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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_477/2022  
 
 
Arrêt du 30 janvier 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix, Jametti, Haag et Müller. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
Office fédéral de la justice, Domaine de direction Entraide judiciaire internationale, Bundesrain 20, 3003 Berne, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________ Limited, représentée par 
Me Fabian Teichmann, avocat, 
intimée, 
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Russie, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes, du 30 août 2022 (RR.2021.76). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 27 janvier 2020, le Parquet Général de la Fédération de Russie a adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire dans le cadre d'une instruction dirigée contre les frères B.B.________ et C.B.________, soupçonnés de détournements (913 millions d'USD et 505 millions d'USD) au préjudice de la banque D.________. Les autorités russes ont par la suite demandé le blocage du compte détenu par la société A.________ Ltd, dont les fonds, supposés provenir des détournements précités, pourraient être confisqués et restitués au lésé. Elle a encore requis la documentation relative à d'autres relations bancaires ouvertes au nom de A.________. 
L'exécution de ces demandes d'entraide a été déléguée au Ministère public du canton de Genève qui, par ordonnance du 18 juin 2020, a ordonné la saisie conservatoire des avoirs sur la relation n° xxx détenue par A.________ auprès de E.________ AG. 
Par ordonnance de clôture partielle du 9 avril 2021, le Ministère public a ordonné la transmission à l'autorité requérante de la documentation relative à cinq comptes détenus par A.________. Cette dernière a recouru auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral par acte du 10 mai 2021. Elle se plaignait de divers vices de procédure, du caractère insuffisamment motivé des commissions rogatoires, d'une violation du principe de la proportionnalité et du caractère abusif des procédures ouvertes en Russie contre les frères B.________, dans le seul but de confisquer leurs biens. 
 
B.  
Suite à l'intervention militaire intentée en février 2022 par la Fédération de Russie à l'encontre de l'Ukraine, diverses mesures ont été prises au plan international et en Suisse, qui peuvent être résumées comme suit. 
 
B.a. Le 23 février 2022, l'Union européenne a arrêté un premier ensemble de sanctions à l'encontre de la Fédération de Russie, après la décision de cet Etat de reconnaître comme entités indépendantes les régions de Donetsk et de Louhansk en Ukraine et d'y envoyer des troupes russes. Ces mesures comprennent des sanctions ciblées visant 351 membres de la Douma d'Etat russe et 27 personnes supplémentaires, des restrictions applicables aux relations économiques avec les régions de Donetsk et de Louhansk et des restrictions de l'accès de la Fédération de Russie aux marchés et services financiers de l'Union européenne. Le 25 février 2022, l'Union européenne a arrêté un deuxième ensemble de sanctions à l'encontre de la Fédération de Russie. Elle a gelé les avoirs de son président Vladimir Poutine, du ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, imposé des mesures restrictives à l'encontre des membres du Conseil national de sécurité de la Fédération de Russie et des autres membres de la Douma d'Etat russe qui avaient soutenu la reconnaissance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. Elle a aussi décidé d'un ensemble de mesures individuelles et économiques qui couvrent les secteurs de la finance, de l'énergie, des transports et des technologies, ainsi que la politique des visas. Au 16 décembre 2022, neuf trains de sanctions ont été pris par l'Union européenne à l'encontre de la Russie.  
 
B.b. Le 25 février 2022, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a suspendu la Fédération de Russie de ses droits de représentation en vertu de l'art. 8 du Statut du Conseil de l'Europe du 5 mai 1949 et, le 16 mars 2022, suivant l'avis de l'Assemblée parlementaire du 15 mars 2022, décidé que la Fédération de Russie cessait d'être membre du Conseil de l'Europe à compter du même jour; le 15 mars 2022, la Fédération de Russie avait informé la Secrétaire Générale de son retrait du Conseil de l'Europe conformément au Statut du Conseil de l'Europe et de son intention de dénoncer la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).  
 
