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Chapeau

148 IV 288


28. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause A. contre Ministère public de la République et canton de Genève (recours en matière pénale)
6B_1270/2021 du 2 juin 2022

Regeste

Art. 110 al. 4 et art. 251 ch. 1 CP; art. 269d et 270 al. 2 CO; art. 19 al. 1 OBLF; faux dans les titres; formule officielle en vue de la conclusion d'un nouveau bail.
La formule officielle prévue par les art. 269d CO et 19 OBLF, dont l'usage est rendu obligatoire par certains cantons pour la conclusion de tout nouveau bail (cf. art. 270 al. 2 CO), constitue un titre au sens de l'art. 110 al. 4 CP. En conséquence, une formule officielle contenant des indications mensongères quant au loyer payé par l'ancien locataire est susceptible de constituer un faux tombant sous le coup de l'art. 251 ch. 1 CP (consid. 4.4).

Faits à partir de page 289

BGE 148 IV 288 S. 289

A. Par jugement du 20 mai 2020, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève a condamné A., en lien avec les faits mentionnés au ch. B.a.II.2 de l'acte d'accusation, pour faux dans les titres (art. 251 CP) à une peine privative de liberté de 24 mois, avec sursis pendant 3 ans. Il l'a par ailleurs acquitté du chef de tentative d'escroquerie, subsidiairement de faux dans les titres, en lien avec les faits mentionnés au ch. B.a.I.1 de l'acte d'accusation.
Par le même jugement, le Tribunal correctionnel a également condamné B. pour faux dans les titres (art. 251 CP) à une peine privative de 15 mois, avec sursis pendant 3 ans.

B. Statuant par arrêt du 7 septembre 2021, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel de A., ainsi que l'appel joint du Ministère public, dirigés contre le jugement du 20 mai 2020, qui a ainsi été confirmé.
En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants.

B.a A., né en 1954, est un avocat inscrit au registre genevois depuis 1981. Il est l'associé principal d'une étude, établie à Genève.

B.b Entre 2009 et 2017, A. s'est occupé, avec la régie immobilière C. SA (ci-après également: la régie), de la gestion et de la location de deux immeubles résidentiels, comportant plusieurs appartements, sis, pour le premier, à Morges (VD), rue V., dont la propriétaire était sa soeur D., et, pour le second, à Lausanne, chemin W., dont la propriétaire était la société E. SA, qu'il contrôlait personnellement.
Dans ce cadre, lors de l'établissement de nouveaux contrats de bail, A. a communiqué à la régie des montants fictifs à titre d'anciens loyers et charges ainsi que des noms fictifs d'anciens locataires. Ces informations étaient ensuite inscrites sur la formule destinée à communiquer au locataire les hausses de loyer (cf. art. 19 de l'ordonnance du 9 mai 1990 sur le bail à loyer et le bail à ferme d'habitations et de locaux commerciaux [OBLF; RS 221.213.11]), rendue obligatoire dans le canton de Vaud lors de la conclusion d'un nouveau bail (cf. art. 270 CO), ainsi que dans le nouveau contrat de bail, ceci afin d'éviter une contestation initiale du loyer par le nouveau locataire entrant et d'en permettre une augmentation massive et injustifiée. Les documents étaient ensuite signés par B., directeur de la régie, lequel savait que les informations mentionnées étaient fausses.
Ces agissements ont été perpétrés à dix reprises entre septembre 2009 et janvier 2017, soit à neuf occasions pour des appartements sis dans
BGE 148 IV 288 S. 290
l'immeuble de Morges et à une seule en ce qui concerne l'immeuble de Lausanne.

B.c Les locataires signataires des contrats de bail en cause ont été indemnisés par A. pour un montant total de 218'118 francs. Ceux qui avaient initialement déclaré vouloir participer à la procédure pénale ont par la suite retiré leur plainte.

C. A. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 7 septembre 2021. En substance, il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à son acquittement intégral, subsidiairement à son acquittement à raison des faits mentionnés dans les trois derniers postes du tableau figurant en page 3 de l'acte d'accusation, soit les cas concernant les locataires F. et G., H. et I. ainsi que J. Plus subsidiairement, il conclut à l'annulation de l'arrêt et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision.
Par ordonnance du 16 novembre 2021, le Juge présidant la Cour de droit pénal a admis la requête d'effet suspensif assortie au recours.
Invité à se déterminer, le Ministère public conclut au rejet du recours.
Dans ses observations subséquentes, A. persiste dans ses conclusions.

