Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_851/2023
Arrêt du 9 juillet 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Koch, Hurni, Kölz et Hofmann.
Greffier : M. Valentino.
Participants à la procédure
Ministère public central du canton de Vaud, Division affaires spéciales, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD,
recourant,
contre
1. A.________, représenté par Me Amir Dhyaf, avocat,
2. B.________, représentée par Me Olivier Boschetti, avocat,
intimés.
Objet
Ordonnance de suspension de la procédure,
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 11 septembre 2023 (n° 721 - PE22.021248-MMR).
Faits :
A.
A.a. A.________, né le 15 février 1982, ressortissant syrien, fait l'objet d'une instruction pénale diligentée par le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne pour lésions corporelles simples qualifiées, voies de fait qualifiées et menaces qualifiées. Il lui est reproché de s'en être pris physiquement et verbalement à son épouse B.________, à plusieurs reprises entre janvier 2020 et novembre 2022, au domicile conjugal notamment.
A.b. La détention provisoire de A.________ a été ordonnée par le Tribunal des mesures de contrainte le 18 novembre 2022 puis remplacée par des mesures de substitution à forme de l'interdiction pour le prénommé de prendre contact de quelque manière que ce soit avec son épouse B.________ et de s'approcher d'elle ou du domicile familial, ainsi que de l'obligation de suivre un programme de prévention de la violence. Les deux premières mesures de substitution ont ensuite été levées, alors que la troisième a été prolongée en dernier lieu jusqu'au 30 juillet 2023.
B.
B.a. Par avis du 1
er mai 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait rendre une ordonnance pénale et les a notamment invitées à déposer leurs déterminations dans un délai au 22 mai 2023.
B.b. Par courrier du 22 mai 2023, le défenseur d'office de A.________ a informé le Ministère public que les parties sollicitaient une suspension de la procédure au sens de l'art. 55a al. 1 let. c CP d'une durée de six mois, exposant que B.________ avait déclaré ne pas vouloir déposer plainte pénale ni poursuivre son mari pour les faits en question et qu'elle souhaitait que la procédure s'arrête et soit suspendue.
Le même jour, le conseil de B.________ a écrit au Ministère public que celle-ci se joignait au souhait de A.________ de voir la procédure suspendue.
B.c. Par ordonnance du 30 mai 2023, le Ministère public a rejeté cette demande de suspension, en exposant "[qu']au vu de la situation personnelle du prévenu, de son vécu et de son passé, une suspension provisoire de la procédure d'une durée de six mois parai[ssait] ne pas être suffisante pour stabiliser et améliorer la situation".
B.d. Par arrêt du 11 septembre 2023, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours interjeté par A.________ contre cette ordonnance (pour violation du droit d'être entendu du prénommé au motif que l'ordonnance était insuffisamment motivée), a annulé cette dernière et a renvoyé la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants (à savoir qu'il "statue à nouveau sur la requête des parties du 22 mai 2023"), a fixé les indemnités d'office des conseils des époux et a laissé les frais de la procédure de recours, y compris les indemnités d'office, à la charge de l'État de Vaud.
C.
Par acte du 1
er novembre 2023, le Procureur général adjoint du Ministère public vaudois forme un recours en matière pénale contre l'arrêt du 11 septembre 2023, en concluant à sa réforme en ce sens que le recours de A.________ soit déclaré irrecevable et que les frais de la procédure cantonale soient mis à la charge de ce dernier, les indemnités d'office étant remboursables à l'État de Vaud par le prénommé dès que sa situation financière le permettra. À titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt entrepris et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invitée à se déterminer sur le recours, la cour cantonale y a renoncé, se référant à l'arrêt attaqué. B.________ (ci-après: l'intimée) ne s'est pas manifestée dans le délai imparti. A.________ (ci-après: l'intimé) a quant à lui conclu au rejet du recours; il demande en outre l'octroi d'une indemnité pour la procédure fédérale, subsidiairement l'assistance judiciaire.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral vérifie d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et examine librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2; 146 IV 185 consid. 2).
1.1. L'arrêt attaqué, relatif à la suspension de la procédure en application de l'art. 55a CP, est une décision rendue en matière pénale par une autorité de dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF). Le recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF est donc en principe ouvert. Il a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont recevables (art. 107 al. 2 LTF).
