Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_664/2023
Arrêt du 15 juillet 2024
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Heine et Métral.
Greffière : Mme Barman Ionta.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Caritas Genève,
recourante,
contre
Service des prestations complémentaires, route de Chêne 54, 1208 Genève,
intimé.
Objet
Prestation complémentaire à l'AVS/AI (remise),
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 22 août 2023 (A/2590/2022 ATAS/617/2023).
Faits :
A.
A.a. A.________, née en 1982, séparée et mère de trois enfants dont elle a la garde, est au bénéfice de prestations complémentaires familiales depuis le 1
er mai 2013.
Par courrier du 31 juillet 2013, le service cantonal genevois d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (ci-après: SCARPA) a informé A.________ qu'à compter du 1
er septembre 2013, il entreprendrait les démarches nécessaires en vue de recouvrer la pension alimentaire mensuelle de 1'290 fr. due par le conjoint et, parallèlement, lui accorderait chaque mois le même montant à titre d'avance de cette pension. Par lettre du 4 juillet 2016, le SCARPA a fait savoir à A.________ qu'il cesserait de lui verser les avances de pension dès le 1
er septembre 2016; dès lors que le mandat de recouvrement se poursuivait au-delà de cette date, elle n'était pas habilitée à recevoir directement en ses mains les paiements effectués par le conjoint. En pratique, le SCARPA a continué à percevoir les pensions alimentaires et à les reverser à A.________, mais plus à titre d'avances. Par décision du 13 décembre 2016, le Service des prestations complémentaires de la République et canton de Genève (ci-après: SPC) a néanmoins recalculé le droit aux prestations complémentaires familiales, en tenant compte du fait que depuis le 1
er septembre 2016, l'intéressée ne percevait plus du SCARPA la pension alimentaire de 15'480 fr. par an (12 x 1'290 fr.).
Dans une attestation du 20 janvier 2017, transmise au SPC le 19 juillet 2017, le SCARPA a mentionné qu'au cours de l'année 2016, A.________ avait reçu la somme de 15'480 fr. à titre de pension alimentaire et/ou d'arriérés pour elle-même et ses trois enfants. Par la suite, le SPC a rendu plusieurs décisions sans prendre en compte de pensions alimentaires ou d'avances de celles-ci.
A.b. Par décision du 1
er octobre 2021, le SPC a réclamé à A.________ la restitution d'un montant de 18'616 fr., correspondant aux prestations complémentaires versées en trop pour la période du 1
er juillet 2020 au 31 octobre 2021, après prise en compte des pensions alimentaires reçues à hauteur de 15'480 fr. par an. Par décision du 26 novembre 2021, le SPC a recalculé le droit aux prestations du 1
er septembre 2016 au 30 juin 2020 en tenant compte des pensions alimentaires perçues et demandé la restitution d'un montant de 49'298 francs. Le 25 février 2022, le SPC a rejeté les oppositions formées contre ces deux décisions.
A.c. Le 11 avril 2022, A.________ a déposé une demande de remise de l'obligation de restituer la somme de 67'914 francs. Par décision du 26 avril 2022, confirmée sur opposition le 15 juin 2022, le SPC a rejeté cette demande, au motif que la condition relative à la bonne foi n'était pas réalisée.
B.
Saisie d'un recours contre la décision du 15 juin 2022, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève l'a rejeté par arrêt du 22 août 2023.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant principalement à sa réforme en ce sens que la remise de l'obligation de restituer les montants litigieux lui soit accordée. À titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause au SPC pour instruction complémentaire. Elle sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire limitée aux frais judiciaires pour la procédure fédérale.
L'intimé conclut au rejet du recours. La juridiction cantonale et l'Office fédéral des assurances sociales ont renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 V 366 consid. 3.3 et les références) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF) et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Si le recourant entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité précédente, il doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées; à défaut, un état de fait divergent de celui de la décision attaquée ne peut pas être pris en compte (ATF 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2).
2.2. Sous réserve des cas visés à l'art. 95 let. c à e LTF, la violation du droit cantonal en tant que tel ne peut être invoquée devant le Tribunal fédéral. Il est néanmoins possible de faire valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, comme la protection contre l'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou la garantie d'autres droits constitutionnels (ATF 143 I 321 consid. 6.1). Appelé à revoir l'application d'une norme cantonale sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable ou en contradiction manifeste avec la situation effective, ou encore si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. Lorsque l'interprétation défendue par l'autorité cantonale ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, elle est confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 148 I 145 consid. 6.1; 147 I 241 consid. 6.2.1; 145 II 32 consid. 5.1). La recevabilité du grief d'arbitraire suppose l'articulation de critiques circonstanciées répondant aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 142 V 577 consid. 3.2 et la référence).
3.
