Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_399/2022
Arrêt du 21 août 2023
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mmes les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Maillard, Heine, Viscione et Abrecht.
Greffière : Mme Castella.
Participants à la procédure
A.________ Sàrl,
représentée par Me Stefano Fabbro, avocat,
recourante,
contre
Direction générale de l'emploi et du marché du travail du canton de Vaud,
rue Caroline 11, 1014 Lausanne,
intimée.
Objet
Assurance-chômage (indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 16 mai 2022 (ACH 294/21 - 84/2022).
Faits :
A.
A.a. La société A.________ Sàrl (ci-après: la société) a pour but l'exploitation d'un hôtel-restaurant. Depuis le mois de mars 2020, elle a adressé plusieurs préavis de réduction de l'horaire de travail (RHT) au Service de l'emploi du canton de Vaud (ci-après: le SDE; actuellement la Direction générale de l'emploi et du marché du travail). Celui-ci a régulièrement autorisé la Caisse cantonale de chômage (ci-après: la caisse), pour autant que les autres conditions du droit à la prestation soient remplies, à lui verser les indemnités en cas de RHT, et ce jusqu'au 28 février 2021.
A.b. Ensuite du dépôt, le 15 janvier 2021, d'un nouveau préavis de RHT, le SDE a rendu, le 1
er février 2021, une décision par laquelle il a une nouvelle fois autorisé la caisse à allouer ladite prestation à la société, pour autant que les autres conditions du droit soient remplies, pour la période allant du 1
er mars au 31 mai 2021.
A.c. Par courriel du 3 juin 2021, la caisse a indiqué au SDE qu'elle avait été informée que des travaux étaient en cours au sein des locaux dans lesquels la société déployait son activité, situation qui empêchait l'exploitation du restaurant; les informations trouvées sur Internet attestaient de la fermeture des locaux jusqu'en juillet 2021 pour cause de travaux. Interpellée, la société a expliqué que des travaux concernant les locaux où elle exploitait le restaurant (l'exploitation de l'hôtel ayant été abandonnée) devaient se dérouler du 11 mai au 30 juin 2021, la réouverture de son établissement étant prévue pour juillet 2021. Elle a précisé que le propriétaire du bâtiment avait profité de la fermeture ordonnée par les autorités en lien avec le Covid-19 pour procéder à la réfection et à la rénovation des lieux (courrier du 21 juin 2021).
A.d. Par décision rectificative du 29 juin 2021, annulant la décision du 1
er février 2021, le SDE a autorisé la caisse à octroyer à la société l'indemnité en cas de RHT du 1
er mars au 10 mai 2021, pour autant que les autres conditions du droit soient remplies. Saisi d'une opposition, le SDE l'a rejetée par décision du 17 novembre 2021.
B.
Par arrêt du 16 mai 2022, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours de la société.
C.
La société forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme dans le sens de la reconnaissance de son droit à l'indemnité en cas de RHT du 11 au 31 mai 2021. A titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour reprise d'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.
La Direction générale de l'emploi et du marché du travail conclut au rejet du recours. La cour cantonale et le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) ont renoncé à se déterminer sur le recours.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il y a dès lors lieu d'entrer en matière sur le recours.
2.
Le litige porte sur le point de savoir si la juridiction cantonale a violé le droit fédéral en niant à la recourante le droit à l'indemnité en cas de RHT du 11 au 31 mai 2021, en raison de travaux de rénovation affectant l'exploitation de son restaurant.
3.
Le Tribunal fédéral, qui est un juge du droit, fonde son raisonnement juridique sur les faits retenus par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF ATF 148 V 366 consid. 3.3) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2 LTF).
4.
4.1. Selon l'art. 31 al. 1 LACI (RS 837.0), les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l'activité suspendue ont droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail lorsque: ils sont tenus de cotiser à l'assurance ou qu'ils n'ont pas encore atteint l'âge minimum de l'assujettissement aux cotisations AVS (let. a); la perte de travail doit être prise en considération (art. 32 LACI; let. b); le congé n'a pas été donné (let. c); la réduction de l'horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l'on peut admettre qu'elle permettra de maintenir les emplois en question (let. d).
