Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
[AZA 0/2] 
6S.559/2000/ROD 
 
COUR DE CASSATION PENALE 
************************************************* 
 
29 décembre 2000 
 
Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président 
du Tribunal fédéral, M. Wiprächtiger et M. Kolly, Juges. 
Greffière: Mme Angéloz. 
___________ 
 
Statuant sur le pourvoi en nullité 
formé par 
X.________, représenté par Me Jean-Marie Allimann, avocat à Delémont, 
 
contre 
l'arrêt rendu le 5 juin 2000 par la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien dans la cause qui oppose le recourant à Y.________, représenté par Me Michel Voirol, avocat à Delémont, à Z.________, représenté par Me Hubert Theurillat, avocat à Porrentruy, et au Procureur général du canton du J u r a; 
(lésions corporelles simples; délit manqué de contrainte; 
abus de téléphone) 
 
Vu les pièces du dossier, d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- a) Le samedi 8 mai 1999, X.________, qui exploite une entreprise de peinture, s'est rendu dans la maison de Z.________ pour y achever des travaux de peinture. Sur place, il a trouvé Y.________, qui était occupé à poser du carrelage pour le compte de son employeur, la maison A.________. Entrant dans la cuisine, il a invité celui-ci à déguerpir, en criant à plusieurs reprises "rauss, rauss". Y.________ lui a répondu que s'il y avait un problème, il fallait le régler avec son patron, puis, s'agenouillant, a repris sa tâche. 
X.________ s'est alors mis à marcher sur le carrelage fraîchement posé, ce qui a fait réagir Y.________, qui s'est relevé "comme l'éclair" et a saisi X.________ au col pour le déplacer sur le côté, avant de se retourner pour reprendre son travail. A ce moment-là, Y.________ a reçu un violent coup derrière la tête et l'épaule, que lui avait assené X.________ au moyen d'une taloche en bois, munie d'un manche, d'une longueur de 40 cm environ. 
 
Suite au coup reçu, Y.________ s'est rendu aux urgences de l'Hôpital de Delémont. Selon le rapport du 15 novembre 1999 de cet établissement, Y.________ présentait un traumatisme direct à l'épaule gauche et à l'occipital gauche avec pétéchie d'environ 7 cm de diamètre. La Dresse Lachat, qui avait été consultée le 17 mai 1999 par Y.________ n'a pas constaté de blessure, mais a posé le diagnostic de traumatisme crânien et de syndrome postcommotionnel ainsi que de contusions à l'épaule gauche, au vu des céphalées et vertiges que présentait le patient. 
Y.________ a été incapable de travailler à 100 % du 8 au 16 mai 1999 et à 50 % du 17 mai au 13 juin 1999. 
 
Y.________ a déposé plainte pénale. 
 
b) Entre avril et mai 1999, X.________ a effectué des travaux de plâtrerie et de peinture dans la maison de Z.________. Comme la qualité des travaux laissait à désirer, ce dernier n'a pas payé la totalité de la facture que lui a adressée X.________, réglant le 30 juin 1999 ce qu'il estimait lui devoir. 
 
Quelques jours plus tard, X.________ a commencé à téléphoner à Z.________ pour essayer d'obtenir qu'il lui paie le solde de sa facture. Très vite, il s'est mis à proférer des insultes à l'encontre de Z.________ et a multiplié ses appels téléphoniques, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit; progressivement, il a également proféré des menaces, disant à Z.________ qu'il ne devrait pas être surpris si sa voiture explosait ou encore qu'on pourrait s'approcher de lui sans difficulté pour l'agresser lorsqu'il se trouvait dans son jardin derrière la maison. Ces appels se sont poursuivis jusqu'au 25 octobre 1999. 
 
Z.________ a déposé plainte pénale. Il a produit un relevé de Swisscom relatif aux appels téléphoniques provenant d'appareils de X.________ pour la période du 8 septembre au 18 octobre 1999; il en ressort notamment que, durant la seule journée du 9 septembre 1999, il a reçu quinze appels de X.________ entre 5.04 heures et 22.54 heures et qu'à plusieurs reprises ce dernier a tenté de l'atteindre au-delà de minuit, soit le 10 septembre à 2.03 heures, le 11 septembre à 3.19 heures età 3.20 heures et le 12 septembre à 2.42 heures. 
 
