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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_443/2024  
 
 
Arrêt du 25 février 2025  
I  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux 
Hurni, Président, Denys et Rüedi. 
Greffière : Mme Raetz. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
tous les deux représentés par Me Nicolas Charrière, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
C.________ Sàrl, 
intimée. 
 
Objet 
mainlevée provisoire (art. 82 LP), 
 
recours contre l'arrêt rendu le 18 juin 2024 par la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (102 2024 54). 
 
 
Faits :  
 
A.  
En date du 28 septembre 2023, la société C.________ Sàrl a fait notifier à A.________ le commandement de payer n. xxx de l'Office des poursuites de la Sarine portant sur la somme en capital de 160'000 fr. concernant |'"acompte du 9 août 2023, selon contrat de vente-acquisition d'un bien immobilier du 7 août 2023. Rétractation du débiteur du 29.08.2023, mise en demeure du 30 août 2023. Poursuite solidairement responsable avec Madame B.________, née le..., même adresse". Le commandement de payer n. yyy de l'Office des poursuites de la Sarine portant sur la même somme a été notifié à la même date à B.________. Les deux poursuivis y ont fait opposition totale respectivement le 5 et le 6 octobre 2024. La créancière poursuivante a requis la mainlevée de ces deux oppositions en date du 9 novembre 2023. 
 
B.  
Par décision rendue le 12 mars 2024, la Présidente du Tribunal civil de la Sarine a rejeté les requêtes de mainlevée déposées le 9 novembre 2023 par C.________ Sàrl à l'encontre de A.________ et de B.________, avec suite de frais et dépens. Elle a indiqué que la poursuivante réclame aux poursuivis le remboursement du montant de 160'000 fr. qu'elle leur a versé sur la base du "contrat de vente-acquisition d'un bien immobilier" relatif à l'immeuble sis route..., à..., signé avec ces derniers le 7 août 2023, la poursuivante alléguant que cette vente immobilière ne s'était pas concrétisée. Pour la Présidente, les parties ont soumis la réalisation du contrat de vente immobilière à certaines conditions qui ne ressortent pas toutes du contrat du 7 août 2023 et qu'au final, la poursuivante ne dispose d'aucun titre de mainlevée duquel il ressortirait que les poursuivis auraient manifesté leur volonté de lui payer, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée ou aisément déterminable et échue. 
 
C.  
Par arrêt du 18 juin 2024, la II e Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a admis le recours formé par C.________ Sàrl, a réformé la décision attaquée en ce sens que les requêtes de mainlevée sont admises, la mainlevée provisoire de l'opposition formée par A.________ au commandement de payer n. xxx de l'Office des poursuites de la Sarine est prononcée à concurrence de 160'000 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 31 août 2023 ainsi que pour les frais de poursuite et la mainlevée provisoire de l'opposition formée par B.________ au commandement de payer n. yyy de l'Office des poursuites de la Sarine est prononcée à concurrence de 160'000 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 31 août 2023 ainsi que pour les frais de poursuite. 
 
D.  
A.________ et B.________ (ci-après: les recourants) forment un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Ils concluent, avec suite de frais et dépens, à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que le recours cantonal est rejeté et que la décision du 12 mars 2023 [recte: 2024] est maintenue. Ils ont également sollicité l'assistance judiciaire et l'effet suspensif. 
Le 16 octobre 2024, le Tribunal fédéral a invité C.________ Sàrl à se déterminer jusqu'au 6 novembre 2024. 
Par courrier du 28 novembre 2024, D.________ SA a informé le Tribunal fédéral qu'elle bénéficiait d'une cession de créance de la part de C.________ Sàrl selon écrit passé le 23 novembre 2023. Elle souhaitait par ailleurs une prolongation du délai de 20 jours pour se déterminer. Le 18 décembre 2024, D.________ SA a conclu, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours. 
Les recourants ont répliqué. 
La cour cantonale a déclaré n'avoir pas d'observations à formuler. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Interjeté en temps utile (art. 45 al. 1, 46 al. 1 let. b et 100 al. 1 LTF), par la partie qui a succombé en instance cantonale (art. 76 al. 1 LTF), contre une décision rendue en matière de mainlevée de l'opposition (art. 72 al. 2 let. a LTF, qu'elle soit définitive ou provisoire), soit une décision finale au sens de l'art. 90 LTF puisqu'elle met fin à l'instance (ATF 134 III 115 consid. 1.1), et prise sur recours par le tribunal supérieur du canton de Fribourg (art. 75 LTF), dont la valeur litigieuse s'élève à plus de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF; ATF 133 III 399 consid. 1.3), le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions. 
 
