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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_209/2022  
 
 
Arrêt du 20 janvier 2023  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, Stadelmann et Moser-Szeless. 
Greffier : M. Bürgisser. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Romolo Molo, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
AXA Fondation LPP Suisse romande, Winterthur, c/o AXA Vie SA, Service juridique, 
General Guisan-Strasse 40, 8400 Winterthur, représentée par Me Didier Elsig, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
Prévoyance professionnelle, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 10 mars 2022 (A/3630/2020 - ATAS/221/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, né en 1984, ressortissant français domicilié en France, a travaillé du 1 er mai 2013 au 31 août 2014 pour le compte de B.________ SA en qualité de technicien de maintenance. A ce titre, il a été affilié pour la prévoyance professionnelle auprès d'AXA Fondation LPP Suisse romande, Winterthur (ci-après: AXA). Il a subi un arr êt de travail du 12 mai au 26 mai 2014, puis du 2 juin au 11 juin 2014. Le 12 juin 2014, l'employeur a résilié les rapports de travail avec effet au 31 août 2014.  
L'assuré a ensuite notamment bénéficié d'indemnités journalières de la Caisse primaire d'assurance-maladie de Haute-Savoie (CPAM) et d'allocations chômage d'aide au retour à l'emploi (ARE) de l'assurance-chômage française de manière intermittente entre 2014 et 2018. A la suite d'une demande de prestations déposée en avril 2019, l'Office de l'assurance-invalidité pour les assurés résidant à l'étranger (ci-après: l'OAIE) a, par décision du 31 janvier 2020, reconnu le droit de l'assuré à une rente entière dès le 1 er octobre 2019.  
De son côté, en réponse à la demande de A.________ relative au versement de prestations de la prévoyance professionnelle, AXA l'a informé qu'elle refusait de lui allouer une rente d'invalidité de la prévoyance professionnelle, parce que les périodes de chômage avaient rompu la connexité temporelle "avec le cas d'incapacité de travail survenu le 01.01.2014" (courrier du 26 février 2020). 
 
B.  
Le 11 novembre 2020, A.________ a ouvert action contre AXA devant la Cour de justice de la République et canton de Genève, Cour des assurances sociales. Il a conclu à titre principal à ce qu'AXA soit condamnée à lui verser "les prestations réglementaires, mais au moins frs 31'664 par année" dès le 1 er novembre 2015, subsidiairement dès le 1 er octobre 2019, avec intérêts à 5 % dès le 1 er novembre 2020. Par arrêt du 10 mars 2022, la juridiction cantonale a rejeté la demande.  
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, dont il demande l'annulation. A titre principal et subsidiaire, il reprend les conclusions formulées devant la juridiction cantonale. Plus subsidiairement, il requiert le renvoi de la cause à l'instance cantonale pour nouvelle instruction et décision. 
AXA conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer. Chacune des parties a ensuite déposé des déterminations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière de droit public peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération. 
 
2.  
Les constatations de la juridiction cantonale relatives à l'incapacité de travail résultant d'une atteinte à la santé (survenance, degré, durée, pronostic) relèvent d'une question de fait et ne peuvent être examinées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint dans la mesure où elles reposent sur une appréciation des circonstances concrètes (art. 97 al. 1 et 105 al. 1 et 2 LTF). Les conséquences que tire l'autorité cantonale de recours des constatations de fait quant à la connexité temporelle sont en revanche soumises au plein pouvoir d'examen du Tribunal fédéral (arrêt 9C_147/2021 du 13 octobre 2021 consid. 2 et la référence). 
 
3.  
 
3.1. Le litige porte sur le droit du recourant à des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle obligatoire et surobligatoire de la part de l'intimée. Compte tenu des conclusions et motifs du recours, il s'agit de déterminer si la juridiction cantonale a admis à bon droit l'absence d'un lien de connexité temporelle entre l'incapacité de travail survenue à l'époque où l'intéressé était affilié auprès d'AXA et son invalidité ultérieure ayant conduit à l'octroi d'une rente de l'assurance-invalidité dès le 1er octobre 2019 (cf. art. 23 let. a LPP).  
 
3.2. L'arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment au droit à des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle (art. 23 let. a LPP), ainsi qu'à la notion de survenance de l'incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l'obligation de prester d'une institution de prévoyance (ATF 135 V 13 consid. 2.6; 134 V 20 consid. 3.2.1 et 5.3 et les références). Il rappelle également les situations particulières où l'invalidité trouve son origine dans une maladie évoluant par poussées (arrêts 9C_658/2016 du 3 mars 2017 consid. 6.4.1 et les références; 9C_142/2016 du 9 novembre 2016 consid. 7.1 et les références). Il suffit d'y renvoyer.  
 
