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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
4A_430/2020  
 
 
Arrêt du 10 février 2021  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Hohl, Kiss, Niquille, May Canellas et Kölz, juge suppléant. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Mes Pierre-Yves Gunter, Alexandra Johnson et Nadia Smahi, ainsi que par 
Me Bernhard Berger, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
représentée par Mes Michael Kramer, Tanja Planinic et Andreas Lienhard, 
intimée. 
 
Objet 
arbitrage international, 
 
recours en matière civile contre la sentence rendue le 18 juin 2020 par un Tribunal arbitral avec siège à Genève (n° 23312/MHM/HBH). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Par contrats des 4 juillet 1995 et 31 octobre 1997, tous deux intitulés " Natural Gas Purchase and Sales contract " (ci-après: les contrats ou le GPSC), B.________, société sise à..., s'est engagée, moyennant rémunération, à fournir du gaz naturel à la société de droit... A.________ pour une période de vingt-cinq ans dès la première livraison. Les clauses principales des deux conventions étaient identiques, sous réserve de la quantité de gaz à livrer. Le prix de la marchandise était fixé selon une formule contractuelle. La première livraison de gaz est intervenue à fin 1997/début 1998. 
Les contrats ont été amendés à plusieurs reprises aux fins notamment de modifier le prix et la quantité de gaz à fournir. 
Les sanctions infligées à l'Iran entre 2007 et mars 2008 ont eu un impact sur la capacité de A.________ de payer dans la monnaie convenue, soit en dollars américains (USD), les montants dus au titre des différentes livraisons de gaz naturel. Aussi les parties sont-elles convenues, par avenant n. 1 du 30 mars 2008, de modifier la monnaie de paiement en euros. 
Selon un amendement n. 5, signé le 16 juin 2010, A.________ s'est engagée à verser un intérêt moratoire de 7,5 % l'an, dans l'hypothèse où elle ne s'acquitterait pas des factures non contestées dans les trente jours suivant l'établissement de celles-ci. En cours de procédure, B.________ a toutefois concédé n'avoir jamais appliqué ladite clause. 
En octobre 2012, les États-Unis d'Amérique et l'Union européenne ont imposé à l'Iran de nouvelles sanctions, entravant ainsi l'accès de A.________ au système bancaire international et l'empêchant d'effectuer des virements bancaires en euros. Un avenant n. 6, conclu le 17 décembre 2012, a autorisé A.________ à s'acquitter du prix des livraisons successives de gaz, en fournissant des marchandises, des métaux précieux, des services ou en exécutant certains travaux. Cet amendement devait rester en vigueur jusqu'à ce que A.________ soit en mesure de régler le prix du gaz livré selon la méthode de paiement usuelle. 
Le 16 septembre 2013, les parties ont conclu un avenant n. 7 aux termes duquel A.________ a reconnu devoir à B.________ un montant avoisinant 855'000'000 euros pour le gaz livré jusqu'à cette date. A cette occasion, elles ont décidé de transformer ladite dette en un prêt commercial (" trade loan ") à un taux d'intérêts de 5 % l'an. Elles ont également prévu un mécanisme d'adaptation des termes de l'avenant en cas d'augmentation ou de diminution de la dette. L'amendement n. 7 devait déployer ses effets jusqu'au moment où les parties conviendraient d'un autre mécanisme de paiement ou jusqu'à ce que A.________ soit en mesure d'effectuer des paiements en temps utile selon les termes prévus par le GPSC. 
Au cours des relations contractuelles, A.________ s'est plainte, à diverses reprises, auprès de B.________ de la qualité et de la quantité de gaz fourni, et lui a réclamé certaines diminutions du prix. Pour la première fois depuis 2010, A.________ a contesté une facture émise en décembre 2015 par B.________. Elle en a fait de même s'agissant de plusieurs factures établies en 2016. Durant cette même année, A.________ a adressé divers courriers à B.________ dans lesquels elle lui reprochait de n'avoir pas respecté ses obligations contractuelles. 
En janvier 2016, les sanctions économiques prises à l'encontre de l'Iran ont été levées. Jusqu'au début du mois d'octobre 2016, A.________ a néanmoins rencontré des difficultés pour effectuer des virements bancaires. Entre le 3 octobre et le 31 décembre 2016, elle a toutefois réussi, par une voie de paiement indirecte transitant par des comptes bancaires ouverts aux noms de tiers, à transférer à B.________ une somme avoisinant 208 millions d'euros. 
A fin décembre 2016, les parties se sont rencontrées à plusieurs reprises pour discuter du montant de la dette de A.________ et des modalités de remboursement de celle-ci. Elles sont tombées d'accord sur le fait que A.________ paierait certains montants à B.________ en janvier-février 2017. Elles sont convenues de reporter la décision finale relative au plan de remboursement de la dette de A.________ à fin février/début mars 2017. Elles ont en outre trouvé un terrain d'entente concernant la création d'un groupe de travail chargé de vérifier, de manière conjointe, d'ici à la fin du mois de février 2017, le montant de la dette et des pénalités réclamées par A.________ en raison de livraisons insuffisantes de gaz et de la fourniture de gaz ne répondant pas aux critères qualitatifs convenus. 
A compter du 1er janvier 2017, B.________ a décidé de ne plus livrer de gaz à A.________. 
Par lettre du 2 janvier 2017, A.________ a indiqué à B.________ que sa décision de suspendre les livraisons de gaz était prématurée et injustifiée. Elle se déclarait toutefois prête à négocier avec elle un accord réglant toutes les questions litigieuses. 
En janvier ou février 2017, A.________ a consulté un avocat anglais. Sur la base des conseils prodigués par ce dernier, elle a décidé, dès la fin février 2017, de ne plus payer B.________. En date des 28 février et 18 mars 2017, A.________ a adressé deux courriers à B.________ dans lesquels elle a notamment listé, de manière détaillée, les violations contractuelles imputées à cette dernière, et fait valoir que ses prétentions élevées au titre de la qualité et de la quantité insuffisantes de gaz livré effaçaient en grande partie sa dette à l'égard de B.________. 
Lors de leurs discussions ultérieures, les parties ne sont pas parvenues à régler leurs différends. 
 