Le litige porte sur la remise de l'obligation de restituer les prestations complémentaires familiales indûment perçues entre le 1
er septembre 2016 et le 31 octobre 2021, singulièrement sur le point de savoir si la recourante peut se prévaloir de sa bonne foi.
4.
Après avoir exposé les dispositions fédérales et cantonales relatives à la remise de l'obligation de restituer (en particulier art. 25 al. 1 LPGA et art. 24 al. 1 de la loi cantonale genevoise du 25 octobre 1968 sur les prestations complémentaires cantonales [LPCC; RS/GE J 4 25]), les juges cantonaux ont considéré que les conditions de la remise - en particulier de la bonne foi - n'étaient pas réalisées. À cet égard, ils ont retenu que le montant à restituer s'expliquait presque exclusivement par la non prise en compte, par l'intimé, de la pension alimentaire que le SCARPA avait en réalité continué de verser à la recourante, non plus à titre d'avance mais de "produit" du mandat de recouvrement maintenu au-delà du 31 août 2016. L'intimé ayant été informé de la "reprise" des versements, on ne pouvait parler d'une omission de renseigner de la part de la recourante. Il n'en restait pas moins que cette dernière ne pouvait se prévaloir de ses difficultés à comprendre les feuilles de calcul pour invoquer sa bonne foi. En effet, à l'examen des plans de calcul annexés à la décision du 13 décembre 2016, l'unique changement entre la période du 1
er janvier au 31 août 2016 et celle du 1
er septembre au 30 octobre 2016 consistait dans une diminution du revenu déterminant de 15'480 fr. (soit de 77'063 fr. à 61'583 fr.). Cette différence correspondait exactement au montant inscrit sous le poste "pension alimentaire reçue" qui n'apparaissait plus sur les plans de calcul à compter du 1
er septembre 2016. Relevant l'augmentation aussi importante que soudaine des prestations complémentaires familiales se recoupant avec la pension alimentaire versée par le SCARPA, la cour cantonale est arrivée à la conclusion que la recourante avait fait preuve d'une négligence grave en ne relevant pas et/ou ne signalant pas à l'intimé l'erreur manifeste dans ses plans de calcul. C'était donc avec raison que l'intimé avait estimé que la condition de la bonne foi n'était pas réalisée. Les conditions de la remise de l'obligation de restituer étant cumulatives, il n'était pas nécessaire d'examiner le critère de la situation économique difficile.
5.
La recourante se plaint d'arbitraire dans l'application de l'art. 25 LPGA, applicable selon elle par renvoi de l'art. 1A al. 2 let. c LPCC, en tant que l'examen de sa bonne foi ne reposerait pas sur une analyse complète du cas d'espèce. Elle fait valoir, en substance, que les premiers juges n'auraient pas pris en compte les 19 décisions rendues par l'intimé entre le 1
er septembre 2016 et le 30 novembre 2021. S'agissant pour la plupart de décisions de recalcul, sans explication ni mise en exergue des motifs, que ce soit dans la décision ou dans les plans de calcul annexés, leur lecture et leur compréhension s'avéraient très difficiles voire impossibles, même en faisant preuve de l'attention requise. Ainsi, on ne saurait lui reprocher une négligence grave, d'autant que la reconnaissance d'une négligence légère aurait conduit à une remise intégrale de son obligation de restituer le montant de 67'914 francs. En outre, selon la recourante, la jurisprudence relative aux arrêts 9C_385/2013 du 19 septembre 2013 et 9C_720/2013 du 9 avril 2014 citée par les premiers juges à l'appui de leur raisonnement, ne saurait s'appliquer en l'espèce, dès lors qu'elle réglerait des situations de bénéficiaires de prestations complémentaires AVS/AI, pour lesquels les revenus et charges seraient très stables, contrairement aux situations financières très fluctuantes des bénéficiaires de prestations complémentaires familiales ("working poors").
6.
6.1. Le litige porte sur des prestations sociales fondées exclusivement sur le droit cantonal. Dans la mesure où l'art. 1A al. 2 let. c LPCC renvoie à la LPGA, celle-ci n'est applicable qu'à titre de droit cantonal supplétif. Au demeurant, la question de la remise de l'obligation de restituer est en l'occurrence réglée par l'art. 24 al. 1 LPCC dont on voit mal qu'il laisserait encore place, en complément, à une application de l'art. 25 LPGA à titre supplétif. Le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est donc limité à l'arbitraire, s'agissant de l'application des règles de droit pertinentes (consid. 2.2 supra).
6.2. Aux termes de l'art. 24 al. 1 LPCC, les prestations indûment touchées doivent être restituées; la restitution ne peut être exigée lorsque l'intéressé était de bonne foi et qu'elle le mettrait dans une situation difficile.