4.  
Après avoir considéré que l'intimée pouvait examiner les conditions du droit à la rente d'invalidité de la prévoyance professionnelle sans être liée par la décision de l'office AI, la juridiction cantonale a admis l'existence d'un lien de connexité matérielle entre l'incapacité de travail liée à un trouble affectif bipolaire survenue dès mai 2014, soit pendant l'affiliation du recourant à l'institution de prévoyance, et l'invalidité ayant ouvert le droit de l'assuré à une rente de l'assurance-invalidité dès octobre 2019. Les premiers juges ont ensuite constaté que l'assuré avait bénéficié de 513 jours d'allocations de chômage entre le 19 avril 2016 et le 26 novembre 2017, soit pendant environ une période de 19 mois, laquelle avait été entrecoupée par de brefs arrêts de travail totalisant 19 jours à la fin de l'année 2016, puis par deux hospitalisations dans le courant de l'année 2017. Nonobstant ces brefs arrêts de travail, l'assuré avait été jugé apte au placement par les organes français de l'assurance-chômage et n'avait pas été hospitalisé entre novembre 2015 et juin 2017. En conséquence, pour la juridiction cantonale, la période pendant laquelle l'assuré avait reçu des allocations de chômage avait été suffisamment longue pour considérer que le lien de connexité temporelle entre l'incapacité de travail déterminante et l'invalidité subséquente avait était rompu. Partant, elle a nié une obligation de prester de l'intimée. 
 
5.  
 
5.1. Le recourant reproche à la juridiction cantonale d'avoir établi les faits de manière arbitraire et d'avoir violé l'art. 23 LPP, en ce qu'elle a retenu une rupture du lien de connexité temporelle. Il fait également valoir que les premiers juges auraient méconnu la jurisprudence relative aux maladies évoluant par poussées.  
 
5.2. L'intimée soutient pour sa part que le lien de connexité temporelle a été rompu, notamment en raison du placement de l'assuré auprès de l'assurance-chômage française.  
 
6.  
 
6.1. Il convient de relever d'emblée que, contrairement à ce que prétend l'intimée, ce n'est pas seulement l'intervalle du 19 avril 2016 au 26 novembre 2017 qui est déterminant pour examiner la condition de la connexité temporelle, mais bien la période courant d'avril 2014 à mai 2019. Celle-ci correspond en effet à la période entre l'incapacité de travail (de plus de 20 % [cf. ATF 144 V 58 consid. 4.4]) survenue pendant l'affiliation du recourant à l'institution de prévoyance et celle ayant ouvert le droit à une rente de l'assurance-invalidité suisse. A cet égard, c'est en vain que l'intimée fait valoir qu'"un doute raisonnable subsiste" sur le point de savoir si l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité a débuté pendant la période d'affiliation. En se limitant à exprimer ce doute, elle ne démontre pas que les constatations y relatives de la cour cantonale, qui s'est notamment fondée sur plusieurs documents médicaux au dossier pour conclure que l'incapacité de travail due au trouble affectif bipolaire était survenue alors que l'assuré était affilié auprès de l'intimée, seraient manifestement inexactes.  
 
6.2. A la suite des premiers juges, on rappellera que la connexité temporelle entre l'incapacité de travail survenue durant le rapport de prévoyance et l'invalidité ultérieure est interrompue lorsque la personne concernée dispose d'une capacité de travail de plus de 80 % dans une activité adaptée pendant plus de trois mois et que celle-ci lui permet de réaliser un revenu excluant le droit à une rente (ATF 144 V 58 consid. 4.4 et les références). Toutefois, cette durée de trois mois doit être relativisée lorsque l'activité en question doit être considérée comme une tentative de réinsertion, en particulier lorsque l'invalidité résulte d'une maladie évoluant par poussées, telle que la sclérose en plaque ou la schizophrénie. Lorsque les tableaux cliniques sont caractérisés par des symptômes évoluant par vagues, avec une alternance des périodes d'exacerbation et de rémission, même une phase plus longue pendant laquelle la personne assurée avait pu reprendre le travail n'implique pas forcément une amélioration durable de l'état de santé et de la capacité de travail si chaque augmentation de la charge professionnelle entraîne après quelque temps, en règle générale, une recrudescence des symptômes conduisant à une nouvelle incapacité de travail notable. La jurisprudence essaie d'en tenir compte en accordant une signification particulière aux circonstances de chaque cas d'espèce (arrêt 9C_333/2020 du 23 février 2021 consid. 5.2 et les références). En cas de troubles bipolaires - comme en l'occurrence -, qui présentent une certaine similarité avec les maladies évoluant par poussées, on peut s'inspirer de ces principes (arrêts 9C_142/2016 du 9 novembre 2016 consid. 7.2 et 7.3.3 et les références; 9C_61/2014 du 23 juillet 2014 consid. 5.3.1).  
 
