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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
4A_97/2020  
 
 
Arrêt du 5 août 2020  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et MM. les Juges fédéraux 
Kiss, Présidente, Niquille, Rüedi, May Canellas et Ramelli, Juge suppléant. 
Greffier : M. Piaget. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________ AG, 
toutes les deux représentées par Me Thierry Calame, Me Peter Ling et Me Barbara Abegg, avocats, 
recourantes, 
 
contre  
 
C.________ SA, 
représentée par Me Rodolphe Gautier et Me Markus Frick, 
intimée. 
 
Objet 
Marque de base suisse et enregistrement international (système de Madrid), action en nullité, intérêt digne de protection, " attaque centrale ", 
 
recours contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 1er novembre 2019 (CB18.012892 40/2019/EKA). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 15 novembre 2016, C.________ SA (ci-après : C.________), par l'intermédiaire de D.________ SA, a déposé les signes « EFG.________ » et « EF-G.________ » devant l'Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI).  
L'IPI a refusé d'enregistrer le premier signe (« EFG.________ »), mais conféré la protection au second (« EF-G.________ »), qui a été enregistré sous le no yyy le 24 novembre 2016, pour les classes 5 (" compléments nutritionnels; compléments diététiques à usage médical; aliments pour bébés; farines lactées pour bébés; lait en poudre pour bébés; compléments nutritionnels à usage médical pour les femmes enceintes et les mères qui allaitent; préparations de vitamines ") et 29 (" plats cuisinés à base de légumes, pommes de terre, fruits, viande, volaille, poisson et produits alimentaires provenant de la mer; lait; produits laitiers; succédanés de lait; boissons lactées où le lait prédomine; boisson à base de lait contenant des céréales et/ou du chocolat; yoghourts; lait de soja [succédané de lait] "). 
En se basant sur cette marque suisse, C.________ a obtenu l'enregistrement international « EF-G.________ » (marque IR no xxx) auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) le 14 décembre 2016. Elle a désigné, comme pays de protection, l'Australie, Bahreïn, la Colombie, l'Union européenne, la République islamique d'Iran, le Mexique, Oman, les Philippines, la Russie, Singapour et le Vietnam. Le 3 mars 2017, l'Union européenne a conféré la protection au signe et, le 4 mai 2017, les Philippines en ont fait de même. 
Entre 2016 et 2017, C.________ a lancé un produit de nutrition pour nourrissons contenant des oligosaccharides du lait humain (  human milk oligosaccharide), désignés sous l'appellation EFG.________ par divers sites internet. Les oligosaccharides du lait humain sont des sucres complexes qui sont contenus dans le lait maternel (principalement avec le lactose et les lipides) qui ont fait l'objet de projets de recherche et de production par plusieurs sociétés dans le monde, en vue d'une commercialisation du produit.  
Le 7 juin 2017, l'Office australien de la propriété intellectuelle a adressé à C.________ un avis de refus provisoire d'inscription de la marque « EF-G.________ » (pour les classes 5 et 29) au motif qu'il s'agissait d'une combinaison de lettres descriptives, qui ne permettait pas de distinguer les biens spécifiés. 
 
A.b. Le 2 août 2017, A.________ a adressé à C.________ un courrier dans lequel elle s'étonne de ce que cette dernière société tente d'obtenir la protection par le droit des marques pour un acronyme (EF-G.________) connu qui désigne une classe de composés appelés « oligosaccharides du lait humain » que l'industrie désigne par l'abréviation EFG.________, tout en relevant que le trait d'union ajouté dans le signe ne suffit pas à lui donner un caractère distinctif. A.________ signale qu'elle a engagé des actions dans l'Union européenne, à Panama, au Brésil et en Suisse pour s'opposer et/ou invalider les requêtes et enregistrements du signe « EF-G.________ ». Elle a exprimé son souhait de régler l'affaire à l'amiable et sollicité de C.________ un retrait immédiat et l'abandon des requêtes et enregistrements pour ce signe, en lui fixant un délai au 16 août 2017 pour prendre position.  
C.________ a informé A.________ qu'elle n'entendait pas donner suite à sa requête. 
 