B.- Par jugement du 31 janvier 2000, le Président I du Tribunal du district de Porrentruy a condamné X.________, pour lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP), délit manqué de contrainte (art. 181 et 22 al. 1 CP) et abus de téléphone (art. 179septies CP), à la peine de 45 jours d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans, dont l'octroi a été subordonné à la condition que le condamné s'acquitte, dans un délai de deux ans, des sommes qu'il a été astreint à verser aux plaignants à titre de tort moral, dommages-intérêts, indemnité de partie et frais de défense. 
 
Statuant sur appel du condamné, la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien, par arrêt du 5 juin 2000, a confirmé ce jugement en tous points. S'agissant des lésions corporelles simples, elle a notamment écarté un grief de l'appelant, qui prétendait avoir agi en état de légitime défense. 
 
C.- X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral; contestant sa condamnation pour les trois infractions retenues à sa charge, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. Le 29 septembre 2000, il a déposé, par l'entremise de son mandataire, une écriture complémentaire. 
 
Y.________ n'a pas été invité à se déterminer. 
 
Z.________ conclut, en ce qui le concerne, au rejet du pourvoi dans la mesure où il est recevable. 
 
Le Procureur général s'en remet à justice. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- L'arrêt attaqué a été notifié au recourant le 13 juillet 2000, de sorte que le délai de 20 jours pour motiver le pourvoi (art. 272 al. 2 PPF) venait à échéance le 2 août 2000. L'écriture complémentaire du recourant du 29 septembre 2000 est donc manifestement tardive et, partant, irrecevable. 
 
2.- Saisie d'un pourvoi en nullité, qui ne peut être formé que pour violation du droit fédéral (art. 269 PPF), la Cour de cassation contrôle l'application de ce droit sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant est irrecevable à s'écarter (ATF 124 IV 53 consid. 1 p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités). 
 
3.- Le recourant ne conteste pas les lésions corporelles simples retenues à sa charge, mais soutient avoir agi en état de légitime défense au sens de l'art. 33 CP
 
 
La légitime défense suppose une attaque, c'est-à-dire un comportement visant à porter atteinte à un bien juridiquement protégé, ou la menace d'une attaque, soit le risque que l'atteinte se réalise; il doit s'agir d'une attaque actuelle ou à tout le moins imminente, ce qui implique que l'atteinte soit effective ou qu'elle menace de se produire incessamment (cf. ATF 106 IV 12 consid. 2a p. 14; 104 IV 232 consid. c p. 236/237); cette condition n'est pas réalisée lorsque l'attaque a cessé ou qu'il n'y a pas encore lieu de s'y attendre (ATF 93 IV 83). 
 
Sur la base d'une appréciation des preuves, qui ne peut être remise en cause dans un pourvoi en nullité (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités), la cour cantonale a retenu que l'intimé Y.________, qui s'était retourné pour reprendre son travail, avait le dos tourné au moment où le recourant l'a frappé, lequel a d'ailleurs atteint la victime à l'arrière du crâne; auparavant, l'intimé Y.________ n'avait du reste saisi le recourant par le col que pour empêcher ce dernier de continuer à endommager le carrelage fraîchement posé. Au vu des faits ainsi retenus, qui lient la Cour de céans (cf. 
supra, consid. 2) et que le recourant est par conséquent irrecevable à rediscuter, il est manifeste que ce dernier n'a nullement causé les lésions corporelles qui lui sont reprochées parce qu'il était attaqué sans droit ou menacé sans droit d'une attaque imminente; il ne saurait donc soutenir qu'il a agi en état de légitime défense. Cette dernière étant exclue, c'est en vain que le recourant tente encore de faire admettre que sa "défense" était proportionnée aux circonstances. 
 
