 
3.  
La requérante sollicite la jonction de la présente procédure avec la cause 4A_288/2023. En l'occurrence, les deux demandes de révision sont certes étroitement liées, puisqu'elles sont dirigées contre la même sentence et reposent sur une base légale identique (art. 190a al. 1 let. c LDIP). Cela étant, les circonstances invoquées à l'appui de chacune des demandes de révision diffèrent sensiblement et visent des arbitres distincts. La réponse à apporter aux divers problèmes soulevés dans les deux affaires en question - qui ne se recoupent pas forcément - est également susceptible de varier. Dans ces conditions, la Cour de céans estime qu'il n'est pas opportun, du point de vue de l'économie de la procédure, de faire droit à la requête tendant à la jonction des causes. 
 
4.  
Toute loi de procédure prévoit un moment à partir duquel les décisions de justice sont définitives, qu'elles émanent d'autorités étatiques ou de tribunaux privés. Effectivement, il arrive toujours un moment où la vérité matérielle, si tant est qu'elle puisse être établie, doit s'effacer devant la vérité judiciaire, quelque imparfaite qu'elle soit, sous peine de mettre en péril la sécurité du droit. Il est cependant des situations extrêmes où le sentiment de la justice et de l'équité requiert impérativement qu'une décision en force ne puisse pas prévaloir, parce qu'elle est fondée sur des prémisses viciées. C'est précisément le rôle de la révision que de permettre d'y remédier (ATF 142 III 521 consid. 2.1 et les références citées). 
 
4.1. Depuis le 1er janvier 2021, la LDIP contient des dispositions relatives à la révision des sentences arbitrales internationales. Celles-ci s'appliquent aux demandes de révision introduites devant le Tribunal fédéral après le 1er janvier 2021, même lorsque la sentence attaquée a été rendue avant cette date (art. 132 LTF; ATF 148 III 436 consid. 3.1 et les références citées).  
 
4.2. Le Tribunal fédéral est l'autorité judiciaire compétente pour connaître d'une demande de révision visant une sentence arbitrale internationale (art. 191 LDIP), qu'elle soit finale, partielle ou incidente (ATF 149 III 277 consid. 3.2; arrêt 4A_36/2020 du 27 août 2020 consid. 2.2). Il est nécessaire que la décision attaquée lie le tribunal arbitral, car seules les décisions entrées en force peuvent en principe faire l'objet d'une demande de révision. Une sentence incidente réglant une ou plusieurs questions préalables de fond ou de procédure, telle la sentence attaquée, lie le tribunal arbitral qui l'a rendue, raison pour laquelle elle peut faire l'objet d'une demande de révision. En revanche, une simple ordonnance de procédure pouvant être modifiée ou rapportée en cours d'instance ne peut pas faire l'objet d'une demande de révision (ATF 149 III 277 consid. 3.2 et les références citées).  
 
4.3. Selon l'art. 119a al. 2 LTF, la procédure de révision est régie par les art. 77 al. 2bis et 126 LTF. Si le Tribunal fédéral admet la demande de révision, il annule la sentence et renvoie la cause au tribunal arbitral pour qu'il statue à nouveau, ou fait les constatations nécessaires (art. 119a al. 3 LTF).  
 
5.  
Invoquant l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, la requérante fait valoir qu'elle a découvert, plusieurs années après le prononcé de la sentence incidente attaquée, des éléments susceptibles d'éveiller des doutes légitimes quant à l'impartialité de l'arbitre Charles Poncet, ce qui justifierait de faire droit à sa demande de révision et, partant, d'annuler la décision entreprise. 
 
5.1. La révision d'une sentence arbitrale internationale peut être demandée pour l'un des motifs énoncés à l'art. 190a LDIP. La demande de révision, dont la recevabilité est subordonnée à l'existence d'un intérêt digne de protection, doit être déposée devant le Tribunal fédéral, sous peine de déchéance, dans les 90 jours qui suivent la découverte du motif de révision, compte tenu de la suspension de ce délai légal dans les hypothèses prévues à l'art. 46 LTF (art. 190a al. 2 LDIP; arrêts 4A_69/2022 du 23 septembre 2022 consid. 4.2.1 non publié in ATF 148 III 436; 4A_247/2014 du 23 septembre 2014 consid. 2.3). Le droit de demander la révision se périme par dix ans à compter de l'entrée en force de la sentence, à l'exception des cas prévus à l'art. 190a al. 1 let. b LDIP (art. 190a al. 2 LDIP). Lorsque plusieurs motifs de révision sont invoqués, le délai commence à courir séparément pour chacun d'eux (ATF 149 III 277 consid. 4.1.2 et les références citées). Le respect des délais visés par l'art. 190a al. 2 LDIP est une question qui relève de la recevabilité, et non du fond, au contraire de celle de savoir si la partie requérante a tardé à découvrir le motif de révision invoqué (arrêts 4A_247/2014, précité, consid. 2.3; 4A_688/2012 du 9 octobre 2013 consid. 4.3; 4A_570/2011 du 23 juillet 2012 consid. 4.1; 4A_222/2011 du 22 août 2011 consid. 2.1). Il appartient à la partie requérante d'établir les circonstances déterminantes pour la vérification du respect du délai (ATF 149 III 277 consid. 4.1.2 et les références citées).  
 
5.2. En l'occurrence, la requérante indique avoir pris connaissance, début septembre 2023, du Monologue diffusé fin août 2023. En tout état de cause, elle souligne que le motif de révision invoqué, à savoir le manque d'impartialité de l'arbitre concerné découlant des propos tenus par celui-ci dans le Monologue, ne pouvait être découvert qu'à partir du 31 août 2023. En introduisant sa demande de révision le 27 novembre 2023 auprès du Tribunal fédéral, l'intéressée estime avoir dès lors agi en temps utile.  
 
5.3. Les intimées ne prétendent pas que leur adversaire aurait formé sa demande de révision après l'expiration du délai de 90 jours visé par l'art. 190a al. 2 LDIP. Se fondant sur l'art. 76 al. 1 let. b LTF applicable par analogie en matière de révision et sur le considérant 5.5 de l'arrêt rendu le 8 avril 2021 par le Tribunal fédéral dans la cause 4A_516/2020, elles soutiennent toutefois que la demande de révision est irrecevable faute d'intérêt digne de protection de la requérante à l'annulation de la sentence attaquée. Selon elles, la requérante n'aurait rien à gagner à faire admettre sa demande de révision puisque l'issue d'une nouvelle décision sur la validité de la résiliation du GSPC par un tribunal arbitral nouvellement constitué ne différerait guère de celle de la sentence attaquée.  
Semblable affirmation tombe à faux. La requérante possède en effet un intérêt digne de protection à l'annulation de la sentence entreprise dans la mesure où celle-ci lui a donné tort. En juger autrement irait en outre à l'encontre de la nature formelle du motif de révision ancré à l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, puisque celui-ci ne présuppose pas que le motif invoqué ait eu une influence sur la décision querellée. En tout état de cause, les intimées tentent de porter le débat sur le fond du litige, ce qui n'est pas admissible, et d'invoquer dans ce cadre-là la sentence rendue à Londres dans un arbitrage parallèle, ce qui est hors de propos. Au demeurant, les termes utilisés par les intimées, et l'emploi répété du conditionnel par elles, laissent apparaître leur incertitude en ce qui concerne le sort que pourrait réserver le nouveau tribunal arbitral éventuellement constitué à la question de la validité de la résiliation litigieuse. 
Il convient dès lors d'entrer en matière sur la demande de révision. 
 
