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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_61/2023  
 
 
Arrêt du 25 juin 2024  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, Présidente, Hohl, Kiss, Rüedi et May Canellas. 
Greffière : Mme Raetz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Oliver Nicod et Me Flora Francioli, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par Me Laurent Maire, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
action en libération de dette; point de départ du délai de 20 jours: à compter de la notification du dispositif de la décision de mainlevée provisoire ou de la notification de la décision motivée? (art. 239 al. 2 CPC, 83 al. 2 LP), 
 
recours contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2022 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (C/109/2021, ACJC/1649/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. La société C.________ Ltd (ci-après: la prêteuse), qui, par acte du 18 janvier 2018, a cédé ses actifs à B.________ SA (ci-après: la cessionnaire ou la défenderesse ou l'intimée), société de droit luxembourgeois, dont le siège se trouve à (...), a accordé plusieurs financements à la société D.________ SA (ci-après: l'emprunteuse), actuellement en liquidation, en septembre et novembre 2017. L'actionnaire unique de l'emprunteuse, E.________, a signé une reconnaissance de dette de 1'000'000 USD en faveur de la prêteuse.  
Le 19 décembre 2019, A.________ (ci-après: le garant, le demandeur ou le recourant), père d'E.________ et domicilié à (...) (canton de Vaud), s'est engagé envers la cessionnaire à lui verser le montant de 715'806 USD à première réquisition. Cet engagement prévoyait une élection de for en faveur des tribunaux genevois et une élection de droit en faveur du droit suisse. 
En février 2020, la cessionnaire a obtenu un acte de défaut de biens du montant de 739'759 fr. 25 contre le fils, actionnaire unique de l'emprunteuse. 
Le 16 juin 2020, la cessionnaire a fait appel à la garantie offerte par le père garant. 
 
A.b. La cessionnaire a introduit une poursuite à l'encontre du garant (commandement de payer n° xxx de l'Office des poursuites du district d'Aigle du 15 juillet 2020) pour le montant de 679'427 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 28 février 2020, indiquant comme cause de l'obligation l'engagement du 19 décembre 2019. Le garant a formé opposition.  
La cessionnaire a requis la mainlevée provisoire de l'opposition au commandement de payer. 
La Justice de paix du district d'Aigle a prononcé la mainlevée provisoire par décision du 15 octobre 2020. Le dispositif de cette décision a été notifié au garant le 16 octobre 2020. 
Le garant ayant requis la motivation le 22 octobre 2020, la décision motivée lui a été notifiée le 17 décembre 2020. 
Le garant n'a pas interjeté de recours limité au droit contre la décision de mainlevée. Par courrier du 17 décembre 2020 adressé à la cessionnaire, il a déclaré invalider l'engagement signé le 19 décembre 2019 pour cause d'erreur, dol, voire lésion. 
 
B.  
Par demande du 6 janvier 2021, soit dans le délai de 20 jours à compter de la notification de la décision motivée, le garant a introduit une action en libération de dette devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, concluant à ce qu'il soit dit qu'il ne doit pas à la cessionnaire, principalement, le montant de 715'806,18 USD avec intérêts à 5 % l'an dès le 28 février 2020 et, subsidiairement, le montant de 679'427 fr. avec les mêmes intérêts, la poursuite susmentionnée ne devant pas continuer. 
La cessionnaire défenderesse a conclu à l'irrecevabilité de l'action, subsidiairement à son rejet. Les parties ont répliqué et dupliqué. La procédure a été limitée à la question de la recevabilité de l'action en libération de dette. 
Par jugement du 25 janvier 2022, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevable l'action en libération de dette introduite par le garant à l'encontre de la cessionnaire. Il a considéré que le délai de 20 jours pour ouvrir action en libération de dette a commencé à courir dès la notification du dispositif de la décision de mainlevée provisoire, soit le 16 octobre 2020, et non dès la notification de la décision motivée, parce que le recours limité au droit des art. 319 ss CPC n'empêche ni l'entrée en force de chose jugée, ni le caractère exécutoire de la décision de mainlevée. Introduite le 6 janvier 2021, la demande en libération de dette était donc tardive. 
Statuant sur appel du garant le 29 novembre 2022, la Chambre civile de la Cour de justice l'a rejeté et a confirmé le jugement entrepris. En substance, la cour cantonale a considéré que la décision de mainlevée provisoire, qui ne peut faire l'objet que d'un recours limité au droit, entre en force de chose jugée au moment de la notification de son dispositif. Le point de départ du délai pour agir en libération de dette dépend de l'entrée en force de chose jugée de la décision, et non de son caractère exécutoire, car le fait de faire courir un délai n'est pas une mesure d'exécution. Le délai de 20 jours n'est pas interrompu par une requête de motivation de la décision. L'octroi de l'effet suspensif par l'autorité de recours - à condition d'intervenir en temps utile - peut certes empêcher le délai de courir, mais, en l'espèce, il est sans pertinence puisqu'il n'y a pas eu de dépôt d'un recours, ni a fortiori de requête d'effet suspensif.  
Puis, la cour cantonale a écarté les objections du débiteur appelant: 
 