B.c. Les 1er et 4 mars 2022, la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après: CourEDH) a pris des mesures provisoires urgentes concernant les opérations militaires russes sur le territoire ukrainien, à la suite de la demande déposée par le gouvernement ukrainien le 28 février 2022 (requête n° 11055/22, Ukraine c. Russie (X)). Elle y a appelé le gouvernement russe à s'abstenir de lancer des attaques militaires contre les personnes civiles et les biens de caractère civil et à assurer immédiatement la sécurité des établissements de santé, du personnel médical et des véhicules de secours sur le territoire attaqué ou assiégé par les soldats russes. Le 22 mars 2022, la CourEDH a déclaré qu'en application de l'art. 58 CEDH, la Fédération de Russie cesserait d'être une Haute Partie contractante à la CEDH à compter du 16 septembre 2022 (déclaration consultable à l'adresse https://echr.coe.int/Documents/Resolution_ECHR_cessation_membership_Russia_CoE_FRA.pdf).  
 
Par ordonnance du 16 mars 2022, la Cour internationale de justice a, à titre de mesures provisoires dans le cadre d'une procédure initiée par l'Ukraine en raison d'allégations mensongères de génocide, ordonné à la Fédération de Russie de suspendre immédiatement les opérations militaires qu'elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l'Ukraine. 
Le 7 avril 2022, l'Assemblée générale des Nations Unies a suspendu la Fédération de Russie du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. 
 
B.d. La Suisse a pour sa part repris les paquets de sanctions de l'Union européenne en soulignant l'existence de "graves violations du droit international public" (communiqué de presse du 28 février 2022 du Département fédéral des affaires étrangères, https://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/dfae/aktuell/news.html). Par ail-leurs, le MPC et l'OFJ ont annoncé à la presse les 22 et 23 mars 2022 que l'entraide judiciaire pénale avec la Russie était suspendue jusqu'à nouvel ordre en raison de la situation en Ukraine.  
 
B.e. Dans le cadre d'une procédure d'assistance administrative en matière fiscale avec la Russie pendante devant la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral (cause 2C_219/2022), la Présidente de cette cour a décidé, par ordonnance du 31 mai, de suspendre la procédure de recours jusqu'au 31 septembre 2022. Cette suspension a été reconduite par une nouvelle ordonnance du 22 novembre 2022, compte tenu notamment du fait que, le 16 septembre 2022, le Conseil fédéral avait décidé de suspendre temporairement l'échange automatique de renseignements avec la Fédération de Russie. Cette dernière ordonnance précise que la procédure pourra être reprise en tout temps, d'office ou sur demande, en fonction de l'évolution de la situation.  
 
C.  
Le 25 mars 2022, la Cour des plaintes a invité les parties à se prononcer sur la question de l'octroi de l'entraide judiciaire à la Russie. Le 4 avril 2022, l'Office fédéral de la justice (OFJ) a fait savoir que l'entraide avec cet Etat était suspendue, du moins jusqu'à ce que la situation soit éclaircie; les dossiers d'exécution déjà constitués ne seraient pas transmis et les nouvelles demandes ne seraient pas déléguées aux autorités compétentes. Les mesures de contrainte devaient être maintenues. Le Ministère public genevois a considéré que l'entraide devait être refusée, et A.________ a maintenu ses conclusions et exigé la levée de toutes les mesures de contrainte ordonnées en exécution des commissions rogatoires litigieuses. 
 
D.  
Par arrêt du 30 août 2022, la Cour des plaintes a admis le recours de A.________, a refusé l'entraide judiciaire à la Russie et a levé le séquestre frappant les avoirs de la recourante. Malgré son retrait du Conseil de l'Europe, la Russie restait partie à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ, RS 0.351.1), celle-ci étant ouverte aux Etats non-membres du Conseil de l'Europe. Se référant à deux arrêts précédents, la Cour des plaintes a considéré qu'en lançant son attaque militaire le 24 février 2022, la Russie avait violé ses obligations découlant du Mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994 relatif aux garanties de sécurité dans le cadre de l'adhésion de l'Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Elle avait en outre violé l'interdiction de recours à la force figurant à l'art. 2 ch. 4 de la Charte des Nations Unies, et n'avait pas donné suite à la décision de la Cour internationale de justice du 16 mars 2022 lui ordonnant de mettre fin immédiatement à son opération militaire. Elle avait ainsi violé les principes de maintien de la paix et de préservation de l'indépendance et de la souveraineté de l'Ukraine, commettant ainsi une grave violation du droit international. Il n'était plus possible de présumer que la Russie se conforme à la CEDH et le risque d'atteintes aux droits de l'homme ne pouvait être réduit par le recours à des garanties diplomatiques. 
 
