Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_443/2017
Arrêt du 29 août 2018
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président, Karlen, Eusebio, Chaix et Kneubühler.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
1. A.____ ____,
2. B.__ ______,
3. C.__ ______,
4. D.__ ______,
5. E.___ _____,
6. F._ _______,
7. G.__ ______,
8. H._ _______,
9. I._ _______,
10. J.__ ______,
11. K._ _______,
12. L._ _______,
tous représentés par Mes Xavier Rubli et Nathanaël Petermann, avocats,
recourants,
contre
Conseil d'Etat du canton de Vaud,
Grand Conseil du canton de Vaud.
Objet
Modification de la loi pénale vaudoise; interdiction de la mendicité,
recours contre l'arrêt de la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 10 mai 2017 (CCST.2016.0008).
Faits :
A.
Le 27 septembre 2016, faisant suite à une initiative populaire intitulée "Interdisons la mendicité et l'exploitation de personnes à des fins de mendicité sur le territoire vaudois", le Grand Conseil du canton de Vaud a adopté une modification de l'art. 23 de la loi pénale vaudoise du 19 novembre 1940 (LPén; RS/VD 311.15). La nouvelle disposition a la teneur suivante:
1 Celui qui mendie sera puni d'une amende de 50 à 100 francs.
2 Celui qui envoie mendier des personnes de moins de 18 ans, qui envoie mendier des personnes dépendantes, qui organise la mendicité d'autrui ou qui mendie accompagné d'une ou plusieurs personnes mineures ou dépendantes, sera puni de l'amende de 500 à 2'000 francs.
B.
Par arrêt du 10 mai 2017, la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté, dans la mesure où elle était recevable, la requête déposée contre cette révision législative par A.________, B.________, C.________, D.________, E.________, F.________, G.________, H.________ (ci-après: les recourants 1 à 8), I.________, J.________, K.________ et L.________ (ci-après: les recourants 9 à 12). Rappelant qu'en Suisse, quatorze autres cantons interdisaient ou réprimaient déjà la mendicité, la cour cantonale a considéré que la disposition attaquée restreignait la liberté personnelle des recourants 1 à 8, mais dans une mesure compatible avec l'art. 36 Cst. Il en allait de même d'une éventuelle atteinte à la liberté de conscience et de croyance des recourants 9 à 12. La liberté économique, l'égalité de traitement, l'interdiction de la discrimination et le principe de la légalité des peines n'étaient pas non plus violés.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ et consorts demandent au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en annulant la loi du 27 septembre 2016, respectivement l'art. 23 al. 1 LPén. Subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause à la Cour constitutionnelle pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
La Cour constitutionnelle se réfère aux considérants de son arrêt. Le Grand Conseil conclut au rejet du recours en se référant à l'arrêt attaqué. Le Conseil d'Etat s'en remet à justice tout en relevant qu'en cas d'entrée en vigueur de la disposition litigieuse, il entend proposer un complément prévoyant la possibilité d'exceptions pour les cas de mendicité occasionnelle.
Par ordonnance présidentielle du 26 septembre 2017, l'effet suspensif a été accordé au recours.
Considérant en droit :
1.
La voie du recours en matière de droit public est ouverte à l'encontre des actes normatifs cantonaux (art. 82 let. b LTF). Lorsque le droit cantonal prévoit un recours dans ce domaine, l'art. 86 LTF est applicable (art. 87 al. 2 LTF) et le Tribunal fédéral ne statue qu'après épuisement des instances cantonales, en l'occurrence la Cour constitutionnelle cantonale. Les recourants peuvent alors conclure à l'annulation non seulement de la décision de dernière instance cantonale, mais aussi de l'acte normatif litigieux (ATF 141 I 36 consid. 1.2.2 p. 40).
1.1. L'art. 89 al. 1 LTF confère la qualité pour former un recours en matière de droit public à quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). Selon la jurisprudence, lorsque la contestation a pour objet un acte normatif (contrôle abstrait), l'intérêt personnel requis pour fonder la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 LTF peut être simplement virtuel; il suffit qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant soit un jour soumis aux dispositions contestées; un intérêt de fait est suffisant (ATF 141 I 78 consid. 3.1 p. 81).
En l'occurrence, les recourants 1 à 8 (de nationalités suisse et roumaine) s'adonnent de manière occasionnelle ou régulière à la mendicité en Ville de Lausanne et sont directement touchés par la modification de la loi pénale qui interdit cette pratique sur l'ensemble du territoire vaudois en la sanctionnant d'une amende. Ils ont ainsi un intérêt digne de protection à obtenir l'annulation ou la modification de la disposition contestée. Les recourants 9 à 12 invoquent la liberté d'expression et la liberté religieuse; selon eux, la disposition litigieuse les empêcheraient d'une part d'exprimer leur soutien à l'égard des mendiants et, d'autre part, de pratiquer l'aumône selon les dogmes de leurs religions respectives. Au stade de la recevabilité, ces affirmations apparaissent suffisantes pour leur reconnaître l'existence d'un intérêt digne de protection. La question de savoir s'il y a effectivement une atteinte aux libertés invoquées peut être résolue sur le fond (consid. 6 et 7).
1.2. Les exigences en matière de motivation prévues par l'art. 42 al. 2 LTF et celles, plus strictes, de l'art. 106 al. 2 LTF, valent aussi pour les recours dirigés contre les actes normatifs cantonaux. Conformément au principe d'allégation, le Tribunal fédéral n'examine la violation de droits fondamentaux que si ce grief a été invoqué et motivé par le recourant. Dans ce cas, l'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits et principes constitutionnels violés et préciser en quoi consiste la violation (ATF 143 I 1 consid. 1.4 p. 5).