- L'art. 239 CPC ne prévoit pas que l'exécution de la décision est reportée jusqu'à la décision sur l'effet suspensif par l'autorité saisie d'un recours. En effet, selon la jurisprudence de plusieurs tribunaux cantonaux, que reprend désormais la modification du CPC qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025, le débiteur peut requérir le prononcé de mesures provisionnelles dès la notification du dispositif pour obtenir la suspension du délai pour ouvrir action en libération de dette. 
- L'objet de l'action en libération de dette est différent de celui de la décision de mainlevée, de sorte que rien n'empêche le débiteur de motiver son action sans connaître les motifs de la décision de mainlevée. 
- Le législateur n'a pas prévu de disposition comparable à l'art. 112 al. 2, 3e phrase, LTF relatif aux décisions de dernière instance cantonale, de sorte qu'il ne peut être question de combler une lacune par application analogique de cette disposition. 
- L'argument tiré de l'ATF 142 III 695 consid. 4.2.1 est sans pertinence car il se rapporte à une décision de seconde instance cantonale, et non de première instance. 
Enfin, la cour cantonale a exclu que le recourant puisse se prévaloir du principe de la bonne foi: l'existence d'un précédent arrêt cantonal, qui avait fixé le point de départ du délai de 20 jours à la date de la notification de la décision motivée, n'empêche pas qu'une nouvelle jurisprudence adoptant la solution contraire soit applicable immédiatement; en outre, le recourant était assisté d'un avocat et la question du délai - controversée - devait lui être connue. 
 
C.  
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 19 décembre 2022, le demandeur a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 30 janvier 2023. Principalement, il conclut à son annulation et à sa réforme en ce sens que l'action soit déclarée recevable et, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il invoque la violation de l'art. 29 al. 2 Cst. et de l'art. 239 al. 2 CPC en relation avec l'art. 83 al. 2 LP
La cessionnaire intimée conclut au rejet du recours. Le recourant a encore déposé de brèves observations. 
La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt. 
La requête de mesures provisionnelles tendant à la suspension de l'entrée en force de chose jugée et du caractère exécutoire de l'arrêt cantonal, de façon à empêcher que la mainlevée provisoire ne devienne définitive et ne permette la continuation de la poursuite, a été refusée par ordonnance du 9 mars 2023. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Compte tenu de la notification de l'arrêt cantonal pendant les féries de fin d'année (art. 46 al. 1 let. c LTF), le premier jour du délai de recours était le 3 janvier 2023, de sorte que le délai de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF) est venu à échéance le 1er février 2023. Interjeté le 30 janvier 2023, contre une décision prononçant l'irrecevabilité (art. 90 LTF) de l'action en libération de dette pour cause de non-respect du délai de 20 jours de l'art. 83 al. 2 LP, rendue sur recours par le tribunal supérieur du canton de Genève (art. 75 LTF), dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF), dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions. 
 