B.   
Le 21 décembre 2017, B.________, se fondant sur la clause d'arbitrage insérée dans les contrats, a déposé une requête d'arbitrage, dirigée contre A.________, auprès de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI). En substance, elle a demandé au Tribunal arbitral de constater que la défenderesse avait violé ses obligations contractuelles, en ne réglant pas les montants dus pour le gaz livré lors de la levée des sanctions internationales en janvier 2016, en ne s'acquittant pas du prix des livraisons de gaz ultérieures, et en ne payant pas les intérêts dus. Elle a conclu en outre à ce que la défenderesse soit condamnée à lui verser un montant avoisinant 1,66 milliards d'euros. 
A.________ a conclu au rejet des conclusions prises par la demanderesse. A titre reconventionnel, elle a notamment invité les arbitres à constater que la demanderesse ne respectait pas, respectivement qu'elle avait violé, ses obligations contractuelles. Elle réclamait en outre la réparation du préjudice subi en raison de la qualité et de la quantité insuffisantes de gaz livré et du choix de la demanderesse de ne plus lui fournir de gaz dès le 1er janvier 2017. Elle déclarait aussi vouloir opposer en compensation lesdites prétentions à la créance en paiement de la demanderesse. Par ailleurs, elle priait le Tribunal arbitral de donner l'ordre à la demanderesse de reprendre immédiatement les livraisons de gaz jusqu'à l'échéance du GPSC. 
Un Tribunal arbitral de trois membres a été constitué, le siège de l'arbitrage fixé à Genève et l'anglais désigné comme langue de la procédure. 
Après avoir instruit la cause, le Tribunal arbitral a clos la procédure le 15 avril 2020. En date du 18 juin 2020, il a rendu sa sentence finale dont le dispositif énonce notamment ce qui suit: 
 
" For the reasons set forth above, the Tribunal: 
a. Declares that: 
i. A.________ breached its obligation under the 1995 and 1997 Gas Supply Contracts and Amendments thereto by (a) failing to pay for delivered natural gas and accrued interest after 31 December 2016 when Amendment No. 7 ceased to have effect; and (b) disavowing all payments to B.________ for delivered natural gas on 18 March 2017; 
ii. A.________ is liable to B.________ for the breaches set out at item (a) (i) (a) above in an amount representing the amount of the " trade loan " established by Amendment No. 7 plus accrued interest thereon at a rate of 5% per annum (simple), reduced as mentioned below (item (a) (v)); 
iii. B.________ breached its obligations under the 1995 and 1997 Gas Supply Contracts and Amendments thereto by (a) failing to apply price reductions for quantity and quality deficiencies in respect of gas deliveries from 1. November 2015 to 31 December 2016; and (b) failing to deliver gas to A.________ from 1 January to 18 March 2017; 
iv. B.________ is liable to A.________ for the breaches set out at item (a) (iii) above; and 
v. A.________ is to pay B.________ EUR 1,540,443,613.01 towards the amount of the " trade loan " established by Amendment No. 7 plus simple interest thereon at 5% p.a. from 4 March 2020 until the date of the Award; 
vi. Simple interest at the rate of 7.5% p.a. on the resulting amount (i.e. EUR 1,540,443,613.01 plus 5% interest on that principal amount from 4 March 2020 until the date of the Award) shall be payable thereafter from the date of the award until the date of the payment. 
b. Orders: 
i. A.________ to pay B.________ EUR 1,540,443,613.01 towards the amount of the " trade loan " established by Amendment No. 7 plus simple interest thereon at 5% p.a. from 4 March 2020 until the date of the Award; 
ii. A.________ to pay B.________ simple interest at the rate of 7.5% p.a. on the resulting amount at item (b) (i) above from the date of the Award until the date of full payment. 
iii. (...) 
iv. (...) 
v. (...) 
c. Dismisses all others claims. In particular: 
i. (...) 
ii. (...) 
iii. Denies B.________' request to declare the dismissal of all of A.________'s counterclaims in their entirety and with prejudice; 
iv. (...) 
v. Denies A.________'s request to grant A.________'s counterclaims to the extent this request has not been granted above; 
vi. Denies A.________'s request to order B.________ to compensate A.________ for its breaches of the 1995 and/or 1997 Contracts, as amended, and related agreements to the extent this request has not been granted above; 
vii. Denies A.________'s request to award A.________ compensation in damages and/or by way of an off-set, in respect of B.________' breaches of contract to the extent this request has not been granted as above; 
viii. (...) 
ix. Denies A.________'s request to order B.________ to immediately resume the deliveries of Gas in accordance with the 1995 and 1997 Contracts, as amended, until those Contracts come to an end, without prejudice to the price review request made by A.________; 
x. Denies A.________'s alternative request to order B.________ to fully compensate A.________ for failure to deliver gas under the 1995 and 1997 Contracts, as amended, until those Contracts come to an end; 
xi. (...) 
xii. (...) 
xiii. (...) " 
Les motifs qui étayent ces chefs du dispositif de la sentence seront indiqués plus loin dans la mesure utile à la compréhension des griefs dont celle-ci est la cible. 
 
