Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_54/2024  
 
 
Arrêt du 17 juin 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix, Haag, Müller et Merz. 
Greffier : M. Parmelin. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Michel Dupuis, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Secrétariat d'État aux migrations, 
Quellenweg 6, 3003 Berne. 
 
Objet 
Non-entrée en matière sur la demande de naturalisation facilitée, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 14 décembre 2023 (F-4916/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, ressortissante angolaise née en décembre 1974, est entrée en Suisse le 19 décembre 1990. Elle a été mise au bénéfice d'une admission provisoire consécutivement au rejet de sa demande d'asile prononcé le 21 février 1994. 
Le 7 août 1998, elle a épousé B.________, né en juillet 1968 et d'origine angolaise, naturalisé par voie facilitée le 27 novembre 1997 à la suite de son mariage avec une ressortissante suisse de vingt ans son aînée. 
Par décision du 26 juillet 2002, l'Office fédéral des étrangers a annulé la naturalisation facilitée accordée à B.________ au motif qu'elle avait été obtenue de manière frauduleuse. Cette décision a été confirmée par le Département fédéral de justice et police le 19 février 2004 et par le Tribunal fédéral le 14 mai 2004 (cause 5A.8/2004). 
Le 28 septembre 2016, B.________ a acquis la nationalité suisse par la voie de la naturalisation ordinaire. 
 
B.  
Le 6 décembre 2016, A.________ a déposé une demande de naturalisation facilitée auprès du Secrétariat d'État aux migrations (ci-après: le SEM) que celui-ci a classée le 12 avril 2017 au motif que son époux ne possédait pas la nationalité suisse au moment du mariage. 
Le 29 septembre 2022, le SEM a refusé pour les mêmes motifs d'entrer en matière sur une nouvelle demande de naturalisation facilitée déposée le 2 juin 2021 par l'intéressée. 
Le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours déposé par A.________ contre cette décision au terme d'un arrêt rendu le 14 décembre 2023. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer cet arrêt en ce sens que la décision du SEM du 29 septembre 2022 est annulée, qu'il est entré en matière sur sa demande de naturalisation facilitée et que la nationalité suisse lui est accordée. A titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants de l'arrêt à intervenir. Elle requiert l'assistance judiciaire. 
Le Tribunal administratif fédéral a renoncé à prendre position sur le recours. Le SEM conclut au rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre un arrêt du Tribunal administratif fédéral qui confirme le refus d'entrer en matière sur une demande de naturalisation facilitée, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte, dès lors qu'il s'agit en l'espèce de naturalisation facilitée et non pas de naturalisation ordinaire. La recourante a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité sont réunies de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur le recours. 
 
2.  
A teneur de l'art. 21 al. 1 de la loi fédérale sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN; RS 141.0), quiconque possède une nationalité étrangère peut, ensuite de son mariage avec un citoyen suisse, former une demande de naturalisation facilitée s'il vit depuis trois ans en union conjugale avec son conjoint (let. a) et a séjourné en Suisse pendant cinq ans en tout, dont l'année ayant précédé le dépôt de la demande (let. b). L'art. 21 al. 2 LN dispose que quiconque vit ou a vécu à l'étranger peut aussi former une telle demande s'il vit depuis six ans en union conjugale avec son conjoint (let. a) et a des liens étroits avec la Suisse (let. b). Aux termes de l'art. 21 al. 3 LN, une personne de nationalité étrangère peut également déposer une demande de naturalisation facilitée au sens des al. 1 et 2 si son conjoint acquiert la nationalité suisse après le mariage par la voie de la réintégration (let. a) ou de la naturalisation facilitée en raison d'un lien de filiation avec un parent suisse (let. b). 
Il faut comprendre l'art. 21 al. 1 LN en ce sens que la naturalisation facilitée est exclue si, au moment du mariage, les deux conjoints étaient étrangers et que l'un d'eux a acquis la nationalité suisse après le mariage, par voie de naturalisation ordinaire (cf. art. 21 al. 3 LN a contrario; voir aussi Message du Conseil fédéral du 4 mars 2011 concernant la révision totale de la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse, FF 2011 p. 2668; réponse du Conseil fédéral du 12 mai 2021 à l'interpellation 21.3191 relative à la naturalisation facilitée d'un conjoint de Suisse naturalisé; MERZ/VON RÜTTE, Staatsangehörigkeitsrecht, in: Uebersax et al., Ausländerrecht, 3 e éd. 2022, n. 22.71, p. 1258; MARTINA CARONI ET AL, Migrationsrecht, 5 e éd. 2022, n. 1627, p. 649; FANNY DE WECK, Migrationsrecht Kommentar, 5 e éd. 2019, n. 1 ad art. 21 LN, p. 1324; BARBARA VON RÜTTE, Das neue Bürgerrechtsgesetz, Revue de l'avocat 5/2017 p. 210; PETER UEBERSAX, Das Bundesgericht und das Bürgerrechtsgesetz, mit einem Blick auf das neue Recht, BJM 4/2016, p. 200; pour l'ancien droit, art. 27 et 28 aLN, arrêt 1C_341/2013 du 11 septembre 2013 consid. 3.1; ROLAND SCHÄRER, La nouvelle révision de la loi sur la nationalité, REC 1991 p. 169).  
 