2.  
Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, compte tenu de l'obligation de motiver qui incombe au recourant en vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, il n'examine pas, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, mais uniquement celles qui sont soulevées devant lui, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2). Il ne traite donc pas les questions qui ne sont plus discutées par les parties (ATF 140 III 86 consid. 2). Il n'examine pas non plus les griefs qui n'ont pas été soumis à l'instance cantonale précédente (principe de l'épuisement des griefs; ATF 147 III 172 consid. 2.2; 143 III 290 consid. 1.1). Il demeure toutefois libre d'intervenir s'il estime qu'il y a une violation manifeste du droit (ATF 140 III 115 consid. 2). 
 
3.  
Les recourants n'ont pas formellement acquiescé au changement de partie à la suite de la cession de créance annoncée entre C.________ Sàrl et D.________ SA, de sorte que la substitution de partie n'a pas à être prise en compte (art. 17 al. 1 PCF par le renvoi de l'art. 71 LTF). La procédure se poursuit donc entre les mêmes parties (GRÉGORY BOVEY, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n. 13 ad art. 76 LTF). 
 
4.  
Le mémoire de réponse (au nom de D.________ SA) a été déposé hors du délai imparti (art. 102 al. 1 LTF). Il n'apparaît nullement qu'il aurait existé un empêchement d'agir sans faute (art. 50 LTF). La réponse est ainsi irrecevable. 
 
5.  
Les recourants se prévalent de la nullité du contrat du 7 août 2023 dès lors qu'il ne revêt pas la forme authentique et porte sur une vente immobilière. Ce contrat ne saurait donc valoir reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP
 
5.1. La cour cantonale a relevé que le 7 août 2023, les parties avaient conclu en la forme écrite, un "contrat de vente-acquisition d'un bien immobilier", portant sur l'art. ZZZ du Registre foncier de..., qui avait formalisé les discussions précontractuelles qu'elles avaient menées jusque-là, conscientes de la nécessité de la forme authentique pour le transfert du bien puisque le notaire E.________ avait reçu des instructions pour l'établissement d'un projet d'acte. Pour la cour cantonale, c'est à juste titre que la juge de première instance avait retenu que ce contrat n'était pas nul. Ce contrat, valable, prévoit, au chiffre 2, que le prix de vente convenu est de 1'600'000 fr. payable comme suit : "2.1. Acompte de 160'000 fr., montant sera versé avant le 10 août 2023 et sur confirmation des conditions de l'acte par le notaire Me E.________ à Fribourg, avenue.... 2.2. Solde de 1'440'000 fr. à l'obtention du permis de construire dans un délai de 30 jours à la date de délivrance et en force dudit permis de construire". Le chiffre 7, intitulé "conditions suspensives" est libellé comme suit: "Le présent contrat est soumis à la réalisation de certaines conditions suspensives, notamment l'obtention du permis de construire par le vendeur. Si ces conditions ne sont pas remplies, le contrat sera considéré comme nul et non avenu. Dès lors, tous les acomptes versés par l'acheteur lui seront restitués par le vendeur". Le 9 août 2023, C.________ Sàrl a procédé au virement de la somme de 160'000 fr. sur le compte bancaire de A.________ avec le message suivant: "Acompte paiement vente immeuble... (...) ".  
La cour cantonale a considéré que les recourants s'étaient engagés contractuellement à rembourser à l'intimée le montant de l'acompte de 160'000 fr. versé si le permis de construire n'était pas obtenu, aucune autre "condition suspensive" n'étant établie. Dès lors que le permis de construire n'avait pas été obtenu, l'engagement des recourants valait reconnaissance de dette et la mainlevée provisoire devait être accordée. En référence au prononcé de première instance, elle a indiqué que comme les parties étaient bien conscientes de la nécessité de la forme authentique, le contrat n'était pas nul. 
 