6.3. Le recourant soutient avec raison que les premiers juges ont omis de prendre en considération de manière arbitraire certains faits importants, lorsqu'ils ont considéré que le lien de connexité temporelle avait été rompu, en se fondant principalement sur la circonstance que le recourant avait perçu des allocations d'aide au retour à l'emploi sur une longue période entre 2016 et 2017.  
En premier lieu, on constate que la période pendant laquelle le recourant a travaillé et a été mis au bénéfice d'indemnités de l'assurance-chômage française a été précédée et suivie d'incapacités totales de trav ail. Il a de ce fait perçu des indemnités journalières de l'assurance-maladie qui concernaient "un arrêt de travail en rapport à une affection de longue durée" du 16 novembre 2014 au 20 avril 2016, puis du 30 novembre 2017 au 30 novembre 2018. 
En deuxième lieu, il apparaît que même durant la période de perception de prestations de chômage d'avril 2016 à novembre 2017, l'assuré n'a pas récupéré durablement une capacité de travail d'au moins 80 % (cf. ATF 144 V 58). En effet, lorsque celui-ci a travaillé du 28 septembre au 30 décembre 2016, il a présenté des incapacités totales de travail ayant donné lieu au versement d'indemnités journalières pour cause de maladie du 23 au 27 novembre 2016, puis du 6 au 19 décembre 2016. Pour cette période, le docteur C.________, médecin-traitant, et la doctoresse D.________, psychiatre-traitante, ont notamment indiqué qu'il présentait à nouveau des troubles du sommeil (consultation du 23 novembre 2016), ne dormait plus qu'une à deux heures par nuit en raison du travail (consultation du 6 décembre 2016), était angoissé, présentait des insomnies et "rechutait" dès qu'il travaillait (consultation du 23 janvier 2017 notes d'entretien du docteur C.________). Si ces indications sont effectivement succintes, comme le relève la juridiction cantonale, elles mettent cependant en évidence que le recourant n'avait pas récupéré une capacité de travail déterminante pendant la période de chômage, puisque la reprise concrète d'une activité lucrative a mené à une nouvelle destabilisation de son état de santé et à une recrudescence des symptômes psychiques avec des arrêts de travail. Les constatations en temps réel ("echtzeitlich") du médecin traitant se recoupent avec ses conclusions du 24 mars 2020, selon lesquelles malgré le fait que l'assuré a "basculé" du régime de l'assurance-maladie dans celui de l'assurance-chômage, la seule tentative de reprise de travail s'était soldée par un échec. Aussi, la reprise du travail pendant une brève période en 2016 doit être tout au plus qualifiée de tentative de réinsertion, sans que le recourant n'ait réussi à réintégrer durablement la vie professionnelle. 
Dans le même sens, le docteur E.________, médecin examinateur auprès du service médical de l'Assurance-maladie française, a conclu que la composante hypomaniaque du trouble bipolaire de l'assuré - bien qu'elle semblât émerger de temps en temps lors des séjours hospitaliers effectués - avait évolué depuis le début de ses difficultés médicales (en 2014) vers la "chronicisation" des troubles thymiques, formant un noyau symptomatique durable; pour ce praticien, un tableau clinique de dépression sévère persistait sur une période de cinq ans malgré les nombreuses tentatives thérapeutiques (rapport du 4 avril 2019). Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que la maladie psychique du recourant ait connu de rémission lui ayant permis de recouvrer une capacité de travail (de plus de 80 % entre avril 2014 à mai 2019), et ce nonobstant l'absence d'hospitalisation durant la période mentionnée par les premiers juges. 
Les considérations que la juridiction cantonale a tirées d'un rapport du docteur F.________ (pleine capacité de gain de l'assuré en 2018) n'y changent rien. En effet, cette pièce ne figure pas au dossier et a été simplement évoquée par le docteur E.________ (rapport du 4 avril 2019). Or on ignore quelle a été l'anamnèse et quels examens ont été conduits par le docteur F.________, de sorte que la cour cantonale ne pouvait pas, sauf à violer le droit fédéral, en tirer de conclusion quant à la capacité de travail de l'assuré. 
 
6.4. Il suit de ce qui précède que la cour cantonale a violé l'art. 23 LPP en retenant une rupture de la connexité temporelle entre l'incapacité de travail survenue à l'époque où l'intéressé était affilié auprès de l'intimée et son invalidité ultérieure. Le recourant a droit à une rente de la prévoyance professionnelle de la part de l'intimée.  
 
7.  
Le recourant a conclu à ce que l'intimée lui verse une rente annuelle de "31'664 fr. au moins". L'arrêt entrepris, vu le résultat auquel est parvenue la cour cantonale, ne comprend pas de considérations sur l'étendue de la prestation requise et sur le point de départ de son versement, au regard de la loi et du règlement de prévoyance. Il convient dès lors de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle détermine les modalités de la rente à verser par l'intimée, ainsi que les éventuels intérêts moratoires. 
 
8.  
Les frais judiciaires doivent être mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Elle versera au recourant une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis et l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Cour des assurances sociales, du 10 mars 2022 est annulé. La cause est renvoyée à la juridiction cantonale pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
L'intimée versera au recourant la somme de 2800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 20 janvier 2023 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Bürgisser