2.  
Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, compte tenu de l'obligation de motiver qui incombe au recourant en vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, il n'examine pas, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, mais uniquement celles qui sont soulevées devant lui, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2). Il ne traite donc pas les questions qui ne sont plus discutées par les parties (ATF 140 III 86 consid. 2). Il n'examine pas non plus les griefs qui n'ont pas été soumis à l'instance cantonale précédente (principe de l'épuisement des griefs; ATF 147 III 172 consid. 2.2; 143 III 290 consid. 1.1). Il demeure toutefois libre d'intervenir s'il estime qu'il y a une violation manifeste du droit (ATF 140 III 115 consid. 2). 
Lorsqu'il entre en matière sur une question, il n'est lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale; il peut donc admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (ATF 140 III 86 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.4; 134 III 102 consid. 1.1; 133 III 545 consid. 2.2). 
 
3.  
Le recourant se plaint tout d'abord de violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), sous son aspect de droit à une décision motivée. 
 
3.1. Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Le juge n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 143 III 65 consid. 5.2; 134 I 83 consid. 4.1; arrêt 4A_400/2019 du 17 mars 2020 consid. 5.7.3, non publié in ATF 146 III 265). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt 4A_266/2020 du 23 septembre 2020 consid. 4.1).  
 
3.2. Le recourant soutient que le raisonnement adopté par la cour cantonale sur le point de départ du délai pour déposer l'action en libération de dette consacrerait une violation de son droit d'être entendu, parce que la cour n'aurait pas pris en considération que cette action est en lien étroit avec la décision de mainlevée provisoire et qu'elle doit empêcher la continuation de la poursuite dans la mesure des conclusions prises.  
 
3.3. Dès lors que la cour cantonale a considéré que les deux procédures ont des objets différents et qu'il n'est pas nécessaire de connaître la motivation de la décision de mainlevée provisoire pour introduire l'action en libération de dette, la cour cantonale n'a pas failli à son devoir de motiver. Une motivation cantonale dont le recourant conteste la conformité au droit ne constitue pas en elle-même une violation de son droit d'être entendu.  
 
4.  
Est litigieuse la date à compter de laquelle le délai de 20 jours de l'action en libération de dette de l'art. 83 al. 2 LP court dans le cas où la décision de mainlevée provisoire de première instance est d'abord notifiée dans son dispositif et ensuite, sur requête du débiteur, notifiée par décision motivée. Est-ce la date de la notification du dispositif seul, comme l'a retenu la cour cantonale, ou celle de la notification de la décision motivée, comme le soutient le recourant? 
 
4.1. Avant l'entrée en vigueur du CPC, une décision écrite motivée était notifiée, de sorte que le délai de 20 jours courait à dater de la notification de la décision motivée de mainlevée provisoire de première instance.  
Selon la jurisprudence, rendue dans le cas où le droit cantonal ne prévoyait qu'une voie de recours n'emportant pas d'effet suspensif de lege, et qui serait donc applicable sous le régime (identique) du recours des art. 319 ss CPC, l'effet suspensif attribué au recours est de nature à empêcher l'entrée en force de la décision de mainlevée, avec effet ex tunc, c'est-à-dire avec effet rétroactif à la date de la décision attaquée, et à reporter cet effet à la date (postérieure) de la notification de l'arrêt sur recours, à compter de laquelle court le délai de 20 jours de l'art. 83 al. 2 LP (ATF 127 III 569 consid. 4; 143 III 38 consid. 2.3).  
A noter qu'un recours au Tribunal fédéral n'a pas d'effet suspensif en matière de mainlevée (art. 103 al. 1 LTF), l'effet suspensif pouvant être attribué d'office ou sur requête par le juge instructeur, pour l'entrée en force de chose jugée et/ou pour la force exécutoire (art. 103 al. 3 LTF; cf. spécialement arrêts 5A_866/2012 du 1er février 2013 consid. 4.1 et 5A_3/2009 du 13 février 2009 consid. 2.3; ATF 146 III 284 consid. 2.3.4). 
 