C.   
Le 25 août 2020, la défenderesse (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile au Tribunal fédéral, assorti d'une requête d'effet suspensif, aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence. 
Dans sa réponse du 8 octobre 2020, B.________ (ci-après: l'intimée) a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif ainsi que du recours dans la mesure de sa recevabilité. 
Le Tribunal arbitral a renoncé à se déterminer sur la requête d'effet suspensif et a déclaré n'avoir pas d'observations à formuler sur le recours. 
Un addendum à la sentence finale, daté du 28 septembre 2020, rectifiant le montant de la condamnation, a été transmis au Tribunal fédéral par courrier du 2 octobre 2020. 
La recourante a déposé une réplique spontanée, suscitant une duplique de la partie adverse. 
La demande d'effet suspensif a été rejetée par ordonnance présidentielle du 10 décembre 2020. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'anglais), le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant le Tribunal arbitral, celles-ci se sont servies de l'anglais, tandis que, dans les mémoires adressés au Tribunal fédéral, elles ont employé qui le français (la recourante), qui l'allemand (l'intimée). Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra, par conséquent, son arrêt dans la langue du recours, c'est-à-dire le français. 
 
2.   
Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux aux conditions prévues par les art. 190 à 192 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), conformément à l'art. 77 al. 1 let. a LTF
Le siège du Tribunal arbitral se trouve à Genève. Aucune des parties n'avait son siège en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont dès lors applicables (art. 176 al. 1 LDIP). 
 
3.   
Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, du délai de recours ou encore des motifs de recours invoqués, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. 
Quant à la clause insérée dans les contrats selon laquelle " The award shall be final and binding upon both Parties ", elle ne constitue pas une renonciation valable au recours au sens de l'art. 192 LDIP, comme le relève avec raison la recourante sans être contredite par l'intimée (arrêts 4A_460/2013 du 4 février 2014 consid. 2.2; 4A_464/2009 du 15 février 2010 consid. 3.1.2). Rien ne s'oppose donc à l'entrée en matière. 
 
4.   
Un mémoire de recours visant une sentence arbitrale doit satisfaire à l'exigence de motivation telle qu'elle découle de l'art. 77 al. 3 LTF en liaison avec l'art. 42 al. 2 LTF et la jurisprudence relative à cette dernière disposition (ATF 140 III 86 consid. 2 et les références). Cela suppose que le recourant discute les motifs de la sentence entreprise et indique précisément en quoi il estime que l'auteur de celle-ci a méconnu le droit. Il ne pourra le faire que dans les limites des moyens admissibles contre ladite sentence, à savoir au regard des seuls griefs énumérés à l'art. 190 al. 2 LDIP lorsque l'arbitrage revêt un caractère international. Au demeurant, comme cette motivation doit être contenue dans l'acte de recours, le recourant ne saurait user du procédé consistant à prier le Tribunal fédéral de bien vouloir se référer aux allégués, preuves et offres de preuve contenus dans les écritures versées au dossier de l'arbitrage. De même se servirait-il en vain de la réplique pour invoquer des moyens, de fait ou de droit, qu'il n'avait pas présentés en temps utile, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de recours non prolongeable (art. 100 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 47 al. 1 LTF) ou pour compléter, hors délai, une motivation insuffisante (arrêt 4A_478/2017 du 2 mai 2018 consid. 2.2 et les précédents cités). 
Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). Sa mission, lorsqu'il est saisi d'un recours en matière civile visant une sentence arbitrale internationale, ne consiste pas à statuer avec une pleine cognition, à l'instar d'une juridiction d'appel, mais uniquement à examiner si les griefs recevables formulés à l'encontre de ladite sentence sont fondés ou non. Permettre aux parties d'alléguer d'autres faits que ceux qui ont été constatés par le tribunal arbitral, en dehors des cas exceptionnels réservés par la jurisprudence, ne serait plus compatible avec une telle mission, ces faits fussent-ils établis par les éléments de preuve figurant au dossier de l'arbitrage. Cependant, le Tribunal fédéral conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (arrêt 4A_478/2017, précité, consid. 2.2). 
 
5.   
Dans un premier moyen, la recourante, dénonçant une violation de son droit d'être entendue, reproche au Tribunal arbitral d'avoir examiné spontanément la question de la validité de la suspension des livraisons de gaz à une date postérieure à celle du 1er janvier 2017, moment à partir duquel l'intimée a décidé de ne plus lui fournir de gaz, sans avoir interpellé, au préalable, les parties sur ce point qu'elles n'avaient jamais plaidé. En agissant de la sorte, le Tribunal arbitral aurait ainsi fondé sa sentence sur un motif imprévisible. 
 
5.1. En Suisse, le droit d'être entendu se rapporte surtout à la constatation des faits. Le droit des parties d'être interpellées sur des questions juridiques n'est reconnu que de manière restreinte. En règle générale, selon l'adage  jura novit curia, les tribunaux étatiques ou arbitraux apprécient librement la portée juridique des faits et ils peuvent statuer aussi sur la base de règles de droit autres que celles invoquées par les parties. En conséquence, pour autant que la convention d'arbitrage ne restreigne pas la mission du tribunal arbitral aux seuls moyens juridiques soulevés par les parties, celles-ci n'ont pas à être entendues de façon spécifique sur la portée à reconnaître aux règles de droit. A titre exceptionnel, il convient de les interpeller lorsque le juge ou le tribunal arbitral envisage de fonder sa décision sur une norme ou une considération juridique qui n'a pas été évoquée au cours de la procédure et dont les parties ne pouvaient pas supputer la pertinence (ATF 130 III 35 consid. 5 et les références). Savoir ce qui est imprévisible est une question d'appréciation. Aussi le Tribunal fédéral se montre-t-il restrictif dans l'application de ladite règle pour ce motif et parce qu'il convient d'avoir égard aux particularités de ce type de procédure en évitant que l'argument de la surprise ne soit utilisé en vue d'obtenir un examen matériel de la sentence par l'autorité de recours (arrêt 4A_716/2016 du 26 janvier 2017 consid. 3.1). Il l'a encore rappelé, il y a quelques années, en refusant d'étendre cette jurisprudence à l'établissement des faits (arrêt 4A_525/2017 du 9 août 2018 consid. 3.1 et les arrêts cités).  
 