La motivation du recours est exclusivement dirigée contre l'art. 23 al. 1 LPén qui réprime la mendicité. Les recourants ne soulèvent en revanche aucun argument à l'encontre de l'art. 32 al. 2 LPén qui réprime "celui qui envoie mendier des personnes", disposition qui revêt un caractère indépendant et figurait d'ailleurs déjà dans l'ancienne teneur de l'art. 23 LPén. Faute de toute motivation sur ce point, le recours est irrecevable en tant qu'il vise l'art. 23 al. 2 LPén.
Les recourants invoquent par ailleurs certaines dispositions de la Constitution du canton de Vaud (RS 131.231), sans toutefois indiquer dans quelle mesure celles-ci conféreraient une protection supérieure à la Constitution fédérale et la CEDH. C'est donc exclusivement à la lumière de ces dernières que leurs griefs seront examinés.
Sous les réserves exprimées ci-dessus, il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Invoquant l'art. 97 LTF, les recourants dénoncent une constatation incomplète et unilatérale des faits, en rapport notamment avec l'historique de la disposition contestée. Ils expliquent qu'après l'adoption de la loi consacrant l'interdiction de mendier dans le canton de Genève, des études menées sur le phénomène de la mendicité dans le canton de Vaud démentiraient l'existence de bandes mafieuses. De plus, le bilan de la mise en oeuvre de l'interdiction générale de la mendicité à Genève serait catastrophique: les amendes infligées aux contrevenants auraient engorgé les tribunaux, suscité des frais importants et donné lieu à l'envoi de commandements de payer en Roumanie. L'interdiction de la mendicité entraînerait en outre des phénomènes de report vers la prostitution ou la petite criminalité. Le règlement de police lausannois limitant la mendicité contredirait enfin la prétendue impossibilité de prévoir des mesures moins incisives que l'interdiction totale de cette activité. Les recourants reprochent également à l'instance précédente de ne pas avoir fait mention dans son arrêt de l'opinion minoritaire d'une juge de la Cour constitutionnelle.
2.1. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée (ATF 143 V 19 consid. 2.2 p. 23; 141 V 416 consid. 4 p. 421). Pour qu'une partie puisse demander une rectification de l'état de fait cantonal, il faut encore que celle-ci soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 142 I 135 consid. 1.6 p. 144 s.).
2.2. Les éléments que les recourants reprennent à l'appui de leur recours n'ont pas été formellement écartés par la cour cantonale. Dans la mesure où il s'agit de pièces produites devant l'instance précédente, les recourants peuvent d'ailleurs s'en prévaloir dans le cadre du présent recours (art. 99 al. 1 LTF). Le grief relève donc plutôt de l'application du droit et notamment du principe de la proportionnalité, question qui sera examinée ci-dessous (cf.
infra consid. 4.4). Par ailleurs, la juge cantonale minoritaire n'a pas fait usage de la possibilité que lui offre l'art. 134 Cst. de publier une opinion dissidente. Quoi qu'il en soit, une opinion minoritaire qui n'a pas trouvé son expression dans l'arrêt motivé (et que les recourants sont d'ailleurs libres de reprendre dans leur argumentation juridique) ne constitue pas un fait au sens de l'art. 105 LTF. Il en va de même des jugements étrangers invoqués par les recourants dans leur recours, lesquels ne lient au demeurant pas le Tribunal fédéral.
Pour autant qu'il relève de l'établissement des faits, le grief est rejeté.
3.
Dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, le Tribunal fédéral examine librement la conformité d'un acte normatif au droit supérieur. Dans ce contexte, ce qui est décisif, c'est que la norme mise en cause puisse, d'après les principes d'interprétation reconnus, se voir attribuer un sens compatible avec les droits fondamentaux invoqués (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14). Le Tribunal fédéral n'annule dès lors une norme cantonale que lorsque celle-ci ne se prête à aucune interprétation conforme à la Constitution ou au droit supérieur. Pour en juger, il faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits fondamentaux en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante, et des circonstances concrètes dans lesquelles ladite norme sera appliquée (ATF 143 I 1 consid. 2.3 p. 6). Le juge constitutionnel ne doit pas se borner à traiter le problème de manière purement abstraite, mais il lui incombe de prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme aux droits fondamentaux. Les explications de l'autorité cantonale sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, son application puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait des normes (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14; 134 I 293 consid. 2 p. 295).
4.
Les recourants considèrent que l'interdiction totale de la mendicité porterait une atteinte inadmissible à la liberté personnelle des personnes qui s'y adonnent, en les privant notamment du dernier moyen disponible pour subvenir à leurs besoins. Le prononcé d'amendes et l'éventuelle confiscation des recettes provenant de la mendicité porteraient aussi atteinte au minimum vital des personnes visées. L'interdiction serait ainsi incompatible avec les art. 7, 10, 12 Cst. et 8 CEDH.
4.1. La liberté personnelle inclut toutes les libertés élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine et dont devrait jouir tout être humain, afin que la dignité humaine ne soit pas atteinte par le biais de mesures étatiques. Sa portée ne peut être définie de manière générale mais doit être déterminée de cas en cas, en tenant compte des buts de la liberté, de l'intensité de l'atteinte qui y est portée ainsi que de la personnalité de ses destinataires (ATF 142 I 195 consid. 3.2 p. 199 s.). Le droit d'obtenir de l'aide en situation de détresse est étroitement lié au droit à la vie et à la liberté personnelle (art. 10 Cst.) qui en constitue l'un des principaux fondements, avec la garantie de la dignité humaine (art. 7 Cst.; ATF 136 I 254 consid. 6.2 p. 263). Quant à l'art. 8 CEDH, il garantit le respect de la vie privée et familiale, et en particulier le droit à l'autodétermination, notamment au libre choix du mode de vie.