1.2. Le Ministère public, agissant par le Procureur général adjoint (art. 27 al. 2 de la loi vaudoise du 19 mai 2009 sur le Ministère public [LMPu; BLV 173.21]; ATF 142 IV 196 consid. 1.5.2), a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, dès lors qu'il soutient que le prévenu ne disposait pas, au regard de l'art. 382 al. 1 CPP, d'un intérêt juridiquement protégé, ni partant de la qualité pour recourir contre l'ordonnance du 30 mai 2023 (cf. let. B.c
supra; art. 81 al. 1 let. a et b ch. 3 LTF).
1.3. Lorsqu'une autorité cantonale annule une ordonnance du Ministère public et lui renvoie la cause pour nouvelle décision, cette situation induit généralement un préjudice irréparable au second puisque celui-ci se voit contraint de rendre une décision qu'il considère comme contraire au droit sans pouvoir ensuite la remettre en cause devant l'autorité de recours, respectivement devant le Tribunal fédéral (ATF 144 IV 377 consid. 1). En l'espèce, l'autorité précédente, en admettant le recours du prévenu et en renvoyant la cause au Ministère public pour qu'il statue à nouveau sur la requête des parties du 22 mai 2023, à défaut pour le Procureur de s'être prononcé sur les arguments soulevés par ces dernières, a considéré qu'un recours était ouvert contre l'ordonnance du 30 mai 2023 et que le prévenu avait la qualité pour recourir, ce que le Ministère public conteste. Ce dernier, étant tenu de se conformer aux instructions de l'autorité de renvoi en ce sens, ne pourra pas revenir ultérieurement sur ces questions. Il en résulte un risque de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, ce qui ouvre la voie du recours immédiat au Tribunal fédéral. Partant, il y a lieu d'entrer en matière.
2.
2.1. Le recourant fait valoir qu'il n'existerait pas de voie de droit cantonale contre une décision refusant la suspension de la procédure pénale au sens de l'art. 55a CP, d'une part, et que le prévenu (intimé) n'aurait de toute manière pas d'intérêt légitimement protégé à contester une telle décision, de sorte que le recours cantonal aurait dû être déclaré irrecevable.
2.2.
2.2.1. Le recours est en particulier recevable contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions (art. 393 al. 1 let. a CPP) et contre les ordonnances, les décisions et les actes de procédure des tribunaux de première instance, sauf contre ceux de la direction de la procédure (art. 393 al. 1 let. b CPP). Ne peuvent en revanche pas être attaquées par la voie du recours les décisions qui sont qualifiées de définitives ou de non sujettes à recours (cf. art. 380 CPP en lien avec les art. 379 et 393 CPP ; ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1; arrêt 1B_40/2023 du 17 mai 2023 consid. 2.2). Parmi les exceptions visées par l'art. 380 CPP figurent différentes décisions à caractère incident relatives au déroulement de la procédure préliminaire, telles que l'introduction de cette dernière (art. 300 al. 2 CPP), l'ouverture d'instruction (art. 309 al. 3, 3
e phrase, CPP), la reprise d'instruction après suspension (art. 315 al. 2 CPP), l'avis de prochaine clôture (art. 318 al. 3 CPP), ainsi que le dépôt de l'acte d'accusation (art. 324 al. 2 CPP).
Il découle ainsi de la systématique légale que, sauf exceptions prévues expressément par la loi, toutes les décisions de procédure - respectivement toute abstention ou omission -, qu'elles émanent du Ministère public, de la police ou des autorités compétentes en matière de contraventions, sont susceptibles de recours; en d'autres termes, la méthode législative n'est plus celle d'un catalogue énumérant les décisions sujettes à recours, à l'instar de ce que prévoyaient plusieurs anciens codes de procédure cantonaux, mais consiste à appliquer un principe (universalité des recours) puis à le limiter par des exceptions exhaustivement prévues dans la loi (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 et les références citées; arrêt 1B_40/2023 précité consid. 2.2).
2.2.2. Contrairement à ce que fait valoir le recourant, le Tribunal fédéral a considéré que la voie de droit de l'art. 393 al. 1 let. a CPP devait être ouverte contre la décision de refus de suspension de la procédure au sens de l'art. 314 CPP, à défaut d'exclusion expresse par la loi (arrêts 1B_656/2020 du 30 septembre 2021 consid. 2.1; 1B_669/2012 du 12 mars 2013 consid. 2.3.2).