3.  
Le SEM a considéré que la décision d'annulation de la naturalisation facilitée octroyée à l'époux de la recourante déployait un effet ex tunc, que B.________ n'avait dès lors pas la nationalité suisse lors de leur mariage en 1998 et qu'une naturalisation facilitée de la recourante n'était dès lors pas possible au regard de l'art. 21 al. 1 LN
La recourante tient pour sa part pour décisif le fait que son mari avait la nationalité suisse au moment de leur mariage et qu'elle remplissait ainsi la condition matérielle d'application de l'art. 21 al. 1 LN lors du dépôt de sa demande de naturalisation facilitée. Elle relève qu'elle n'est en rien responsable des irrégularités ayant entaché la procédure de naturalisation facilitée de son mari et conduit à son annulation. Au regard de sa bonne foi, seul un effet ex nunc pourrait être attaché à la révocation de la naturalisation facilitée octroyée à son mari. 
Le Tribunal administratif fédéral a laissé indécise la question de savoir si l'annulation d'une naturalisation facilitée avait nécessairement un effet rétroactif. Il a souligné que la doctrine était divisée à ce sujet et que les auteurs qui se prononçaient en faveur d'un effet ex nunc réservaient l'hypothèse où le vice entachant la décision initiale avait pour origine les déclarations mensongères de l'administré ou le cas où celui-ci avait agi de mauvaise foi (cf. MOOR/POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3 e éd. 2011, p. 404). Le fait que l'époux de la recourante avait dissimulé les faits déterminants à l'autorité compétente et que la naturalisation facilitée avait été irrégulière dès l'origine justifiait de conférer un effet ex tunc à son annulation. En conséquence, au moment de contracter mariage avec la recourante, son époux n'était pas suisse. C'est donc à juste titre que l'autorité inférieure a retenu que les conditions d'application de l'art. 21 LN n'étaient pas remplies et qu'elle a refusé d'entrer en matière sur la demande de naturalisation facilitée de la recourante. Le fait que son époux soit (re) devenu suisse par la suite par voie de naturalisation ordinaire ou que la recourante soit de bonne foi n'y changeait rien.  
 
4.  
 
4.1. Dans un arrêt du 12 novembre 2008 publié aux ATF 135 II 1, la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a laissé indécise la question de savoir si l'annulation de la naturalisation avait un effet rétroactif à la date de son octroi, relevant que certains effets déployés après sa délivrance ne pouvaient pas être supprimés sans autre par l'annulation (consid. 3.5). Elle a jugé que l'étranger dont la naturalisation facilitée avait été annulée se retrouvait, au plan du droit des étrangers, dans la situation qui était la sienne avant la naturalisation, sous réserve de motifs qui entraînaient la perte de son statut (consid. 3.7 et 3.8).  
Dans un arrêt non publié 2C_482/2017 du 24 mai 2018, cette même cour a considéré que l'art. 61 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr; actuellement, art. 61 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration [LEI; RS 142.20]) exigeait un effet ex nunc, faute de quoi l'étranger dont la naturalisation facilitée a été annulée ne pourrait pas demander le maintien de son autorisation d'établissement lors d'un séjour à l'étranger, comme le lui permettait cette disposition, et verrait ainsi sa situation sous l'angle du droit des étrangers péjorée sans base légale et d'une manière inadmissible du point de vue du droit constitutionnel (consid. 2.4). Elle a rappelé ce principe dans un arrêt ultérieur du 21 janvier 2019 (arrêt 2C_857/2017 et 2C_862/2017 consid. 2.1 et 4.2; voir aussi, MARTINA CARONI ET AL, op. cit., n. 1663, p. 658; DANIEL MOECKLI, «Auf unehrliche Weise in unseren Staatsverband eingeschlichen» - Die Nichtigerklärung der Einbürgerung, RDS 2019 I p. 390; FANNY DE WECK, op. cit., n. 13 ad art. 36 LN, p. 1345). 
 