4.2. En disposant que "
celui qui mendie sera puni d'une amende de 50 à 100 francs ", l'art. 23 al. 1 LPén revient à interdire la mendicité. Il s'agit dès lors de savoir si une telle interdiction constitue une atteinte à la liberté personnelle et, dans l'affirmative, si cette atteinte représente une restriction admissible à cette liberté.
Le fait de mendier consiste à demander l'aumône, à obtenir une aide, très généralement sous la forme d'une somme d'argent. Il peut s'agir d'un comportement occasionnel ou d'un véritable mode de vie. Le plus souvent, la mendicité résulte de l'indigence et vise à remédier à une situation de dénuement. Ainsi, le fait de mendier, comme forme du droit de s'adresser à autrui pour obtenir de l'aide, doit être considéré comme une liberté élémentaire, faisant partie de la liberté personnelle garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. (ATF 134 I 214 consid. 5.3 p. 216).
A l'instar de tout autre droit fondamental, la liberté personnelle n'est toutefois pas absolue. Une restriction de cette garantie est admissible si elle repose sur une base légale (qui, en cas d'atteinte grave, doit figurer dans une loi au sens formel), si elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et si elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.).
Il est à juste titre incontesté que l'interdiction de mendier découlant de la disposition litigieuse, qui figure dans une loi formelle, constitue en soi une base légale suffisante.
4.3. Les recourants soutiennent que l'interdiction de la mendicité dite "passive" - c'est-à-dire l'acte par lequel le mendiant s'installe sur le domaine public et tend la main ou la sébile sans interpeller les passants - ne répondrait pas à un intérêt public suffisant. En revanche, ils ne nient pas que l'interdiction de la mendicité "active" - c'est-à-dire lorsque le mendiant s'approche des passants et les sollicite - répond à un tel intérêt.
4.3.1. La notion d'intérêt public, au sens de l'art. 36 al. 2 Cst., varie en fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la paix publics, par exemple), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'Etat sont l'expression. Il incombe au législateur de définir, dans le cadre d'un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes, en tenant compte de l'ordre de valeurs posé par le système juridique (Moor et al., Droit administratif, vol. I, 3e éd. 2012, p. 756). Si les droits fondamentaux en jeu ne peuvent être restreints pour les motifs indiqués par la collectivité publique en cause, l'intérêt public allégué ne sera pas tenu pour pertinent (cf. ATF 142 I 49 consid. 8.1 p. 66).
4.3.2. Dans son arrêt du 9 mai 2008 relatif à la loi genevoise interdisant la mendicité (ATF 134 I 214), le Tribunal fédéral constate qu'il n'est malheureusement pas rare que des personnes qui mendient soient en réalité exploitées dans le cadre de réseaux; il existe en particulier un risque réel que des mineurs, notamment des enfants, soient exploités de la sorte, ce que l'autorité a le devoir d'empêcher et de prévenir (consid. 5.6 p. 218). En outre, on ne saurait nier que la mendicité peut entraîner des débordements, donnant lieu à des plaintes, notamment de particuliers importunés et de commerçants inquiets de voir fuir leur clientèle. Les autorités sont ainsi légitimées à réagir afin de préserver l'ordre public (consid. 5.6 p. 217 s.).
Dans sa circulaire du 4 juin 2010, l'Office fédéral des migrations indique que les mendiants mineurs ne sont généralement pas scolarisés et confirme qu'il n'est pas rare qu'ils soient exploités dans le cadre de réseaux qui les utilisent à leur profit. Tabin/Knüsel (Lutter contre les pauvres - Les politiques face à la mendicité dans le canton de Vaud, Lausanne 2014, p. 119) estiment en revanche qu'il n'y aurait pas de mendicité organisée en Ville de Lausanne. Il n'existe ainsi pas de données incontestables quant à la présence ou l'absence de réseaux dans le canton de Vaud. Toutefois, même s'il règne une incertitude à ce niveau-là, il existe un intérêt public à une réglementation, l'Etat ayant le devoir de lutter contre l'exploitation humaine (érigée en infraction à l'art. 182 CP), et ce également de manière préventive. De plus, la plupart des mendiants sont amenés à séjourner dans des lieux non adaptés, dans des conditions souvent très précaires et sur une longue durée. L'interdiction de la mendicité poursuit donc en premier lieu un intérêt public tendant à la protection des mendiants eux-mêmes.
Il est incontesté que l'interdiction de la mendicité dite active poursuit un intérêt public pertinent, afin de prévenir les attitudes insistantes, voire les harcèlements, notamment dans des endroits sensibles (banques, entrées de supermarchés, gares et autres édifices publics; ATF 134 I 214 consid. 5.6 p. 217). Contrairement à ce que soutiennent les recourants, la mendicité passive peut également susciter des troubles à la tranquillité publique. Comme le relève la cour cantonale, les passants peuvent éprouver des sentiments de gène, d'agacement, voire même d'insécurité à l'égard de la mendicité passive. Il ne serait d'ailleurs pratiquement pas possible, sans surveillance quasi-permanente des personnes qui s'adonnent à la mendicité, de s'assurer qu'elles se limitent à une attitude passive et s'abstiennent de tout comportement insistant (ATF 134 I 214 consid. 5.7.2 p. 219-220). La mendicité passive peut d'ailleurs également causer des troubles dans les espaces publics lorsque ceux qui s'y adonnent séjournent dans des parcs ou sur des parkings, ce qui peut également conduire à des problèmes de salubrité. On ne saurait par conséquent nier qu'il existe un intérêt public pertinent à interdire la mendicité sous toutes ses formes, qu'il s'agisse de prévenir l'exploitation ou de préserver l'ordre, la sécurité et la tranquillité publics.