2.3. La question est de savoir si une décision de refus de suspension fondée sur l'art. 55a CP est susceptible d'un recours au sens des art. 393 ss CPP.
2.3.1. Conformément à l'art. 55a al. 1 CP (dans sa teneur actuelle), en cas de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 2 al. 3 à 5 CP), de voies de fait réitérées (art. 126 al. 2 let. b, bbis et c CP), de menaces (art. 180 al. 2 CP) ou de contraintes (art. 181 CP), le ministère public ou le tribunal peut suspendre la procédure si la victime est le conjoint ou ex-conjoint de l'auteur et que l'atteinte a été commise durant le mariage ou dans l'année qui a suivi le divorce (let. a ch. 1), si la victime (ou son représentant légal) le requiert (let. b) et si la suspension semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de la victime (let. c).
La version actuelle de l'art. 55a CP a été introduite par la loi fédérale du 14 décembre 2018 sur l'amélioration de la protection des victimes de violence et est entrée en vigueur le 1er juillet 2020 (RO 2019 2273). Selon l'ancien art. 55a CP (dans sa teneur d'avant juillet 2020), en cas de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menaces ou de contrainte à l'intérieur du mariage, d'un partenariat enregistré ou d'une union libre, la procédure pouvait être suspendue dans un premier temps puis classée si la victime (ou son représentant légal) le demandait ou donnait son accord à la proposition de suspension de l'autorité.
2.3.2. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue en application de l'ancien art. 66ter CP (remplacé par l'art. 55a CP depuis le 1er avril 2004), les autorités étaient tenues de suspendre la procédure si la victime en avait exprimé le souhait. Elles pouvaient toutefois renoncer à le faire si elles parvenaient à la conclusion que la proposition de suspension ne correspondait pas au libre arbitre de la victime. La non-prise en compte de la demande de suspension n'était admissible que si la victime avait été amenée à renoncer à la procédure par la menace, la tromperie ou la violence ou si elle n'était pas informée des autres moyens de soutien ou d'action (cf. arrêt 6S.454/2004 du 21 mars 2006 consid. 3). Cette jurisprudence reposait sur la considération que la disposition légale, telle qu'elle était formulée, se référait uniquement à la volonté de la victime, même s'il s'agissait d'une disposition potestative. La jurisprudence du Tribunal fédéral avait pour effet que la responsabilité de la décision quant à la suspension de la procédure était reportée en principe sur la victime. Il ne restait ainsi guère de marge d'appréciation aux autorités (cf. Message du 11 octobre 2017 relatif à la loi fédérale sur l'amélioration de la protection des personnes touchées par la violence, FF 2017 p. 6929 ch. 1.2.5).
Dans la révision entrée en vigueur en 2004, le législateur relevait que l'autorité compétente demeurait toutefois libre de refuser de suspendre la procédure. Dans ce cas, elle ne pouvait cependant pas se soustraire à un examen des conditions et devait, en particulier, dûment motiver sa décision de continuer la poursuite pénale contre la volonté manifeste de la victime (FF 2003 p. 1766 ch. 3.2.2.1; cf. arrêt 6S.454/2004 du 21 mars 2006 consid. 3). Le rejet de la demande de suspension par le Ministère public était attaquable devant l'autorité de recours (cf. RIEDO/ALLEMANN,
in : Basler Kommentar, Strafrecht, 4e éd. 2019, n° 167 ad art. 55a aCP; parmi les décisions cantonales ayant admis l'existence d'une voie de droit dans ce cas, cf. not. l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal fribourgeois du 28 juin 2018 [502 2018 64] consid. 1.1, qui se réfère en particulier à l'arrêt 1B_669/2012 précité consid. 2.3; cf. ég. la décision [
Beschluss] de l'
