Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_161/2024
Arrêt du 7 février 2025
Ire Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Haag, Président,
Chaix et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffière : Mme Rouiller.
Participants à la procédure
Université de Genève, représentée par Mes Pierre Gabus et Lucile Bonaz, avocats, Gabus Avocats, boulevard des Tranchées 46, 1206 Genève,
recourante,
contre
A.________, représentée par Me Nathalie Bornoz, avocate,
intimée.
Objet
Droit de la fonction publique; refus d'ouverture d'une procédure de nomination par appel; nullité du vote,
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 6 février 2024 (ATA/164/2024).
Faits :
A.
A.________ est professeure associée au sein du département de linguistique (ci-après: département) de la faculté des lettres (ci-après: faculté) de l'Université de Genève (ci-après: UniGE) depuis le 1
er août 2011.
B.
En décembre 2019, le département a demandé au doyen de la faculté l'ouverture d'une procédure de nomination par appel de A.________ au rang de professeure ordinaire. Le 18 février 2020, le collège des professeurs a refusé l'ouverture de ladite procédure.
A.________ a formé opposition auprès du doyen de la faculté contre le refus du 18 février 2020. Le 16 avril 2020, son opposition a été déclarée irrecevable. L'objet du vote était l'ouverture d'une procédure de nomination par appel, et non pas la candidature de A.________; il s'agissait partant d'un acte d'organisation interne et non d'une décision à laquelle elle pouvait s'opposer.
La Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: Cour de justice) a admis le recours de A.________ interjeté contre la décision du 16 avril 2020. Elle a notamment considéré que le vote du 18 février 2020 devait être considéré comme un acte attaquable dès lors que A.________ alléguait avec une certaine substance une discrimination au sens de la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l'égalité entre hommes et femmes (LEg; RS 151.1). Elle a au surplus constaté la nullité du vote du collège des professeurs de la faculté au motif que ledit collège était incompétent pour voter l'ouverture d'une procédure de nomination par appel. Par conséquent, la Cour de justice a renvoyé le dossier à l'UniGE pour que cette dernière suive la procédure de nomination par appel conformément aux règles applicables.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, l'UniGE demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice et de lui renvoyer la cause pour nouvelle décision. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation dudit arrêt et à la confirmation de la décision de l'UniGE du 16 avril 2020.
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. A.________ conclut à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet. Un second échange d'écritures a eu lieu, au terme duquel les parties maintiennent leurs conclusions respectives.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis.
1.1. Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine des rapports de travail de droit public (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss LTF. Le litige porte sur l'ouverture d'une procédure de nomination par appel en faveur de l'intimée; si cette nomination venait à aboutir, le salaire de l'intimée serait fixé à un échelon supérieur. Il s'agit partant d'une contestation pécuniaire et le motif d'exclusion de l'art. 83 let. g LTF n'entre ainsi pas en considération, de surcroît lorsque la cause au fond porte sur une contestation touchant à l'égalité des sexes. La valeur litigieuse atteint par ailleurs le seuil de 15'000 fr., ouvrant la voie du recours en matière de droit public (art. 85 al. 1 let. b LTF).
1.2. Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) est recevable contre les décisions finales, soit celles qui mettent fin à la procédure (art. 90 LTF), et contre les décisions partielles, soit celles qui statuent sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause (art. 91 let. a LTF) ou qui mettent fin à la procédure à l'égard d'une partie des consorts (art. 91 let. b LTF). Les décisions préjudicielles et incidentes autres que celles concernant la compétence ou les demandes de récusation (cf. art. 92 LTF) ne peuvent faire l'objet d'un recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF).
Selon la jurisprudence, lorsqu'une autorité est contrainte par le jugement incident à rendre une décision qu'elle estime contraire au droit et qu'elle ne pourra pas elle-même attaquer, elle peut déférer un tel jugement incident au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé du jugement final (ATF 145 V 266 consid. 1.3; 145 I 239 consid. 3.3; en lien avec le droit de la fonction publique, cf. arrêt 8C_969/2012 du 2 avril 2013 consid. 1.4).
En l'espèce, la Cour de justice a renvoyé l'affaire à la recourante en lui ordonnant de suivre la procédure de nomination par appel conformément aux règles du règlement du 17 mars 2009 sur le personnel de l'université (ci-après: RPers). Une telle décision ne met pas fin à la cause et doit donc être qualifiée d'incidente. Toutefois, l'arrêt attaqué contraint l'UniGE à statuer par voie de décision sur l'ouverture d'une procédure de nomination par appel; l'UniGE doit ainsi se soumettre à une injonction sans pouvoir ensuite attaquer la nouvelle décision qu'elle est tenue de rendre. La voie du recours au Tribunal fédéral est donc directement ouverte contre l'arrêt de la Cour de justice, nonobstant sa nature incidente.
1.3. Les autres conditions de recevabilité sont au surplus réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.
2.
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 30 al. 1 Cst. au motif que la Cour de justice ne lui a pas communiqué un changement intervenu au sein de sa composition. Plus précisément, la recourante reproche à la Cour de justice de ne pas l'avoir informée du remplacement non seulement de la juge Silvia Tombesi, qui a instruit les premiers échanges d'écritures, mais surtout de la juge Fabienne Michon Rieben, qui a siégé lors de l'audience de comparution personnelle et a diligenté l'instruction jusqu'en janvier 2024. La recourante n'a ainsi découvert qu'à la lecture du jugement du 6 février 2024 que ces deux juges ne figuraient pas parmi les juges ayant rendu ledit jugement.