5.2. Avant d'examiner les mérites du grief formulé par la recourante et pour en saisir la portée, il sied de résumer, à titre liminaire, les motifs exposés par le Tribunal arbitral dans le passage de sa sentence consacré à la question litigieuse, à savoir les chapitres intitulés " A.________'s claims for non-delivery from 1 January 2017 onwards " (sentence, n. 436 à 504), et le chapitre intitulé " Adjustments in respect of penalty claims for the period 1 January to 18 March 2017 " (sentence, n. 641 à 643).  
Le Tribunal arbitral commence par exposer les positions respectives des parties. Il relève que l'intimée soutient qu'elle était en droit de cesser de fournir du gaz à compter du 1er janvier 2017 conformément à l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit qui consacre l'exception d'inexécution  (exceptio non adimpleti contractus). De son côté, la recourante fait valoir que les conditions d'application de la disposition précitée ne sont pas remplies et que l'intimée a, en tout état de cause, suspendu les livraisons de gaz en agissant de manière contraire aux règles de la bonne foi.  
Examinant ensuite si l'intimée était en droit de suspendre la livraison du gaz en date du 1er janvier 2017, le Tribunal arbitral répond à cette question par la négative. A cet égard, il estime que la décision prise par l'intimée de ne plus fournir de gaz était excessive et déraisonnable, compte tenu des engagements pris par les parties lors de leurs séances tenues fin décembre 2016. Aussi la recourante pouvait-elle prétendre à des réductions de prix, à titre de pénalités, à compter du 1er janvier 2017. 
Le Tribunal arbitral considère cependant que de telles pénalités ne sont dues que pour une période limitée échéant le 18 mars 2017. Il souligne que la recourante a changé d'attitude vers la fin février 2017. Se fondant notamment sur les courriers adressés par la recourante en date des 28 février et 18 mars 2017, les arbitres estiment en effet que celle-ci a clairement décidé de revenir sur l'accord conclu fin décembre 2016 et manifesté son intention de ne plus payer l'intimée. En agissant de la sorte, la recourante a refusé de respecter son obligation de payer le prix, autorisant ainsi l'intimée à suspendre l'exécution de sa propre prestation, conformément à l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit, dont les conditions d'application sont réunies de l'avis des arbitres. 
En définitive, le Tribunal arbitral retient que la recourante peut prétendre à des réductions de prix pendant la période comprise entre le 1er janvier et le 18 mars 2017, mais n'a en revanche pas le droit d'obtenir des dommages-intérêts supplémentaires. Le montant de 29'380'384.80 euros, correspondant aux pénalités dues pour la période considérée (1er janvier au 18 mars 2017), peut dès lors être opposé en compensation aux prétentions en paiement élevées par l'intimée. 
 
5.3. Pour étayer son grief, la recourante fait valoir, en résumé, que la seule question qui s'est posée lors de la procédure arbitrale était celle de savoir si l'intimée était en droit ou non de suspendre les livraisons de gaz le 1er janvier 2017. En revanche, les parties n'ont jamais prétendu ni soutenu que l'intimée pouvait légitimement cesser de fournir du gaz à une date postérieure à celle du 1er janvier 2017. A cet égard, l'intéressée souligne que l'intimée a toujours soutenu qu'elle était légitimée à ne plus fournir de gaz dès le 1er janvier 2017. L'intimée n'a, en revanche, pas présenté d'argumentation subsidiaire visant à démontrer que la suspension des livraisons aurait été valable à compter de février ou mars 2017. De l'avis de la recourante, l'intimée a même reconnu que les pénalités devraient être calculées à compter du 1er janvier 2017 jusqu'en avril 2019 (ou jusqu'en novembre 2018), si la validité de la suspension des livraisons de gaz devait être niée. En prenant l'initiative de réexaminer, à une date postérieure à celle du 1er janvier 2017, la question du droit de l'intimée de cesser de fournir du gaz, le Tribunal arbitral aurait ainsi traité une question juridique jamais plaidée par les parties, sans leur avoir offert, au préalable, la possibilité de pouvoir s'exprimer.  
Poursuivant son raisonnement, la recourante indique pourquoi, à son avis, les parties ne pouvaient pas supputer la pertinence des éléments retenus par le Tribunal arbitral. Elle s'emploie à démontrer qu'elle n'aurait jamais pu imaginer que les arbitres allaient examiner une question non soulevée par les parties. Selon l'intéressée, si elle avait été interpellée par le Tribunal arbitral, elle aurait pu présenter ses arguments et attirer l'attention de celui-ci sur le contexte dans lequel ont été adressés les courriers des 28 février et 18 mars 2017. 
 
