Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_234/2023
Arrêt du 12 décembre 2023
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Heine et Métral.
Greffière : Mme Elmiger-Necipoglu.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Charles Guerry, avocat,
recourant,
contre
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne,
intimée.
Objet
Assurance-accidents (lien de causalité),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 28 février 2023 (605 2017 234).
Faits :
A.
A.________, né en 1968, travaillait comme manoeuvre en génie civil pour la société B.________ SA et était à ce titre assuré de manière obligatoire contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA). Le 25 janvier 2013, il s'est blessé à son genou gauche en portant un panneau et en chutant avec ses genoux sur du gravier. En incapacité de travail depuis cet accident, l'assuré a subi quatre interventions chirurgicales à son genou gauche. Il a séjourné du 20 août au 16 septembre 2014, puis du 8 novembre au 14 décembre 2016 à la Clinique romande de réadaptation (ci-après: CRR). L'examen médical final par la médecin d'arrondissement a eu lieu le 20 mars 2017.
Par décision du 5 juillet 2017, confirmée sur opposition le 20 septembre 2017, la CNA a alloué à l'assuré une rente d'invalidité de 17 % dès le 1er juillet 2017, ainsi qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité de 5 %.
B.
L'assuré a déféré la décision du 20 septembre 2017 devant la Cour des assurances sociales du tribunal cantonal du canton de Fribourg. Par ordonnance du 24 septembre 2018, la cour cantonale a suspendu la procédure de recours jusqu'à ce que les conclusions d'une expertise pluridisciplinaire mandatée dans le cadre de la procédure d'assurance-invalidité soient connues. Le rapport du centre médico-administratif d'expertises (ci-après: CEMEDEX) a été rendu le 27 novembre 2018. Remettant en cause la valeur probante du volet psychiatrique de ce rapport, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg (ci-après: office AI) a ordonné une nouvelle évaluation psychiatrique, puis finalement une nouvelle expertise pluridisciplinaire auprès du Centre universitaire de médecine générale et santé publique à Lausanne (ci-après: Unisanté), qui a rendu son rapport le 30 juin 2020 ainsi qu'un complément de rapport le 9 mars 2021.
Par arrêt du 28 février 2023, la cour cantonale a rejeté le recours de l'assuré.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant principalement à son annulation et au renvoi de la cause à l'instance précédente pour complément d'instruction et nouveau jugement. Subsidiairement il conclut à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens qu'une rente d'invalidité de 100 % lui soit allouée dès le 1er juillet 2017.
L'intimée conclut principalement à l'irrecevabilité du recours pour défaut de motivation et, subsidiairement, à son rejet. La cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ne se sont pas déterminés.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
2.1. Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d'invalidité fondée sur un taux plus élevé que 17 %, singulièrement sur le point de savoir si le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe (ou complex regional pain syndrome [CRPS]) allégué par le recourant pouvait être nié par les premiers juges sur la base de pièces médicales versées au dossier.
2.2. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Cela étant, il n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, sauf en cas d'erreurs manifestes (ATF 145 V 304 consid. 1.1; 141 V 234 consid. 1).
2.3. La présente procédure porte sur l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, de sorte que le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et art. 105 al. 3 LTF ).
3.
3.1. L'arrêt entrepris expose correctement les dispositions légales et les principes jurisprudentiels régissant le droit aux prestations de l'assurance-accidents (art. 6 al. 1 LAA), à la rente d'invalidité (art. 18 al. 1 LAA) et à l'appréciation des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3). Il suffit par conséquent d'y renvoyer.
3.2. En ce qui concerne le rapport de causalité entre le CRPS allégué et l'accident, il y a lieu d'ajouter que l'étiologie et la pathogenèse de cette atteinte n'est pas claire (arrêts 8C_416/2019 consid. 5, in: SVR 2021 UV n° 9 p. 48; 8C_384/2009 consid. 4.2.1, in SVR 2019 UV n° 18 p. 69). En tant que maladie de nature neurologique-orthopédique-traumatologique, elle est toutefois qualifiée d'atteinte organique, soit une atteinte de la santé corporelle. En ce qui concerne plus précisément ce diagnostic, il n'est pas nécessaire qu'un CRPS ait été diagnostiqué dans les six à huit mois après l'accident pour admettre son caractère causal avec l'événement accidentel; il est en revanche déterminant que sur la base des constats médicaux effectués en temps réel, il soit établi que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du CRPS durant la période de latence de six à huit semaines après l'accident (arrêts 8C_473/2022 du 20 janvier 2023 consid. 5.5.1, in: SVR 2021 UV n° 9 p. 48; 8C_1/2023 du 6 juillet 2023 consid. 7.2). Pour la validation du diagnostic, il est communément fait référence aux critères dits "de Budapest", qui sont exclusivement cliniques et associent symptômes et signes dans quatre domaines: sensoriels, vasomoteurs, sudomoteurs/oedème, moteurs/trophiques (cf. arrêt 8C_416/2019 précité consid. 5.1).
4.