La recourante invoque également l'art. 6 § 1 CEDH (RS 0.101), sans toutefois prétendre que cette disposition lui accorderait des droits plus étendus que l'art. 30 Cst. ni développer d'argumentation spécifique; rien ne commande dès lors de s'y attarder.
2.1. En vertu de l'art. 30 al. 1 Cst., toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Cette réglementation vise à éviter que des tribunaux ne soient constitués spécialement pour le jugement d'une affaire et à empêcher que les juges choisis pour statuer dans une affaire déterminée ne le soient de façon à influencer le jugement. Un tribunal dont la composition n'est pas justifiée par des motifs objectifs viole le droit à la garantie constitutionnelle du juge indépendant et impartial. Les parties à la procédure ont droit à ce que l'autorité judiciaire soit composée régulièrement (ATF 137 I 340 consid. 2.2.1).
L'art. 30 al. 1 Cst. n'exige pas que l'autorité judiciaire appelée à statuer soit composée des mêmes personnes tout au long de la procédure, notamment pour l'audition des témoins et pour le jugement (arrêts 8C_718/2020 du 1
er décembre 2021 consid. 3.2.2; 9C_731/2007 du 20 août 2008 consid. 2.2.3 et références). La modification de la composition du tribunal en cours de procédure ne constitue donc pas en tant que telle une violation de l'art. 30 al. 1 Cst. Elle s'impose nécessairement lorsqu'un juge doit être remplacé par un autre ensuite de départ à la retraite, d'élection dans un autre tribunal, de décès ou en cas d'incapacité de travail de longue durée (arrêts 8C_718/2020 précité; 9C_731/2007 précité).
La jurisprudence exige toutefois de l'autorité qu'elle attire l'attention des parties sur le remplacement de juges qui est envisagé et donne les raisons qui le motivent (ATF 142 I 93 consid. 8; arrêts 1C_120/2021 du 10 octobre 2022 consid. 3.1; 4A_1/2017 du 22 juin 2017 consid. 2.1.3). Si les explications relatives au remplacement d'un juge font défaut dans l'arrêt, elles peuvent encore être données dans le cadre de la procédure de recours devant le Tribunal fédéral, permettant ainsi que le vice soit réparé (cf. arrêts 1B_311/2016 du 10 octobre 2016 consid. 2.3; 4A_474/2015 du 19 avril 2016 consid. 2.2).
2.2. En l'espèce, il n'est pas contesté que la juge Fabienne Michon Rieben a instruit la majorité de la procédure et qu'elle a également siégé, seule, lors de l'audience de comparution personnelle du 15 juin 2023. Elle ne fait toutefois pas partie des magistrats ayant rendu le jugement attaqué. Or, la Cour de justice n'a informé les parties ni du changement de composition, ni des motifs sur lesquels il reposait. Dans ses observations sur le recours, elle se limite au demeurant à renvoyer aux considérants et au dispositif de son arrêt, sans donner d'indication quant aux raisons de la modification de la composition.
Comme le relève à juste titre l'intimée, il ressort du site internet du pouvoir judiciaire genevois que Fabienne Michon Rieben exerce actuellement exclusivement au sein de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice. La date à laquelle elle a quitté ses fonctions au sein de la Chambre administrative de la Cour de justice est toutefois inconnue et aucun élément du dossier ne permet de déterminer si elle était encore active au sein de la Chambre administrative le 6 février 2024, date à laquelle le jugement attaqué a été rendu. Il n'est dès lors pas possible de savoir si l'absence de Fabienne Michon Rieben de la composition ayant rendu le jugement attaqué est fondée sur un motif objectif, tel que son changement de fonction, ou sur une autre raison.
Partant, et pour ce motif déjà, le recours doit être admis pour violation de l'art. 30 al. 1 Cst., le Tribunal fédéral n'étant pas en mesure de vérifier le bien-fondé du changement de composition de la cour cantonale.
La question de savoir si la Cour de justice aurait également dû informer la recourante du départ de Silvia Tombesi en date du 28 février 2022 (selon des informations disponibles sur le site internet du pouvoir judiciaire genevois), soit près de deux ans avant le prononcé du jugement attaqué et alors qu'elle n'avait que brièvement participé au début de l'instruction de la cause, peut demeurer indécise.
3.
Au vu de ce qui précède, le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est annulé. La cause est renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision au sens des considérants.
Les frais sont en principe mis à la charge de la partie qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Les frais causés inutilement sont supportés par celui qui les a engendrés (art. 66 al. 3 LTF). En l'espèce, la Cour de justice, renonçant à se déterminer sur le recours, a omis d'exposer les motifs justifiant le changement de composition de la Chambre administrative. Il apparaît donc justifié de renoncer à percevoir des frais de justice (cf. arrêt 1B_311/2016 du 10 octobre 2016 consid. 3).
La recourante n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est annulé. La cause est renvoyée à la Chambre administrative de la Cour de justice pour nouvelle décision au sens des considérants.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Il n'est pas alloué de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 7 février 2025
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Haag
La Greffière : Rouiller