6.  
Dans leurs mémoires respectifs, les parties ont largement débattu de la portée des décisions prises par un organisme privé, telle la CCI, au sujet d'une demande de récusation d'un arbitre. 
En bref, la requérante soutient que la décision par laquelle la CCI admet une demande de récusation lierait le Tribunal fédéral et ne pourrait donc pas être indirectement revue par celui-ci dans le cadre d'une demande de révision fondée sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP. La solution inverse prévaudrait, selon elle, en cas de rejet d'une telle demande. A son avis, le Tribunal fédéral demeurerait ainsi libre de revoir les circonstances invoquées à l'appui d'une demande de récusation qui n'auraient pas été retenues par la CCI. De leur côté, les intimées défendent la thèse selon laquelle l'admission d'une demande de récusation par la CCI n'interdit pas au Tribunal fédéral de revoir indirectement, dans le cadre d'un recours ou d'une demande de révision, le bien-fondé de la décision prise par cet organisme de droit privé. Les parties admettent, en revanche, que la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral en la matière, dans le cadre de recours fondés sur l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, vaut aussi mutatis mutandis pour les demandes de révision fondées sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP.  
 
6.1. En l'espèce, la CCI, par décision du 7 novembre 2023, motivée le 16 janvier 2024, a prononcé la récusation de l'arbitre Charles Poncet. En substance, elle a estimé que les opinions émises par ce dernier dans le Monologue allaient au-delà de la simple critique du comportement adopté par un groupe spécifique d'individus dans les piscines helvétiques, dans la mesure où lesdites opinions étaient mélangées à d'autres expressions malheureuses pouvant être perçues comme dépeignant les musulmans de manière offensante. Selon la CCI, l'arbitre incriminé semblait exprimer son mépris à l'égard des vues religieuses islamiques concernant le port du burkini. Si elle a certes relevé que les propos tenus par l'arbitre mis en cause ne se référaient pas au port du voile islamique, la CCI a toutefois considéré que les références répétées au burkini pouvaient être associées plus généralement au port du voile islamique en lui-même. A son avis, une personne neutre regardant le Monologue aurait très probablement l'impression que l'arbitre concerné méprise et considère comme hypocrite ce qu'il perçoit comme de la bigoterie religieuse chez les musulmans qui exigent que les femmes soient voilées et il aurait le sentiment que les femmes portant le voile sont traitées avec dérision. Si le discours ne concernait pas tous les musulmans, la CCI a estimé qu'il devait surtout être perçu comme visant ceux ayant une vision stricte de leur religion, notamment s'agissant du port du voile pour les femmes. Elle a ainsi considéré que le discours de l'arbitre incriminé paraissait contenir des références indirectes désobligeantes et malheureuses vis-à-vis des musulmans ayant une vision stricte de l'islam et/ou des points de vue religieux islamiques.  
Poursuivant son analyse, la CCI a observé que le Monologue ne contenait aucune référence directe à l'Iran, mais a souligné que cet État est un pays musulman dans lequel le port du voile par les femmes est une exigence stricte imposée par l'État et qu'il prône le respect d'exigences religieuses que l'arbitre incriminé avait décriées publiquement et de manière véhémente dans le Monologue. Bien que l'arbitre incriminé n'ait pas fait directement référence aux ressortissants iraniens, elle a estimé que ce dernier avait toutefois pointé vigoureusement du doigt les exigences religieuses que l'Iran défend spécifiquement et auxquelles les représentantes de la requérante semblent visiblement se conformer dans la mesure où plusieurs d'entre elles arborent le voile. Tirant ensuite un parallèle avec l'affaire ayant donné lieu au prononcé de l'arrêt rendu le 22 décembre 2020 par le Tribunal fédéral dans la cause 4A_318/2020, la CCI a jugé que l'arbitre mis en cause ne s'était pas contenté d'exprimer son désaccord avec l'obligation relative au port du voile, mais avait employé un langage fort et un ton dur, susceptibles d'éveiller des doutes légitimes quant à son impartialité. Enfin, elle a écarté l'argument selon lequel le Monologue ne pouvait pas remettre en cause l'impartialité de l'arbitre incriminé sous prétexte que les intimées ont également leur adresse principale dans un État dont l'islam est la religion étatique (décision de la CCI, n. 19-37). 
 
6.2. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la décision prise par un organisme privé, comme la CCI ou le Conseil International de l'Arbitrage en matière de Sport (CIAS), au sujet d'une demande de récusation d'un arbitre, n'est pas susceptible d'un recours direct au Tribunal fédéral. Une telle décision pourra néanmoins être revue dans le cadre d'un recours dirigé contre la sentence, motif pris de la composition irrégulière du tribunal arbitral (ATF 138 III 270 consid. 2.2.1; 118 II 359 consid. 3b; arrêts 4A_404/2021 du 24 janvier 2022 consid. 5.1.2; 4A_146/2019 du 6 juin 2019 consid. 2.2; 4A_644/2009 du 13 avril 2010 consid. 1).  
L'expression "décision prise par un organisme privé... au sujet d'une demande de récusation d'un arbitre" inclut logiquement tant l'admission que le rejet d'une telle demande. Un arrêt rendu le 22 juin 2023 par le Tribunal fédéral n'autorise du reste aucune autre conclusion (cause 4A_100/2023). Dans cette affaire, la Cour de céans a eu à connaître d'un litige sportif dans lequel le recourant attaquait une sentence finale du Tribunal Arbitral du Sport, sur le fondement de l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, en faisant valoir que le CIAS avait prononcé à tort la récusation de l'arbitre proposé par lui. A cette occasion, elle a reconnu à la partie recourante le droit de contester la décision admettant cette demande de récusation (consid. 6.7.1). 
 