Selon la jurisprudence relative à l'art. 25 al. 1 LPGA - dont le texte est identique à celui de l'art. 24 al. 1 LPCC -, l'ignorance, par le bénéficiaire des prestations, du fait qu'il n'avait pas droit aux prestations ne suffit pas pour admettre sa bonne foi. Il faut bien plutôt que le requérant ne se soit rendu coupable, non seulement d'aucune intention malicieuse, mais aussi d'aucune négligence grave. Il s'ensuit que la bonne foi, en tant que condition de la remise, est exclue d'emblée lorsque les faits qui conduisent à l'obligation de restituer sont imputables à un comportement dolosif ou à une négligence grave. En revanche, le bénéficiaire peut invoquer sa bonne foi lorsque l'acte ou l'omission fautifs ne constituent qu'une violation légère de l'obligation d'annoncer ou de renseigner (ATF 138 V 218 consid. 4 avec les renvois). Les comportements excluant la bonne foi ne sont pas limités aux violations du devoir d'annoncer ou de renseigner. Peuvent entrer en ligne de compte également d'autres comportements, notamment l'omission de se renseigner auprès de l'administration (arrêts 9C_318/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.1; 8C_535/2018 du 29 octobre 2018 consid. 5.1; 9C_184/2015 du 8 mai 2015 consid. 2 et la référence). Dans le contexte de calculs erronés de prestations complémentaires, la personne concernée ne peut pas se prévaloir de sa bonne foi si elle a omis de contrôler ou a contrôlé de manière peu précise la feuille de calcul et ne constate pas, de ce fait, une erreur facilement décelable (arrêt 9C_318/2021 précité consid. 3.2 et les arrêts cités).
6.3. En l'occurrence, on doit admettre que la recourante ne pouvait ignorer l'augmentation importante, dès septembre 2016, de ses prestations complémentaires familiales, en parallèle à la pension alimentaire perçue du SCARPA. Selon les constations non contestées de la juridiction cantonale, cette augmentation se chiffrait mensuellement à 1'290 fr., correspondant ainsi exactement au montant de la pension alimentaire mensuelle. La recourante ne démontre pas qu'une autre modification du revenu déterminant et/ou des dépenses reconnues aurait pu expliquer cette différence. Par ailleurs, dans sa décision du 13 décembre 2016, mentionnant liminairement un recalcul du droit aux prestations à la suite de la révision du dossier, l'intimé a expressément invité la recourante à contrôler attentivement les montants indiqués, afin de s'assurer qu'ils correspondaient bien à la situation réelle. Comme l'ont souligné les premiers juges, cette "invitation" a été réitérée dans chacune des décisions successives, sans réaction de la recourante alors que les feuilles de calcul étaient manifestement et de façon reconnaissable fondées sur un état de fait qui ne correspondait plus à la réalité depuis septembre 2016. La recourante ne saurait, à cet égard, invoquer avec succès la notification d'un nombre particulièrement élevé de décisions durant la période litigieuse (19 décisions entre le 1er septembre 2016 et le 30 novembre 2021), pas plus que l'absence de mise en exergue des motifs de recalcul. En effet, l'obligation de contrôler les nouveaux calculs permettait de constater que, de manière constante, la rubrique "revenu déterminant" ne faisait plus apparaître le poste "pension alimentaire reçue", et cela indépendamment des modifications et/ou suppressions d'autres postes. En conclusion, on ne voit pas dans la motivation du recours d'arguments susceptibles de démontrer une application arbitraire du droit cantonal - l'art. 25 LPGA n'étant au demeurant pas applicable (consid. 6.1 supra) - en tant que les premiers juges ont nié la bonne foi de la recourante, retenant qu'elle avait fait preuve de négligence grave en ne relevant pas l'erreur manifeste apparaissant sur les plans de calcul à compter de la décision du 13 décembre 2016. Dans ces conditions, le refus d'accorder la remise de l'obligation de restituer la somme de 67'914 fr. peut être confirmé.
L'argumentation développée à l'égard de la situation très fluctuante des bénéficiaires de prestations complémentaires familiales ne permet pas d'aboutir à un autre résultat. On soulignera néanmoins que si les premiers juges ont fait mention des arrêts 9C_385/2013 et 9C_720/2013, il s'agissait de références jurisprudentielles topiques en matière d'erreur manifeste ressortant des feuilles de calcul.
7.
Il résulte de ce qui précède que le recours est mal fondé.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante (art. 66 al. 1 LTF). Les conditions de l'art. 64 al. 1 LTF étant réunies, sa requête d'assistance judiciaire - portant uniquement sur le paiement des frais judiciaires - doit toutefois être admise. Elle sera dès lors dispensée des frais de procédure. Son attention est attirée sur le fait qu'elle devra rembourser la caisse du Tribunal fédéral si elle devient en mesure de le faire ultérieurement (art. 64 al. 4 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
L'assistance judiciaire, limitée aux frais de justice, est accordée à la recourante.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. Ils sont toutefois supportés provisoirement par la caisse du Tribunal fédéral.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 15 juillet 2024
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : Barman Ionta