5.4. La recourante ne saurait être suivie, lorsqu'elle plaide l'effet de surprise. Tout au plus peut-on lui concéder que les parties, dans leurs écritures respectives, ont focalisé leur attention sur la suspension des livraisons de gaz à la date du 1er janvier 2017. De là à en tirer la conclusion que les parties ne pouvaient en aucun cas envisager que le Tribunal arbitral examinerait si, ultérieurement, la cessation de la fourniture de gaz était justifiée ou non, il y a un pas qu'il n'est pas possible de franchir.  
Comme elle le relève elle-même dans son mémoire de recours, l'intéressée a fait valoir que l'intimée n'était pas fondée à interrompre les livraisons de gaz " à compter du 1er janvier 2017 ", raison pour laquelle elle a réclamé le paiement d'un montant de 584 millions d'euros à titre de pénalités (réductions de prix), ainsi que le versement de dommages-intérêts. En outre, la recourante a requis du Tribunal arbitral qu'il ordonne à l'intimée de reprendre immédiatement la fourniture de gaz. De son côté, l'intimée a conclu au rejet intégral des conclusions reconventionnelles. Aussi le Tribunal arbitral devait-il, pour statuer sur les prétentions élevées à titre reconventionnel, déterminer si l'intimée était légitimée ou non à ne plus fournir de gaz, et ce, pas uniquement à la date du 1er janvier 2017, mais aussi tout au long de la période visée par lesdites conclusions reconventionnelles. Dès lors, la recourante devait, à tout le moins, envisager l'hypothèse que les arbitres puissent réexaminer, à une date postérieure à celle du 1er janvier 2017, la question du droit de l'intimée de suspendre la livraison du gaz. 
Il convient de relever, ensuite, que le Tribunal arbitral a admis que l'intimée pouvait légitimement refuser de fournir du gaz à partir du 18 mars 2017 en application de la règle  non adimpleti contractus ancrée à l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit. Or, les parties ont consacré d'importants développements, dans leurs écritures respectives, à l'application dudit article en l'espèce. L'intimée, qui a conclu au déboutement de la recourante de toutes ses conclusions, a certes fait valoir que cette norme trouvait application dès le 1er janvier 2017, eu égard au comportement adopté par la recourante durant l'année 2016. Elle n'a certes pas fait valoir, expressis verbis, que les agissements de la recourante durant les premiers mois de l'année 2017 justifiaient également de suspendre les livraisons de gaz en vertu de l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit. Il n'en demeure pas moins que la question de l'application éventuelle de l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit était au coeur du présent litige. A cet égard, contrairement à ce que soutient la recourante, il n'est pas décisif que le Tribunal arbitral n'ait pas fait figurer dans la liste des problèmes à résoudre, sous n. 459 de sa sentence, la question du droit de l'intimée de suspendre les livraisons après le 1er janvier 2017. La recourante ne pouvait en effet qu'être consciente du fait que cette question était litigieuse - étant donné que l'intimée concluait au rejet de toutes les prétentions reconventionnelles en invoquant notamment l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit - et devait, partant, envisager toutes les hypothèses, peu nombreuses au demeurant, dans lesquelles cette norme était susceptible de trouver application au cours de toute la période visée par ses conclusions reconventionnelles. Ceci est d'autant plus vrai que l'intimée, comme elle l'expose de façon convaincante sous n. 105 et 106 de sa réponse, a fait valoir, à plusieurs reprises dans son mémoire après audience du 31 janvier 2020, que l'intimée avait manifesté son intention, début 2017, de ne plus s'acquitter de sa dette. Aussi la recourante devait-elle, à tout le moins, envisager l'hypothèse que le Tribunal arbitral puisse justifier l'application de l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit au regard du comportement adopté par elle au début de l'année 2017. En tout état de cause et dès lors qu'elle concluait à ce que la reprise des livraisons fût ordonnée, la recourante devait d'emblée s'attendre à ce que le Tribunal arbitral examine si l'arrêt des livraisons était ou non justifié, et ce pas uniquement au regard de la situation prévalant au 1er janvier 2017. Que le Tribunal arbitral retînt une date différente de celle avancée par les parties, à partir de laquelle la cessation des livraisons était justifiée, n'avait, au demeurant, rien d'imprévisible, s'agissant d'une affaire complexe qui commandait aux parties d'examiner tous les scénarios envisageables.  
La recourante ne peut pas davantage être suivie lorsqu'elle reproche à l'intimée de n'avoir pas pris de conclusion subsidiaire tendant à faire reconnaître son droit de cesser toute livraison de gaz à compter de février ou mars 2017. Il ressort en outre des explications données sous n. 115 du mémoire de réponse que l'affirmation de la recourante, selon laquelle l'intimée aurait reconnu que les pénalités devaient être versées jusqu'en novembre 2018, dans l'hypothèse où la suspension des livraisons en date du 1er janvier 2017 se révélerait injustifiée, est inexacte. Dès lors que l'intimée concluait au rejet intégral des prétentions reconventionnelles, le Tribunal arbitral pouvait parfaitement examiner si celle-ci était en droit de cesser de fournir du gaz non seulement en date du 1er janvier 2017 mais aussi ultérieurement. N'en déplaise à la recourante, les arbitres ne pouvaient nullement se contenter de se prononcer sur le caractère justifié ou non de la suspension de la fourniture de gaz en date du 1er janvier 2017, mais devaient également trancher le point de savoir s'il y avait lieu de faire entièrement droit aux conclusions de la recourante. Aussi cette dernière ne pouvait-elle exclure que les arbitres choisissent une autre solution que celle qu'elle aurait elle-même souhaité les voir adopter. En définitive, le Tribunal arbitral a opté pour une solution médiane, raison pour laquelle il n'a que partiellement admis la demande reconventionnelle formée par la recourante. 
On relèvera encore, comme le souligne avec raison l'intimée, que les courriers datés du 28 février et du 18 mars 2017, sur lesquels s'est notamment appuyé le Tribunal arbitral pour justifier l'application de l'art. 7.1.3 des Principes Unidroit à partir de cette dernière date, ont bel et bien été produits par les parties et celles-ci ont eu tout loisir de s'exprimer sur leur contenu et leur portée. La recourante fait valoir que les parties ne se sont pas prévalues desdites pièces pour justifier la suspension de la fourniture de gaz à compter de la mi-mars 2017. Elle insiste aussi sur le fait que les parties ne pouvaient nullement prévoir les conclusions que les arbitres allaient tirer sur la base desdits documents, raison pour laquelle elles auraient dû, au préalable, être interpellées sur ce point par le Tribunal arbitral. Semblable argumentation tombe à faux. Le droit d'être entendu permet certes à chaque partie de s'exprimer sur les faits essentiels pour la sentence à rendre mais il n'exige pas, en revanche, des arbitres qu'ils sollicitent une prise de position des parties sur la portée de chacune des pièces produites, pas plus qu'il n'autorise l'une des parties à limiter l'autonomie du tribunal arbitral dans l'appréciation d'une pièce déterminée en fonction du but assigné par elle à cet élément de preuve. Aussi bien, si chaque partie pouvait décider par avance, pour chaque pièce produite, quelle sera la conséquence probatoire que le tribunal arbitral sera autorisé à en tirer, le principe de la libre appréciation des preuves, qui constitue un pilier de l'arbitrage international, serait vidé de sa substance (arrêts 4A_322/2015 du 27 juin 2016 consid. 4.1; 4A_538/2012 du 17 janvier 2013 consid. 5.1). 
En définitive, la recourante, en plaidant l'effet de surprise, cherche, en réalité, un biais qui lui permette de s'en prendre à la façon dont les arbitres ont apprécié juridiquement les éléments, selon eux pertinents, sur le problème controversé de la suspension de la fourniture de gaz, pour aboutir au résultat figurant dans le dispositif de leur sentence. Aussi ne saurait-on la suivre dans cette voie. 
Sur le vu de ce qui précède, le moyen pris de la violation du droit d'être entendu doit être rejeté. 
 