A.c. En octobre 2017, C.________, par le biais d'une entité appartenant à C1.________, a commercialisé à Hong Kong une formule pour enfants contenant des EFG.________.  
Le 19 octobre 2017, une demande de brevet de la société D.________ SA portant sur un système de formule pour enfants comprenant des niveaux variables de EFG.________, a été publiée aux Etats-Unis. 
 
A.d. La marque suisse « EF-G.________ » (no yyy) n'a fait l'objet d'aucune opposition.  
 
B.  
Le 22 mars 2018, A.________ et B.________ AG (ci-après : les demanderesses) ont ouvert action en constatation de nullité contre C.________ (ci-après : la défenderesse) devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Elles ont conclu à ce que la nullité de la marque suisse no yyy « EF-G.________ » soit constatée et à ce qu'il soit ordonné à l'IPI de radier la marque du registre des marques. 
La défenderesse a conclu à l'irrecevabilité de l'action et, subsidiairement, à son rejet. 
Par arrêt du 1er novembre 2019, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a prononcé l'irrecevabilité des conclusions prises par les demanderesses et fixés les frais et dépens dus par celles-ci. 
Les demanderesses exercent un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cet arrêt cantonal. Elles concluent, principalement, à son annulation, à ce que la nullité de la marque suisse no yyy « EF-G.________ » soit constatée et à ce qu'il soit ordonné à l'IPI de radier la marque du registre des marques suisse. Subsidiairement, elles concluent à l'annulation de l'arrêt cantonal, à ce que la demande soit déclarée recevable et à ce que la cause soit renvoyée à la cour cantonale pour jugement sur le fond. Plus subsidiairement, elles sollicitent l'annulation de l'arrêt entrepris, à ce que des dépens leur soient octroyés et, « encore plus subsidiairement », le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle fixation du montant des dépens. Les recourantes invoquent une violation de l'art. 52 LPM et, subsidiairement, une transgression de l'art. 91 al. 2 CPC
L'intimée conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt entrepris. Subsidiairement, elle conclut à ce qu'il soit constaté que les conclusions réformatoires prises par les recourantes sont irrecevables. 
Les parties ont encore chacune déposé des observations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le recours est dirigé contre une décision rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF). La Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, qui a statué en instance cantonale unique, a fondé sa compétence  ratione materiae sur l'art. 5 al. 1 let. a CPC.  
Lorsque le droit fédéral prévoit une instance cantonale unique, le recours en matière civile est recevable indépendamment de la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF) et, contrairement à la règle générale (cf. art. 75 al. 2 LTF), le tribunal supérieur désigné comme autorité cantonale de dernière instance n'a pas à statuer sur recours (art. 75 al. 2 let. a LTF). 
 
1.2. Au surplus, interjeté par la partie qui a succombé en instance cantonale (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF), le recours en matière civile est en principe recevable puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 48 al. 1 et art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.  
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1 p. 247; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF; pour les exceptions, cf. art. 106 al. 2 LTF). Il n'est pas lié par l'argumentation des parties (ATF 138 II 331 consid. 1.3 p. 336) et apprécie librement la portée juridique des faits; il s'en tient cependant d'ordinaire aux questions juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation du recours (art. 42 al. 2 LTF; ATF 137 III 580 consid. 1.3 p. 584).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée (art. 105 al. 1 LTF). Il peut compléter ou rectifier même d'office les constatations de fait qui se révèlent manifestement inexactes, c'est-à-dire arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62), ou établies en violation du droit comme l'entend l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).  
 