E.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'Office fédéral de la justice demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour des plaintes et de dire que la procédure d'entraide est suspendue et les saisies ordonnées le 18 juin 2020 maintenues. 
La Cour des plaintes se réfère à son arrêt, sans observations. Le Ministère public genevois s'en rapporte à justice. L'intimée A.________ Ltd conclut à l'irrecevabilité et au rejet du recours, et à ce que le Ministère public genevois soit enjoint de procéder à la levée de la saisie bancaire. L'office recourant et l'intimée ont répliqué et dupliqué, maintenant leurs conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Selon l'art. 84 LTF, le recours en matière de droit public n'est recevable contre une décision rendue en matière d'entraide pénale internationale que s'il a pour objet une extradition, une saisie, le transfert d'objets ou de valeurs ou la transmission de renseignements concernant le domaine secret et s'il concerne un cas particulièrement important (al. 1); un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des raisons de supposer que la procédure à l'étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d'autres vices graves (al. 2). L'emploi de l'adverbe notamment indique que ces motifs d'entrée en matière ne sont pas exhaustifs. Le Tribunal fédéral peut en effet être appelé à intervenir lorsqu'il s'agit de trancher une question juridique de principe ou lorsque l'instance précédente s'est écartée de la jurisprudence suivie jusque-là (ATF 142 IV 250 consid. 1.3). 
 
1.1. Le recours porte sur une décision qui refuse définitivement l'entraide judiciaire et lève une saisie portant sur un compte bancaire. Il s'agit d'une décision finale relative à la saisie d'avoirs et à la transmission de renseignements, de sorte que la première condition posée à l'art. 84 al. 1 LTF est réalisée. Contrairement à ce que soutient l'intimée, même si le maintien de la saisie est au centre du litige, la décision attaquée ne statue pas sur des mesures provisionnelles mais sur le fond. La clause restrictive de l'art. 98 LTF ne s'applique donc pas.  
 
1.2. Le recours porte sur la question générale du sort à réserver aux demandes d'entraide judiciaire formées par la Fédération de Russie, et en particulier sur la question du maintien des séquestres effectués en exécution de ces demandes, dans le contexte actuel. L'OFJ relève qu'environ 350 millions de francs restent bloqués à ce titre en exécution de diverses demandes. La présente cause soulève ainsi une question de principe concernant l'ensemble des relations d'entraide judiciaire avec l'Etat requérant. Selon les indications de l'OFJ, le Président de la Conférence des Procureurs de Suisse a fait savoir qu'il attendait que la question du maintien des séquestres soit tranchée dans la présente procédure. Le recours soulève ainsi une question de principe (cf. également l'ordonnance de la IIe Cour de droit public du 31 mai 2022 consid. 2), de sorte que la seconde condition posée à l'art. 84 al. 1 LTF est également remplie.  
 