6.   
Dans un deuxième moyen, la recourante reproche au Tribunal arbitral d'avoir statué  ultra petita.  
 
6.1. L'art. 190 al. 2 let. c LDIP permet d'attaquer une sentence, notamment, lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi. Tombent sous le coup de cette disposition les sentences qui allouent plus ou autre chose que ce qui a été demandé (  ultra ou extra petita). Cependant, selon la jurisprudence, le tribunal arbitral ne statue pas au-delà des demandes s'il n'alloue en définitive pas plus que le montant total réclamé par la partie demanderesse, mais apprécie certains des éléments de la réclamation autrement que ne l'a fait cette partie ou encore lorsque, étant saisi d'une action négatoire de droit qu'il estime infondée, il constate l'existence du rapport juridique litigieux dans le dispositif de sa sentence plutôt que d'y rejeter cette action. Le tribunal arbitral ne viole pas non plus le principe  ne eat iudex ultra petita partium s'il donne à une demande une autre qualification juridique que celle qui a été présentée par le demandeur. Le principe  jura novit curia, qui est applicable à la procédure arbitrale, impose en effet aux arbitres d'appliquer le droit d'office, sans se limiter aux motifs avancés par les parties. Il leur est donc loisible de retenir des moyens qui n'ont pas été invoqués, car on n'est pas en présence d'une nouvelle demande ou d'une demande différente, mais seulement d'une nouvelle qualification des faits de la cause. Le tribunal arbitral est toutefois lié par l'objet et le montant des conclusions qui lui sont soumises, en particulier lorsque l'intéressé qualifie ou limite ses prétentions dans les conclusions elles-mêmes (arrêts 4A_244/2020 du 16 décembre 2020 consid. 5.1; 4A_314/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.2.1; 4A_50/2017 du 11 juillet 2017 consid. 3.1).  
Eu égard au principe rendu par l'adage  a maiore minus, il est évident qu'un tribunal arbitral ne statue ni  ultra ni extra petitaen accordant moins à une partie que ce qu'elle demandait (arrêt 4A_314/2017, précité, consid. 3.2.2).  
 
6.2. La recourante ne prétend pas que le Tribunal arbitral aurait alloué un montant total supérieur à celui réclamé par l'intimée. Elle lui reproche cependant d'avoir statué  ultra petitaen s'arrogeant la faculté de procéder à la constatation qu'il a faite sous lettre a.i. (b) du dispositif. Selon elle, les arbitres seraient sortis du cadre de la demande qui leur était soumise en constatant que la recourante avait violé ses obligations contractuelles en refusant, le 18 mars 2017, de payer le gaz livré par l'intimée. Aussi la sentence attaquée devrait-elle être annulée sur la base de l'art. 190 al. 2 let. c LDIP.  
 
6.3. On peut d'emblée s'interroger sur le point de savoir si la recourante dispose, selon l'art. 76 al. 1 let. b LTF, d'un intérêt digne de protection à l'admission du moyen considéré. Conclure à l'annulation d'une sentence pour l'unique raison que son dispositif contient une constatation superflue et sans aucune portée propre ne répond en effet à aucun intérêt digne de protection (arrêt 4A_50/2017, précité, consid. 3.3). A le supposer recevable, le moyen en question ne pourrait de toute manière qu'être rejeté. Le Tribunal arbitral n'a en effet nullement statué au-delà des demandes dont il était saisi. Pour s'en convaincre, il suffit de relever que l'intimée a notamment pris la conclusion suivante, reproduite dans la sentence attaquée (n. 137) :  
 