4.2. Depuis l'entrée en vigueur du CPC, la décision de mainlevée provisoire peut aussi être communiquée par la remise ou l'envoi d'un dispositif (art. 239 al. 1 CPC). Se pose alors la question de savoir si le délai de 20 jours de l'action en libération de dette court à compter de la notification du dispositif ou s'il court à compter de l'expiration du délai pour demander la motivation écrite et, si elle a été demandée, à compter de la notification de la décision écrite motivée. Les réponses apportées à cette question par la doctrine et les tribunaux cantonaux divergent et peuvent être regroupées en deux positions opposées.  
 
4.2.1. Pour certains tribunaux alémaniques (décision BE.2018.14 du Kantonsgericht du canton de Saint-Gall du 7 juin 2018, consid. c; arrêt LB150035 de l'Obergericht du canton de Zürich du 13 août 2015, consid. 4) et une partie de la doctrine (DANIEL STAEHELIN, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, vol. I, 3e éd. 2021, n° 23 ad art. 83 LP; VOCK/AEPLI-WIRZ, in Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs SchKG, 4e éd. 2017, n° 18 ad art. 83 LP; DOMINIK VOCK, in Kurzkommentar SchKG, 2e éd. 2014, n° 11 ad art. 83 LP), le point de départ du délai de 20 jours pour ouvrir action en libération de dette court dès la notification du dispositif. En bref, avec des motivations quelque peu différentes sur certains points, ce délai dépend de l'entrée en force de chose jugée de la décision de mainlevée provisoire de première instance, et non de son caractère exécutoire. Par conséquent, puisque l'art. 239 al. 1 CPC permet de communiquer la décision de mainlevée provisoire par dispositif et que l'art. 325 al. 2 CPC permet à l'autorité de recours de suspendre uniquement le caractère exécutoire, le délai de 20 jours court dès la communication du dispositif de la décision de mainlevée provisoire de première instance. La requête de motivation de la décision, à présenter dans un délai de 10 jours et prévue par l'art. 239 al. 2, 1ère phrase, CPC, ne prolonge pas le délai pour ouvrir action en libération de dette. D'ailleurs, l'objet de la mainlevée provisoire et l'objet de l'action en libération sont différents, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de connaître les motifs de la mainlevée provisoire pour motiver la demande dans l'action en libération de dette. La motivation n'est nécessaire que pour former un recours. Dans une décision bernoise, il a même été admis que des mesures provisionnelles puissent être demandées avant l'introduction d'un recours pour suspendre les effets de la décision de mainlevée communiquée dans son dispositif seul (décision ZK 18 411 de la Cour suprême du canton de Berne du 17 septembre 2018, consid. 9.8 et 9.10). C'est à cette thèse que s'est ralliée la cour cantonale.  
 
4.2.2. Pour certains tribunaux romands (arrêt HC/2015/181 n° 72 du Tribunal cantonal vaudois du 10 février 2015, consid. 3 et l'arrêt cité; arrêt ACJC/1427/2013 de la Cour de justice du canton de Genève du 2 décembre 2013, consid. 2.1) et d'autres auteurs (PIERRE-ROBERT GILLIÉRON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5e éd. 2012, p. 205 n° 817a; ERIC MUSTER, La nouvelle procédure civile et le droit des poursuites et des faillites, in JdT 2011 II 75, p. 101; cf. aussi DENIS TAPPY, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2e éd. 2019, n° 22 ad art. 239 CPC; LORENZ DROESE, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3e éd. 2017, n° 8 ad art. 336 CPC), le délai de 20 jours court à compter de la notification de la décision de mainlevée de première instance motivée. En bref, puisque le délai de recours ne court qu'à compter de la notification de la décision motivée et que l'effet suspensif octroyé au recours permet de suspendre le délai de 20 jours de l'action en libération de dette, qui dépend de la force exécutoire, ce délai ne commence à courir qu'à partir de la notification de la décision motivée et, en cas de recours, qu'à partir de la notification de la décision rendue sur recours. L'admission du caractère exécutoire d'une décision non motivée serait contraire au droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.); il s'imposerait donc d'appliquer l'art. 112 al. 2, 3e phrase, LTF par analogie. C'est cette solution qu'invoque le recourant.  
 
