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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1C_472/2018  
 
 
Arrêt du 25 mars 2019  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Chaix, Président, 
Fonjallaz et Muschietti. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
 A.________, 
recourant, 
 
contre  
 
Conseil d'Etat du canton de Genève, 
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève, 
agissant par le Département du territoire du canton de Genève, case postale 3880, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
Modification du règlement d'application de la loi cantonale sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (RDTR), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton 
de Genève, Chambre constitutionnelle, du 15 août 2018 (ACST/19/2018 - A/1204/2018-ABST). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Par règlement du 7 mars 2018, le Conseil d'Etat du canton de Genève a adopté un règlement modifiant le règlement d'application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 29 avril 1996 (RDTR; RSG L 5 20.01), en introduisant un art. 4A (intitulé "Plates-formes de location") et ayant la teneur suivante: 
 
"La location de tout ou partie de logements au travers de plates-formes de location est considérée comme un changement d'affectation au sens de la loi [= la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR; RSG L 5 20)] si elle excède 60 jours par an". 
Publiée dans la Feuille d'avis officielle du canton de Genève (ci-après : FAO) du 13 mars 2018, cette modification réglementaire est entrée en vigueur le 1 er avril 2018.  
 
B.   
Par acte du 12 avril 2018, A.________, domicilié à Genève, a formé un recours contre cette modification réglementaire auprès de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la Cour de justice), en concluant à l'annulation de l'art. 4A RDTR. 
Le 13 juin 2018, le Conseil d'Etat a modifié la teneur de l'art. 4A RDTR, de façon à ne plus appréhender la location d'une partie de logements, mais uniquement celle de la totalité de logements, le reste de la disposition demeurant inchangé. Ainsi, publié dans la FAO du 19 juin 2018 et entré en vigueur le 20 juin 2018, l'art. 4A RDTR a pris la teneur suivante : 
 
"La location de la totalité d'un logement au travers de plates-formes de location est considérée comme un changement d'affectation au sens de la loi (= la LDTR) si elle excède 60 jours par an". 
Par arrêt du 15 août 2018, la Cour de justice a admis partiellement le recours. Elle a réformé l'art. 4A RDTR en ce sens que la limite de soixante jours par an qu'il prévoit est portée à nonante jours par an. 
 
 
C.   
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'art. 4A RDTR. Il conclut subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. 
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours. Le recourant a répliqué par courrier du 30 novembre 2018. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
La voie du recours en matière de droit public est ouverte à l'encontre des actes normatifs cantonaux (art. 82 let. b LTF). Lorsque le droit cantonal prévoit un recours dans ce domaine, l'art. 86 LTF est applicable (art. 87 al. 2 LTF) et le Tribunal fédéral ne statue qu'après épuisement des instances cantonales, en l'occurrence la Cour de justice. Le recourant peut alors conclure à l'annulation non seulement de la décision de dernière instance cantonale, mais aussi de l'acte normatif litigieux (ATF 141 I 36 consid. 1.2.2 p. 40). 
 
1.1. L'art. 89 al. 1 LTF confère la qualité pour former un recours en matière de droit public à quiconque est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). Lorsque l'acte attaqué est un acte normatif, l'intérêt personnel requis peut être simplement virtuel; il suffit qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse se voir un jour appliquer les dispositions contestées. Quant à l'intérêt digne de protection, il n'est pas nécessaire qu'il soit de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (ATF 141 I 78 consid. 3.1 p. 81).  
En l'occurrence, le recourant loue à Genève un logement qu'il pourrait souhaiter sous-louer plus de soixante (ou nonante) jours par année par le biais d'une plate-forme de location. Il est ainsi susceptible de se voir appliquer un jour l'art. 4a RDTR. Cela suffit pour admettre sa qualité pour agir. 
 
1.2. Conformément à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, les motifs du recours doivent exposer succinctement en quoi la décision attaquée viole le droit. Selon la jurisprudence, pour répondre à cette exigence, la partie recourante est tenue de discuter au moins sommairement les considérants de l'arrêt entrepris (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88 ss et 115 consid. 2 p. 116 s.; 134 II 244 consid. 2.1 p. 245 s.); en particulier, la motivation doit être topique, c'est-à-dire se rapporter à la question juridique tranchée par l'autorité cantonale (ATF 123 V 335; arrêt 6B_970/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4).  
Les exigences en matière de motivation prévues par l'art. 42 al. 2 LTF et celles, plus strictes, de l'art. 106 al. 2 LTF, valent aussi pour les recours dirigés contre les actes normatifs cantonaux. Conformément au principe d'allégation, le Tribunal fédéral n'examine la violation de droits fondamentaux que si ce grief a été invoqué et motivé par le recourant. Dans ce cas, l'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits et principes constitutionnels violés et préciser en quoi consiste la violation (ATF 143 I 1 consid. 1.4 p. 5). 
 
