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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4D_101/2010 
 
Arrêt du 1er décembre 2010 
Ire Cour de droit civil 
 
Composition 
Mmes et M. les Juges Klett, Présidente, 
Rottenberg Liatowitsch et Kolly. 
Greffière: Mme Monti. 
 
Participants à la procédure 
1. A.X.________ Sàrl, 
2. B.X.________, 
toutes deux représentées par Me Gilles Robert-Nicoud, avocat, 
recourantes, 
 
contre 
 
1. A.Y.________ SA, 
2. B.Y.________, 
toutes deux représentées par Me Philippe Ganzoni, avocat, 
intimées. 
 
Objet 
contrat de représentation exclusive, 
 
recours constitutionnel contre l'arrêt rendu le 16 juin 2010 par la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
Faits: 
 
A. 
Un litige portant notamment sur le paiement de redevances prévues par un contrat de représentation exclusive pour la vente de certains produits a divisé la société A.X.________ Sàrl et B.X.________, d'une part, d'avec la société A.Y.________ SA et B.Y.________, d'autre part. Toutes les parties ont leur siège ou domicile en Suisse. La cause a été portée devant un tribunal arbitral formé de trois avocats. Le siège de l'arbitrage a été fixé à Lausanne. Par sentence du 21 janvier 2010, le Tribunal arbitral, admettant partiellement l'action, a condamné solidairement la société A.X.________ Sàrl et B.X.________ (défenderesses) à payer à A.Y.________ SA et à B.Y.________ (demanderesses) les montants de 11'820 fr., 10'143 fr. et 9'418 fr. 40, plus intérêts, sous déduction de 6'809 fr. 25 et des intérêts afférents à cette somme. 
 
B. 
Les défenderesses ont interjeté recours auprès de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, concluant à l'annulation de la sentence arbitrale. L'autorité cantonale a rejeté le recours par arrêt du 16 juin 2010. Elle a jugé que le Tribunal arbitral n'était pas tombé dans l'arbitraire en retenant que le contrat de représentation litigieux n'était pas entré en vigueur, les demanderesses n'étant pas au bénéfice d'une exclusivité au moment de sa signature; que les objections des défenderesses, fondées sur le dol ou l'erreur essentielle, étaient en conséquence sans objet faute de contrat conclu; que le contrat avait néanmoins été exécuté de facto par les parties dans ses clauses essentielles (théorie du contrat de fait); que les défenderesses en avaient profité dans leur activité; que la redevance initialement prévue devait donc être payée. 
 
C. 
Les défenderesses (ci-après: les recourantes) ont formé un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral. Sur le fond, elles concluent principalement à la réforme du jugement entrepris, en ce sens que les demanderesses (ci-après: les intimées) sont condamnées solidairement à restituer à la société recourante les redevances versées pour les années 2002 à 2004, soit un montant de 23'103 fr., plus intérêts, et sont déboutées de toute autre ou contraire conclusion. A titre subsidiaire, les recourantes concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Invoquant l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (art. 9 Cst.), elles font grief à l'autorité cantonale, d'une part, d'avoir porté atteinte à la garantie de leur propriété (art. 26 al. 1 Cst., art. 25 Cst./VD [RSV 101.01]) et à leur liberté économique (art. 27 Cst., art. 26 Cst./VD), et, d'autre part, d'avoir violé leurs droits de parties en fixant de manière discrétionnaire et arbitraire la valeur des prestations réciproques, suite au constat de la nullité du contrat de représentation exclusive. 
 
Les intimées, qui s'en remettent à justice quant à la recevabilité du recours, proposent le rejet de celui-ci. 
 
Considérant en droit: 
 
1. 
L'arrêt attaqué est une décision finale rendue dans une affaire civile par l'autorité cantonale de dernière instance. Eu égard à la valeur litigieuse de 24'572 fr. 15, seule la voie du recours constitutionnel subsidiaire est ouverte (art. 113 et 74 al. 1 let. b LTF). 
 
2. 
L'autorité précédente a statué sur un recours cantonal contre une sentence arbitrale soumise au Concordat du 27 août 1969 sur l'arbitrage (CA; RSV 278.91). Le recours au Tribunal fédéral contre un arrêt rendu dans ce cadre-là est, sous réserve d'exceptions sans pertinence en l'espèce, purement cassatoire (ATF 133 III 634 consid. 1.1.3). Les conclusions principales des recourantes sont ainsi d'emblée irrecevables; la conclusion en remboursement des redevances versées pour les années 2002 à 2004 l'est de surcroît parce qu'elle est nouvelle, l'autorité cantonale n'en ayant pas été saisie (cf. art. 99 al. 2 LTF). 
 
3. 
L'art. 36 CA énumère les moyens de nullité susceptibles d'être invoqués à l'appui d'un recours contre la sentence arbitrale auprès de l'autorité judiciaire compétente (cf. art. 3 CA). Selon l'art. 36 let. f CA, qui énonce le seul moyen de fond, la sentence peut être attaquée lorsqu'elle est "arbitraire parce qu'elle repose sur des constatations manifestement contraires aux faits résultant du dossier ou parce qu'elle constitue une violation évidente du droit ou de l'équité". 
 