4.2. L' art. 32 al. 1 let. a et b LACI précise que la perte de travail est prise en considération lorsqu'elle est due à des facteurs d'ordre économique et est inévitable et qu'elle est d'au moins 10 % de l'ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l'entreprise. Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d'autres circonstances non imputables à l'employeur (art. 32 al. 3, première phrase, LACI). Le Conseil fédéral a ainsi notamment prévu à l'art. 51 al. 1 OACI (RS 837.02) que les pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, ou qui sont dues à d'autres motifs indépendants de la volonté de l'employeur, sont prises en considération lorsque l'employeur ne peut pas les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou faire répondre un tiers du dommage.
4.3. Aux termes de l'art. 33 al. 1 let. a LACI, une perte de travail n'est pas prise en considération lorsqu'elle est due à des mesures touchant l'organisation de l'entreprise, tels que travaux de nettoyage, de réparation ou d'entretien, ou à d'autres interruptions habituelles et réitérées de l'exploitation, ou encore à des circonstances inhérentes aux risques normaux d'exploitation que l'employeur doit assumer. Doivent être considérés comme des risques normaux d'exploitation au sens de cette disposition les pertes de travail habituelles, c'est-à-dire celles qui, d'après l'expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l'objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d'exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n'est que lorsqu'elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu'elles ouvrent le droit à une indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail. La question du risque d'exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d'entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l'activité spécifique de l'exploitation en cause (ATF 138 V 333 consid. 4.2.2; 119 V 498 consid. 1; arrêt C 283/01 du 8 octobre 2003 consid. 3).
L'exception de l'art. 33 al. 1 let. a LACI ne vaut pas seulement pour les pertes de travail dues à des facteurs d'ordre économique selon l'art. 32 al. 1 LACI, mais s'applique également aux cas de rigueur au sens des art. 32 al. 3 LACI et 51 OACI (ATF 138 V 333 consid. 4.2.1; 128 V 305 consid. 4b; 121 V 371 consid. 2c et les références).
5.
5.1. Les juges cantonaux ont constaté qu'entre le 11 mai et le 30 juin 2021, les locaux pris à bail par la recourante avaient fait l'objet de travaux dont la nature empêchait cette dernière de déployer son activité économique.
Ils ont relevé que l'art. 33 al. 1 let. a LACI prévoyait expressément que la perte de travail due à des mesures touchant l'organisation de l'entreprise ne devait pas être prise en considération pour déterminer le droit à l'indemnité en cas de RHT. Par ailleurs, le libellé de l'art. 17 de la loi fédérale du 25 septembre 2020 sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l'épidémie de Covid-19 (loi Covid-19; RS 818.102) était particulièrement clair quant aux dispositions de la LACI pouvant faire l'objet de dérogations et ne prévoyait aucune cautèle en lien avec les pertes de travail à (ne pas) prendre en considération. Il y avait ainsi lieu de retenir que les règles usuelles de la LACI s'appliquaient au cas d'espèce. En conséquence, la recourante ne pouvait pas se voir allouer l'indemnité en cas de RHT pour la période litigieuse. Le fait que l'exclusion prévue par l'art. 33 al. 1 let. a LACI concernait également les cas dans lesquels la perte de travail résultait de mesures prises par les autorités (art. 32 al. 3 LACI) signifiait précisément qu'elle s'étendait à des situations dans lesquelles ces mesures étaient antérieures aux circonstances fondant ladite exclusion. Ainsi, même à admettre que la décision de procéder aux travaux litigieux avait été prise après la fermeture des établissements publics par les autorités, cela était sans effet sur le droit aux indemnités.
Par ailleurs, le fait qu'à la suite des décisions administratives prises au moment des faits, l'établissement aurait dû être fermé durant la période litigieuse même en l'absence de travaux n'était d'aucun secours à la recourante. En effet, la reconnaissance du droit aux indemnités en cas de RHT aux entreprises qui profiteraient logiquement de la fermeture pour procéder à des rénovations et réfections créerait une inégalité de traitement avec les exploitants qui, face à un besoin de rénovation similaire, devraient fermer un établissement en temps normal (soit en l'absence de pandémie) ou après la période durant laquelle les autorités ont décidé d'une fermeture.