4.2. Le Tribunal administratif fédéral ne fait aucune référence à l'arrêt 2C_482/2017 et aux auteurs précités. Il y a lieu d'examiner si le raisonnement retenu dans cet arrêt doit être suivi également dans l'interprétation de la loi sur la nationalité. Comme l'a relevé la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral dans l'ATF 135 II 1, certains effets déployés après la délivrance de la naturalisation ne peuvent être supprimés sans autre par l'annulation de la naturalisation. Par ailleurs, le droit constitutionnel et, en particulier, les règles de la bonne foi qui s'imposent tant aux organes de l'État qu'aux particuliers (cf. art. 5 al. 3 et 9 Cst.), peuvent imposer de reconnaître à la naturalisation certains effets malgré son annulation ultérieure. L'arrêt 2C_482/2017 précité tient compte de ce principe: la personne naturalisée avait par la suite quitté la Suisse pour vivre à l'étranger. Étant alors ressortissante suisse, elle n'avait pas demandé - et n'était pas en mesure de le faire, contrairement à un étranger au bénéfice d'un permis d'établissement -, de maintenir ce permis selon l'art. 61 al. 2 LEtr pendant son séjour en dehors de la Suisse. Vu que, selon la jurisprudence, la personne concernée devait se retrouver, après l'annulation de sa naturalisation, dans la même situation qui précédait son octroi (cf. ATF 135 II 1 consid. 3), la IIe Cour de droit public avait opté pour un effet ex tunc de l'annulation de la naturalisation afin de préserver le permis d'établissement qui, sans demande de maintien, serait devenu caduc par le départ à l'étranger. Il est toutefois admis que, hormis des situations particulières, une naturalisation facilitée annulée ne déploie plus d'effets par la suite.  
 
4.3. En l'espèce, la recourante a déposé sa demande de naturalisation facilitée alors que l'annulation de la naturalisation de son mari, octroyée avant leur mariage, avait déjà été prononcée, ce qu'elle ne pouvait ignorer. Même si cette annulation est intervenue après leur union, elle ne peut invoquer sa bonne foi pour faire valoir que son conjoint était un citoyen suisse au moment du mariage. La recourante ne prétend d'ailleurs pas avoir pris des dispositions sur lesquelles elle ne pourrait pas revenir sans subir de préjudice en se fiant à la naturalisation de son conjoint octroyée avant leur mariage (cf. ATF 143 V 341 consid. 5.2.1; 137 I 69 consid. 2.5.1). Elle ne peut du reste pas valablement soutenir qu'elle n'aurait pas épousé son mari si elle avait su qu'il ne conserverait pas sa naturalisation facilitée. Pareille argumentation, que la recourante ne fait au demeurant pas valoir, laisserait entendre que le mariage n'aurait été conclu que dans la perspective de faciliter le séjour puis la naturalisation en Suisse, ce qui ne mériterait pas la protection sous l'angle de la bonne foi (cf. au sujet de la "Ausländerrechtsehe", ATF 127 II 49 consid. 5; arrêt 2C_491/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2). La solution retenue par le Tribunal administratif fédéral n'a pas pour effet de péjorer sa situation du point de vue du droit des étrangers, comme cela était le cas dans la cause 2C_482/2017 ayant conduit la IIe Cour de droit public à nier un effet rétroactif à l'annulation de la naturalisation facilitée eu égard au statut de séjour de l'intéressé. En conséquence, la recourante ne saurait invoquer la nationalité suisse de son mari au moment du mariage pour requérir la naturalisation facilitée.  
Au surplus, le fait que son époux se soit vu octroyer la nationalité suisse par la voie de la naturalisation ordinaire en 2016 ne conférait à la recourante aucun droit à déposer une demande de naturalisation facilitée (cf. supra, consid. 2). 
 
4.4. L'arrêt attaqué est donc conforme au droit, à tout le moins dans son résultat, et doit être confirmé.  
 
5.  
Le recours doit par conséquent être rejeté. La recourante a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire. Les conditions y relatives paraissant être réunies (cf. art. 64 al. 1 LTF), il y a lieu d'admettre cette requête, de désigner Me Michel Dupuis en tant qu'avocat d'office pour la procédure fédérale et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui sera supportée par la caisse du Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). La recourante est toutefois rendue attentive à son obligation de rembourser la caisse du Tribunal fédéral si elle retrouve ultérieurement une situation financière lui permettant de le faire (cf. art. 64 al. 4 LTF). Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est admise. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Me Michel Dupuis est désigné en qualité de conseil d'office de la recourante et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Secrétariat d'État aux migrations et au Tribunal administratif fédéral. 
 
 
Lausanne, le 17 juin 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Parmelin