4.4. Pour qu'une restriction à un droit fondamental soit conforme au principe de la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (art. 36 al. 3 Cst.; cf. aussi ATF 142 I 49 consid. 9.1 p. 69).
4.4.1. L'art. 23 LPén a été adopté par le Grand Conseil du canton de Vaud à la suite de l'initiative populaire intitulée "Interdisons la mendicité et l'exploitation de personnes à des fins de mendicité sur le territoire vaudois". Le but de cette initiative était principalement d'interdire purement et simplement la mendicité au niveau cantonal afin de prévenir toute exploitation de personnes démunies. L'interdiction de la mendicité permet manifestement d'empêcher l'exploitation de réseaux dans le canton de Vaud et d'atteindre ainsi le but premier visé par la loi.
La prohibition de la mendicité permet également de réduire des troubles à l'ordre public. Comme l'a retenu l'instance cantonale, quand bien même la réglementation genevoise identique ne serait pas systématiquement appliquée, on ne peut pas pour autant affirmer que tel sera aussi le cas sur le territoire vaudois. Les recourants allèguent que la mendicité à Genève n'a pas diminué après l'entrée en vigueur de la loi genevoise. Or, cette question dépend essentiellement de la volonté des autorités de poursuite d'appliquer la réglementation litigieuse. En tout état, la base légale litigieuse fonde l'intervention de la police, d'office ou sur requête de particuliers, ce qui peut permettre de diminuer le sentiment de gène ou d'insécurité ressenti par une partie de la population, d'écarter les problèmes de salubrité relevés ci-dessus et de prévenir l'existence de réseaux mafieux.
4.4.2. Les recourants estiment qu'il existerait des mesures moins incisives pour atteindre le but visé et que l'on pourrait notamment admettre la mendicité passive ou imposer des restrictions géographiques et la fixation d'heures auxquelles les mendiants pourraient exercer leur activité. Ils considèrent que les autorités judiciaires ne devraient pas se soumettre à un devoir de réserve dans l'examen de cette question.
Le Tribunal fédéral examine librement la question de savoir si une restriction peut se justifier par un intérêt public suffisant. Cependant, il fait preuve de retenue lorsque se posent des questions d'appréciation et lorsqu'il s'agit d'évaluer des circonstances locales ou des politiques publiques qui relèvent principalement de la compétence des cantons. Ainsi, contrairement à l'avis des recourants, une réserve s'impose en l'occurrence dans la mesure où l'interdiction de la mendicité revêt une dimension politique, les autorités locales étant plus à même d'apprécier la situation concrète et l'efficacité des mesures à prendre pour atteindre le but d'intérêt public visé (cf. ATF 134 I 214 consid. 5.7.2 p. 220).
Il n'y a pas lieu de s'écarter de la jurisprudence qui considère qu'une limitation géographique ne ferait que déplacer le problème et qu'il en résulterait une concentration de la mendicité dans les zones tolérées (ATF 134 I 214 consid. 5.7.2 p. 218 s.). Une restriction temporelle ne permettrait pas non plus de lutter contre l'exploitation des personnes dans le besoin. Ces limitations ne seraient donc pas efficaces sous l'angle de l'ordre, de la sécurité et de la tranquillité publics. La jurisprudence considère en outre que la soumission de la mendicité à autorisation ne constitue pas une mesure efficace puisque la plupart des personnes qui s'adonnent à cette activité, étrangers de passage ou en situation illégale, ne pourraient bénéficier d'une telle autorisation; d'autres ne seraient pas en mesure d'en assumer les frais et d'autres encore préféreraient ne pas la solliciter. La mendicité se trouverait ainsi entravée dans une mesure qui, en définitive, ne serait pas très éloignée d'une interdiction pure et simple. La solution évoquée serait de plus susceptible d'engendrer des inégalités entre les différentes personnes voulant pratiquer la mendicité (ATF 134 I 214 consid. 5.7.2 p. 219).
Dès lors, on ne voit pas qu'une mesure moins incisive que celle qui a été adoptée permettrait de parvenir efficacement au but d'intérêt public visé, les solutions envisageables apparaissant insuffisantes. Une interdiction totale de la mendicité respecte ainsi le principe de la nécessité.
4.4.3. Les recourants soutiennent enfin que l'interdiction pure et simple de la mendicité ne serait pas dans un rapport raisonnable avec le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (proportionnalité au sens strict), au regard notamment du droit fondamental à des conditions minimales d'existence (art. 12 Cst.).