5.  
Selon l'art. 83 al. 2 LP, lorsque la mainlevée provisoire a été accordée, le débiteur peut, dans les 20 jours " à compter de la mainlevée " ( nach der Rechtsöffnung, dal rigetto dell'opposizione), intenter une action en libération de dette; le procès est instruit en la forme ordinaire.  
 
5.1. Pour bien mesurer l'enjeu de la question du point de départ de ce délai, il s'impose de rappeler ce que sont la mainlevée provisoire et l'action en libération de dette et quelle est la nature de ce délai.  
 
5.1.1. La requête de mainlevée provisoire intentée par le créancier au bénéfice d'une reconnaissance de dette a pour objet de lever provisoirement l'opposition au commandement de payer afin de lui permettre de requérir la saisie provisoire ou l'inventaire (art. 83 al. 1 LP) et, à moins que le débiteur n'intente une action en libération de dette, de continuer la poursuite (art. 83 al. 3 LP). Il s'agit d'un incident de la poursuite (ATF 139 III 444 consid. 4.1.1). Le juge se limite à examiner l'existence et la validité du titre de mainlevée provisoire (art. 82 LP). La décision de mainlevée provisoire lève l'opposition du débiteur; elle ne sortit que des effets de droit des poursuites; elle n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée sur la créance (ATF 136 III 583 consid. 2.3). En l'état, elle est un acte de poursuite au sens des art. 56 et 63 LP (ATF 143 III 38 consid. 3.2; 115 III 91 consid. 3).  
La mainlevée provisoire est soumise à la procédure sommaire (art. 248 ss en relation avec l'art. 251 let. a CPC), sous réserve des précisions de l'art. 84 al. 2 LP. La décision qui sera rendue est donc une décision qui est régie par le CPC (art. 256 CPC). La décision de première instance ne peut faire l'objet que d'un recours limité au droit, dans un délai de 10 jours (art. 319 let. a en relation avec l'art. 309 let. b ch. 3, et art. 321 al. 2 CPC). 
 
5.1.2. L'action en libération de dette de l'art. 83 al. 2 LP est une action en constatation de droit négative, qui a pour but de faire constater l'inexistence ou l'inexigibilité de la créance déduite en poursuite. Elle ressortit au droit matériel (ATF 149 III 23 consid. 4.1; 134 III 656 consid. 5.3.1; 131 III 268 consid. 3.1; 130 III 285 consid. 5.3.1; 127 III 232 consid. 3a; 124 III 207 consid. 3a).  
Elle est soumise à la procédure ordinaire (art. 219 ss CPC) ou, si la valeur litigieuse ne dépasse pas 30'000 fr., à la procédure simplifiée (art. 243 al. 1 CPC). La conciliation préalable étant exclue (art. 198 let. e ch. 1 CPC), l'action est introduite par la demande. La décision est revêtue de l'autorité de la chose jugée (ATF 130 III 285 consid. 5.3.1; 127 III 232 consid. 3a; arrêt 4A_482/2019 du 10 novembre 2020 consid. 3). Si la valeur litigieuse est de 10'000 fr. au moins, la voie de l'appel est ouverte (art. 308 CPC). 
Si l'action en libération de dette est déclarée irrecevable pour non-respect du délai de 20 jours de l'art. 83 al. 2 LP, la mainlevée devient définitive (art. 83 al. 3 LP), mais cette décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée ( materielle Rechtskraft) en ce qui concerne l'inexistence ou l'inexigibilité de la créance puisqu'elle n'est pas un jugement au fond (GILLIÉRON, op. cit., p. 208 n° 832). Selon deux arrêts non publiés ( obiter dicta), l'action en libération de dette, qui est une action en constatation de droit négative, doit, si elle a été introduite tardivement, être traitée comme une action de l'art. 85a LP (arrêts 5A_186/2023 du 29 novembre 2023 consid. 3.3.1; 4A_131/2012 du 28 août 2012 consid. 3.5 et les références; cf. encore JOLANTA KREN KOSTKIEWICZ, Schuldbetreibungs- & Konkursrecht, 4e éd. 2024, p. 234 n° 877), laquelle permet de trancher, en procédure ordinaire ou simplifiée, avec un plein pouvoir d'examen, que la dette n'existe pas ou plus ou qu'un sursis a été accordé (art. 85a al. 1 LP), ainsi que d'obtenir l'annulation ou la suspension de la poursuite (ATF 140 III 41 consid. 3.2.3).  
 