2.3. Le Tribunal fédéral statue lui-même sur le fond ou renvoie l'affaire à l'autorité précédente pour qu'elle prenne une nouvelle décision (art. 107 al. 2 LTF).  
 
3.  
Les recourantes considèrent que la cour cantonale, qui a prononcé l'irrecevabilité de leur demande, a violé l'art. 52 LPM en leur niant tout intérêt à la constatation de la nullité de la marque suisse litigieuse "EF-G.________" au motif qu'elles ne commercialisent pas en Suisse des produits contenant des EFG.________ et qu'il n'existe aucune relation de concurrence avec la défenderesse dans ce pays. A la suite des magistrats cantonaux, l'intimée soutient au contraire que les demanderesses n'exercent pas d'activité en Suisse en lien avec les produits EFG.________ et, partant, que celles-ci n'ont aucun intérêt à former une action en nullité de la marque, soit une action en constatation de droit négative qui a pour effet de radier une inscription figurant au registre des marques (ATF 120 II 144 consid. 2 p. 147). 
A titre liminaire, il convient, pour bien cerner le débat, de rappeler le critère (l'intérêt digne de protection) qui entre en ligne de compte en l'espèce, en signalant les questions qui peuvent être laissées ouvertes (cf. infra consid. 3.1), puis de définir la perspective dans laquelle le litige doit être tranché (cf. infra consid. 3.2). 
 
3.1. La question de savoir s'il convient d'examiner l'exigence d'un intérêt à l'action à la lumière de l'art. 59 al. 2 let. a CPC (intérêt digne de protection) ou à l'aune de l'art. 52 LPM (intérêt juridique) peut rester ouverte. On rappellera à cet égard que la notion d' « intérêt juridique » telle qu'elle découle de l'art. 52 LPM doit être comprise largement et qu'elle n'exclut pas la prise en compte d'un intérêt de fait (TISSOT/KRAUS/SALVADÉ, Propriété intellectuelle, 2019, p. 362 n. 1131); comme l'art. 59 al. 2 let. a CPC, l'art. 52 LPM consacre en réalité, malgré la formulation employée par le législateur, l'exigence d'un intérêt digne de protection à la constatation immédiate (ATF 102 II 111 consid. 2 p. 114 s.; MARKUS R. FRICK, in Basler Kommentar, Markenschutzgesetz, 2017, nos 12 et 16 ad art. 52 LPM).  
Il s'agit dès lors de savoir si les demanderesses disposaient d'un intérêt digne de protection à l'action en nullité. Un tel intérêt existe lorsqu'une incertitude plane sur les relations juridiques des parties, qu'une constatation touchant l'existence et l'objet du rapport de droit pourrait l'éliminer et que la persistance de celle-ci entrave le demandeur dans sa liberté de décision au point d'en devenir insupportable (KILLIAS/DE SELLIERS, in Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, no 56 ad art. 52 LPM et les arrêts cités; F RICK, op. cit., no 12 ad art. 52 LPM). 
Il ressort d'un arrêt de la Cour de céans, qui renvoie à un auteur de doctrine, que le critère de l'intérêt digne de protection est soumis à des exigences moins strictes pour l'action en nullité que pour les autres actions constatatoires, qu'elles soient positives ou négatives (cf. arrêt 4A_516/2010 du 2 décembre 2010 consid. 5.5 publié in sic! 2011 p. 315, qui indique que c'est en particulier le cas lorsque l'action en nullité se fonde sur le défaut d'usage). Il n'y a toutefois pas lieu d'examiner cette question de manière approfondie puisque, comme on le verra, les demanderesses ont un intérêt digne de protection à l'action, même si l'on examine la question en tenant compte de l'exigence la plus stricte. Il est donc superflu d'examiner les arguments soulevés par les parties à cet égard. 
 