L'art. 12 Cst. et les dispositions cantonales sur l'aide sociale individuelle ont notamment pour but d'éviter que des personnes doivent recourir à la mendicité. Elles ont conduit à la mise en place d'un filet social et l'on est fondé à en déduire que, pour la très grande majorité des personnes qui s'y livrent, l'interdiction de la mendicité ne les priverait pas du minimum nécessaire, mais d'un revenu d'appoint, quand bien même des exceptions restent toujours possibles (ATF 134 I 214 consid. 5.7.3 p. 220-221). Selon la législation vaudoise, si l'intéressé est domicilié ou en séjour dans le canton au sens de l'art. 4 al. 1 de la loi du 2 décembre 2003 sur l'action sociale vaudoise (LASV, RS/VD 850.051), il peut prétendre au revenu d'insertion qui comprend principalement une prestation financière. S'il est requérant d'asile, l'assistance peut notamment prendre la forme d'un hébergement et de prestations financières, le montant de celles-ci étant fixé par des normes adoptées par le Conseil d'Etat (art. 5, 21 et 42 de la loi sur l'aide aux requérants d'asile et à certaines catégories d'étrangers du 7 mars 2006 [LARA; RS/VD 142.21]). Si, enfin, il séjourne illégalement sur le territoire vaudois, notamment lorsque sa requête d'asile a été écartée par une décision de non-entrée en matière, il a droit à l'aide d'urgence conformément à l'art. 49 LARA. L'octroi et le contenu de l'aide d'urgence sont définis à l'art. 4a al. 3 LASV. L'aide d'urgence est dans la mesure du possible allouée sous la forme de prestations en nature. Elle comprend en principe le logement, en règle ordinaire dans un lieu d'hébergement collectif, la remise de denrées alimentaires et d'articles d'hygiène, des soins médicaux d'urgence dispensés en principe par la Policlinique médicale universitaire (PMU) en collaboration avec les hospices cantonaux (CHUV). En cas de besoin établi, d'autres prestations de première nécessité peuvent être accordées. Dès lors, dans la mesure où toute aide d'urgence ne semble pas exclue pour les mendiants, même étrangers, on ne discerne pas en quoi l'interdiction qui leur est faite porterait atteinte à leur droit d'obtenir de l'aide dans des situations de détresse (ATF 139 I 272 consid. 3.2 p. 276), le but de l'art. 12 Cst. étant justement d'éviter qu'une personne ne doive se livrer à la mendicité pour survivre.
4.5. Sur le vu de ce qui précède, l'interdiction de la mendicité résultant de la disposition litigieuse est justifiée par un intérêt public pertinent et respecte le principe de la proportionnalité. Elle constitue donc une restriction admissible de la garantie de la liberté personnelle sous tous ses aspects, notamment du droit au respect de la sphère privée et familiale et de la dignité humaine, que ce soit sous l'angle du droit constitutionnel ou conventionnel. Le grief est dès lors rejeté.
5.
Les recourants 1 à 8 voient dans l'interdiction totale de la mendicité une atteinte inadmissible à leur liberté économique garantie à l'art. 27 Cst. en tant qu'elle les prive de leur seule source de revenu. Ils estiment que sur ce point également le Tribunal fédéral devrait revoir la position adoptée précédemment, qui exclut la mendicité du champ d'application de cette disposition. La mendicité tendrait selon eux à l'obtention d'un gain économique en contrepartie d'une donation manuelle au sens de l'art. 242 CO.
5.1. Le 1er juin 2009 est entré en vigueur le Protocole à l'accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) concernant la participation, en tant que parties contractantes, de la République de Bulgarie et de la Roumanie, à la suite de leur adhésion à l'Union européenne du 27 mai 2008 (PA 2 ALCP; RS 0.142.112.688.1). Dès lors, les recourants 3 à 8 peuvent désormais se prévaloir de la liberté économique, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.
5.2. La "
liberté du commerce et de l'industrie " a été explicitement reconnue sur tout le territoire de la Confédération avec la Constitution suisse de 1874 (art. 31 aCst.). Le but en était que la production et la vente de biens et les prestations de services soient libres, à l'intérieur et entre chaque canton (David Hofmann, La liberté économique suisse face au droit européen, 2005, p. 20). Par la suite, les compétences de la Confédération en matière économique se sont étendues et, après la révision constitutionnelle du 6 juillet 1947, la Confédération s'est vu octroyer le droit, "
si l'intérêt général le justifie ", de déroger dans plusieurs domaines au principe de la liberté du commerce et de l'industrie (Hofmann, op. cit., p. 22). Lors de la révision de la Constitution de 1999, le législateur a décidé d'employer l'expression de "
liberté économique ", modification terminologique qui n'a pas pour autant changé l'étendue de la protection (Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, 178).
Alors que dans d'autres pays, seuls certains aspects de la liberté économique sont protégés (comme la " Berufsfreiheit " garantie par la Constitution allemande - art. 12), le droit suisse consacre un droit général à la liberté économique en tant que droit individuel (art. 31 aCst., art. 27 Cst.). La liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (cf. ATF 143 I 388 consid. 2.1 p. 391). Ainsi, toute activité lucrative qui tend à la production d'un gain ou d'un revenu en vertu du droit privé est protégée contre les mesures étatiques restrictives (ATF 143 II 598 consid. 5.1 p. 612; 142 I 99 consid. 2.4.1 p. 111). L'individu protégé est celui qui est engagé dans le processus économique, celui qui produit ou échange des biens ou des services, dans un but lucratif (ANDREAS Auer et al., Droit constitutionnel suisse vol. II 3ème éd. 2013, p. 423). La fonction individuelle de la liberté économique ne protège pas seulement l'individu en tant que tel, mais aussi les relations économiques à but lucratif qu'il entretient avec d'autres agents économiques (Randall/Le Fort, L'interdiction de la mendicité revisitée, in Plaidoyer 4/12, p. 35; Défago Gaudin, L'interdiction genevoise de la mendicité avalisée par le Tribunal fédéral; pas de réelle nouveauté, in Jusletter du 8 septembre 2008, p. 2). Les rapports de production et d'échange étant par définition sociaux, la liberté économique, même réduite à sa fonction individuelle, n'apparaît donc pas comme une liberté centrée exclusivement sur l'individu (Auer et al., loc. cit.).