6.3. Les arguments avancés par la requérante afin de démontrer que, nonobstant le texte clair de ce dernier arrêt, l'admission de la demande de récusation par un organisme de droit privé ne devrait pas justifier l'application de cette jurisprudence tombent à faux.  
La requérante ne peut pas être suivie lorsqu'elle soutient, en substance, que le Tribunal fédéral pourrait s'abstenir de contrôler la régularité de la composition du tribunal arbitral lorsqu'un organisme de droit privé admet la demande de récusation et qu'un nouvel arbitre est désigné. L'ordre juridique suisse ne saurait en effet se reposer exclusivement sur la décision prise par un tel organisme et renoncer à veiller au respect de la composition régulière du tribunal arbitral et de la garantie primordiale que constituent l'indépendance et l'impartialité des arbitres. Or, un tribunal arbitral n'est pas moins irrégulièrement constitué lorsque n'y siège pas un arbitre indépendant et impartial qui a été valablement nommé, mais récusé à tort par la suite (hypothèse de l'admission injustifiée de la demande de récusation), que lorsqu'y siège un arbitre désigné correctement, mais qui aurait dû être écarté si la demande de récusation le concernant avait été admise à bon droit (hypothèse du rejet injustifié de la demande de récusation). 
C'est aussi en vain que la requérante prétend que la solution retenue dans l'arrêt 4A_100/2023 ne trouverait pas application en l'espèce. Soulignant que, dans l'affaire en question, le recours au Tribunal fédéral avait été déposé par la partie qui se plaignait de ce que la sentence attaquée avait été rendue sans la participation de l'arbitre qu'elle avait initialement désigné en raison d'une récusation prétendument injustifiée ordonnée avant la reddition de ladite sentence, elle soutient que la situation serait différente en l'espèce dans la mesure où l'arbitre incriminé, désigné par les intimées, a pu siéger au sein du Tribunal arbitral ayant rendu la sentence entreprise. Contrairement à ce que soutient l'intéressée, le Tribunal fédéral n'a jamais entendu limiter, dans l'arrêt précité, la possibilité de remettre en cause la décision d'un organisme privé admettant une demande de récusation au seul cas où celle-ci vise un arbitre choisi par la partie s'opposant à sa récusation n'ayant pas pu prendre part au prononcé de la sentence attaquée. Rien ne justifie, dès lors, d'opérer une distinction entre la présente espèce et l'affaire ayant donné lieu au prononcé de l'arrêt 4A_100/2023, sous prétexte que l'arbitre mis en cause a pu siéger au sein du Tribunal arbitral ayant rendu la sentence attaquée. 
Il appert ainsi que la partie estimant qu'une demande de récusation a été admise ou rejetée à tort par un organisme privé pourra en principe contester une telle décision en formant un recours au Tribunal fédéral à l'encontre d'une sentence attaquable, motif pris d'une composition irrégulière du tribunal arbitral (art. 190 al. 2 let. a LDIP), les cas de comportements incompatibles avec les règles de la bonne foi demeurant naturellement réservés. 
 
6.4. En l'occurrence, il n'appartient pas au Tribunal fédéral de se prononcer sur le point de savoir si l'arbitre mis en cause a été récusé à juste titre ou non par la CCI pour la suite de la procédure. Le rôle de la Cour de céans consiste uniquement à déterminer si les éléments invoqués par la requérante au soutien de sa demande de révision permettent d'établir l'existence d'un motif de récusation visé par l'art. 190a al. 1 let. c LDIP justifiant de faire droit à sa demande de révision de la sentence incidente rendue le 5 mai 2020. Pour remplir pareille tâche, le Tribunal fédéral ne sera pas tenu de faire nécessairement siennes toutes les considérations juridiques émises par la CCI. Il n'est en effet pas contradictoire d'admettre que, quand bien même un arbitre aurait par hypothèse été récusé à juste titre au cours de la procédure arbitrale, sa participation au prononcé d'une sentence incidente rendue avant la survenance du motif de récusation retenu à son encontre ne suffit pas à justifier l'annulation de ladite sentence.  
 
6.5. S'agissant des faits déterminants pour apprécier une demande de récusation formée à l'encontre d'un arbitre, le Tribunal fédéral, lorsqu'il est amené à revoir indirectement, dans le cadre d'un recours en matière civile dirigé contre une sentence et fondé sur l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, la décision prise par l'organisme privé compétent au sujet d'une telle demande, effectue semblable démarche sur le vu des seuls faits constatés dans la décision prise par cet organisme (arrêts 4A_200/2023, précité, consid. 6.2; 4A_520/2021 du 4 mars 2022 consid. 5.3; 4A_234/2010 du 29 octobre 2010 consid. 2.2 non publié aux ATF 136 II 605). En l'espèce, l'intéressée fonde sa demande de révision sur les mêmes circonstances factuelles que celles qu'elle a déjà invoquées devant la CCI. Par conséquent, le Tribunal fédéral se basera en principe sur les faits retenus dans la décision de la CCI pour statuer sur le sort de la demande de révision et vérifier ainsi s'il existe en l'occurrence un motif de révision visé par l'art. 190a al. 1 let. c LDIP. Il tiendra toutefois compte, si nécessaire, des explications supplémentaires d'ordre factuel fournies par les parties dans leurs mémoires respectifs.  
 
7.  
Invoquant l'art. 190a al. 1 let. c LDIP ainsi que l'art. 6 par. 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH; RS 0.101), la requérante soutient que la sentence incidente du 5 mai 2020 doit être annulée car les propos tenus par l'arbitre Charles Poncet dans le Monologue du 31 août 2023 éveillent des doutes légitimes quant à son impartialité. 
 
7.1.  
 
7.1.1. Un arbitre doit, à l'instar d'un juge étatique, présenter des garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité. Pour dire si un arbitre présente de telles garanties, il faut se référer aux principes constitutionnels développés au sujet des tribunaux étatiques, en ayant égard, toutefois, aux spécificités de l'arbitrage - surtout dans le domaine de l'arbitrage international - lors de l'examen des circonstances du cas concret (ATF 142 III 521 consid. 3.1.1; 136 III 605 consid. 3.2.1 et les références citées; arrêts 4A_166/2021 du 22 septembre 2021 consid. 3.1 non publié in ATF 147 III 586; 4A_318/2020 du 22 décembre 2020 consid. 7.1 non publié in ATF 147 III 65).  
La garantie d'un tribunal indépendant et impartial découlant des art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.; RS 101) permet d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1 et les références citées; arrêt 4A_318/2020, précité, consid. 7.1 non publié in ATF 147 III 65). 
La partie qui entend récuser un arbitre doit invoquer le motif de récusation aussitôt qu'elle en a connaissance. Cette règle jurisprudentielle vise aussi bien les motifs de récusation que la partie intéressée connaissait effectivement que ceux qu'elle aurait pu connaître en faisant preuve de l'attention voulue (ATF 129 III 445 consid. 4.2.2.1 et les références citées; cf. aussi l'art. 182 al. 4 LDIP). 
 