5.1.3. Le délai de 20 jours pour ouvrir l'action en libération de dette est un délai péremptoire de la LP, dont l'inobservation n'entraîne pas la perte du droit matériel, mais uniquement la perte du droit dans la poursuite pendante. En vertu du principe de l'unité de l'ordre juridique, la computation d'un délai doit se faire selon le droit qui le fixe (ATF 123 III 67 consid. 2a). Par computation, il faut entendre toutes les règles sur le point de départ du délai, sur le calcul du cours du délai (en particulier les suspensions pendant les féries) et sur l'expiration du délai. Lorsque le point de départ du délai est la communication d'un acte de procédure judiciaire, il dépend également du droit qui le fixe, seule la forme de la communication étant régie par la loi de l'acte en question (ATF 120 III 3 consid. 1a). En l'occurrence, les dispositions parallèles de l'art. 31 LP et de l'art. 145 al. 4 CPC, qui doivent être interprétées dans un sens concordant, prévoient que les dispositions sur les féries et suspensions sont celles de la LP (l'art. 31 LP réservant ces dispositions et l'art. 145 al. 4 CPC y renvoyant).  
A compter du 1er janvier 2025, les actions de la LP à déposer devant un juge seront toutes soumises aux suspensions du CPC (par renvoi de l'art. 56 al. 2 nLP aux suspensions du CPC et par déclaration d'application des suspensions du CPC à ces actions par l'art. 145 al. 4 nCPC) (cf. Modification du 17 mars 2023 du Code de procédure civile [Amélioration de la praticabilité et de l'application du droit], FF 2023 786 ss, RO 2023 491). 
 
5.2. La décision de mainlevée provisoire de première instance peut être communiquée aux parties selon les modes prévus à l'art. 239 al. 1-2 CPC, c'est-à-dire soit par remise d'un dispositif écrit à l'audience (art. 239 al. 1 let. a CPC), soit par notification d'un dispositif écrit (art. 239 al. 1 let. b CPC), soit enfin (implicitement) par notification immédiate de la décision écrite motivée.  
 
5.2.1. Selon les règles générales du CPC, une décision est rendue et prend date (art. 238 let. b CPC) au moment où elle est arrêtée par le tribunal, soit au moment où le président de celui-ci constate que la majorité des juges (art. 236 al. 2 CPC) l'a approuvée (ATF 142 III 695 consid. 4.2.1; 121 IV 64 consid. 2).  
Le tribunal est dessaisi de la cause à partir de ce moment-là ( lata sententia iudex desinit esse iudex), en ce sens qu'il ne peut alors plus modifier sa décision (ATF 142 III 695 consid. 4.2.1 in initio; 139 III 120 consid. 2).  
Une décision qui ne peut faire l'objet que du recours limité au droit des art. 319 ss CPC acquiert force de chose jugée et force exécutoire dès son prononcé, c'est-à-dire au moment où elle est rendue. En effet, un tel recours ne suspend ni la force de chose jugée, ni le caractère exécutoire (art. 325 al. 1 CPC). La décision et sa date ne sont pas modifiées du fait que la motivation en est rédigée ultérieurement; en effet, seul sera motivé ce qui a déjà été décidé (ATF 142 III 695 consid. 4.2.1; 137 III 127 consid. 2). 
Il sied de préciser ici qu'une décision qui est susceptible d'un appel, qui a effet suspensif de par la loi (art. 315 al. 1 CPC), acquiert force de chose jugée et force exécutoire, si aucun appel n'est interjeté, à l'échéance du délai d'appel de 30 jours ou, si un appel est interjeté, soit à l'échéance du délai d'appel joint pour les questions non remises en cause, soit au moment où l'arrêt d'appel est prononcé (le recours au Tribunal fédéral n'ayant pas d'effet suspensif de par la loi, sauf pour les jugements formateurs, dont ne fait pas partie la décision de mainlevée; cf. art. 103 al. 1 et al. 2 let. a LTF; ATF 146 III 284 consid. 2). Or, c'est à propos d'un arrêt cantonal rendu sur appel que le Tribunal fédéral a jugé que la décision n'acquiert force de chose jugée et ne devient exécutoire qu'une fois une expédition complète notifiée aux parties (ATF 142 III 695 consid. 4.2.1). Cette jurisprudence ne vaut donc pas pour les décisions sujettes à recours limité au droit, dont les effets se produisent dès leur prononcé (art. 325 al. 1 CPC). 
 