5.3. Celui qui s'adonne à la mendicité a évidemment pour but d'obtenir un gain économique. Néanmoins, il ne produit ni n'échange des biens ou des services dans un but lucratif. Or, ce sont justement ces rapports de production et d'échange qui font vivre le système économique qui sont, comme on l'a vu, protégés par la liberté économique (cf. Felix Uhlmann, in Basler Kommentar, Bundesverfassung, 2015, no 3 ad art. 27 BV). Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que la mendicité ne constituait manifestement pas une activité protégée par l'art. 27 Cst., celle-ci se résumant à solliciter une aide, généralement financière, sans contre-prestation (ATF 134 I 214 consid. 3 p. 215 s.; cf. aussi Axel Tschentscher, Die staatliche Rechtsprechung des Bundesgerichts in den Jahren 2008 und 2009, in ZBJV 2009 p. 719 ss, 745). Cette jurisprudence a fait l'objet de critiques dans la doctrine. Plusieurs auteurs considèrent que l'effort professionnel (
die professionnelle Bemühung) tendant à obtenir un gain par la mendicité devrait être protégé par l'art. 27 Cst. (cf. René Rhinow et al., Öffentliches Wirtschaftsrecht, 2e éd. 2011, p. 88; Uhlmann, op. cit., no 8 ad art. 27 Cst.; Giovanni Biaggini et Al., Staatsrecht, 2e éd. 2015, p. 518).
5.4. En dépit de ces critiques, il n'y a pas lieu de revenir sur cette jurisprudence. Celle-ci a encore été confirmée récemment dans l'arrêt 6B_839/2015 du 26 août 2016 où le Tribunal fédéral a considéré qu'un mendiant n'exerçait pas une activité économique au sens de l'art. 2 par. 2 annexe I ALCP (consid. 3.4; cf. aussi ATF 143 IV 97 consid. 1 p. 99 ss). Dans sa conception qui prévaut encore actuellement, la liberté économique repose sur le critère d'un échange de prestations. Le simple fait d'exercer une activité, même en engageant des efforts particuliers, ne suffit pas pour en bénéficier. S'appuyant sur la thèse d'un auteur (Daniel Moeckli, Bettelverbote: Einige rechtsvergleichende Überlegungen zur Grundrechtskonformität, in ZBI 10/2010, p. 546), les recourants tentent d'expliquer que la contre-prestation escomptée de l'activité de mendiant prendrait la forme d'une donation manuelle au sens du droit des obligations (art. 242 CO). Ils méconnaissent ainsi que la définition même de la donation exclut une contre-prestation (cf. Pierre Tercier et al., Les contrats spéciaux, 5e éd. 2016, p. 202; Heinrich Honsell et al., Obligationenrecht I, Art. 1-529 OR , 6e éd. 2016, no 1 ad art. 239). La donation se définit en effet comme le contrat par lequel une personne s'oblige à faire entre vifs une attribution de biens à une autre sans contre-prestation correspondante. Enfin, les recourants invoquent à tort la jurisprudence parue aux ATF 56 I 431. Dans ce dernier cas, la recourante faisait valoir que la distribution d'écrits religieux ne constituait pas une activité lucrative économique privée, car seul un don était attendu et non une contre-prestation. Le Tribunal fédéral avait d'ailleurs laissé cette question indécise.
Certains auteurs estiment également que le donataire pourrait invoquer sa liberté économique (cf. Uhlmann, op. cit., no 8 ad art. 27 BV; Johannes Reich, Grundsatz der Wirtschaftsfreiheit, 2011, p. 76 s.). Cette question peut demeurer indécise dans le cas d'espèce faute de grief correspondant de la part des recourants 9 à 12 potentiellement concernés.
Le grief tiré de la violation de l'art. 27 Cst. doit dès lors être rejeté.
6.
Les recourants invoquent leurs libertés d'opinion et d'expression, telles que garanties par les art. 16 Cst. et 10 CEDH. Ils expliquent que, par l'acte consistant à mendier, ils exprimeraient non seulement un cri de détresse individuel, mais aussi un message global sur la situation des personnes démunies en Suisse et dans le monde. Quant aux recourants 9 à 12, ils exprimeraient, en donnant l'aumône, un soutien aux personnes contraintes de mendier et inviteraient, par leur geste, le reste de la population à en faire de même. Sans en faire un grief distinct, les recourants estiment que la cour cantonale n'aurait pas examiné ce grief de manière suffisante.
6.1. Conformément à l'art. 16 al. 2 Cst., toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion en recourant à tous les moyens propres à établir la communication, à savoir la parole, l'écrit ou le geste, sous quelque forme que ce soit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_719/2016 du 24 août 2017, consid. 3.1 et les références citées). Selon l'art. 10 CEDH, la liberté d'expression comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (al. 1). La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun (v. aussi déjà: ATF 96 I 586). Son domaine d'application n'est pas restreint aux informations ou aux idées accueillies favorablement ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais vaut aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (arrêt
Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 21, confirmé notamment dans l'arrêt
Stoll c. Suisse du 10 décembre 2007, Recueil CourEDH 2007-V, § 101). L'art. 10 CEDH ne protège pas uniquement la substance des idées et informations, mais également la forme par laquelle celles-ci sont émises (cf. arrêt
Taranenko c. Russie du 15 mai 2014, no 19554/05, § 64). Cette très grande extension du domaine d'application de la liberté d'expression s'explique par l'extrême diversité des situations visées, des informations et opinions susceptibles d'être émises et des façons de les exprimer, ainsi que les circonstances dans lesquelles elles le sont. Outre les prérogatives de celui qui s'exprime, le droit d'autrui d'accéder à l'information ou à l'opinion doit aussi être pris en compte.