7.1.2. Dans l'affaire Mutu et Pechstein contre Suisse (arrêt du 2 octobre 2018), la Cour européenne des droits de l'homme a été amenée à se prononcer sur le prétendu manque d'indépendance et d'impartialité de deux arbitres du TAS. A cette occasion, elle a souligné que l'impartialité se définit d'ordinaire par l'absence de préjugé ou de parti pris (§ 141). Elle a aussi rappelé que, selon sa jurisprudence constante, l'impartialité doit s'apprécier non seulement d'un point de vue subjectif, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de la personne appelée à statuer en telle occasion, mais aussi en suivant une approche objective, consistant à se demander si le tribunal offrait, indépendamment de la conduite personnelle d'un juge, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (§ 141).  
 
7.1.3. Pour vérifier l'indépendance des membres d'un tribunal arbitral, les parties peuvent également se référer aux lignes directrices sur les conflits d'intérêts dans l'arbitrage international, édictées par l'International Bar Association (IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration, approuvées en 2004 et révisées une première fois en octobre 2014, puis une seconde fois en février 2024 [ci-après: les lignes directrices IBA]). Ces lignes directrices, que l'on pourrait comparer aux règles déontologiques servant à interpréter et à préciser les règles professionnelles (ATF 140 III 6 consid. 3.1; 136 III 296 consid. 2.1), n'ont bien sûr pas valeur de loi et ce sont toujours les circonstances du cas concret qui sont décisives; elles n'en constituent pas moins un instrument de travail utile, susceptible de contribuer à l'harmonisation et à l'unification des standards appliqués dans le domaine de l'arbitrage international pour le règlement des conflits d'intérêts, lequel instrument ne devrait pas manquer d'avoir une influence sur la pratique des institutions d'arbitrage et des tribunaux (ATF 142 III 521 consid. 3.1.2).  
Les lignes directrices IBA énoncent des principes généraux. Elles contiennent aussi une énumération, sous forme de listes non exhaustives, de circonstances particulières: une liste rouge, divisée en deux parties (situations dans lesquelles il existe un doute légitime quant à l'indépendance et l'impartialité, les parties ne pouvant pas renoncer aux plus graves d'entre elles); une liste orange (situations intermédiaires qui doivent être révélées, mais ne justifient pas nécessairement une récusation); une liste verte (situations spécifiques n'engendrant objectivement pas de conflit d'intérêts et que les arbitres ne sont pas tenus de révéler). Il va sans dire que, nonobstant l'existence de semblables listes, les circonstances du cas concret resteront toujours décisives pour trancher la question du conflit d'intérêts (ATF 142 III 521 consid. 3.2.1 et les références citées; arrêt 4A_100/2023, précité, consid. 6.1.4). 
Selon l'un des principes des lignes directrices IBA, un arbitre doit refuser de siéger ou se démettre lorsqu'il existe ou survient après sa nomination, des faits ou des circonstances qui, du point de vue d'un tiers raisonnable ayant connaissance des faits et des circonstances pertinents, donneraient lieu à des doutes légitimes quant à l'impartialité ou à l'indépendance de l'arbitre (chiffre (2b) des lignes directrices IBA). Les doutes sont légitimes si un tiers raisonnable, ayant connaissance des faits et des circonstances pertinents, estimerait probable que l'arbitre soit influencé dans sa prise de décision par des facteurs autres que le bien-fondé de l'affaire tel que présenté dans les demandes des parties (chiffre 2 (c) des lignes directrices IBA). 
 
7.1.4. Dans l'arrêt 4A_318/2020, partiellement publié in ATF 147 III 65, qui avait trait à une affaire de dopage impliquant un ressortissant chinois, le Tribunal fédéral a dû se prononcer sur un cas de récusation visant l'un des trois arbitres ayant siégé au sein de la formation ayant rendu la sentence finale entreprise. Dans cette affaire, l'arbitre incriminé, qui avait pris fait et cause pour la défense des animaux, avait cherché à fustiger, par différents tweets publiés avant la reddition de la sentence attaquée, en des termes extrêmement forts, une pratique chinoise en matière d'abattage de chiens destinés à être consommés à grande échelle à l'occasion d'un festival gastronomique de Yulin, pratique assimilée par lui à de la torture et ses auteurs à des bourreaux. Appréciant la situation, le Tribunal fédéral a estimé qu'elle justifiait l'admission de la demande de révision et la récusation de l'arbitre incriminé. Il a notamment considéré que les mots employés par l'arbitre concerné, notamment ceux faisant référence à la couleur de peau de certains individus chinois, étaient inadmissibles, ce d'autant que les propos en question avaient été tenus par le président d'une formation arbitrale appelée à statuer sur l'appel interjeté par un ressortissant chinois, alors même que la cause n'avait pas encore été jugée.  
 
7.2. Aux termes de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, une partie peut demander la révision d'une sentence si, bien que les parties aient fait preuve de la diligence requise, un motif de récusation au sens de l'art. 180 al. 1 let. c LDIP n'est découvert qu'après la clôture de la procédure arbitrale et qu'aucune autre voie de droit n'est ouverte.  
Les avis des parties divergent sur le point de savoir si le motif de récusation, au sens de l'art. 180 al. 1 let. c LDIP, doit avoir existé au moment du prononcé de la sentence attaquée pour pouvoir justifier une demande de révision de celle-ci fondée sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP. 
 
7.2.1. La requérante soutient, en substance, qu'une telle condition ne figure pas dans la loi et que la ratio legis de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP n'exige pas une démonstration précise que le motif de récusation ait existé au jour du prononcé de la sentence attaquée. Selon elle, le seul critère pertinent consisterait à se demander si les circonstances invoquées dans la procédure de révision permettent légitimement de douter de l'impartialité de l'arbitre, sans qu'importe le point de savoir quand le comportement de l'arbitre incriminé a eu lieu ou quand il a été établi.  
Se référant à l'ATF 142 III 521 qui met en opposition le principe de la sécurité du droit, d'une part, et la nécessité de veiller au respect de la garantie d'un tribunal indépendant et impartial, d'autre part, l'intéressée explique qu'il est vain de lui opposer le premier terme de l'alternative, comme le font les intimées, dès lors que le délai pour demander la révision d'une sentence a été fixé à 10 ans à partir de l'entrée en force de la sentence. 
 