5.2. La recourante reproche aux premiers juges d'avoir violé les art. 31 à 33 LACI ainsi que la loi Covid-19 en considérant que les travaux entrepris pendant la fermeture obligatoire des entreprises actives dans la restauration faisaient obstacle à l'obtention d'une indemnité en cas de RHT. Elle fait valoir que sa demande d'indemnités n'était pas fondée sur la réalisation des travaux de rénovation mais sur l'interdiction du Conseil fédéral de maintenir son établissement ouvert, et que les travaux de rénovation ont été décidés postérieurement à cette mesure. Comme celle-ci n'avait pas été levée pendant la période litigieuse, le SDE ne disposerait pas du pouvoir de reconsidérer sa position. La recourante invoque également le caractère inédit de la situation, lié à la pandémie de coronavirus, laquelle n'avait pas pu être anticipée par le législateur. Partant, le côté inédit, particulièrement choquant et long, des mesures prises imposerait de considérer la situation sous un angle différent, nécessitant une adaptation de la jurisprudence rendue jusque-là et de la doctrine préexistante. Par ailleurs, le raisonnement des premiers juges sur l'inégalité de traitement serait choquant au regard de l'ampleur et du caractère exceptionnel de la pandémie: l'inégalité de traitement consisterait au contraire à contraindre les entreprises à attendre la fin des mesures sanitaires pour entamer les travaux de rénovation et prolonger ainsi la fermeture de l'établissement, sous peine d'être lourdement pénalisées.
5.3. Les griefs de la recourante sont mal fondés. En effet, le Tribunal fédéral a confirmé à plusieurs reprises que lorsqu'un motif de non-prise en considération de la perte de travail, au sens de l'art. 33 al. 1 LACI, est donné, il importe peu que l'état de fait dans lequel s'inscrit la perte de travail relève en soi des situations visées par les art. 32 al. 1 ou al. 3 LACI (cf. consid. 4.3 supra). Partant, le fait que, parallèlement aux travaux de rénovation, une mesure des autorités au sens de l'art. 32 al. 3 LACI était, en tant que telle, susceptible de justifier la perte de travail n'est pas décisif, tout comme le point de savoir quand ont été décidés les travaux. En se prévalant du caractère inédit de la pandémie, la recourante n'expose pas valablement en quoi les conditions d'un revirement de jurisprudence seraient remplies (à ce sujet voir ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 et l'arrêt cité). En tout état de cause, on ne saurait se prévaloir du caractère exceptionnel de la pandémie de coronavirus pour remettre en cause ladite jurisprudence, étant rappelé, d'une part, que l'institution de l'indemnité en cas de RHT vise précisément à faire face à certaines situations présentant un caractère exceptionnel ou extraordinaire (cf. consid. 4.3 supra) et, d'autre part, qu'en raison de l'ampleur de la pandémie, le Conseil fédéral a pu édicter des dispositions dérogeant à la LACI (art. 17 loi Covid-19). La recourante ne prétend pas à cet égard que le Conseil fédéral aurait suspendu l'application de l'art. 33 al. 1 let. a LACI. En outre, lorsqu'elle évoque les difficultés liées aux longs mois de fermeture, la recourante perd du vue qu'elle a régulièrement été mise au bénéfice des indemnités depuis sa première demande en mars 2020 jusqu'au 10 mai 2021. Enfin, ses critiques relatives à l'égalité de traitement ne peuvent pas être suivies. En effet, en procédant à la rénovation du restaurant pendant la période litigieuse, la recourante ne pouvait certes pas toucher les indemnités requises, mais elle a pu profiter d'une fermeture générale de tous les établissements du secteur concerné. Si elle avait attendu la fin de la mesure - ce qui lui était loisible -, elle aurait dû fermer son restaurant au profit des autres établissements et n'aurait pas non plus touché les indemnités en cas de RHT pendant les travaux de rénovation. Elle n'est donc pas pénalisée. Comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, l'octroi des indemnités requises à la recourante entraînerait au contraire une inégalité de traitement vis-à-vis de l'entreprise qui aurait planifié des travaux de rénovation ultérieurement et n'aurait pas la possibilité de les anticiper pendant la pandémie, respectivement pendant les mesures prises par les autorités.
5.4. En tant que la recourante soutient encore que l'arrêt attaqué procéderait du formalisme excessif et de l'arbitraire, elle reprend les mêmes arguments que ceux qu'elle a soulevés à l'appui de son premier grief (caractère exceptionnel de la pandémie et des mesures sanitaires). Or, comme on l'a vu, ses critiques apparaissent mal fondées, de sorte que les griefs tirés de l'interdiction du formalisme excessif et de l'arbitraire doivent également être écartés.
6.
La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, et au Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO).
Lucerne, le 21 août 2023
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : Castella