2.   
Dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, le Tribunal fédéral examine librement la conformité d'un acte normatif au droit constitutionnel; il s'impose cependant une certaine retenue eu égard notamment aux principes découlant du fédéralisme et de la proportionnalité. Dans ce contexte, ce qui est décisif, c'est que la norme mise en cause puisse, d'après les principes d'interprétation reconnus, se voir attribuer un sens compatible avec les droits fondamentaux invoqués (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14). Le Tribunal fédéral n'annule dès lors une norme cantonale que lorsque celle-ci ne se prête à aucune interprétation conforme à la Constitution ou à la Convention européenne des droits de l'homme. Pour en juger, il faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits fondamentaux en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante, et des circonstances concrètes dans lesquelles ladite norme sera appliquée (ATF 143 I 1 consid. 2.3 p. 6). 
Le juge constitutionnel ne doit pas se borner à traiter le problème de manière purement abstraite, mais il lui incombe de prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme aux droits fondamentaux. Les explications de l'autorité cantonale sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, son application puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait des normes (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14 et les arrêts cités). 
 
3.   
Dans un premier grief, le recourant reproche sommairement à la Cour de justice d'avoir interprété l'art. 4a RDTR à la lumière du "compte-rendu du point presse du 7 mai 2017 du Conseil d'Etat publié dans un journal". 
Fût-elle suffisamment motivée et recevable (voir consid. 1.2 supra), cette critique serait rejetée. En effet, l'article de presse cité par la Cour de justice relate la conférence de presse donnée par le Conseil d'Etat le 7 mars 2018 (et non le 7 mai 2017) lors de l'adoption de l'art. 4A RDTR. Les explications de l'autorité cantonale sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent être prises en considération dans le cadre d'un contrôle abstrait de celle-ci (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14). En présence d'une norme de rang réglementaire, dont les travaux préparatoires ne sont pas publiés, il apparaît admissible, dans le cadre d'une interprétation téléologique et historique, de rechercher l'intention de son rédacteur sur la base de comptes rendus d'une conférence de presse. Le compte rendu du point presse du 7 mars 2018 se trouve d'ailleurs aussi sur le site Internet de l'Etat de Genève. 
 
4.   
Le recourant se plaint ensuite, de façon tout aussi laconique, d'une violation du principe de la légalité. Il critique le raisonnement de l'instance précédente qui, tout en relevant que "la norme attaquée n'avait pas une densité normative optimale", a considéré qu'elle pouvait s'appliquer de manière prévisible et répondre ainsi aux exigences de la densité normative. Le recourant se borne cependant à affirmer, de manière appellatoire, que "pareille technique législative est dangereuse et inacceptable dans un état de droit". Ce grief ne répond manifestement pas aux exigences de motivation, imposant à la partie recourante de discuter au moins brièvement les considérants de la décision litigieuse (voir consid. 1.2 supra). Il doit être déclaré irrecevable. 
 
5.   
Très succinctement, le recourant fait encore grief à l'instance précédente d'avoir retenu que le Conseil d'Etat disposait de la compétence pour édicter la norme litigieuse. Fût-il recevable (voir infra consid. 1.2), le grief devrait être rejeté pour les motifs suivants. 
 
5.1. Comme le prévoit l'art. 109 al. 4 Cst./GE, le Conseil d'Etat est chargé d'édicter les règlements d'exécution des lois adoptées par le Grand Conseil. Ceux-ci ne peuvent contenir que des règles secondaires, qui ne font que préciser ce qui se trouve déjà dans la loi (ATF 134 I 322 consid. 2.4 p. 327 et les références). Le Conseil d'Etat peut aussi, bien que cela ne soit pas expressément prévu par la constitution cantonale, adopter des ordonnances de substitution dépendantes, lorsque le législateur le met au bénéfice d'une délégation législative (cf., en droit fédéral, l'art. 164 al. 2 Cst.); celle-ci doit notamment figurer dans une loi au sens formel, et le cadre de la délégation, qui doit être clairement défini, ne doit pas être dépassé. Les règles les plus importantes doivent en tout cas figurer dans la loi (ATF 134 I 322 consid. 2.4 p. 327 les arrêts cités).  
 