" Claimant seeks an Award against Respondent 
(a) Declaring that: 
i. Respondent breached its obligations under the 1995 and 1997 Gas Supply Contracts to (a) pay for delivered natural gas upon the lifting of the 2012 Sanctions in January 2016, (b) pay for new deliveries of natural gas  thereafter in accordance with the terms of Clause 12 of each of the 1995 and 1997 Gas Supply Contracts, and (c) pay the accrued interest pursuant to Amendment No. 7 of the 1995 Gas Supply Contract on the outstanding debt; " (mot mis en évidence par le Tribunal fédéral).  
Comme le relève avec raison l'intimée, celle-ci a non seulement conclu à ce que les arbitres constatent que la recourante avait failli à ses obligations en ne payant pas le gaz déjà livré lors de la levée des sanctions au mois de janvier 2016, mais aussi en ne s'acquittant pas du prix des nouvelles livraisons de gaz postérieures à cette date. Cette interprétation est confirmée par l'usage du terme "  thereafter ". Qui plus est, l'intimée n'a pas limité dans le temps la portée de sa conclusion de nature constatatoire prise sous lettre (a) i. (b). Dans ces conditions, force est d'admettre que le Tribunal arbitral n'est pas sorti du cadre que lui fixaient les conclusions de l'intimée en constatant que la recourante avait violé ses obligations contractuelles en refusant, le 18 mars 2017, de payer le gaz livré. Eu égard au principe rendu par l'adage  a maiore minus, il est en effet évident que les arbitres n'ont pas statué  ultra petita.  
Au demeurant, il est clair que si le Tribunal arbitral a pris le soin d'opérer ladite constatation dans le dispositif de sa sentence, c'est pour préciser la mesure dans laquelle il a fait droit aux conclusions reconventionnelles prises par la recourante. Il sied en effet de rappeler que celle-ci réclamait le paiement de pénalités à compter du 1er janvier 2017. De son côté, l'intimée concluait au rejet intégral des prétentions élevées à titre reconventionnel. Les arbitres ont estimé que l'intimée avait violé ses obligations contractuelles au cours de la période comprise entre le 1er janvier et le 18 mars 2017, raison pour laquelle ils ont partiellement admis la demande reconventionnelle. Aussi la constatation faite par le Tribunal arbitral s'inscrit-elle dans le cadre fixé par les conclusions respectives des parties relativement aux prétentions reconventionnelles. 
En tout état de cause et à supposer que le Tribunal arbitral ait fait figurer, à tort, dans le dispositif de sa sentence, la constatation reprochée par la recourante, il n'y aurait pas là de quoi justifier l'intervention du Tribunal fédéral au titre d'une prétendue violation de l'art. 190 al. 2 let. c LDIP, dès lors que ladite constatation, qui figure déjà dans les motifs de la sentence, ne porte, à elle seule, pas spécifiquement préjudice à la recourante (arrêt 4A_50/2017, précité, consid. 3.3). 
 
7.   
Dans un troisième et dernier moyen, la recourante fait valoir que la sentence attaquée serait incompatible avec l'ordre public matériel (art. 190 al. 2 let. e LDIP). 
 
7.1. Une sentence est incompatible avec l'ordre public si elle méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique (ATF 144 III 120 consid. 5.1; 132 III 389 consid. 2.2.3). Tel est le cas lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants (ATF 144 III 120 consid. 5.1). Qu'un motif retenu par un tribunal arbitral heurte l'ordre public n'est pas suffisant; c'est le résultat auquel la sentence aboutit qui doit être incompatible avec l'ordre public (ATF 144 III 120 consid. 5.1). L'incompatibilité de la sentence avec l'ordre public, visée à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, est une notion plus restrictive que celle d'arbitraire (ATF 144 III 120 consid. 5.1; arrêts 4A_318/2018 du 4 mars 2019 consid. 4.3.1; 4A_600/2016 du 29 juin 2017 consid. 1.1.4). Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable (ATF 137 I 1 consid. 2.4; 136 I 316 consid. 2.2.2 et les références citées). Pour qu'il y ait incompatibilité avec l'ordre public, il ne suffit pas que les preuves aient été mal appréciées, qu'une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu'une règle de droit ait été clairement violée (arrêts 4A_116/2016 du 13 décembre 2016 consid. 4.1; 4A_304/2013 du 3 mars 2014 consid. 5.1.1; 4A_458/2009 du 10 juin 2010 consid. 4.1). L'annulation d'une sentence arbitrale internationale pour ce motif de recours est chose rarissime (ATF 132 III 389 consid. 2.1).  
Pour juger si la sentence est compatible avec l'ordre public, le Tribunal fédéral ne revoit pas à sa guise l'appréciation juridique à laquelle le tribunal arbitral s'est livré sur la base des faits constatés dans sa sentence. Seul importe, en effet, pour la décision à rendre sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, le point de savoir si le résultat de cette appréciation juridique faite souverainement par les arbitres est compatible ou non avec la définition jurisprudentielle de l'ordre public matériel (arrêt 4A_157/2017 du 14 décembre 2017 consid. 3.3.3). 
 
7.2. A l'appui de son grief, la recourante prétend que la sentence attaquée est contraire à l'ordre public matériel dans la mesure où elle la condamne au paiement d'intérêts à 7,5 % l'an, calculés à partir du prononcé de la sentence, alors que les arbitres savaient pertinemment qu'elle n'est pas en mesure de s'acquitter des montants qu'elle est tenue de verser, en raison des nouvelles sanctions imposées à l'Iran par les États-Unis d'Amérique depuis novembre 2018. Selon l'intéressée, elle ne sera vraisemblablement pas en mesure de régler les montants qui lui sont réclamés dans les mois, voire les années à venir, puisque rien n'indique que les sanctions américaines pourraient être levées dans un avenir proche. Elle s'exposerait ainsi au risque de voir sa dette augmenter de manière continue en raison de l'accumulation des intérêts et de n'être ainsi jamais en mesure de rembourser sa dette. Se référant enfin à l'arrêt Matuzalem (ATF 138 III 322), la recourante soutient que la sentence attaquée est contraire à l'ordre public matériel car elle porte gravement atteinte à sa liberté économique.  
 