5.2.  
 
5.2.1. Selon l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire. Constitue une reconnaissance de dette, au sens de l'art. 82 al. 1 LP, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant (ATF 132 III 140 consid. 4.1.1) -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 148 III 145 consid. 4.1.1; 145 III 20 consid. 4.1.1).  
Lorsqu'il procède à l'interprétation du titre, le juge de la mainlevée provisoire ne peut prendre en compte que les éléments intrinsèques à ce titre, à l'exclusion des éléments extrinsèques qui échappent à son pouvoir d'examen (ATF 145 III 20 consid. 4.3.3). Si le sens ou l'interprétation du titre de mainlevée invoqué est source de doutes, la mainlevée provisoire doit être refusée (arrêt 5A_989/2021 du 3 août 2022 consid. 4.2.1). La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces ( Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. Le juge de la mainlevée provisoire examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle - et non la validité de la créance - et lui attribue force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (ATF 145 III 160 consid. 5.1; arrêt 5A_595/2021 du 14 janvier 2022 consid. 6.1).  
 
5.2.2. En effet, conformément à l'art. 82 al. 2 LP, le poursuivi peut faire échec à la mainlevée en rendant immédiatement vraisemblable sa libération. Il peut se prévaloir de tous les moyens de droit civil - exceptions ou objections - qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 145 III 20 consid. 4.1.2; 142 III 720 consid. 4.1), en particulier le vice de forme qui affecte son obligation (arrêt précité 5A_989/2021 consid. 4.2.2 et les réf. cit.).  
 
5.2.3. L'abus de droit peut aussi être invoqué dans la procédure de mainlevée provisoire; ce moyen demeure toutefois exceptionnel dès lors que l'instruction des questions factuelles correspondantes est généralement incompatible avec la nature documentaire de la procédure de mainlevée (arrêts 5A_21/2022 du 5 avril 2022 consid. 4.2.2.3; 5A_507/2015 du 16 février 2016 consid. 3.3).  
 
5.3. Les recourants fondent leur argumentation sur la nullité du contrat de vente immobilière valant reconnaissance de dette car non établi en forme authentique.  
 
5.3.1. La forme authentique est une condition de validité de la promesse de vente immobilière (et du pacte d'emption, entre autres; art. 216 al. 2 CO). Le législateur veut préserver les parties de décisions hâtives, leur garantir des conseils professionnels et s'assurer qu'elles comprennent la portée de leurs engagements, favoriser l'expression claire et complète de leur volonté et, en fin de compte, fournir une base sûre pour l'inscription au registre foncier (ATF 140 III 200 consid. 4.2). S'il ne revêt pas cette forme, l'accord est en principe entaché de nullité absolue, que le juge doit constater d'office (ATF 116 II 700 consid. 3b; 106 II 146 consid. 3; arrêt 4A_424/2021 du 23 juin 2022 consid. 4.1.1 et les réf. citées).  
 