Sous le régime de l'ancienne loi d'organisation judiciaire, la jurisprudence avait d'abord admis que le Tribunal fédéral examinait l'application de l'art. 36 let. f CA uniquement sous l'angle de l'arbitraire, qu'il se limitait donc à examiner si l'arbitraire avait été admis ou nié arbitrairement par l'instance cantonale ("arbitraire au carré"). Cette jurisprudence a été abandonnée en 1986 (ATF 112 Ia 350 consid. 1). Depuis lors, le Tribunal fédéral revoit librement l'application de l'art. 36 let. f CA. 
 
Le recours constitutionnel subsidiaire peut être formé uniquement pour violation des droits constitutionnels (art. 116 LTF); il s'ensuit que le grief d'une violation du droit intercantonal (art. 95 let. e LTF), recevable dans le cadre d'un recours en matière civile, est exclu dans ce moyen de droit. Cela étant, il n'y a, en l'état, pas de motif de revenir sur la pratique permettant au Tribunal fédéral d'examiner librement la façon dont l'autorité cantonale a appliqué l'art. 36 let. f CA dans les causes ayant une valeur litigieuse inférieure à 30'000 fr. Cela s'impose d'autant moins que le système des voies de recours va changer avec la prochaine entrée en vigueur du Code de procédure civile fédéral (CPC; RS 272); à l'avenir, le Tribunal fédéral examinera directement la sentence arbitrale en tant qu'instance de recours unique. C'est à ce moment-là qu'il y aura lieu de décider si et, le cas échéant, avec quelle cognition il examinera, dans les causes ayant une valeur litigieuse inférieure à 30'000 fr., le moyen de nullité prévu à l'art. 393 let. e CPC, disposition qui est une simple reprise de l'art. 36 let. f CA (à ce sujet, cf. Message du 28 juin 2006, relatif au CPC, ad art. 391 du projet, FF 2006 7011; JEAN-FRANÇOIS Poudret, Arbitrage interne, in: Unification de la procédure civile, Zurich 2004, p. 153 ss, spéc. p. 165). 
 
4. 
Selon le principe de l'épuisement des voies de recours cantonales, seule la décision de l'autorité cantonale de dernière instance peut faire l'objet du recours, et non pas la sentence arbitrale (art. 113 LTF; ATF 133 III 634 consid. 1.1.1). Il y a épuisement des voies de recours cantonales lorsque la dernière instance cantonale a été saisie de la question litigieuse et s'est prononcée à son sujet, à tout le moins implicitement. Lorsque l'autorité cantonale n'applique pas le droit d'office, mais doit se limiter à examiner les griefs régulièrement soulevés devant elle, il y a épuisement des voies de recours uniquement pour ces griefs; il n'est dès lors pas possible de soulever d'autres griefs devant le Tribunal fédéral (ATF 134 III 524 consid. 1.3; cf. aussi, par analogie, ATF 123 IV 42 consid. 2a). Dans le cadre d'un recours contre une décision arbitrale au sens de l'art. 36 CA, l'autorité cantonale examine uniquement les moyens de nullité valablement soulevés; un examen d'office de la sentence arbitrale par le juge étatique serait contraire à la nature même de la procédure arbitrale (cf. ATF 103 Ia 356 consid. 3; Lalive/Poudret/Reymond, Le droit de l'arbitrage interne et international en Suisse, Lausanne 1989, p. 203). En l'espèce, l'autorité cantonale a expressément restreint son examen dans ce sens; les recourantes ne soulèvent aucun grief à cet égard. 
 
Dans leur recours cantonal, les recourantes se sont plaintes d'une violation de l'art. 36 let. f CA à divers titres, soutenant que la sentence arbitrale reposait sur des constatations manifestement contraires aux faits résultant du dossier et qu'elle constituait une violation manifeste des art. 28 et 31 CO ainsi que de l'équité. Elles n'ont par contre pas dénoncé une violation manifeste de la garantie constitutionnelle de la propriété et de la liberté économique; dans la mesure où elles le font dans le présent recours, celui-ci est irrecevable faute d'épuisement des voies de recours cantonales. 
 
5. 
Les recourantes se plaignent essentiellement d'arbitraire. Il s'agit dès lors d'examiner librement si c'est à tort que l'autorité cantonale a nié l'arbitraire au sens de l'art. 36 let. f CA lors de l'examen de la sentence arbitrale. Un examen plus large de l'arbitraire est exclu, car la limitation de l'examen des sentences arbitrales aux moyens de nullité de l'art. 36 CA vaut aussi pour le Tribunal fédéral (ATF 112 Ia 350 consid. 1 i.f.; cf. ATF 133 III 634 consid. 1.1.3). 
 