La liberté d'expression doit néanmoins trouver ses limites. En effet, si tout comportement peut être interprété par un observateur comme véhiculant une information aussi minime soit-elle, étendre pour ce motif le domaine de la liberté d'expression à l'ensemble des comportements humains viderait largement de tout sens les autres droits fondamentaux ainsi que les régimes différenciés des restrictions admises à ces libertés. C'est pourquoi, sans exiger que l'information ou l'opinion en cause présente un caractère politique, il ne se justifie pas de la soumettre à la garantie de l'art. 10 al. 1 CEDH si sa communication ne présente pas le moindre caractère public, mais est restreinte au domaine strictement privé (Dieter Kugelmann, Der Schutz privater Individualkommunikation nach der EMRK, in EuGRZ 2003 p. 20). Un acte n'est pas protégé par la liberté d'expression si aucune valeur communicative ne peut lui être reconnue (Christian Walter, in Europäischer Grundrechtsschutz, Enzyklopädie Europarecht, 2014, n° 8 p. 480 s.) ou même s'il ne tend pas principalement à l'expression non verbale d'une idée ou d'un fait (Jörg Paul Müller et Markus Schefer, Grundrechte in der Schweiz, 4e éd. 2008, p. 360); le contenu symbolique du comportement est déterminant (Grabenwarter/Pabel, Europäische Menschenrechts-konvention, 5e éd. 2012, § 23, n° 5 p. 309).
6.2. Dans son arrêt 6B_530/2014 du 10 septembre 2014, la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a considéré que le comportement consistant à demander de l'argent aux passants en leur tendant un gobelet ne comportait aucune dimension symbolique ni aucun message, par exemple sur la situation des personnes démunies (consid. 2). De manière générale, la mendicité ne relève pas de l'ordre du discours mais constitue une activité matérielle consistant à obtenir une prestation. Les recourants soutiennent qu'ils émettraient un message global sur la situation des personnes démunies en Suisse et dans le monde. Rien ne permet toutefois d'admettre l'existence d'un tel message. En effet, le simple fait de se poster sur la voie publique pour se faire remettre de l'argent peut être interprété de diverses manières, mais on peut avant tout y voir un geste dépourvu de tout message et simplement destiné à améliorer la situation matérielle de son auteur. Le but de la mendicité n'est pas d'exprimer un besoin, mais plutôt d'en obtenir la satisfaction par le biais d'un don très généralement sous la forme d'une prestation en argent. La gêne éprouvée par certains à l'égard de la mendicité peut, comme on l'a vu, s'expliquer autrement que par l'existence d'un quelconque message qui leur serait adressé.
Les recourants 9 à 12 prétendent eux aussi exprimer un message lorsqu'ils procèdent à une donation à un mendiant en public. Un tel don peut toutefois lui aussi intervenir pour de multiples raisons et chacun est susceptible d'interpréter ce geste de façon différente. Le fait de donner de l'argent aux mendiants n'a donc pas forcément pour but de démontrer l'intérêt porté aux plus faibles de la société.
6.3. On ne peut en définitive discerner dans les comportements évoqués par les recourants aucune des caractéristiques qui font de la liberté d'expression l'un des fondements des sociétés démocratiques. Le grief est donc lui aussi rejeté.
7.
Les recourants 9 à 12 estiment que l'interdiction de la mendicité entraverait le libre exercice de leur liberté religieuse en les empêchant de pratiquer l'aumône conformément à leurs convictions et aux dogmes de leur foi. Ils expliquent qu'en faisant un don aux personnes les plus démunies, ils exprimeraient un message particulier de solidarité envers les plus pauvres. Ils se verraient ainsi privés de la possibilité d'exprimer leur soutien aux personnes contraintes de mendier. Le versement de dons auprès d'oeuvres de bienfaisance pour les indigents n'offrirait pas la même publicité qu'une donation effectuée sur le domaine public et ne permettrait pas d'exprimer ouvertement sa solidarité envers les personnes dans le besoin.
7.1. La liberté de conscience et de croyance au sens de l'art. 15 Cst. confère au citoyen le droit d'exiger que l'Etat n'intervienne pas de façon injustifiée en édictant des règles limitant l'expression et la pratique de ses convictions religieuses. Elle comporte non seulement la liberté intérieure de croire, de ne pas croire, et de modifier en tout temps et de manière quelconque ses propres convictions, mais aussi la liberté extérieure de professer ses convictions individuellement ou en communauté et d'accomplir ainsi les rites et les pratiques religieuses (ATF 142 I 49 consid. 3.4 p. 53 s. et 3.6 p. 55 s.). L'art. 9 CEDH a la même portée (cf. ATF 142 I 49 consid. 2.2 p. 52; 139 I 280 consid. 4.1 p. 281 s.).
7.2. En tant que l'aumône constitue un acte religieux auquel une personne croyante peut s'adonner, la disposition litigieuse pourrait porter atteinte au libre exercice de la foi, quelle que soit la religion concernée. Comme l'a retenu l'instance cantonale, la question de savoir si la liberté religieuse des recourants 9 à 12 est atteinte peut demeurer indécise. En effet, la disposition litigieuse ne s'applique qu'à une situation très particulière, soit un don au mendiant sur la voie publique, de sorte que l'atteinte qui en résulte n'apparaît pas significative; les recourant conservent la possibilité de soutenir les nécessiteux de toute autre manière, y compris publiquement en procédant à une récolte de dons en faveur des plus démunis sur la place publique. Ainsi, même si l'on admettait que la liberté religieuse se trouve atteinte, la restriction apportée serait conforme à l'art. 36 Cst. au regard de l'intérêt public poursuivi (cf.
supra consid. 4).
8.
Les recourants dénoncent également une violation de l'interdiction de discrimination au sens des art. 8 al. 1 et 2 Cst. et 14 CEDH. Selon eux, la mendicité passive serait moins gênante pour les passants que la distribution de matériel publicitaire ou la récolte de signatures ou de promesses de dons, qui sont protégées (ATF 135 I 302). En tant qu'elle frappe des personnes placées dans une situation de grande précarité financière, la prohibition de la mendicité serait discriminatoire. Elle consacrerait en outre une discrimination indirecte au détriment de la communauté rom qu'elle viserait au premier chef.