7.2.2. Pour les intimées, les termes "clôture de la procédure arbitrale", figurant à l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, montrent que le législateur fédéral avait à l'esprit l'hypothèse la plus courante d'une demande de révision formée contre une sentence finale. Les intimées en déduisent que si une telle demande vise une sentence partielle ou incidente, le motif de récusation doit logiquement avoir existé lors du prononcé de la sentence faisant l'objet de la demande de révision. A les en croire, le but poursuivi par le législateur n'était évidemment pas de permettre la révision d'une sentence en raison de la découverte d'un motif de récusation n'ayant existé qu'après le prononcé de la sentence, de même que, s'agissant de la révision prévue à l'art. 190a al. 1 let. a LDIP, le motif y relatif concerne la découverte ultérieure de faits pertinents ou de moyens de preuve concluants qui existaient déjà au moment où la sentence attaquée avait été rendue. Pour les intimées, comme la ratio legis de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP est de ne pas laisser subsister une sentence dont on réalise tardivement qu'elle a été rendue par un tribunal arbitral ne répondant pas aux exigences d'indépendance et d'impartialité, il est conforme au but de cette disposition légale que le motif de récusation ait existé au moment du prononcé de la sentence. Une telle conclusion découlerait également de l'expression "diligence requise" utilisée dans la même disposition. En effet, si le motif de récusation ne devait pas nécessairement exister au moment du prononcé de la sentence incidente, partielle ou finale faisant l'objet de la demande de révision, l'exigence de diligence serait superflue, car une partie ne peut pas découvrir un motif de récusation inexistant même en faisant preuve de la plus grande diligence.  
Selon les intimées, il faut donc en conclure que la révision basée sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP exige que l'existence d'un motif de récusation soit établie au jour du prononcé de la sentence querellée. Autrement dit, pour qu'une demande de révision puisse être admise, les circonstances ultérieures invoquées doivent être de nature à remettre en cause l'impartialité et l'indépendance de l'arbitre incriminé au jour du prononcé de la sentence attaquée. 
 
7.3. Pour résoudre cette question de principe, il y a lieu d'interpréter l'art. 190a al. 1 let. c LDIP.  
La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte se prête à plusieurs interprétations, s'il y a de sérieuses raisons de penser qu'il ne correspond pas à la volonté du législateur, il convient de rechercher sa véritable portée au regard notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique; ATF 149 III 98 consid. 5.2 et les références citées; 141 III 444 consid. 2.1). Lorsqu'il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité (ATF 149 III 98 consid. 5.2 et les références citées; 141 III 444 consid. 2.1). 
 
7.3.1. A titre liminaire, il sied de relever que les termes " après la clôture de la procédure arbitrale ", figurant à l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, tendent à démontrer que le législateur fédéral avait apparemment à l'esprit uniquement l'hypothèse la plus courante d'une demande de révision formée contre une sentence finale, et qu'il n'a pas songé au cas où une sentence incidente fait l'objet d'une demande de révision fondée sur un motif de récusation découvert après le prononcé de celle-ci alors que la procédure arbitrale est toujours en cours. Rien n'indique, cependant, qu'une partie ne pourrait pas présenter une demande de révision dans ce dernier cas de figure en se prévalant de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP.  
La lettre de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP ne mentionne pas expressément que le motif de récusation doit avoir existé au jour du prononcé de la sentence attaquée. Cela ne permet toutefois pas d'écarter l'interprétation proposée par les intimées. Bien au contraire. Il sied en effet de souligner que l'expression "bien que les parties aient fait preuve de la diligence requise", utilisée dans cette disposition, semble plutôt plaider en faveur de la thèse prônée par ces dernières. En effet, si le motif de récusation ne devait pas nécessairement exister au moment du prononcé de la sentence faisant l'objet de la demande révision, l'exigence de diligence serait superflue, puisqu'aussi bien une partie ne peut pas découvrir un motif de récusation inexistant même en faisant preuve de la plus grande diligence. 
 
7.3.2. Les travaux préparatoires ne sont d'aucun secours pour résoudre la question litigieuse. Dans son Message du 24 octobre 2018 concernant la modification de la loi fédérale sur le droit international privé (chapitre 12: Arbitrage international), le Conseil fédéral se borne, en effet, à indiquer que "les dispositions sur la révision seront applicables si un motif de récusation n'est découvert qu'après la clôture d'une procédure", sans fournir d'autres précisions à cet égard (FF 2018 p. 7184).  
 
7.3.3. D'un point de vue systématique, il convient de souligner que l'art. 190a al. 1 LDIP énumère trois motifs de révision. Or, les deux premières hypothèses se rapportent à des cas où les circonstances factuelles à la base de la demande de révision se sont produites avant le prononcé de la sentence attaquée. L'art. 190a al. 1 let. a LDIP exclut en effet expressément de son champ d'application les faits ou moyens de preuve postérieurs à la sentence. Quant à l'hypothèse visée par l'art. 190a al. 1 let. b LDIP, celle-ci suppose que la sentence ait été influencée au détriment de la partie requérant la révision par un crime ou un délit établi pénalement. Il en découle logiquement que les faits pénalement répréhensibles doivent avoir eu lieu avant le prononcé de la sentence attaquée. Il appert ainsi que deux motifs de révision prévus par la loi visent manifestement des circonstances factuelles survenues avant le prononcé de la décision entreprise.  
 
7.3.4. Si l'on examine la ratio legis de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, il apparaît que l'objectif visé est de ne pas laisser subsister une sentence dont on réalise tardivement - et de manière excusable - qu'elle a été rendue par un tribunal arbitral ne satisfaisant pas aux exigences d'indépendance et d'impartialité. Il est ainsi conforme au but de cette disposition légale que le motif de récusation existe déjà au moment du prononcé de la sentence attaquée. On ne discerne en revanche pas quelle raison commanderait d'annuler une sentence rendue par un tribunal arbitral répondant aux garanties d'indépendance et d'impartialité lorsqu'il a statué, sous prétexte que l'un des arbitres a violé ultérieurement son devoir d'indépendance et d'impartialité.  
Il est en effet tout à fait envisageable, dans les nombreux cas où, comme en l'espèce, la procédure arbitrale donne lieu au prononcé de sentences incidentes avant la reddition de la sentence finale, qu'un motif de récusation puisse ne prendre naissance qu'après la reddition de l'une de ces sentences intermédiaires. A supposer, par exemple, qu'un arbitre ayant participé au prononcé d'une sentence incidente entretienne, quelques années après, une relation amoureuse avec une avocate associée de l'étude de l'une des parties en litige, avocate dont il vient de faire la connaissance et qui est impliquée dans la gestion du dossier de l'arbitrage en question, ledit arbitre devra vraisemblablement se récuser spontanément ou risquera de l'être sur demande de l'une des parties. Cette récusation, spontanée ou forcée, lui interdira certes de siéger au sein du Tribunal arbitral pour la suite de la procédure arbitrale. On n'imagine pas, en revanche, qu'une telle circonstance puisse donner matière à une demande de révision vouée au succès de la sentence incidente rendue plusieurs années auparavant par le tribunal arbitral au sein duquel siégeait le même arbitre. 
L'interprétation selon laquelle le motif de récusation doit exister au moment où la sentence querellée a été rendue pour justifier son annulation est du reste confirmée par la Règle Générale (1) des lignes directrices IBA, qui limite dans le temps le devoir d'impartialité et d'indépendance de l'arbitre au moment où la sentence finale a été prononcée. A ce sujet, l'Explication de cette règle précise que l'arbitre doit rester impartial et indépendant des parties tout au long de la procédure arbitrale, avant d'ajouter ce qui suit (lignes directrices IBA, version 2014) : 
 