5.1 Il n'y a arbitraire sur les faits, au sens de cette disposition concordataire, que si le tribunal arbitral a procédé à des constatations manifestement contraires aux faits résultant du dossier. Cela suppose que le tribunal arbitral, à la suite d'une inadvertance, s'est mis en contradiction avec les pièces du dossier, soit en perdant de vue certains passages ou en leur attribuant un autre contenu que celui qu'ils ont réellement, soit en admettant par erreur qu'un fait est établi par pièces alors que celles-ci ne donnent en réalité aucune indication. L'objet du grief d'arbitraire en matière de faits prévu par l'art. 36 let. f CA est restreint: il ne porte pas sur l'appréciation des preuves et les conclusions qui en sont tirées, mais uniquement sur les constatations de fait manifestement réfutées par des pièces du dossier. En matière arbitrale, la façon dont le tribunal arbitral exerce son pouvoir d'appréciation ne peut pas faire l'objet d'un recours; le grief d'arbitraire est limité aux constatations de fait qui ne dépendent pas d'une appréciation, c'est-à-dire à celles qui sont inconciliables avec des pièces du dossier (ATF 131 I 45 consid. 3.6 et 3.7; Berger/Kellerhals, Internationale und interne Schiedsgerichtsbarkeit in der Schweiz, Berne 2006, nos 1721 et 1728). 
L'arbitraire proscrit par l'art. 36 let. f CA découle aussi du fait que la sentence arbitrale constitue une violation évidente du droit. Seul le droit matériel est visé; le moyen ne peut pas être invoqué pour se plaindre d'une violation du droit de procédure (ATF 112 Ia 350 consid. 2; Berger/Kellerhals, op. cit., n° 1722). 
 
Il y a enfin arbitraire, au sens de l'art. 36 let. f CA, lorsque la sentence arbitrale constitue une violation évidente de l'équité. Ce moyen n'est recevable que si le tribunal arbitral a été autorisé à statuer en équité ou s'il a appliqué une norme qui renvoie à l'équité (ATF 107 Ib 63 consid. 2a; Berger/Kellerhals, op. cit., n° 1726 s.). 
 
Le bien-fondé d'un grief tiré de l'art. 36 let. f CA ne conduit pas nécessairement à l'admission du recours. Lorsque la sentence arbitrale peut se fonder sur une autre motivation non arbitraire, il n'y a pas lieu de l'annuler (ATF 112 Ia 166 consid. 3f). L'art. 393 let. e CPC, qui remplacera l'art. 36 let. f CA, précise expressément que la sentence doit être arbitraire dans son résultat. 
 
5.2 Les griefs d'ordre constitutionnel doivent être expressément motivés (art. 106 al. 2 LTF). L'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits ou principes constitutionnels violés et exposer de manière claire et circonstanciée en quoi consiste leur violation (ATF 134 I 83 consid. 3.2). 
 
D'une manière générale, la motivation du présent recours ne satisfait guère à ces exigences. Elle s'apparente bien plus à un exposé de type appellatoire qu'à la présentation successive de plusieurs griefs d'arbitraire. La question de la recevabilité dans son ensemble peut toutefois rester indécise. 
 
Les recourantes semblent critiquer certaines constatations de fait. Elles ne se réfèrent toutefois pas à des pièces du dossier précisément désignées et ne démontrent pas quel fait serait inconciliable avec ces pièces. En réalité, elles contestent l'appréciation des preuves, ce qu'elles ne sont pas habilitées à faire dans ce cadre. Les critiques contre l'état de fait sont donc irrecevables. 
 
Les recourantes se plaignent aussi d'une violation de l'équité. Or le Tribunal arbitral n'a pas été mandaté pour juger en équité, et les recourantes ne précisent pas quelle disposition légale renvoyant à l'équité aurait été violée de manière évidente. Leurs critiques sont également irrecevables. 
 
Le dernier grief des recourantes consiste à reprocher à l'autorité cantonale d'avoir nié à tort une violation évidente du droit matériel par le Tribunal arbitral. Les recourantes admettent que le contrat d'exclusivité était nul et contestent pour ce motif devoir quelque chose à la partie adverse. Leur motivation ne satisfait toutefois pas aux exigences en la matière. Il ne suffit pas de parler d'appréciations "discutables" ou de "raisonnement plutôt elliptique"; il eût fallu préciser quelle norme de droit matériel a été appliquée de manière insoutenable, puis démontrer par le menu pourquoi il en était ainsi. Quoi qu'il en soit, il a été retenu en fait que, malgré l'invalidité du contrat, les recourantes avaient tiré profit de leur relation avec les intimées, donc que leur situation de fait a été, du moins en partie, similaire à celle qui eût existé si le contrat avait été valable. Dans ces circonstances, on ne saurait sans autre retenir qu'il était insoutenable d'obliger les recourantes à verser une contre-prestation appropriée. Quant au montant de cette contre-prestation, il s'agit d'une question d'appréciation; les recourantes ne démontrent pas en quoi il serait manifestement démesuré par rapport aux avantages perçus. 
 
6. 
Le recours doit ainsi être rejeté dans la faible mesure où il est recevable. Les recourantes supportent, solidairement entre elles, les frais de la présente procédure et les dépens des intimées (art. 66 et 68 LTF). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis solidairement à la charge des recourantes. 
 
3. 
Les recourantes sont condamnées solidairement à verser aux intimées une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
Lausanne, le 1er décembre 2010 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
La Présidente: La Greffière: 
 
Klett Monti