Obergericht du canton de Zurich,
III. Strafkammer, du 31 mars 2017 [UH170030] consid. 2.4).
2.3.3. On ne voit pas pourquoi il en irait différemment s'agissant des voies de droit contre une décision de refus de suspension rendue sous l'empire du nouveau droit (art. 55a CP en vigueur depuis le 1er juillet 2020). La plupart des auteurs qui abordent la question l'admettent d'ailleurs - du moins implicitement - en n'opérant aucune distinction relative à la possibilité de recourir contre le rejet d'une demande de suspension, suivant que l'on applique l'art. 55a CP dans sa teneur d'avant ou après juillet 2020 (cf. ANDRÉ VOGELSANG,
in : Basler Kommentar, Strafprozessordnung, 3e éd. 2023, n° 44a ad art. 314 CPP; TRECHSEL/KELLER,
in : Praxiskommentar, Schweizerisches Strafgesetzbuch, 4e éd 2021, n° 8 ad art. 55a CP; WOLFGANG WOHLERS, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Handkommentar, 4e éd. 2020, n° 7 ad art. 55a CP; NORA SCHEIDEGGER, Opferhilferecht, Commentaire Stämpfli, 4e éd. 2020, n° 22 ad art. 55a CP; cf. ég. NATHALIE DE LUCA, Gesetzesreform "zum verbesserten Schutz gewaltbetroffener Personen" aus strafrechtlicher Sicht, recht 3/2020 p. 178). Va également dans le sens de l'existence d'une voie de recours contre un refus de suspension fondé sur l'art. 55a CP la décision (
Beschluss) rendue par l'
Obergericht du canton de Berne,
Beschwerdekammer, du 30 mai 2022 (BK 22 65), qui se base sur les considérations juridiques relatives à l'art. 314 CPP.
2.3.4. Il est vrai que le Message du Conseil fédéral évoque le fait que, dans le cadre de l'examen de la pesée des intérêts avant la suspension, la reprise ou le classement de la procédure pénale, le recours est ouvert "uniquement contre le classement ou une ordonnance pénale ou un jugement", de sorte que l'autorité de recours ne peut examiner qu'après un certain temps si le pouvoir d'appréciation a été outrepassé (FF 2017 p. 6956 ch. 3.3.2). On ne saurait cependant en déduire l'inexistence d'une voie de recours contre une décision de refus de suspension de la procédure au sens de l'art. 55a CP prise par le Ministère public, contrairement à ce que soutient le recourant. La modification du texte légal n'a fait l'objet d'aucune remarque spécifique du Conseil fédéral sur ce point et on ne peut pas y déceler une volonté du législateur de modifier son interprétation à cet égard. Une telle décision demeure ainsi sujette à recours, au vu du principe général rappelé ci-avant (cf. consid. 2.2.1
supra). La situation n'est de ce point de vue pas différente de ce qui prévaut en matière de refus de suspension au sens de l'art. 314 CPP.
La plus grande marge d'appréciation accordée désormais à l'autorité de poursuite ensuite de la révision de l'art. 55a CP (arrêt 6B_563/2022 du 29 septembre 2022 consid. 1.3.3; FF 2017 pp. 6956 s. ch. 3.3.2) ne prive pas non plus en soi les parties d'un droit de recours, au vu de la systématique de la loi (sur l'examen de cette question en relation avec l'art. 314 CPP, cf. arrêt 1B_669/2012 précité consid. 2.2 et 2.3).
2.4. Il résulte de ce qui précède que la voie de droit de l'art. 393 al. 1 let. a CPP devrait être ouverte contre une décision de refus de suspension de la procédure pénale prise par le Ministère public dans le cadre de l'application de l'art. 55a CP.
2.5. Il convient toutefois encore d'examiner la question de la qualité pour recourir du prévenu contre une décision de refus de suspension de la procédure au sens de l'art. 55a CP, question que l'autorité précédente n'a pas abordée.
2.5.1. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci.
Il existe un intérêt juridiquement protégé lorsque le recourant est touché directement et immédiatement dans ses droits propres, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il est touché par un simple effet réflexe. L'intérêt juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection, qui n'est pas nécessairement un intérêt juridique, mais peut être un intérêt de fait. Un simple intérêt de fait ne suffit pas à conférer la qualité pour recourir. Le recourant doit ainsi établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut en conséquence en déduire un droit subjectif. La violation d'un intérêt relevant d'un autre sujet de droit est insuffisante pour créer la qualité pour recourir (ATF 145 IV 161 consid. 3.1 et les arrêts cités). Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1).