4.- Le recourant conteste sa condamnation pour délit manqué de contrainte, soutenant que l'intimé Z.________ devait admettre que les menaces proférées n'étaient que des "paroles en l'air". 
 
a) Se rend coupable de contrainte au sens de l'art. 181 CP, celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte. 
Alors que la violence consiste dans l'emploi d'une force physique d'une certaine intensité à l'encontre de la victime (ATF 101 IV 42 consid. 3a p. 44), la menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 324 et les arrêts cités). La loi exige un dommage sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l'auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d'action (ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 325; 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19 et les arrêts cités); la question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d'une personne de sensibilité moyenne (ATF 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19 et les arrêts cités). Il peut également y avoir contrainte lorsque l'auteur entrave sa victime "de quelque autre manière" dans sa liberté d'action; cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive; n'importe quelle pression de peu d'importance ne suffit pas; il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d'un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action; il s'agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 119 IV 301 consid. 2a p. 305 et les références citées). 
 
b) Il résulte des constatations de fait cantonales que le recourant, voulant obtenir de l'intimé Z.________ qu'il lui paie le solde de sa facture, a entrepris de lui téléphoner à de multiples reprises, de jour comme de nuit, formulant d'abord des insultes, puis, "petit à petit" des menaces, qui ont consisté à laisser entendre à l'intimé que sa voiture pourrait exploser ou qu'on pourrait facilement l'agresser s'il n'obtempérait pas. Il y a donc bien eu une gradation dans les propos du recourant, qui est passé progressivement des insultes aux menaces lors de ses appels téléphoniques répétés; dans la mesure où il le conteste, sa critique est irrecevable dans un pourvoi en nullité, qui n'est pas ouvert pour contester les faits retenus. Or, à supposer que, dans un premier temps, l'intimé ait pu relativiser le comportement du recourant, cette gradation était propre à l'alarmer sérieusement et, partant, à l'amener à céder, d'autant plus que les appels téléphoniques se multipliaient et survenaient aussi en pleine nuit. Le fait que le recourant agissait sous l'empire de la colère n'était certes pas de nature à rassurer l'intimé, mais au contraire à l'inquiéter. Que ses propos ne pouvaient être interprétés comme des "paroles en l'air" est au demeurant attesté par ce qu'il a dit à une personne, entendue comme témoin, qui avait répondu à une reprise au téléphone et à laquelle le recourant avait précisé que, s'il n'était pas payé, il réfléchirait à autre chose et que "ça ne serait plus rigolo". Au reste, peu importe que le recourant n'aurait pas eu réellement la volonté de réaliser ses menaces; celles qu'il a formulées, dans les circonstances où il l'a fait, étaient propres à entraver une personne de sensibilité moyenne dans sa liberté de décision ou d'action. Pour l'avoir admis, la cour cantonale n'a certes pas violé le droit fédéral. 
 
5.- Le recourant conteste sa condamnation pour abus de téléphone, faisant valoir qu'il n'a pas agi par méchanceté ou espièglerie. 
a) L'art. 179septies CP réprime le comportement de celui qui, par méchanceté ou par espièglerie, aura abusé d'une installation téléphonique soumise à la régale des téléphones pour inquiéter un tiers ou l'importuner. 
 
Cette disposition protège le droit personnel de la victime à ne pas être importunée par certains actes commis au moyen du téléphone. La notion d'abus est laissée à l'appréciation du juge. Il y a méchanceté lorsque l'auteur commet l'acte répréhensible parce que le dommage ou les désagréments qu'il cause à autrui lui procurent de la satisfaction. Quant à l'espièglerie, elle signifie agir un peu follement, par bravade ou sans scrupule, dans le but de satisfaire un caprice momentané (ATF 121 IV 131 consid. 5b p. 137). 
 