7.3. Semblable grief ne résiste pas à l'examen. Le Tribunal arbitral a considéré que les sanctions américaines prises à l'égard de l'Iran n'empêchaient nullement la recourante de s'acquitter de sa dette. Sous n. 529 de leur sentence, les arbitres ont en effet indiqué ce qui suit:  
 
" A.________ next submits that the 7.5% interest rate contemplated in Amendment No. 5 should not be applied as B.________' witness (...) testified that the applicable rate for late payment should be less than 7.5% p.a. " if the late payment is due to an inability to pay as opposed to a decision not to pay ". This - so says A.________ - is precisely the situation that A.________ is in. Indeed, because of the re-imposition of U.S. sanctions in 2018 and the disconnection of Iranian banks from the SWIFT system, it is unable to pay [Respondent's Post Hearing Brief dated 31 January 2020, paras 232-233]. It is not clear to the Tribunal how the re-imposition of US sanctions in 2018 would affect the applicable post-award interest rate, especially in circumstances where there are currently no EU or UN sanctions that would make payment of an award in Euros illegal. Neither has A.________ proved that US sanctions are constitutive of force majeure as a matter of fact. The Tribunal therefore dismisses this argument. " 
Aussi la recourante ne peut-elle pas être suivie lorsqu'elle tente de remettre en cause les considérations émises sur ce point par les arbitres en soutenant, devant le Tribunal fédéral, que les sanctions imposées par les États-Unis l'empêcheraient de s'acquitter de sa dette à l'égard de l'intimée et de verser les intérêts y afférents. La recourante fait certes allusion à un passage de la sentence attaquée dans lequel les arbitres, examinant s'il y avait lieu d'ordonner à l'intimée de reprendre la livraison du gaz naturel, ont considéré que cela ne se justifiait pas, dans la mesure où, selon le propre expert de la recourante, il était " pratiquement impossible " (" practically impossible ") pour elle de payer ledit gaz en raison des sanctions américaines (sentence, n. 656). Cela étant, on ne saurait inférer de ce passage isolé que le Tribunal arbitral aurait fait sienne la thèse prônée par la recourante selon laquelle il lui était impossible de s'acquitter de sa dette et des intérêts y afférents eu égard aux sanctions américaines frappant l'Iran depuis novembre 2018. C'est bien plutôt la solution inverse qui s'impose eu égard à l'affirmation claire des arbitres figurant sous n. 529 de la sentence attaquée. Les explications convaincantes données sous n. 148 à 152 de la réponse de l'intimée viennent du reste confirmer cette conclusion. Au moment d'ordonner la reprise ou non des livraisons de gaz, les arbitres semblent en effet avoir uniquement évoqué, sur la base d'un raisonnement hypothétique, la prétendue " impossibilité pratique " de la recourante de s'acquitter de sa dette, en faisant au surplus exclusivement référence à l'avis de l'expert de la recourante. Aussi n'est-il pas possible de venir soutenir, comme le fait pourtant la recourante, que le Tribunal arbitral a " clairement retenu, dans la sentence attaquée, l'incapacité de la recourante d'effectuer un quelconque paiement à l'intimée " (recours, n. 105). 
On relèvera encore que le Tribunal arbitral a soumis la question suivante aux parties: 
 
" Are there currently any UN sanctions against Iran relevant for this case? Are there any international bodies (including the EU) sanctions applicable which would be enforceable or recognized in Switzerland ? What is the status of these sanctions, if any, under Swiss law? What would be the sanctions relevant for this case that would be a part of Swiss international " Ordre public " (especially under Art. 190.2 (e) Swiss Private International Law Act) ? In particular, would any of these sanctions hinder the Tribunal from granting the Claimant's prayer for relief... ? (sentence, n. 658). 
Après avoir exposé les positions respectives des parties sur ces questions, les arbitres ont estimé qu'il n'existait, à l'heure actuelle, aucun obstacle au prononcé d'une sentence condamnant la recourante à devoir payer à l'intimée une somme d'argent libellée en euros. 
Pour le reste, la recourante assoit sa critique, de façon inadmissible, sur des éléments qui ne ressortent pas de la sentence attaquée, en particulier lorsqu'elle fait valoir que sa situation s'est aggravée depuis le mois de février 2020, en raison de la décision prise par le Groupement d'Action Financière de placer l'Iran sur la liste noire des juridictions à hauts risques présentant des menaces substantielles pour le système financier international, ou quand elle affirme que les sanctions américaines ne seront vraisemblablement pas levées dans un futur proche. 
Sur le vu de ce qui précède, il n'est pas possible de suivre la recourante lorsqu'elle prétend que la sentence attaquée porterait gravement atteinte à sa liberté économique, dans la mesure où les sanctions américaines frappant l'Iran l'empêcheraient de s'acquitter de sa dette. Force est en effet de souligner, au regard des considérations faites par les arbitres, que le raisonnement de la recourante repose sur une prémisse inexacte. Par ailleurs, l'intéressée n'établit nullement qu'elle ne disposerait pas des ressources nécessaires lui permettant de régler les montants dus à l'intimée. Aussi ne saurait-on retenir que la sentence attaquée serait contraire à l'ordre public matériel puisque l'intéressée ne démontre pas en quoi le fait de devoir verser à l'intimée la somme arrêtée par les arbitres et les intérêts y afférents supprimerait ou limiterait sa liberté économique dans une mesure telle que les bases de son existence seraient mises en danger. 
Pour le reste, quoi que soutienne la recourante, on relèvera que sa situation n'est pas comparable à celle du joueur professionnel Matuzalem suspendu de toute activité footballistique tant qu'il n'aurait pas payé une dette supérieure à 11 millions d'euros, intérêts en sus, à son ancien club (ATF 138 III 322). Contrairement au footballeur précité, la recourante peut en effet continuer à déployer ses activités commerciales et tirer ainsi des revenus importants. En outre, les ressources financières d'une société, active dans le secteur des transactions gazières, n'ont certainement rien à voir avec celle d'un footballeur professionnel. 
En définitive, le moyen pris de l'incompatibilité avec l'ordre public matériel se révèle infondé. 
 
8.   
Il suit de là que le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe, supportera les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 200'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 250'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal arbitral sis à Genève. 
 
 
Lausanne, le 10 février 2021 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Hohl 
 
Le Greffier : O. Carruzzo