Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_748/2022
Arrêt du 21 août 2023
IVe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Wirthlin, Président,
Maillard et Métral.
Greffière : Mme Elmiger-Necipoglu.
Participants à la procédure
Unia caisse de chômage,
Weltpoststrasse 20, 3015 Berne,
recourante,
contre
A.________,
représentée par Me Michael Lavergnat, avocat,
intimée.
Objet
Assurance-chômage (indemnité en cas de travail à temps réduit),
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 23 novembre 2022 (ATAS/1020/2022).
Faits :
A.
A.a. A.________ a exploité en raison individuelle l'établissement à l'enseigne B.________. Le 3 janvier 2023, son fils C.________, né en 1989, a repris l'entreprise familiale. Auparavant, il avait travaillé pour sa mère comme directeur d'exploitation et était inscrit dès le xxx avril 2013 au registre du commerce, d'abord avec procuration collective à deux, puis dès le 5 décembre 2019, avec procuration individuelle. Son épouse, D.________, née en 1985, a également travaillé dans l'entreprise familiale comme assistante de direction des ressources humaines.
A.b. Par décision du 22 avril 2021, l'office cantonal de l'emploi (ci-après: l'OCE) a autorisé l'octroi de l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail (ci-après: RHT) en faveur de A.________ pour la période du 22 décembre 2020 au 21 juin 2021. La caisse de chômage Unia (ci-après: la caisse) a donc indemnisé A.________ pour les mois de décembre 2020 à juin 2021 sur la base des décomptes qui concernaient notamment le fils et la belle-fille de celle-ci. Par décision du 22 décembre 2021, la caisse a demandé à A.________ la restitution de 70'111 fr. 10 au motif que, suite à un contrôle interne, elle avait constaté que le fils de celle-ci était inscrit au registre du commerce en qualité de directeur d'exploitation avec procuration individuelle et qu'il occupait une position assimilable à celle d'un employeur au sein de l'entreprise. S'il avait pu faire partie des cadres ayant droit aux prestations RHT du 18 mars au 31 mai 2020 ensuite des mesures d'assouplissement mises en place par le Conseil fédéral pour soutenir l'économie, tel n'était plus le cas dès le 1er juin 2020, après la reprise du droit en vigueur en matière de RHT. Dans sa décision sur opposition du 5 mai 2022, la caisse a rejeté l'opposition de l'employeuse et, après un nouveau calcul, a constaté que celle-ci devait lui restituer la somme totale de 91'572 fr. 30 pour les mois de décembre 2020 à juin 2021 qui lui avaient été versés indûment. La somme de 9'649 fr. 60 ayant déjà été compensée avec des paiements complémentaires pour février et mars 2021, le solde encore dû s'élevait à 81'922 fr. 70.
B.
Contre cette décision, A.________ a interjeté recours auprès de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève. Après avoir auditionné A.________ et son fils, la cour cantonale a admis le recours, annulé la décision sur opposition du 5 mai 2022, constaté le droit de A.________ à des indemnités en cas de RHT pour son fils et sa belle-fille de décembre 2020 à juin 2021 à hauteur de 91'572 fr. 30 et condamné la caisse à rembourser le montant de 9'649 fr. 60 qu'elle avait déjà compensé avec des paiements complémentaires de A.________ pour les mois de février et mars 2021.
C.
La caisse forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que la décision sur opposition du 5 mai 2022 soit confirmée. A titre subsidiaire, elle conclut au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouveau jugement.
L'intimée conclut au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité. La cour cantonale et le Secrétariat d'État à l'économie (SECO) ne se sont pas déterminés.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
Le Tribunal fédéral, qui est un juge du droit, fonde son raisonnement juridique sur les faits retenus par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 145 V 188 consid. 2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2 LTF). Si la partie recourante entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité précédente, elle doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées et la correction du vice susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF); à défaut, un état de fait divergent de celui de la décision attaquée ne peut pas être pris en compte (ATF 145 V 188 consid. 2 précité; 135 II 313 consid. 5.2.2). Selon la jurisprudence, il y a arbitraire dans l'appréciation des preuves et l'établissement des faits lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3).
3.
Le litige porte sur la question de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral en considérant que l'intimée a droit à l'indemnité en cas de RHT pour son fils et sa belle-fille s'agissant de la période du 22 décembre 2020 au 21 juin 2021.
4.
4.1. Avec l'Ordonnance du 20 mars 2020 sur les mesures dans le domaine de l'assurance-chômage en lien avec le coronavirus (Ordonnance COVID-19 assurance chômage; RS 837.033), le Conseil fédéral a introduit des allégements concernant le droit à l'indemnité en cas de RHT, notamment en élargissant le cercle des ayants-droits. L'art. 2 de l'Ordonnance COVID-19 assurance-chômage prévoyait ainsi en dérogation de l'art. 31 al. 3 let. c LACI, que les personnes qui fixaient les décisions que prend l'employeur - ou pouvaient les influencer considérablement - en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigeant de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière de l'entreprise, avaient droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail; il en allait de même des conjoints ou des partenaires enregistrés de ces personnes, qui étaient occupés dans l'entreprise. Cette disposition a toutefois été abrogée avec effet au 1er juin 2020 (modification du 20 mai 2020; RO 2020 1777), si bien qu'elle ne constitue pas le fondement légal pour la période concernée de décembre 2020 à juin 2021, ce qui au demeurant n'est pas litigieux.
4.2. La cour cantonale a correctement exposé la disposition légale et la jurisprudence applicable à l'art. 31 al. 3 let. c LACI, selon laquelle les personnes qui fixent les décisions que prend l'employeur - ou peuvent l'influencer considérablement - en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigent de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière à l'entreprise n'ont pas droit à l'indemnité en cas de RHT (ATF 145 V 200 consid. 4.1; cf. aussi ATF 142 V 263 consid. 4.1).