4.1. Se fondant sur l'avis de la médecin d'arrondissement, des spécialistes de la CRR et des experts du Centre Unisanté, les juges cantonaux ont retenu que l'existence d'un CRPS n'était pas établi. Ils ont constaté que le diagnostic de CRPS avait été suspecté pour la première fois en juin 2014 par le neurologue traitant, puis confirmé notamment par le docteur C.________ dans le cadre de la première expertise mise en oeuvre par l'assurance-invalidité. Si cet expert avait retenu le diagnostic de CRPS, il l'avait fait sur les seuls constats de la persistance d'une douleur au genou, d'épisodes vaso-moteurs et troubles neurologiques non systématisés à l'examen clinique, de difficultés à la marche, d'une neuropathie mal systématisée à l'électro-myogramme et d'une atteinte articulaire modérée sans changement depuis 2014. Dans la mesure où son diagnostic ne se fondait pas sur une analyse systématique des critères de Budapest, il était sujet à caution. Aussi, en l'absence de tout substrat neurologique ou d'autre atteinte somatique, les douleurs persistantes ne pouvaient pas être attribuées à l'accident du 25 janvier 2013. Il en résultait que c'était à bon droit que l'intimée avait retenu qu'à partir du 1er juillet 2017, les séquelles organiques causées par l'accident au genou droit [recte: gauche] du recourant ne l'empêchaient pas d'exercer à plein temps et sans perte de rendement une activité adaptée à ses limitations dans différents secteurs de l'industrie.
4.2. Le recourant reproche aux premiers juges d'avoir constaté les faits de manière erronée en écartant le diagnostic de CRPS, alors même que celui-ci aurait été posé par le docteur C.________ dans l'expertise du CEMEDEX. Compte tenu des diagnostics foncièrement différents posés par les docteurs D.________, expert au Centre Unisanté, et C.________, expert au CEMEDEX, il aurait incombé à l'instance précédente d'ordonner une expertise judiciaire, plutôt que de chercher à départager elle-même les avis contradictoires des experts. Un tel procédé se justifierait d'autant plus que le diagnostic de CRPS aurait également été posé par d'autres médecins en charge du traitement du recourant.
4.3.
4.3.1. Dans un rapport du 4 juin 2014, le docteur E.________, neurologue traitant, a indiqué que les douleurs neuropathiques décrites par le recourant dépassaient le territoire du nerf sciatique, ouvrant le diagnostic d'un éventuel syndrome douloureux régional complexe II. Plus tard, le diagnostic a été mentionné dans un rapport d'ergothérapie du 2 juin 2016, puis le 23 mars 2017 par la médecin généraliste traitante du recourant, qui a posé ce diagnostic sur la base d'une analyse des critères de Budapest. Puis, ce diagnostic a également été retenu lors de la première expertise au CEMEDEX, par l'expert rhumatologue, le docteur C.________. Il a motivé son diagnostic sur la base de la persistance d'une douleur du genou après quatre interventions chirurgicales, des épisodes vaso-moteurs et troubles neurologiques non systématisés à l'examen clinique, la difficulté à la marche avec épisode de dérobement, la persistance d'une neuropathie mal systématisée à l'électro-myogramme ainsi qu'une atteinte articulaire modérée de ce genou sans changement depuis 2014. La capacité de travail du recourant dans l'activité habituelle était nulle. Comme monteur d'horlogerie, la capacité de travail était de 20 % au 1er novembre 2017 avec augmentation progressive du temps de travail. Sur le plan neurologique, des neuropathies post-traumatiques du nerf saphène et du nerf tibial gauches ont été diagnostiquées sous forme de dysesthésies, de paresthésies et d'hypoesthésie dans le territoire du nerf saphène gauche, toutefois sans répercussion sur la capacité de travail du recourant.
4.3.2. Interrogée sur l'existence d'un CRPS, la médecin d'arrondissement de la CNA, la Prof. F.________, a pris position. Dans son appréciation médicale du 7 juin 2017, elle a indiqué que le recourant avait été évalué multidisciplinairement à la CRR, où notamment la présence d'un CRPS avait été exclue selon les critères de Budapest. Elle a relevé en outre que le développement d'un CRPS se faisait en général dans les premiers six mois après l'événement respectivement l'intervention. Or, le recourant avait été vu le 20 mars 2017 pour un bilan médical à l'agence. Selon ce bilan, les critères pour un CRPS n'étaient pas remplis. Comme diagnostic, la médecin d'arrondissement a retenu une fracture parcellaire de la tubérosité tibiale antérieure du genou gauche, une bursite chronique prétubérositaire et des douleurs neuropathiques sur atteinte du rameau superficiel du nerf saphène. La capacité de travail du recourant dans l'ancienne activité était nulle; dans un travail adapté respectant les limitations suivantes (marche sur le long trajet, maintien prolongé de la position assise ou debout, montée et descente d'escaliers et d'échelles), la capacité de travail était à 100 % (horaire et rendement).