Lorsque l'auteur, en abusant du téléphone, menace la personne visée d'un dommage sérieux ou l'entrave de quelque autre manière dans sa liberté d'action pour l'obliger à faire ou à ne pas faire quelque chose, se pose la question du concours entre l'art. 181 CP et l'art. 179septies CP. A ce jour, le Tribunal fédéral n'a pas été amené à la trancher. Dans la doctrine, plusieurs auteurs estiment que l'abus de téléphone est absorbé (cf. Trechsel, Kurzkommentar, 2ème éd. Zurich 1997, art. 179septies n° 3; Stratenwerth, Bes. Teil, vol. I, 5ème éd. Berne 1995, par. 
12 n° 71; Schubarth, Bes. Teil, vol. 3, Berne 1984, p. 118 n° 14); un auteur est toutefois d'avis qu'il y a concours idéal (cf. Hubert Andreas Metzger, Der strafrechtliche Schutz des persönlichen Geheimnisbereichs gegen Verletzungen durch Ton- und Bildaufnahme- sowie Abhörgeräte, Thèse Berne 1972, p. 127). 
 
b) Il est établi que, durant plusieurs semaines, le recourant a téléphoné à de multiples reprises à l'intimé Z.________, de jour comme de nuit, parfois plusieurs fois en quelques heures, voire en quelques minutes (cf. 
supra, let. A/b), formulant d'abord des insultes puis menaçant l'intimé de dommages sérieux pour qu'il s'acquitte du solde de la facture qu'il lui avait adressée. 
 
L'arrêt attaqué considère, que, ce faisant, le recourant a agi "à tout le moins par méchanceté", puisque son comportement visait à obtenir que l'intimé s'exécute dans le sens qu'il voulait. 
 
Ce raisonnement ne peut être suivi. Rien dans l'arrêt attaqué n'indique que le recourant aurait agi par espièglerie, comme semble ne pas l'avoir exclu la cour cantonale; il ne s'agissait pas d'appels téléphoniques anonymes, effectués par bravade, dans le but de satisfaire un caprice momentané. Rien non plus ne permet de retenir que le recourant aurait agi par méchanceté, c'est-à-dire qu'il aurait commis les actes répréhensibles qui lui sont reprochés parce que le dommage ou les désagréments qu'il causait à l'intimé lui procuraient de la satisfaction. Des faits retenus, il ressort clairement que, dès le départ, le recourant n'a agi que pour exercer une pression sur l'intimé en vue d'amener ce dernier à lui régler le solde de sa facture, autrement dit pour l'obliger à faire quelque chose. En raison de ce comportement, le recourant a toutefois été reconnu coupable, à juste titre (cf. supra, consid. 4), de délit manqué de contrainte, de sorte que, pour ce même comportement, il ne pouvait être condamné pour abus de téléphone, du seul fait qu'il avait formulé ses menaces au moyen du téléphone. 
En pareil cas, il y a lieu d'admettre, avec la doctrine majoritaire, que la contrainte absorbe l'abus de téléphone. La contrainte consiste à entraver une personne dans sa liberté d'action, en usant de violence envers elle, en la menaçant d'un dommage sérieux ou de toute autre manière; elle peut être exercée par n'importe quel moyen: par la parole directe, le téléphone, l'écrit, le geste, etc. Lorsque, comme dans le cas d'espèce, il vise à entraver une personne dans sa liberté d'action, le comportement délictueux réprimé par l'art. 179septies CP, qui consiste à inquiéter ou importuner une personne par le moyen d'un usage abusif du téléphone, est donc déjà saisi dans tous ses aspects par l'art. 181 CP. Le cas échéant, l'abus de téléphone n'est qu'un cas particulier du délit de contrainte. 
 
La condamnation du recourant pour abus de téléphone viole donc le droit fédéral. Le pourvoi sur ce point doit par conséquent être admis et l'arrêt attaqué annulé. 
 
6.- Le recourant et l'intimé Z.________ n'obtiennent chacun que partiellement gain de cause et succombent pour le surplus. Quant à l'intimé Y.________, il n'a pas été amené à intervenir dans la procédure devant le Tribunal fédéral. En conséquence, il ne sera pas perçu de frais ni alloué d'indemnité (art. 278 PPF). 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral, 
 
1. Admet partiellement le pourvoi dans la mesure où il est recevable, annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. 
 
2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais, ni alloué d'indemnité. 
 
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties, au Procureur général du canton du Jura et à la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien. 
__________ 
Lausanne, le 29 décembre 2000 
 
Au nom de la Cour de cassation pénale 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, 
 
La Greffière,