3.2. Les parties discutent longuement sur l'éventuelle distribution, par les demanderesses, de produits (impliquant des EFG.________) en Suisse, et elles débattent de l'existence d'un rapport de concurrence entre elles dans ce pays. Les recourantes soutiennent que leur rattachement concret avec le territoire suisse est suffisant pour fonder leur intérêt à constater la nullité de la marque de l'intimée, ce que cette dernière conteste.  
Il n'est pas nécessaire d'examiner ces questions puisque, indépendamment des éventuelles activités commerciales menées (ou qui seront menées) par les demanderesses sur le territoire suisse, celles-ci ont un intérêt (digne de protection) évident à introduire leur action en nullité devant la Cour civile vaudoise. En effet, comme on va le voir (cf. infra consid. 4), il faut tenir compte du fait que la demande en constatation de nullité des demanderesses est une " attaque centrale " en vertu du système (international) de Madrid (auquel la Suisse appartient) qui, en tant que telle, permettrait (dans l'hypothèse d'une admission) aux demanderesses de réduire à néant la protection conférée à la marque « EF-G.________ » de la défenderesse dans tous les pays étrangers qui sont désignés par celle-ci dans son enregistrement international (obtenu sur la base de la marque suisse). 
 
4.  
Il résulte de l'arrêt entrepris que la marque suisse litigieuse (no yyy) sert de marque de base à l'enregistrement international " EF-G.________ " (marque IR no xxx inscrite dans le registre tenu par le Bureau international de l'OMPI) sur la base duquel la défenderesse a désigné divers Etats/régions membres du système de Madrid (Russie, Union européenne, etc.), afin d'obtenir la protection (nationale/régionale) de sa marque dans ces Etats/régions. 
 
4.1. Selon le mécanisme prévu par le système de Madrid (i.e l'Arrangement de Madrid concernant l'enregistrement international des marques révisé à Stockholm le 14 juillet 1967 [ci-après : l'Arrangement de Madrid; RS 0.232.112.3], le Protocole relatif à l'Arrangement de Madrid concernant l'enregistrement des marques du 27 juin 1989 [ci-après : le Protocole de Madrid; RS 0.232.112.4] et le Règlement d'exécution commun à ces deux traités du 18 janvier 1996 [RS 0.232.112.21]), l'enregistrement international s'appuie toujours sur une marque déposée ou enregistrée (la marque de base) sur le plan national (i.e dans le pays d'origine).  
L'enregistrement international donne la possibilité au titulaire de désigner les pays (membres du système de Madrid) dans lesquels il entend solliciter la protection de sa marque (WILLY MIOSGA, Internationaler Marken- und Herkunftsschutz, 1967, p. 245). S'il souhaite multiplier les désignations, le titulaire a intérêt à déposer une marque de base dans un pays d'origine membre de l'Arrangement et du Protocole de Madrid, puisque cela lui permettra ensuite de désigner les Etats membres de chacune de ces deux conventions internationales (étant ici précisé que certains Etats n'ont ratifié qu'un seul des deux traités) (cf. FEZER/GAEDERTZ/GRUNDMANN, Handbuch Markenpraxis, Bd. I, MarkenVerfR., 2. Teil, n. 290). 
Le principe de l'accessoriété (marque internationale dépendante de la marque de base nationale) prévaut sous le régime du système de Madrid pour une durée déterminée (cf. KARL-HEINZ FEZER, Markenrecht, 4e éd. 2009, no 2 ss ad art. 6 MMA) : le lien de dépendance existant entre la marque de base et l'enregistrement international perdure durant cinq ans, à partir de la date de l'inscription dans le registre du Bureau international de l'OMPI (art. 6 de l'Arrangement et art. 6 du Protocole de Madrid). 
 