Considérants

Extrait des considérants:

4. (...)

4.4

4.4.1 En cas de pénurie de logements, les cantons peuvent rendre obligatoire pour les baux d'habitations, sur tout ou partie de leur teritoire, l'usage de la formule officielle mentionnée à l'art. 269d CO, lors de la conclusion de tout nouveau bail (art. 270 al. 2 CO).
L'usage de la formule officielle poursuit dans ce contexte un objectif de protection du locataire. Elle a ainsi pour but, d'une part, d'informer le locataire de sa possibilité de saisir l'autorité de conciliation afin de contester le montant du loyer en lui fournissant toutes les indications utiles et, d'autre part, à empêcher les hausses abusives de loyer lors d'un changement de locataire, de sorte que l'indication du loyer versé par le précédent locataire doit y figurer (ATF 140 III 586 consid. 3.1 et les références citées).

4.4.2 Il n'est pas contesté qu'au moment des faits, en application de l'art. 270 al. 2 CO, le canton de Vaud avait rendu obligatoire l'usage de la formule officielle sur son territoire, à tout le moins s'agissant
BGE 148 IV 288 S. 291
des communes de Lausanne et de Morges (cf. art. 1 al. 1 et 3 al. 1 de la loi cantonale du 7 mars 1993 sur l'utilisation d'une formule officielle au changement de locataire [LFOCL; BLV 221.315]).
L'art. 2 LFOCL précise que la formule est agréée par le canton et doit contenir la mention du montant du loyer et des frais accessoires dus par le précédent locataire, de la date de leur entrée en vigueur, du montant du nouveau loyer et des nouveaux frais accessoires, des motifs précis de la hausse éventuelle, du droit de contestation du locataire au sens de l'art. 270 al. 1 CO ainsi que du délai de contestation et de l'adresse des commissions de conciliation en matière de baux à loyer. Ces indications correspondent pour l'essentiel à celles énumérées par l'art. 19 al. 1 OBLF.

4.4.3 Au regard des caractéristiques de la formule officielle, dont le caractère obligatoire et le contenu sont en l'occurrence strictement définis par la législation, il apparaît indéniable que ce document se voit conférer une valeur probante accrue, le locataire destinataire devant ainsi pouvoir raisonnablement s'y fier au moment d'envisager une contestation du loyer initial, sans avoir à cet égard à vérifier l'exactitude des informations données par le bailleur quant au montant du loyer précédemment payé par l'ancien locataire.
Il faut de surcroît prendre en considération que, selon la jurisprudence, la notification viciée du loyer initial par le bailleur entraîne en principe la nullité partielle du bail en tant qu'il porte sur le montant du loyer (cf. ATF 140 III 583 consid. 3.2.1; ATF 124 III 62 consid. 2a; ATF 120 II 341 consid. 5d). C'est à cet égard en vain que le recourant soutient que le bailleur n'a "aucune obligation particulière de vérité" envers le locataire. On ne voit pas non plus ce que le recourant pourait déduire de l'article de doctrine qu'il produit (cf. NIGGLI/MUSKENS, Unwahre Angaben im Formular A als Falschbeurkundung, in Droit pénal et criminologie, Mélanges en l'honneur de Nicolas Queloz, 2020, p. 181), les critiques qui y sont opérées en lien avec la jurisprudence relative au formulaire A, ci-avant évoquée, n'étant pas d'emblée transposables au cas de la formule officielle prévue en droit du bail à loyer.
Cela étant, au regard des circonstances décrites ci-avant, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en considérant que les formules officielles prévues par la législation en matière de droit du bail constituaient des titres au sens des art. 110 ch. 4 et 251 CP.
BGE 148 IV 288 S. 292

4.4.4 Enfin, sur le plan subjectif, il apparaît qu'en cherchant à éviter aux bailleresses des procédures en contestation du loyer initial et à ainsi leur permettre, par l'emploi de formules officielles fausses quant à leur contenu, d'augmenter le rendement des immeubles, le recourant a bien agi dans le but de leur procurer un avantage illicite.
La condamnation du recourant pour faux dans les titres doit dans cette mesure être confirmée.

contenu

document entier:
résumé partiel: allemand français italien

Considérants 4

références

ATF: 140 III 586, 140 III 583, 124 III 62, 120 II 341

Article: art. 269d et 270 al. 2 CO, art. 270 al. 2 CO, art. 251 CP, Art. 110 al. 4 et art. 251 ch. 1 CP suite...