5.2. A bon droit, la Cour de justice a qualifié l'art. 4A RDTR de norme secondaire, qui précise et détaille la portée de l'art. 7 LDTR, qui interdit de manière générale les changements d'affectation. L'art. 3 al. 3 LDTR définit quant à lui le "changement d'affectation", par toute modification, même en l'absence de travaux, qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel; sont également assimilés à des changements d'affectation le remplacement de locaux à destination de logements par des résidences meublées ou des hôtels (let. a).  
Le Conseil d'Etat a précisé la notion de "résidence meublée" dans l'art. 4 RDTR. De même, il dispose de la compétence d'adopter l'art. 4A RDTR qui apporte des précisions relatives à l'utilisation des logements mis à disposition au travers de plates-formes de location. L'art. 4A RDTR n'introduit aucune nouvelle interdiction, contrairement à ce qu'affirme le recourant, mais se limite à préciser la notion de changement d'affectation telle qu'elle découle déjà de la LDTR, s'agissant de la mise à disposition de logements pour un hébergement de courte durée moyennant rémunération. 
 
6.   
Le recourant soutient enfin que l'atteinte à la liberté économique (art. 27 Cst.) portée par la disposition litigieuse ne respecterait pas le principe de la proportionnalité. Il affirme que la version de l'art. 4A RDTR telle qu'elle ressort de l'arrêt attaqué, soit avec l'augmentation de 90 jours par an de la durée admissible de la location ne serait plus apte à atteindre le but visé de lutter contre la soustraction de logements du marché locatif. 
 
6.1. Le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.) exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; ATF 136 IV 97 consid. 5.2.2 p. 104 et les arrêts cités).  
 
6.2. L'instance précédente a d'abord jugé qu'une limitation du nombre annuel de jours de location d'un logement par le biais d'une plate-forme d'hébergement était propre à la fois à respecter le souhait légitime du propriétaire ou du bailleur de valoriser son appartement durant un temps limité (en particulier pendant que lui-même n'en a pas l'utilisation en cas de résidence principale), et à éviter que son logement soit soustrait au marché de l'habitation pour tomber dans celui de la résidence meublée. Elle a ensuite considéré qu'au regard de l'intérêt public poursuivi de maintien du parc locatif, cela ne représentait pas une atteinte déraisonnable aux intérêts des propriétaires ou bailleurs desdits logements que de n'avoir que pour un nombre de jours limité le droit de fournir les prestations de services d'hébergement s'offrant de façon caractéristique par le biais des plates-formes de location. La Cour de justice a cependant estimé en substance que le nombre de 60 jours fixé par l'art. 4A RDTR ne satisfaisait pas aux exigences de nécessité et de principe de la proportionnalité au sens étroit. Elle a jugé qu'une location pour plus de 60 jours n'excluait pas le maintien d'une affectation de logement (cas du retraité, de l'indépendant ou de l'étudiant qui passent plus de temps en vacances ou à l'étranger, sans pour autant cesser d'occuper le logement comme tel, ou encore de la personne devant effectuer plusieurs séjours hospitaliers) et que la limite de 90 jours portait moins atteinte aux intérêts des parties prenantes à ce type d'opérations tout en permettant d'atteindre le but visé de lutte contre la pénurie de logements.  
Face à ce raisonnement, le recourant fait valoir qu'offrir à la location un studio sur une plate-forme de type Airbnb pendant 90 jours par an, tout en le laissant inoccupé le reste du temps, serait plus rentable que de le louer pendant une année selon les modalités ordinaires, soit à un prix moins élevé, de sorte que l'art. 4A RDTR ne remplirait pas son but. Il paraît paradoxal que le recourant formule un tel grief puisqu'il vient remettre en cause l'admission partielle obtenue devant l'instance précédente. Quoi qu'il en soit, les captures d'écran du site Internet www.airbnb.com proposant des locations de studio à Genève, produites auprès du Tribunal fédéral à l'appui de son affirmation, sont des pièces nouvelles et par conséquent irrecevables (art. 99 al. 1 LTF). Cela étant, le recourant ne fait pas la démonstration, sur la base des faits résultant du dossier, que la décision attaquée ne respecterait pas le principe de la proportionnalité. Le grief de la violation du principe de la proportionnalité doit dès lors être déclaré irrecevable, sans qu'il y ait lieu d'examiner si les informations statistiques établies par l'Etat de Genève sur le niveau des loyers à Genève en 2017, aussi annexées au recours, doivent être considérées comme des faits notoires (cf. ATF 143 IV 380 consid. 1.1 p. 383 s.; arrêt 1C_91/2018 du 29 janvier 2019 consid. 2.1). 
 
7.   
Il s'ensuit que le recours est irrecevable. 
Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant qui succombe. 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est irrecevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge du recourant. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Conseil d'Etat du canton de Genève et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre constitutionnelle. 
 
 
Lausanne, le 25 mars 2019 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Chaix 
 
La Greffière : Tornay Schaller