5.3.2. La doctrine s'est ingéniée à développer diverses théories pour relativiser les conséquences du vice de forme (cf. ATF 140 III 583 consid. 3.2.2 ab initio; FOËX/MARTIN-RIVARA, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 3e éd. 2021, n. 16 et sous-note 61 ad art. 216 CO). Le Tribunal fédéral reconnaît aussi une telle nécessité, mais s'appuie sur l'interdiction de l'abus de droit. La clause générale de l'art. 2 al. 2 CC peut exceptionnellement tenir en échec la nullité pour vice de forme, auquel cas le contrat sera traité comme s'il était valable (ATF 104 II 99 consid. 2b; 98 II 313 consid. 2 in fine; arrêt précité 4A_424/2021 consid. 4.1.2). Ce moyen n'est retenu qu'avec réserve, en présence d'un abus manifeste (art. 2 al. 2 CC). Les circonstances d'espèce sont décisives, ce qui n'exclut pas de tracer quelques lignes directrices (arrêt précité 4A_424/2021 consid. 4.1.2).  
Ainsi, il est généralement jugé abusif de se prévaloir du vice de forme après que le contrat a été exécuté pour l'essentiel, volontairement et en connaissance du vice (ATF 140 III 200 consid. 4.2; 116 II 700 consid. 3b). En revanche, l'abus de droit est a priori écarté quand la partie a agi en ignorant le vice de forme (ATF 138 III 401 consid. 2.3.1; 112 II 330 consid. 3b), ou n'a pas encore accompli les prestations convenues - ou, du moins, pas pour l'essentiel. En ce cas-ci, elle ne peut être contrainte à s'exécuter, mais s'expose à devoir réparer le dommage causé par le vice de forme (arrêt précité 4A_424/2021 consid. 4.1.2 et les réf. citées). 
 
5.4. L'approche de la cour cantonale est difficile à suivre puisqu'elle a considéré que le contrat n'était pas nul en avançant pour seul motif que les signataires avaient conscience de la nécessité de la forme authentique. Elle n'a procédé à aucune analyse sous l'angle de l'abus de droit, qui rappelons-le, ne peut être pris en compte qu'exceptionnellement dans une procédure de mainlevée ( supra consid. 5.2.3 et 5.3.2). En particulier, il n'est nullement établi que les recourants avaient conscience de la nullité de l'acte à la signature, leur conscience de la nécessité d'une formalisation devant notaire n'étant pas équivalente. Quoi qu'il en soit, dès lors qu'il incombe uniquement au juge de la mainlevée d'examiner la nature formelle du titre produit et non la matérialité de la créance ( supra consid. 5.2.1), il apparaît exclu qu'un contrat de vente immobilière nul pour vice de forme en vertu de l'art. 216 CO puisse valoir titre de mainlevée provisoire. Les conséquences à déduire d'un tel contrat et l'interprétation de la relation contractuelle relèvent du juge du fond. En tout état, la mainlevée doit être refusée, l'intimée pouvant faire valoir ses moyens dans le cadre d'une action au fond, en particulier dans le cadre d'une action pour cause d'enrichissement illégitime (art. 62 ss CO).  
 
5.5. Le recours doit donc être admis et la décision attaquée annulée et réformée en ce sens que la mainlevée provisoire est refusée.  
 
6.  
L'intimée supporte les frais de procédure (art. 66 al. 1 LTF) et doit verser des dépens aux recourants, créanciers solidaires (art. 68 al. 1 et 2 LTF). La requête d'assistance judiciaire des recourants est en conséquence sans objet. La cause étant tranchée, la requête d'effet suspensif est sans objet. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt du 18 juin 2024 de la II e Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg est annulé et est réformé en ce sens que la mainlevée provisoire des poursuites n. xxx et n. yyy de l'Office des poursuites de la Sarine dirigées contre les recourants est refusée. La cause est renvoyée pour le surplus à la cour cantonale pour fixation des frais et dépens de la procédure cantonale. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'500 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
L'intimée est condamnée à verser aux recourants, créanciers solidaires, une indemnité de 6'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la II e Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg, et au mandataire de D.________ SA. 
 
 
Lausanne, le 25 février 2025 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Hurni 
 
La Greffière : Raetz