5.2.2. La décision de mainlevée provisoire prend donc date au moment où elle est arrêtée par le tribunal et elle acquiert force de chose jugée et force exécutoire à ce moment-là (art. 325 al. 1 CPC), puisqu'elle n'est susceptible que d'un recours limité au droit (art. 319 let. a en relation avec l'art. 309 let. b ch. 3 CPC). C'est pour ce motif que l'art. 239 al. 2 CPC peut préciser qu' " une motivation écrite est remise aux parties, si l'une d'elles le demande dans un délai de dix jours à compter de la communication - par dispositif - de la décision " (cf. aussi ATF 143 III 38 consid. 2.3 in fine).  
Le délai de 20 jours pour ouvrir action en libération de dette court donc dès la communication du dispositif de la décision de mainlevée de première instance. 
L'art. 239 al. 2 CPC ne concerne que les voies de recours, que sont l'appel et le recours (limité au droit). Les délais de ces deux voies de droit ne courent pas tant qu'une décision motivée n'a pas été communiquée. Il n'est en effet pas possible de motiver un recours si on ne connaît pas les motifs de la décision attaquée. En ce qui concerne la mainlevée provisoire, qui est sujette à recours limité au droit, il en découle que la communication du dispositif de mainlevée provisoire aux parties fait courir le délai de 10 jours pour demander une décision motivée (art. 239 al. 2, 1ère phrase, CPC). Si la motivation est requise, le délai de recours limité au droit de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC) court à compter de la notification de la décision motivée. C'est dans ce sens que l'art. 239 al. 2, 2e phrase, CPC précise que si la motivation de la décision n'est pas demandée, les parties sont considérées avoir renoncé au recours. Il en va de même de l'art. 112 al. 2 LTF, qui concerne le délai de recours au Tribunal fédéral contre une décision de seconde instance, et non un délai d'ouverture d'action. 
Le fait que, selon le texte et le système légal sus-exposés, le délai de 20 jours court à compter de la notification du dispositif de la décision de mainlevée de première instance n'occasionne guère de désavantage au débiteur. En effet, le non-respect du délai de 20 jours n'entraîne pas la perte de son droit matériel, mais uniquement la perte de celui-ci dans la poursuite pendante. L'action en libération de dette tardive devrait même être convertie et traitée comme une action en annulation de l'art. 85a LP. Et l'objet de l'action en libération de dette étant différent de celui de la mainlevée provisoire, le débiteur n'a pas besoin de connaître les motifs de la décision de mainlevée pour motiver sa demande en libération de dette. 
 
5.3. En l'espèce, le prononcé de mainlevée provisoire est daté du jeudi 15 octobre 2020. Il est donc entré en force de chose jugée et est devenu exécutoire à cette date. Le délai de 20 jours pour ouvrir l'action en libération de dette a commencé à courir au moment de la notification de son dispositif au débiteur poursuivi, soit le 16 octobre 2020. Le délai est venu à échéance le jeudi 5 novembre 2020. Déposée le 6 janvier 2021, la demande dans l'action en libération de dette est donc tardive.  
 
6.  
En l'absence de tout grief du recourant dirigé contre le refus de la cour cantonale de le mettre au bénéfice de la protection de sa bonne foi, le Tribunal fédéral n'a pas à examiner ce point (cf. consid. 2 ci-dessus). 
 
7.  
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, aux frais et dépens de son auteur (art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 9'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 10'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 25 juin 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Raetz