 
1.3. En vertu des art. 25 al. 3 et 80h let. a EIMP, l'OFJ, en tant qu'autorité de surveillance en matière d'entraide judiciaire pénale (art. 3 de l'ordonnance du 24 février 1982 sur l'entraide internationale en matière pénale - OEIMP; RS 351.11), a qualité pour recourir contre les décisions du Tribunal pénal fédéral (ATF 140 II 539 consid. 4.3; 133 IV 215 consid. 1.3). Le recours est pour le surplus formé en temps utile (art. 100 al. 2 let. b LTF) et, contrairement à ce que soutient l'intimée, il apparaît suffisamment motivé au regard de l'art. 42 al. 2 LTF puisqu'il fait valoir des motifs juridiques, soit les obligations de la Suisse en matière d'entraide telles qu'elles découlent de la loi et des conventions applicables. Par ailleurs, les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 LTF. L'office recourant peut ainsi demander l'annulation de l'arrêt attaqué et la suspension de la cause devant la Cour des plaintes, la cause restant pendante devant cette juridiction sans qu'il y ait lieu en l'état de formuler de conclusions à l'encontre de la décision de première instance.  
Il y a donc lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
L'office recourant relève que l'arrêt du TPF fait suite à plusieurs décisions refusant l'entraide à la Russie (arrêts RR.2021.91 et RR.2021.84 du 13 mai 2022; RR.2021.239 et RR.2021.246 du 17 mai 2022). Ces arrêts portaient toutefois sur la seule transmission de renseignements et n'empêchent pas l'Etat requérant de renouveler sa démarche par la suite, de sorte que le refus d'entraide n'est pas définitif sur ce point. En l'occurrence, le refus de transmission est assorti d'une levée de la saisie ordonnée le 18 juin 2020. Dans un tel cas, seule une suspension de la procédure permettrait de maintenir les fonds bloqués (comme le permettrait l'art. 18 EIMP), afin de préserver les intérêts des victimes ou de permettre une confiscation en attendant une évolution favorable de la situation en Russie et la réintégration de ce pays dans les Etats de droit; cela permettrait aussi à la Suisse de respecter les obligations conventionnelles qui la lient encore à la Russie, la CEEJ et son 2ème Protocole additionnel (RS 0.351.12) étant toujours applicables, de même que la Convention européenne relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (CBl, RS 0.311.53). Le principe de cette convention selon lequel "le crime ne doit pas payer" procéderait de l'intérêt de la communauté internationale et de l'Etat requis lui-même: ce dernier disposerait des valeurs bloquées et pourrait décider d'ouvrir une procédure nationale pouvant aboutir à une confiscation. 
L'intimée rappelle que l'office recourant ne conteste ni les faits constatés, ni la considération selon laquelle la Russie n'offre actuellement aucune garantie quant au respect de ses obligations de droit international, en particulier s'agissant du respect des droits de l'homme, considération déjà valable selon elle depuis l'annexion de la Crimée en 2014. Elle considère que les tribunaux saisis ne peuvent refuser de statuer sur le recours et sur l'admissibilité de l'entraide; une suspension serait incompatible avec l'obligation de célérité, avec le droit à un contrôle judiciaire et avec l'interdiction du déni de justice (art. 6 et 13 CEDH, art. 29, 29a et 30 Cst.). Aucune base légale (l'art. 18 EIMP ne s'appliquerait plus puisqu'une décision finale a été prise) ne permettrait de maintenir les mesures de contrainte lorsque les conditions d'octroi de l'entraide judiciaire ne sont pas remplies, de sorte que l'atteinte à la garantie de la propriété serait également inadmissible. La CBl n'imposerait pas l'octroi de l'entraide lorsqu'il existe de sérieux risques de violation de la CEDH. La décision de principe de l'OFJ de refuser l'entraide dès le 24 février 2022 impliquerait la levée des mesures de contraintes ordonnées auparavant, l'importance des montants en jeu n'étant pas pertinente. La possibilité d'une procédure de confiscation en Suisse ne serait pas démontrée, les soupçons reposant entièrement sur les commissions rogatoires russes. En outre, l'intimée expose que son ayant droit économique est l'épouse de B.B.________ et que la saisie de son compte, qui dure déjà depuis plus de deux ans, a un énorme impact sur sa vie (y compris son activité économique), celle de ses cinq enfants et de son mari. L'intimée estime enfin que le maintien de la saisie ne pourrait être décidé sans examen des griefs soulevés sur le fond devant la Cour des plaintes. 
 
2.1. Se référant à ses précédents arrêts précités, la Cour des plaintes a considéré que la Russie, en lançant son attaque militaire le 24 février 2022 contre l'Ukraine, avait cessé d'assumer sa responsabilité en matière de maintien de la paix et de la sécurité; elle avait violé ses obligations découlant du Mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994, ainsi que l'interdiction de recourir à la force inscrite à l'art. 2 ch. 4 de la Charte des Nations Unies, sans pouvoir se prévaloir de l'une des exceptions mentionnées aux art. 39-51 de la Charte. Elle n'avait pas non plus donné suite à l'ordonnance contraignante de la Cour internationale de justice du 16 mars 2022 lui ordonnant de mettre immédiatement fin à l'opération militaire. Elle s'était retirée du Conseil de l'Europe et n'était plus partie à la CEDH depuis le 16 septembre 2022. Il n'était donc plus possible de considérer que l'Etat requérant respecterait ses obligations découlant de la CEEJ et le risque d'atteinte aux droits de l'homme ne pouvait plus être réduit, même par un recours à des garanties diplomatiques. En d'autres termes, l'Etat requérant, qui faisait auparavant partie de la catégorie d'Etats à qui l'entraide judiciaire peut être accordée moyennant des assurances spécifiques, figurait désormais au rang des Etats qui ne peuvent plus l'obtenir.  
 