" La question de savoir si cette obligation devrait s'étendre à la période pendant laquelle la sentence arbitrale est susceptible de recours devant les juridictions nationales compétentes s'est posée. Finalement, il a été conclu qu'une telle obligation ne devrait pas s'étendre de cette manière, à moins que la sentence arbitrale finale ne soit renvoyée au même Tribunal Arbitral en vertu de la loi applicable ou des règles institutionnelles applicables. Ainsi, l'obligation de l'arbitre à cet égard s'éteint lorsque le Tribunal Arbitral a rendu la sentence arbitrale finale... ". 
Autrement dit, selon les règles de cet organisme privé, le devoir d'impartialité et d'indépendance de l'arbitre ne survit en principe pas au prononcé de la sentence. Il faut logiquement en déduire, s'agissant de la règle posée à l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, que, pour justifier la révision d'une sentence finale sur cette base, le motif de récusation doit avoir existé au moment où la sentence a été rendue. Il doit en aller de même, par analogie, pour la révision d'une sentence partielle ou incidente, sauf à dire que, dans une telle hypothèse, le devoir d'impartialité et d'indépendance de l'arbitre subsiste jusqu'à la reddition de la sentence finale et que sa violation ultérieure peut justifier la récusation de l'arbitre incriminé pour la suite de la procédure arbitrale, sans que les sentences rendues antérieurement ne puissent être l'objet d'une demande de révision. 
Semblable interprétation est du reste conforme, sur un plan plus général, au but poursuivi par la législation suisse en matière d'arbitrage international, qui est de limiter autant que faire se peut les possibilités de contestation dans ce domaine (ATF 138 III 270 consid. 2.2.1). Il convient en outre de garder à l'esprit que la révision est un moyen de droit extraordinaire obéissant à des règles encore plus strictes que le recours (ATF 148 III 436 consid. 4.3.3), raison pour laquelle il convient d'interpréter restrictivement les dispositions légales y relatives. Pareille interprétation restrictive est d'autant plus de mise lorsque l'on a affaire, comme en l'espèce, à une demande de révision déposée plusieurs années après la reddition de la sentence qui en est l'objet, la révision d'une sentence devant rester l'exception à l'intangibilité d'une décision arbitrale afin de garantir la sécurité du droit. En l'occurrence, force est de relever que l'interprétation de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP proposée par la requérante - selon laquelle le motif de récusation allégué dans le cadre d'une demande de révision pourrait prendre naissance après le prononcé de la sentence attaquée - risquerait de mettre en péril la sécurité du droit et d'ouvrir la porte à certaines manoeuvres dilatoires en favorisant le dépôt de plus en plus fréquent de demandes de révision, même manifestement infondées, étant précisé que le droit de demander la révision pour cause de découverte d'un motif de récusation ne se périme que par dix ans à compter de l'entrée en force de la sentence (art. 190a al. 2 LDIP). 
 
7.3.5. Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral considère, au terme son examen, qu'une demande de révision fondée sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP ne peut être admise que si le motif de récusation invoqué existait déjà au moment du prononcé de la sentence finale, partielle ou incidente faisant l'objet de la demande de révision.  
 
7.4. En l'occurrence, il n'est pas contesté, ni contestable du reste, que la requérante fonde sa demande de récusation sur les propos tenus par l'arbitre Charles Poncet dans le Monologue diffusé le 31 août 2023, soit plus de trois ans après la reddition de la sentence attaquée (5 mai 2020). Il convient dès lors d'examiner si cet élément permet de retenir que le motif de récusation invoqué existait déjà à la date de la reddition de ladite sentence.  
 
7.4.1. La requérante soutient qu'en cas de préjugés d'un arbitre à l'égard d'une partie ou d'une communauté, le motif de révision y relatif doit être considéré comme existant au moment où la sentence attaquée a été rendue, indépendamment du moment où l'arbitre a exprimé de tels préjugés. Selon elle, retenir le contraire et exiger une démonstration de l'existence de tels préjugés au moment du prononcé de la sentence querellée rendrait illusoire la possibilité d'une révision dans des cas où, comme en l'espèce, l'arbitre a manifesté ses préjugés après la reddition de la sentence entreprise, étant donné qu'une telle circonstance relève du for intérieur de l'arbitre incriminé. Pour elle, il convient de retenir que les préjugés résultant du Monologue du 31 août 2023 préexistaient à la sentence du 5 mai 2020 et, à tout le moins, qu'il y a un doute légitime qu'ils existaient déjà alors, ce qui suffirait à fonder une apparence de prévention et à justifier l'annulation de ladite sentence. A l'en croire, pareille conclusion serait encore renforcée par le fait, singulier, que tous les arbitres ayant rendu la sentence querellée ont été écartés (récusations et démission). Aussi ne serait-il pas opportun que le Tribunal arbitral nouvellement constitué et qui sera inévitablement conduit à répéter des opérations procédurales soit lié par une sentence émanant d'un tribunal arbitral ni impartial ni indépendant.  
 