4.3.3. Dans le cadre de la deuxième expertise, les médecins d'Unisanté ont posé les diagnostics suivants: un état dépressif, un syndrome douloureux chronique avec gonalgies gauches chroniques d'étiologie indéterminée, un syndrome douloureux du membre inférieur gauche avec pseudo-parésie, troubles sensitifs mal systématisés, d'étiologie indéterminée ainsi qu'une discrète polyneuropathie d'origine indéterminée. Ils ont retenu que dans l'activité habituelle d'ouvrier de la construction, la capacité de travail était nulle, mais que dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles (activité physique légère en position assise avec possibilité d'alterner la position du genou gauche, sans position accroupie et/ou à genou, ni appui monopodal gauche, pas de marche en terrain irrégulier), la capacité de travail était de 50 %. La pathologie du genou gauche avait alors été considérée comme totalement incapacitante par la CNA jusqu'en mars 2017, où la situation médicale était stabilisée et la capacité de travail était entière dans une activité adaptée. L'état dépressif était de sévérité légère, sans répercussion sur la capacité de travail de 2014 à novembre 2017. En novembre 2017, l'état psychique s'était dégradé et se trouvait à l'origine d'une disparition des ressources. Cet état semblait s'être ensuite amélioré à partir d'août 2018 avec la reprise d'une activité de type occupationnel. Au moment de l'expertise, un état dépressif de sévérité moyenne avec une amélioration des ressources avait été constaté et une capacité de travail de 50 % a été attestée.
4.3.3.1. Sur la question de l'existence d'un CRPS, le docteur D.________, expert rhumatologue, a indiqué que les gonalgies gauches étaient invalidantes, mais que leur étiologie demeurait indéterminée. L'anamnèse, l'étude des documents radiologiques, l'examen clinique orientaient vers le diagnostic de gonalgies gauches chroniques non spécifiques, la persistance des douleurs étant médicalement mal à peu explicable. D'un point de vue diagnostic différentiel, il n'avait pas d'élément orientant vers un syndrome douloureux complexe régional de type CRPS ou algodystrophie, ni vers une étiologie infectieuse, fracturaire, auto-immune, métabolique toxique entre autre. L'examen clinique était relativement pauvre, il était caractérisé par des douleurs et une épargne de mouvements du genou gauche.
4.3.3.2. L'expert neurologue, quant à lui, a indiqué qu'il n'y avait pas de substrat neurologique qui permettait d'expliquer la douleur du genou gauche et que les incohérence prédominaient. Il existait toutefois des anomalies électrophysiologies, mais bilatérales, compatibles avec une polyneuropathie dont l'origine était indéterminée, vraisemblablement de découverte fortuite et sans nette traduction clinique. Sur le plan neurologique, il n'y avait pas de limitation fonctionnelles, ni de diminution de la capacité de travail.
4.3.3.3. Dans leur appréciation interdisciplinaire, les experts d'Unisanté ont encore observé qu'il existait une hypomyotrophie globale du membre inférieur gauche, mais qu'il n'y avait pas d'oedème, ni de trouble de la coloration, ni de différence de chaleur, ni de dépilation. L'examen de ce membre inférieur était en outre parasité par un comportement douloureux avec une pseudo-parésie, dont le caractère pseudo-parétique était confirmé par l'ENMG. Par ailleurs, les experts ont retrouvé des anomalies de la conduction nerveuses bilatérales déjà notées depuis 2014, qui étaient compatibles avec une polyneuropathie. La documentation radiologique montrait qu'il n'y avait pas de compression radiculaire ni tronculaire sur les IRM lombaire et du bassin effectuées; il n'y avait pas non plus d'élément en faveur d'un CRPS documenté par scintigraphie.
4.4. Au vu de ces constatations médicales, c'est à juste titre que la cour cantonale a renoncé, par appréciation anticipée des preuves (ATF 145 I 167 consid. 4.1), à mettre en oeuvre une nouvelle expertise. Contrairement à ce que prétend le recourant, les éléments versés au dossier et les nombreuses investigations médicales effectuées permettent d'admettre que l'atteinte dont il souffre ne remplit pas, ou du moins plus, les critères de Budapest, si bien que le diagnostic de CRPS ne peut pas être retenu. A cet égard, les constatations du docteur C.________ n'emportent pas la conviction, dans la mesure où cet expert a motivé son diagnostic en se référant essentiellement à la persistance des douleurs et "d'épisodes vaso-moteurs et troubles neurologiques non systématisés à l'examen clinique". Il ne décrit que sommairement les symptômes et ne paraît par ailleurs pas tenir compte du caractère très démonstratif du recourant, comme l'ont observé à juste titre les premiers juges.
5.
Pour le surplus, le recourant ne conteste pas les autres aspects relatifs aux prestations litigieuses, en particulier la comparaison des revenus effectués par les premiers juges.
6.
Il s'ensuit que le recours est mal fondé et doit être rejeté. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Bien qu'elle obtienne gain de cause, l'intimée n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 12 décembre 2023
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : Elmiger-Necipoglu