2.2. L'office recourant ne conteste nullement ces considérations, qui l'ont lui-même conduit à suspendre jusqu'à nouvel ordre l'entraide judiciaire pénale avec la Russie. Comme on l'a vu, la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a elle aussi suspendu, d'abord pour quatre mois, puis pour une durée indéterminée, une procédure de recours en matière d'assistance administrative; elle l'a fait à la demande de la partie recourante, et la procédure ne comportait pas de mesure de blocage de compte.  
 
2.3. En l'occurrence, le Ministère public genevois a prononcé, par ordonnance du 18 juin 2020, la saisie conservatoire des avoirs de l'intimée. S'il ne s'agissait que de la transmission des documents relatifs à cette relation bancaire, l'entraide judiciaire pourrait être purement et simplement refusée: l'autorité de la chose jugée ne s'appliquant que de manière restreinte aux décisions relatives à l'entraide judiciaire (ATF 121 II 93 consid. 3), rien n'empêcherait l'autorité requérante de formuler par la suite une demande similaire. Le refus prononcé par la Cour des plaintes implique toutefois également la levée de la saisie ordonnée par le Ministère public et les avoirs pourraient ne plus être disponibles si une nouvelle demande était présentée ultérieurement.  
Comme le relève la Cour des plaintes, la Fédération de Russie est toujours partie contractante à la CEEJ et à son Deuxième Protocole additionnel, ainsi qu'à la CBl, ces actes étant ouverts aux Etats non-membres du Conseil de l'Europe (art. 28 par. 1 CEEJ; art. 37 par. 1 CBl; ZIMMERMANN, La coopération internationale en matière pénale, 5ème éd., Berne 2019, n° 19; Moreillon (éd.), Entraide internationale en matière pénale, Bâle 2004, n° 260). A ce jour, la Russie n'a pas dénoncé ces conventions (art. 29 CEEJ; art. 43 CBl). Par ailleurs, l'art. 60 par. 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (CV, RS 0.111) ne permet de suspendre un traité ou d'y mettre fin qu'en cas de "violation substantielle" de celui-ci par une partie; en outre, s'agissant d'un traité multilatéral, une telle réaction peut être décidée unanimement par les autres parties (let. a), ou par une partie spécialement atteinte par la violation (let. b). En l'occurrence, il n'apparaît pas que la Russie ait commis une violation substantielle de la CEEJ à l'égard de la Suisse, qui justifierait une suspension de l'application du traité. Une telle suspension ne serait au demeurant pas de la compétence des tribunaux, mais des autorités politiques (art. 184 al. 1 Cst.). 
 
2.4. Il en découle que la Suisse est toujours en principe tenue d'accorder l'entraide le plus largement possible, selon les termes des art. 1 al. 1 CEEJ et 7 al. 1 CBl, et qu'elle doit prendre les mesures nécessaires au respect de ses obligations, dès lors que l'Etat requérant n'a pas retiré sa demande d'entraide et que celle-ci pourrait demeurer actuelle si les relations avec la Fédération de Russie devaient se normaliser à l'avenir.  
Il est par ailleurs possible qu'une procédure soit ouverte en Suisse à propos de ces avoirs; contrairement à ce que soutient l'intimée, les soupçons d'infractions de blanchiment ne découlent pas uniquement de la demande d'entraide russe puisque la procédure a pour origine une dénonciation du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS), et que le Ministère public du canton de Zurich a déjà ouvert une procédure pour blanchiment d'argent. On ne saurait donc exclure qu'un séquestre pénal soit prononcé à brève échéance sur les avoirs, lequel se superposerait avec la saisie ordonnée en matière d'entraide judiciaire (ATF 123 II 268 consid. 4b/dd; cf. également les arrêts 1C_349/2022 du 30 août 2022 consid. 5 - concernant une procédure d'entraide judiciaire -, et 1B_143 et 144/2022 du 30 août 2022 - concernant les séquestres prononcés dans la procédure pénale parallèle en Suisse). 
 