4.2. En vertu de l'art. 6 al. 3 du Protocole de Madrid (dernière convention signée par la Suisse), si, avant l'expiration du délai de cinq ans, une action visant à la radiation ou à l'invalidation de l'enregistrement issu de la demande de base (dans le pays d'origine) aboutit, la protection résultant de l'enregistrement international ne pourra plus être invoquée et celle conférée (ou demandée) dans tous les territoires étrangers désignés par le titulaire s'éteint également automatiquement (cf. arrêt B-7429/2006 du 20 mars 2008 du Tribunal administratif fédéral consid. 3). Il n'importe à cet égard que la demande de protection ait ou non déjà été transmise (par l'OMPI) aux Etats étrangers désignés (art. 6 al. 3,  in initio, du Protocole de Madrid) ou que la nullité de la marque de base ne soit déclarée qu'après l'échéance du délai de cinq ans (art. 6 al. 3 du Protocole de Madrid).  
La possibilité d'une telle action, dite " attaque centrale " (  Zentralangriffcentral attack), est une pierre angulaire du système de Madrid (Report of Swiss Group, AIPPI, The basic mark requirement under the Madrid System [Q 239], Sic! 2014 p. 497s.; cf. WINFRIED TILMANN, Der " zentrale Angriff " auf die international registrierte Marke, in Rechtsfragen der Gegenwart, Festgabe für Wolgang Hefermehl, 1972, p. 362 s., qui étudie la possibilité d'un changement de système).  
Le délai de cinq ans a été introduit par le législateur international afin de faciliter la tâche du tiers, en lui permettant de mener à son terme son action en nullité dans le pays d'origine et ainsi d'éviter qu'il soit contraint d'attaquer chaque marque individuellement, dans tous les Etats désignés dans l'enregistrement international (MIOSGA, op. cit., p. 249; cf. OMPI, Guide pour l'enregistrement international des marques en vertu de l'Arrangement de Madrid et du Protocole de Madrid, 2019, B.II.103 §92.02). Dans l'esprit des négociateurs présents à la conférence diplomatique ayant mené à l'adoption du Protocole de Madrid, il s'agissait également, pour la même raison (éviter la multiplication des attaques nationales), d'empêcher le plus possible que des particularités nationales (dans le pays d'origine) fassent obstacle à la mise en oeuvre de l' " attaque centrale " (Actes de la Conférence diplomatique pour la conclusion d'un Protocole relatif à l'Arrangement de Madrid concernant l'enregistrement international des marques, p. 205 à 217, disponible sur le site www.ompi.int), étant ici précisé qu'en pratique l' "attaque centrale " est fréquemment menée pour générer des effets hors du pays d'origine, soit à l'étranger (cf. notamment le rapport du 23 avril 2014 du Groupe français de l'AIPPI, L'exigence de la marque de base dans le système de Madrid, Question Q239, p. 2). 
 
4.3. En l'occurrence, l'enregistrement international datant du 14 décembre 2016, le délai de cinq ans ne sera échu que le 14 décembre 2021.  
 
4.3.1. La demande de constatation de nullité, introduite par les demanderesses le 22 mars 2018, l'a été alors que l'enregistrement international était encore dépendant de l'enregistrement de base (suisse). Partant, si la marque suisse est déclarée nulle (dans la procédure engagée devant l'autorité précédente), la protection internationale ne pourra plus être invoquée et elle s'éteindra dans tous les territoires nationaux désignés par la défenderesse.  
Il résulte des constatations cantonales que les parties sont en litige, au sujet de la marque " EF-G.________ ", dans de nombreux pays (parmi lesquels ceux qui sont désignés dans l'enregistrement international de la défenderesse). La défenderesse a en outre explicitement admis que l'une des demanderesses (Abbott Laboratories) détient, dans certains de ces pays - notamment le Mexique (pays dans lequel la défenderesse a requis une protection par le biais du système de Madrid [cf. supra let. A.a]) - plusieurs enregistrements de marques qui contiennent l'acronyme " EFG.________ " (complètement d'office selon l'art. 105 al. 2 LTF), ce dont le Tribunal fédéral peut tenir compte (cf. ATF 141 II 14 consid. 1.6 p. 24 s.). 
 