8.1. Selon l'art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou physique. Il y a discrimination lorsqu'une personne est traitée différemment en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d'exclusion ou de dépréciation (ATF 142 V 316 consid. 6.1.1 p. 323). Le principe de non-discrimination n'interdit toutefois pas toute distinction basée sur l'un des critères énumérés à l'art. 8 al. 2 Cst., mais fonde plutôt le soupçon d'une différenciation inadmissible. Les inégalités qui résultent d'une telle distinction doivent dès lors faire l'objet d'une justification particulière. L'art. 8 al. 2 Cst. interdit non seulement la discrimination directe, mais également la discrimination indirecte. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une réglementation, sans désavantager directement un groupe déterminé, défavorise particulièrement, par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe. L'atteinte doit toutefois revêtir une importance significative, le principe de l'interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir qu'à corriger les effets négatifs les plus flagrants d'une réglementation étatique (ATF 142 V 316 consid. 6.1.2 p. 323 s.; 138 I 265 consid. 4.2.2 p. 267).
8.2. La norme cantonale litigieuse s'applique à l'ensemble des mendiants, sans aucune référence expresse à une communauté particulière. Seule entre donc en considération une discrimination indirecte. Comme l'a à juste titre relevé l'instance précédente, rien ne permet de supposer que seuls les Roms seraient en réalité visés: la mendicité est également pratiquée, notamment, par les toxicomanes et les sans-abris et la norme, générale et abstraite, est censée s'appliquer à tous de manière égale (cf. arrêts 6B_31/2012 du 17 août 2012 consid. 3.4, 368/2012 du 17 août 2012 consid. 3.3 où le Tribunal fédéral a déjà considéré qu'une discrimination indirecte à l'égard des Roms n'était pas établie dans le cadre de l'application de la loi). On ne se trouve pas dans le cas où la réglementation comporterait des effets négatifs flagrants qu'il conviendrait de corriger; celle-ci ne vise que le cas de la mendicité et n'empêche pas les Roms d'avoir, au même titre que les ressortissants suisses et européens, accès à l'ensemble des activités économiques et au marché du travail. La comparaison avec la récolte de signatures dans la rue ou la distribution de matériel publicitaire n'est pas pertinente dans la mesure où il s'agit, comme on l'a vu, d'activités différentes de la mendicité. Le but recherché est évidemment différent. Les actions précitées ont le plus souvent un caractère ponctuel; certaines relèvent de l'exercice des droits politiques ou bénéficient de la liberté d'opinion et d'expression, voire de la liberté économique. Dès lors, les situations évoquées n'étant ni semblables ni comparables, la disposition litigieuse ne consacre pas d'inégalité de traitement prohibée. Le grief est infondé.
9.
Les recourants soutiennent enfin que la notion de mendicité telle qu'elle figure dans la loi pénale vaudoise serait imprécise, ce qui serait contraire à l'art. 7 CEDH qui garantit qu'il n'y a pas de peine sans loi ("nullum crimen sine lege"). On ignorerait en particulier si cette loi pourrait s'appliquer, par exemple, à des ONG qui demandent des dons par courrier, voire par financement participatif. Les recourants 9 à 12 redoutent en particulier que cette norme ne leur permette plus de verser des fonds aux oeuvres d'entraide qu'ils soutiennent. Ils se demandent également si le fait de solliciter passivement un don de nourriture à proximité d'un magasin serait aussi visé par la législation querellée.
9.1. Selon l'art. 7 par. 1 CEDH, nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction selon le droit national ou international. En droit interne, l'art. 1 CP consacre le principe de la légalité en droit pénal (ATF 141 IV 279 consid. 1.3.3 p. 282; 138 IV 13 consid. 4.1 p. 19 s.). Ce principe est violé lorsqu'une personne est poursuivie pénalement à raison d'un acte qui n'est pas incriminé par une loi valable. Il est aussi violé lorsque l'application du droit pénal à un acte déterminé procède d'une interprétation de la norme pénale excédant ce qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal (ATF 112 Ia 107 consid. 3a p. 112 et les références). L'exigence de précision ("nulla poena sine lege certa") constitue l'une des facettes du principe de la légalité. Elle impose que le comportement réprimé soit suffisamment circonscrit (cf. ATF 141 IV 279 consid. 1.3.3 p. 282; 117 Ia 472 consid. 4c p. 489).
9.2. La norme cantonale attaquée stipule que celui qui mendie sera puni d'une amende de 50 à 100 francs. Comme l'a relevé le Tribunal fédéral dans son arrêt de 2008, le fait de mendier consiste à demander l'aumône aux passants, à faire appel à la générosité d'autrui pour en obtenir une aide, très généralement sous la forme d'une somme d'argent, qui trouve le plus souvent son origine dans l'indigence de la personne qui mendie ou de ses proches, et vise à remédier à une situation de dénuement (ATF 134 I 214 consid. 5.3 p. 216 s.). L'activité prohibée par l'art. 23 al. 1 LPén apparaît ainsi suffisamment définie au regard des exigences précitées (cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 6B_368/2012 du 17 août 2012 consid. 5).
Les situations évoquées par les recourants (versements à des oeuvres de bienfaisance, récolte de fonds en faveur des nécessiteux) ne tomberaient sous le coup de la disposition litigieuse qu'au prix d'une interprétation extensive prohibée par le principe de la légalité de la loi pénale. Les voies de droit instaurées en matière pénale permettraient au demeurant un contrôle judiciaire suffisant pour sanctionner une application par trop extensive de la disposition litigieuse.
10.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Conformément à l' art. 66 al. 1 et 5 LTF , les frais sont mis à la charge des recourants, qui succombent. Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des recourants.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants ainsi qu'au Conseil d'Etat, au Grand Conseil et à la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 29 août 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
Le Greffier : Kurz