7.4.2. Les intimées rétorquent que le seul élément invoqué par la requérante au soutien de sa demande de révision est postérieur, et de beaucoup, à la sentence attaquée, raison pour laquelle il ne saurait constituer un motif de révision. Elles constatent, au demeurant, l'absence de toute autre circonstance antérieure ou contemporaine au prononcé de cette sentence qui serait de nature à susciter des doutes quant à l'impartialité de l'arbitre incriminé à ce moment-là. Selon elles, suivre la position de la requérante impliquerait, en pratique, qu'une sentence arbitrale pourrait être annulée à raison de tout propos tenu ou tout article publié, y compris au sujet de thèmes n'ayant aucun lien direct avec les parties ou le fond du litige, dans les dix années suivant l'entrée en force de la sentence, ce qui obligerait les parties à une surveillance constante des arbitres durant toute cette période en vue de dépister leurs éventuels écarts de conduite verbaux ou écrits et de pouvoir ainsi remettre en cause une sentence définitive, voire déjà exécutée de longue date. Les intimées estiment que cela nuirait à la sécurité juridique la plus élémentaire. La liberté d'expression des arbitres serait également mise à mal puisque ceux-ci se verraient imposer, durant une décennie, une sorte de "devoir de réserve" du fait de cette surveillance. Cela porterait de surcroît préjudice à la Suisse en tant que place d'arbitrage.  
En tout état de cause, les intimées estiment que les propos tenus par l'arbitre dans le Monologue ne suscitent aucun doute légitime quant à son impartialité au jour du prononcé de la sentence attaquée. S'agissant du problème de la preuve, elles considèrent que, lorsque la circonstance invoquée comme motif de récusation est survenue après ce moment-là, c'est logiquement à la partie qui sollicite la révision de démontrer que le motif de récusation existait déjà à la date de la reddition de la sentence, en d'autres termes que ladite circonstance révèle l'existence d'un préjugé ancré de longue date dans l'esprit de l'arbitre incriminé. Or, la requérante ne tenterait même pas de faire cette démonstration. En particulier, elle n'invoquerait aucun élément antérieur ou contemporain au prononcé de la sentence attaquée qui établirait l'existence, à cette date, d'une quelconque apparence de prévention de l'arbitre mis en cause à l'égard des musulmans ou du port du voile, et encore moins envers les Iraniens en général ou la requérante en particulier. Cette dernière méconnaîtrait, en outre, que les propos litigieux ont été suscités par des faits spécifiques, postérieurs de trois ans à la sentence, à savoir les critiques et menaces proférées par certains individus dans des piscines publiques suisses, à l'été 2023, à l'endroit de personnes de sexe féminin fréquentant ces établissements dans des tenues jugées par eux indécentes. Selon les intimées, l'arbitre incriminé aurait démontré, dans sa réponse du 10 octobre 2023 à la demande de récusation introduite auprès de la CCI, avoir pris fait et cause à plusieurs reprises pour les musulmans, tant professionnellement qu'à titre personnel, et s'être même vu critiquer en raison de son soutien à la communauté musulmane. Nonobstant leur relative ancienneté, ces diverses prises de position de l'arbitre incriminé seraient révélatrices de ses convictions profondes et démontreraient l'absence de tout préjugé de l'intéressé envers les musulmans, y compris ceux ayant une vision stricte de l'islam. Selon les intimées, il est clair, dans ces conditions, qu'un tiers raisonnable ayant connaissance de tous les faits pertinents n'aurait aucun doute légitime quant à l'impartialité de l'arbitre mis en cause au jour du prononcé de la sentence attaquée. Les intimées s'attachent enfin à dénier, en fait comme en droit, toute portée à d'autres circonstances invoquées par la requérante, qu'il s'agisse de la participation de femmes voilées au nom ou pour le compte de la requérante à l'audience arbitrale tenue en février 2020 ou de décisions procédurales du Tribunal arbitral prétendument erronées, voire partiales. 
 
7.4.3. Dans sa réplique, la requérante confirme, en la développant, sa thèse concernant le fardeau de la preuve de l'existence du motif de récusation au moment du prononcé de la sentence querellée. Elle revient, tout d'abord, sur la question de principe de la nécessaire préexistence du motif de récusation au moment du prononcé de la sentence, question qu'elle tranche par la négative. Elle cite à titre d'exemple un arrêt du 10 janvier 2023 (pièce 57) dans lequel la Cour d'appel de Paris a annulé la sentence rendue dans une affaire CCI (n....) sur la base d'une publication, postérieure de plusieurs mois au prononcé de ladite sentence, par l'arbitre mis en cause, d'un texte destiné à rendre hommage à un jurisconsulte réputé qui avait représenté l'une des parties à la procédure arbitrale avant de décéder subitement. Elle observe que l'annulation de ladite sentence était justifiée, selon les juges d'appel parisiens, par le fait que l'hommage de l'arbitre constituait une circonstance susceptible de " laisser penser aux parties que le président du tribunal arbitral pouvait ne pas être libre de son jugement et ainsi créer dans l'esprit [de la partie requérante] un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de cet arbitre " (n. 70). La requérante en déduit, en lien avec les propos tenus par l'arbitre mis en cause dans la présente affaire, que la date à laquelle un préjugé est exprimé publiquement ne correspond manifestement pas à celle à laquelle le préjugé se forme ou existe dans l'esprit de l'arbitre.  
La requérante conteste aussi que l'on puisse lui opposer le principe de la sécurité du droit alors qu'elle ne fait que se plaindre du non-respect des garanties fondamentales d'un procès équitable. Quant à la prétendue mise en danger de la liberté d'expression de l'arbitre par l'imposition d'un "devoir de réserve" durant les dix ans suivant le prononcé de la sentence attaquée, l'intéressée cherche à écarter cet argument en se référant à l'arrêt 4A_318/2020 dans lequel le Tribunal fédéral a fixé certaines limites à la liberté d'expression de l'arbitre en cours de procédure, même lorsque celui-ci n'agit pas en cette qualité. En toute hypothèse, elle estime que les circonstances invoquées étaient de nature à faire naître un doute sur l'impartialité de l'arbitre mis en cause et à créer une apparence de prévention remontant au moment du prononcé de la sentence attaquée. 
 
7.4.4. Dans leur duplique, les intimées réfutent les arguments avancés par leur adversaire. Elles soulignent que les circonstances ayant donné lieu au prononcé de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, cité par la requérante, diffèrent sensiblement de la présente espèce. Selon elles, la référence faite par la requérante à l'arrêt 4A_318/2020 est dénuée de pertinence dès lors que les propos tenus par l'arbitre incriminé dans l'affaire en question avaient été tenus avant la reddition de la sentence attaquée.  
 