4.3.2. Dans ces conditions, même si l'on admet, par hypothèse, que les demanderesses ne distribuent aucun produit contenant des EFG.________ en Suisse (question laissée ouverte supra consid. 3.2), elles disposent de toute façon d'un intérêt réel (concret) à actionner en nullité la marque (de base) suisse de la défenderesse devant la Cour civile vaudoise : ce n'est qu'ainsi qu'elle peut bénéficier des effets de l' " attaque centrale ", prévue par le système de Madrid. L'admission de cette action aura un effet direct sur les litiges opposant les parties dans les pays désignés par l'enregistrement international de la défenderesse.  
L'intérêt (à l'action) est d'autant plus marqué que la Suisse est membre de l'Arrangement et du Protocole de Madrid (ce qui attire les déposants soucieux de multiplier les demandes de protection à travers le monde [cf. supra consid. 4.1]) et que, en comparaison internationale, elle est à l'origine d'un grand nombre d'enregistrements internationaux (cf. Madrid Yearly Review 2019, International Registration of Marks, p. 76 schéma B27, disponible sur le site www.wipo.int : en 2018, pour 3'223 enregistrements internationaux possédant une base suisse, 21'626 désignations ont été effectuées et 5'031 désignations subséquentes). Il serait dès lors tout à fait inapproprié de soustraire ceux-ci à l'examen de l'autorité judiciaire (seule à même de trancher définitivement la question de la nullité) pour la seule raison que les parties ne sont pas en concurrence sur le territoire suisse. 
 
4.3.3. A cela s'ajoute que l' " attaque centrale " incite les déposants (qui ne souhaitent pas prendre le risque, en cas d'admission de cette " attaque ", de perdre leur marque dans l'ensemble des pays désignés) à entreprendre une évaluation sérieuse de la qualité de leurs marques (s'agissant en particulier de leur force distinctive), avant tout dépôt dans le pays d'origine. Cela a pour effet de favoriser la clarté des registres et, de manière générale, la sécurité juridique, que les milieux intéressés suisses actifs dans le domaine des marques appellent de leurs voeux (AIPPI, Report of Swiss Group [Q 239], op. cit., p. 498); le contrôle par l'autorité judiciaire est à cet égard un corollaire utile est nécessaire.  
On observera enfin que le fait que l'action judiciaire (en cas d'admission de l' " attaque centrale ") produise des effets essentiellement à l'étranger (ce qui, en pratique, est d'ailleurs fréquemment l'objectif visé par les utilisateurs du système [cf. supra consid. 4.2]) n'a en soi rien de singulier : il est inhérent au mécanisme que sous-tend l' " attaque centrale " (consacrée par les règles internationales) et rappelle un procédé déjà connu en droit interne avec la marque d'exportation (cf. art. 11 al. 2 LPM), qui peut être attaquée en nullité en Suisse par un tiers, alors même que le titulaire de la marque d'exportation n'est (par définition) actif qu'à l'étranger, où il commercialise le produit muni de la marque (cf. arrêt 4A_515/2017 du 4 juillet 2018, publié partiellement in sic! 2019 p. 87, consid. 2.1  in fineet consid. 2.5.4 dans lequel il est implicitement admis que le tiers a un intérêt à agir en nullité contre une marque d'exportation, utilisée à l'étranger).  
 
4.4. Il en résulte que, contrairement à l'opinion de l'autorité précédente, les demanderesses ont un intérêt digne de protection à faire constater la nullité de la marque de base (suisse).  
 