2.5. C'est dès lors à juste titre que l'office recourant demande la suspension de la procédure d'entraide et le maintien de la saisie ordonnée le 18 juin 2020; dans la mesure où cette saisie a été ordonnée à un moment où l'entraide judiciaire n'était pas manifestement inadmissible ou inopportune, les conditions de l'art. 18 al. 1 EIMP étaient réunies et la saisie doit, durant la suspension, être maintenue. La situation n'est pas différente des cas, prévus par la loi, où la demande d'entraide doit être complétée formellement ou matériellement par l'autorité requérante (art. 80o EIMP), ou lorsque celle-ci doit fournir des garanties (art. 80p EIMP; cf. arrêt 1C_349/2022 du 30 août 2022 consid. 5). Dans ces cas, en dépit du fait que l'entraide ne peut être accordée en l'état, l'adoption des mesures provisoires n'en est pas touchée pour autant, selon la règle de l'art. 28 al. 6 EIMP. De même, lorsque les documents bancaires sont transmis à l'issue d'une procédure d'entraide, les valeurs restent également bloquées jusqu'à ce que l'Etat requérant se détermine sur la suite qu'il entend donner à la procédure.  
 
2.6. Sur le vu de ce qui précède, la cause doit être renvoyée à la Cour des plaintes qui devra suspendre la procédure de recours, la saisie ordonnée le 18 juin 2020 étant maintenue. Les objections soulevées dans le recours devront être examinées au moment d'une éventuelle reprise de la procédure, un tel examen apparaissant prématuré à ce stade.  
Toutefois, afin que la mesure de saisie demeure proportionnée, l'OFJ devra se renseigner de manière régulière sur l'évolution de la situation et en informer la Cour des plaintes afin que celle-ci puisse décider d'une éventuelle reprise de la procédure. Si la situation actuelle devait se prolonger sans perspective d'évolution, la levée de la saisie devra être prononcée, sous réserve toutefois d'un séquestre pénal qui pourrait être prononcé par les autorités de poursuite suisses. En l'état, le séquestre dure depuis environ deux ans et demi, ce qui n'est pas disproportionné au regard de la pratique en matière d'entraide judiciaire ou dans des domaines voisins (cf. ATF 146 I 157 consid. 5; 126 II 462 consid. 5e). L'intérêt privé des titulaires de biens séquestrés doit en effet être mis en balance non seulement avec l'intérêt de l'Etat requérant à recueillir les preuves nécessaires à sa procédure pénale ou à obtenir la remise de valeurs en vue de confiscation ou de restitution, mais aussi avec le devoir de la Suisse de s'acquitter de ses obligations internationales. S'agissant d'une procédure administrative ouverte à la requête d'un Etat étranger, la pratique se montre ainsi plus tolérante s'agissant de la durée des séquestres qu'en matière de procédure pénale. La règle est que les objets et valeurs dont la remise est subordonnée à une décision définitive et exécutoire dans l'Etat requérant au sens de l'art. 74a al. 3 EIMP demeurent saisis jusqu'à réception de la décision étrangère ou jusqu'à ce que l'Etat requérant fasse savoir à l'autorité d'exécution qu'une telle décision ne peut plus être rendue selon son propre droit, notamment à raison de la prescription (art. 33a OEIMP; arrêt 1C_152/2018 du 18 juin 2018 consid. 6.1). 
L'intimée souligne l'impact de la mesure de saisie sur la vie de son ayant droit et de sa famille. Il est cependant loisible aux intéressés de former auprès de l'autorité d'exécution des demandes de levées partielles dûment motivées. 
 
3.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours de l'OFJ doit être admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour des plaintes qui devra suspendre la procédure de recours, la saisie ordonnée le 18 juin 2020 étant maintenue. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge de l'intimée qui succombe. Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour des plaintes afin qu'elle suspende la procédure; la saisie ordonnée le 18 juin 2020 est maintenue. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée A.________ Ltd. Il n'est pas alloué de dépens. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public de la République et canton de Genève et au Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes. 
 
 
Lausanne, le 30 janvier 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Kurz