7.5. Les positions des parties sur le problème considéré ayant été résumées, il convient d'en examiner les mérites.  
Il sied d'emblée de rappeler la nature même de la procédure de révision. Il s'agit d'un moyen de droit extraordinaire par lequel une partie tente de remettre en cause la force de chose jugée formelle qui s'attache à un jugement définitif. Une sentence finale bénéficie aussi d'un tel effet. Une sentence préjudicielle lie le tribunal arbitral qui l'a prononcée et est donc comparable, sous cet aspect, à une sentence finale entrée en force (ATF 128 III 191 consid. 4a; 122 III 492 consid. 1b/bb et les références citées; arrêt 4A_187/2020 du 23 février 2021 consid. 6.3.2). Étant donné son caractère exceptionnel, la révision est une arme à manier avec prudence parce que la généralisation de son usage mettrait en péril la sécurité du droit. Il convient donc d'examiner avec une certaine rigueur les conditions légales de son application, en l'occurrence l'art. 190a al. 1 let. c LDIP (cf. dans le même sens: BERGER/KELLERHALS, International and Domestic arbitration in Switzerland, 4e éd. 2021, n. 1966). Conformément à la règle ordinaire touchant le fardeau de la preuve, c'est à la partie qui entend bouleverser l'ordre normal des choses, en cherchant à obtenir l'annulation d'une sentence entrée en force par l'introduction d'une demande de révision fondée sur l'art. 190a al. 1 let. c LDIP, qu'il appartient d'établir l'existence des circonstances déterminantes pour l'application de ladite disposition légale dans la cause la concernant et, si elle n'y parvient pas, de supporter les conséquences de l'échec de la preuve. 
Il y a lieu d'admettre qu'une circonstance survenant postérieurement au prononcé de la sentence attaquée, fût-elle avérée, ne saurait en principe constituer à elle seule un motif de révision de ladite sentence, au sens de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP. Peu importe, à cet égard, que cette sentence soit finale, partielle ou incidente. Dans ce dernier cas, il n'y a aucune raison d'admettre la demande de révision puisque la sentence a été rendue par un tribunal arbitral régulièrement constitué. Que l'un de ses membres ait fait l'objet par la suite d'une demande de récusation couronnée de succès à raison d'une circonstance survenue après la reddition de ladite sentence n'y change rien. Il est en effet tout à fait concevable que la garantie d'indépendance et d'impartialité d'un arbitre disparaisse en cours de procédure, contraignant ainsi ce dernier à renoncer à siéger au sein du tribunal arbitral, sans que cela ne remette en question la validité de la participation antérieure de cette personne à la bonne marche de la procédure arbitrale. 
L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 janvier 2023, cité par la requérante, n'est d'aucun secours à la thèse défendue par cette dernière. Dans l'affaire en question, la juridiction française s'est en effet limitée à constater qu'une circonstance postérieure à la reddition de la sentence entreprise, à savoir l'hommage posthume fait par le président du tribunal arbitral au mandataire décédé d'une partie à l'arbitrage, démontrait l'existence, depuis de nombreuses années, soit bien avant le prononcé de la sentence en cause, de liens d'amitiés étroits entre ces deux personnes propres à fonder une apparence de partialité. Cette décision ne commande ainsi nullement d'écarter la règle selon laquelle il appartient à la partie qui sollicite la révision d'une sentence sur la base de l'art. 190a al. 1 let. c LDIP de démontrer que le motif de récusation invoqué existait déjà au moment du prononcé de la sentence attaquée. 
Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne saurait être question d'opter pour une solution différente lorsque les circonstances étayant une demande de révision ont trait à des propos tenus par un arbitre plusieurs années après le prononcé de la sentence attaquée, propos qui dénoteraient l'existence de préjugés chez l'arbitre mis en cause. Force est de signaler, à cet égard, le danger que comporte la thèse de la requérante selon laquelle il conviendrait d'admettre que les préjugés d'un arbitre vis-à-vis d'une partie ou d'une communauté pouvant être déduits des propos tenus par l'intéressé plusieurs années après le prononcé de la sentence attaquée devraient être considérés, à tout le moins en cas de doute légitime sur ce point, comme ayant déjà existé à cette époque. Pareil danger tient au fait que cette thèse attache à une circonstance nettement postérieure au prononcé de la sentence attaquée (des propos tenus par l'arbitre incriminé plus de trois ans après ce moment-là) une sorte de présomption irréfragable quant à l'existence d'une autre circonstance (les préjugés inadmissibles imputés à cet arbitre) lors de la reddition de ladite sentence. Cette solution reviendrait ainsi à inverser le fardeau de la preuve et à le faire supporter par la partie intimée à la procédure de révision. On ne saurait par ailleurs se contenter uniquement d'un doute légitime au sujet de la préexistence des préjugés déduite exclusivement de propos postérieurs au prononcé de la sentence attaquée. Une telle solution comporterait un risque de dérives évident. Se contenter en effet de se demander si un tiers raisonnable, ayant entendu les propos litigieux, estimerait probable que l'arbitre incriminé ait été influencé dans sa prise de position trois ans plus tôt par des facteurs autres que le bien-fondé de l'affaire ferait une place trop grande à la subjectivité et au procès d'intention, laissant ainsi la porte ouverte à toutes sortes d'abus. Il faut aussi bien voir que les opinions d'un arbitre, respectivement ses préjugés, ne sont pas immuables. Ses convictions sont ainsi susceptibles d'évoluer avec le temps. Il n'est dès lors pas possible d'admettre, en l'espèce, que les propos tenus par l'arbitre mis en cause dans le Monologue, plus de trois ans après le prononcé de la sentence attaquée, suffiraient à eux seuls, en l'absence de toute autre circonstance corroborative, à dénoter l'existence chez cet arbitre de préjugés respectivement d'une apparence de prévention de sa part déjà présents au moment de la reddition de la sentence. 
A s'en tenir comme il se doit à la règle ordinaire touchant le fardeau de la preuve, il y a dès lors lieu de retenir que la requérante n'a pas réussi à démontrer l'existence d'un préjugé ancré de longue date, c'est-à-dire déjà présent au moment du prononcé de la sentence entreprise, dans l'esprit de l'arbitre incriminé à son égard ni, plus généralement envers les musulmans, y compris les Iraniens. On ne voit pas non plus qu'elle puisse tirer quoi que ce soit en sa faveur du fait que des personnes de sexe féminin aient participé voilées - point contesté par les intimées - à l'audience arbitrale tenue en février 2020, ni de la présence à la même séance d'experts de sexe masculin favorables au port du voile, pas plus d'ailleurs que des décisions procédurales du Tribunal arbitral prétendument erronées, voire partiales, ni de la démission d'un autre arbitre et de la récusation du président du Tribunal arbitral, ces dernières circonstances étant postérieures à la reddition de la sentence attaquée. A l'inverse, les intimées ont produit la détermination datée du 10 octobre 2023 de l'arbitre mis en cause sur la demande de récusation le visant, ainsi que ses annexes, dont il appert que tant dans ses activités professionnelles qu'à titre personnel, cet arbitre avait pris parti publiquement en faveur de personnes de confession musulmane, allant même jusqu'à défendre la liberté d'expression de personnes professant des opinions islamiques radicales. On relèvera, à cet égard, sous l'angle de la preuve, que ces moyens de preuve, s'ils remontent certes au début des années 2000, sont apparemment les seuls éléments probatoires versés au dossier de la procédure. Ainsi, faute d'éléments contraires produits par la requérante, il n'a pas été établi que l'arbitre incriminé ait renié son soutien à la liberté d'expression des musulmans ni qu'il ait eu d'éventuels préjugés vis-à-vis de la communauté musulmane respectivement des Iraniens ou de la requérante lors du prononcé de la sentence attaquée. Il appert ainsi que la requérante n'a pas démontré l'existence d'un motif de récusation au moment où la sentence entreprise a été rendue. 
 
8.  
Au vu de ce qui précède, la demande de révision doit être rejetée. La requérante, qui succombe, supportera dès lors les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens aux intimées, créancières solidaires (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
La demande de révision est rejetée. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 200'000 fr., sont mis à la charge de la requérante. 
 
3.  
La requérante versera aux intimées, créancières solidaires, une indemnité de 250'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au président du Tribunal arbitral ayant rendu la sentence attaquée. 
 
 
Lausanne, le 11 juin 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : O. Carruzzo