4.5. La motivation de la cour cantonale ne contient aucun argument susceptible de remettre en question cette conclusion.  
 
4.5.1. On ne saurait en particulier la suivre lorsqu'elle considère qu'il " est douteux que l'on puisse retenir un intérêt à agir contre une marque Suisse (sic) afin de faire invalider une marque internationale dans d'autres ordres juridiques où il existe des voies légales ". Le mécanisme de l' " attaque centrale " a précisément été mis sur pied pour permettre, indépendamment des éventuelles actions menées à l'étranger, l'invalidation de l'enregistrement international et, par ricochet, de réduire à néant les marques nationales (ou les procédures nationales) qui en découlent dans les pays désignés par le titulaire de la marque.  
 
4.5.2. L'affirmation selon laquelle les demanderesses n'ont aucun intérêt digne de protection à l'issue du procès en Suisse au motif que " les effets de celui-ci à l'international seraient soit redondants, soit contradictoires avec des décisions étrangères " appelle la même observation.  
Le fait que « les procédures sont à chaque fois pendantes devant des offices, et non [des] tribunaux » n'est à cet égard pas déterminant puisque, si l' " attaque centrale " est accueillie dans le pays d'origine, toutes les marques déposées ou enregistrées dans les pays désignés par l'enregistrement international sont réduites à néant, peu importe qu'elles soient l'objet d'une procédure judiciaire ou d'une procédure administrative devant l'office national étranger. 
 
4.5.3. Certains pans de la motivation fournie par la cour précédente pourraient avoir un sens dans l'hypothèse d'une action en nullité dilatoire ou abusive. En l'occurrence, aucun élément ou indice contenu dans l'arrêt cantonal ne permet d'aller dans ce sens. Au contraire, il résulte des constatations cantonales que les parties sont des entreprises concurrentes (sur le plan mondial) qui sont en litige et s'affrontent à l'étranger et que les demanderesses ont bel et bien un intérêt concret à mener une " attaque centrale ", au moins en rapport avec leur situation dans certains pays étrangers.  
 
4.6. L'intimée soutient, enfin, que l'opinion des recourantes est guidée par la crainte de voir la Suisse devenir un refuge pour les marques internationales génériques (descriptives) suite au prononcé de l'arrêt cantonal (les recourantes étant d'avis que celui-ci aurait pour effet de libéraliser les "exigences procédurales pour les actions en nullité devant les tribunaux civils "). Elle considère que cette crainte est dénuée de fondement (et que la thèse des recourantes devrait dès lors être écartée) puisque l'examen des motifs absolus de nullité effectué par l'IPI est l'un des " plus strictes au monde ". L'argument fondé sur la pratique (sévère) de l'IPI est toutefois dénué de pertinence, puisqu'il s'agit ici d'assurer que l' " attaque centrale " puisse être menée devant le juge civil (selon la procédure ordinaire) et que l'on ne saurait raisonnablement, pour trancher cette question, se fonder sur la pratique (actuelle) de l'autorité nationale d'enregistrement (susceptible de changer) qui traite des dépôts qui lui sont soumis selon la procédure administrative.  
En déclarant la demande irrecevable au motif que les demanderesses n'auraient aucun digne de protection, les magistrats précédents ont dès lors violé l'art. 59 al. 2 let. a CPC et/ou l'art. 52 LPM
 
4.7. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'entrer en matière à la place de l'autorité cantonale (cf. ATF 138 III 46 consid. 1.2 p. 48; arrêt 4A_330/2008 du 27 janvier 2010 consid. 2.1 non publié in ATF 136 III 102) et les conclusions y relatives sont irrecevables. Il convient dès lors d'annuler l'arrêt d'irrecevabilité de la Cour civile et de lui renvoyer la cause pour qu'elle procède à son examen sur le fond. Il lui incombera en particulier de juger du caractère distinctif (ou descriptif) de la marque " EF-G.________ " (art. 2 let. a LPM).  
 
5.  
Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en matière civile doit être admis (conclusions subsidiaires des recourantes). L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour précédente pour nouvelle décision. 
Les frais et dépens sont mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
L'intimée versera aux recourantes, créancières solidaires, une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 5 août 2020 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Kiss 
 
Le Greffier : Piaget