2.5.2. Dans le cadre de l'art. 55a CP, la suspension de la procédure pénale nécessite une manifestation de la volonté de la victime. Par ailleurs, le texte légal de l'art. 55a CP conçoit expressément la requête de suspension comme une pure prérogative de cette dernière. Si le Ministère public refuse de suspendre la procédure, le prévenu ne peut donc pas demander la suspension ultérieurement, seule la victime pouvant le faire.
Cela étant, en l'occurrence, il est indéniable que la poursuite de la procédure ne correspond pas aux intérêts factuels de l'intimé. Cela ne suffit toutefois pas pour fonder un intérêt juridiquement protégé à contester la décision de refus de suspension. La suspension a été refusée parce qu'elle ne paraissait pas suffisante pour stabiliser et améliorer la situation, au vu des circonstances personnelles du prévenu, de son vécu et de son passé (cf. let. B.c
supra). Dans cette situation initiale, seuls les intérêts dignes de protection de l'intimée (victime) étaient en jeu. Le fait que le rejet de sa demande entraîne la poursuite de la procédure ne constitue, en ce qui concerne le prévenu, qu'un effet réflexe. Il n'y a pas non plus de conséquence négative directe et immédiate sur la situation juridique de ce dernier allant au-delà de la simple poursuite de la procédure. Or c'est bien dans le but d'améliorer la situation de la - seule - victime que le législateur a révisé l'art. 55a CP. La décision relative à la suspension, à la reprise et au classement de la procédure ne dépend plus uniquement de la volonté de la victime, et l'autorité ne doit pas satisfaire inconditionnellement à la requête de cette dernière (cf. FF 2017 p. 6955 ch. 3.3.1). L'autorité doit ainsi procéder à une pesée des intérêts et à un examen de la proportionnalité (FF 2017 pp. 6956 s. ch. 3.3.2 et p. 6975 ch. 4.3), étant rappelé que la suspension doit désormais constituer l'exception et non la règle (cf. arrêt 6B_563/2022 précité consid. 1.3.3 et les références citées; FF 2017 p. 6956 ch. 3.3.2).
L'ordonnance du 30 mai 2023 est susceptible de n'affecter qu'indirectement les intérêts de l'intimé, ce qui est insuffisant au regard de l'art. 382 al. 1 CPP. Partant, l'argumentation de l'intimé tendant à démontrer qu'en cas de refus de suspension, il existerait un risque que son intérêt juridiquement protégé "perde son caractère actuel" en raison de la stabilisation de la situation de la victime ne saurait être suivie, puisque précisément un tel intérêt n'existe pas.
2.6. En définitive, si le refus de suspension fondé sur l'art. 55a CP constitue une décision susceptible en principe de faire l'objet d'un recours (cf. consid. 2.4
supra), il apparaît cependant que la qualité pour recourir au sens de l'art. 382 al. 1 CPP doit être déniée au prévenu. C'est donc à tort que la cour cantonale a déclaré recevable le recours formé devant elle par l'intimé.
3.
Il s'ensuit que le recours doit être admis et l'arrêt attaqué réformé en ce sens que le recours de A.________ contre l'ordonnance du 30 mai 2023 est irrecevable. La cause sera renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais et indemnités de la procédure cantonale ( art. 67 et 68 al. 5 LTF ).
Le Ministère public, qui obtient gain de cause, ne saurait se voir allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF). La requête d'assistance judiciaire présentée par l'intimé doit être admise au vu de sa situation financière et une indemnité appropriée doit être accordée à son défenseur d'office, à la charge de la caisse du Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). L'intimé est toutefois rendu attentif à son obligation de rembourser la caisse du Tribunal fédéral s'il retrouve ultérieurement une situation financière lui permettant de le faire (art. 64 al. 4 LTF). Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt du 11 septembre 2023 de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud est réformé en ce sens que le recours de A.________ contre l'ordonnance du 30 mai 2023 est irrecevable.
2.
La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision sur les frais et indemnités de la procédure cantonale.
3.
La requête d'assistance judiciaire de l'intimé est admise.
3.1. Me Amir Dhyaf est désigné comme avocat d'office de l'intimé et une indemnité de 1'000 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.
3.2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 9 juillet 2024
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
Le Greffier : Valentino