4.3. On rappellera en outre que lorsqu'il s'agit de déterminer quelle est la possibilité effective d'un dirigeant d'influencer le processus de décision de l'entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant dans l'entreprise, étant précisé que c'est la notion matérielle de l'organe dirigeant qui est déterminante, car c'est la seule façon de garantir que l'art. 31 al. 3 let. c LACI, qui vise à combattre les abus, remplisse son objectif (arrêt 8C_865/2015 du 6 juillet 2016 consid. 4.2, in SVR 2016 ALV n° 12 p. 33). Le critère déterminant est celui de la capacité de l'assuré à influencer concrètement et de manière importante les décisions de la société (arrêt 8C_1044/2008 du 13 février 2009 consid. 3.2). En revanche, il n'est pas nécessaire d'examiner les circonstances concrètes du cas d'espèce lorsque le pouvoir décisionnel du dirigeant ressort de la loi. Tel est le cas des membres du conseil d'administration d'une SA et des associés d'une Sàrl (cf. art. 716 à 716 b CO et art. 804 ss CO), pour qui le droit aux prestations peut dès lors être exclu sans qu'il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu'ils exercent au sein de la société (ATF 145 V 200 consid. 4.2; 122 V 270 consid. 3). C'est le cas également pour les membres de la direction d'une association (arrêt 8C_537/2019 du 22 octobre 2020 consid. 3.3.3 in fine et la référence).
4.4. Aux termes de la loi genevoise du 19 mars 2015 sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement (ci-après: LRDBHD; RS/GE l 2 22), on entend par exploitant: la ou les personnes physiques responsables de l'entreprise, qui exercent effectivement et à titre personnel toutes les tâches relevant de la gestion de celle-ci (art. 3 let. n LRDBHD). L'autorisation d'exploiter une entreprise est délivrée à condition que l'exploitant, notamment, soit titulaire du diplôme attestant de son aptitude à exploiter et gérer une entreprise soumise à [cette] loi, qu'il offre toute garantie d'une exploitation personnelle et effective de l'entreprise [...] et qu'il soit désigné par le propriétaire de l'entreprise, s'il n'a pas lui-même cette qualité (art. 9 let. c, e et f LRDBHD).
5.
5.1. La recourante invoque une violation de l'art. 31 al. 3 let. c LACI et fait valoir que les juges cantonales auraient nié à tort que le fils de l'intimée se trouvât dans une position assimilable à celle d'un employeur. En effet, non seulement il occupait la fonction de directeur d'exploitation et disposait d'une procuration avec signature individuelle de représentation, mais surtout il agissait en tant qu'employeur et avait de par la LRDBHD des prérogatives larges dans la gestion de l'entreprise. Pendant la maladie de l'intimée, les pouvoirs de son fils auraient été étendus, afin de lui permettre de prendre des décisions. Selon le témoignage de l'intimée, l'établissement avait perdu son certificat d'exploitation au décès de son mari en 2012. Elle n'avait pu continuer à exploiter qu'à titre provisoire avant de s'associer avec son fils en bénéficiant de l'autorisation qui lui avait été délivrée aussitôt son diplôme obtenu auprès de l'école hôtelière. En tant que membre de la direction, C.________ n'aurait pas droit aux indemnités en cas de RHT sur les périodes de contrôle de décembre 2020 à juin 2021, tout comme son épouse, conformément à l'art. 31 al. 3 let. b LACI.
5.2. Selon les constatations des premiers juges, A.________ avait décidé de transmettre la direction de l'entreprise dès 2023 et n'avait pas l'intention de le faire avant. Elle était clairement la seule détentrice du pouvoir de décision pour l'entreprise. Son fils ne pouvait ainsi pas prendre de décision sans en référer à elle, ce qui excluait qu'il se trouvât dans une position assimilable à celle d'un employeur. Son épouse n'occupait pas davantage une telle position, de sorte que la décision de restitution des indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail litigieuses était infondée.
5.3. Il n'est pas nécessaire de pouvoir prendre seul des décisions pour se trouver dans une position assimilable à celle d'un employeur. Il suffit de disposer d'une influence considérable sur ces décisions. En l'espèce, il ressort de l'arrêt cantonal que C.________ était inscrit depuis le xxx avril 2013 au registre du commerce en qualité de directeur d'exploitation. Puis, dès le 5 décembre 2019, il était au bénéfice d'une procuration individuelle lui permettant de représenter l'entreprise. Dans cette fonction, il avait signé les demandes d'indemnités de réduction de l'horaire de travail et utilisé pour ce faire un tampon portant son nom. Il était également le seul, au sein de son entreprise, à disposer d'un certificat de capacité de cafetier. Par ailleurs, selon les déclarations de A.________, son fils avait dû prendre des décisions pendant qu'elle avait été malade entre octobre 2002 et mi-avril 2021. Elle l'avait auparavant associé à la direction de l'entreprise dans le but de le former. Après sa maladie, elle avait repris les rênes de l'entreprise, mais avec moins d'enthousiasme, car elle était fatiguée physiquement et moralement. Contrairement aux constatations des premiers juges, C.________ pouvait influencer considérablement les décisions de l'employeur en sa qualité de directeur d'exploitation, même s'il requérait l'approbation de sa mère pour toutes les décisions importantes. Ce pouvoir était nécessaire pour répondre au exigences des art. 3 et 9 LRDBHD (cf. consid. 4.4 supra) et C.________ s'était engagé à l'exercer en demandant l'autorisation d'exploiter le restaurant auprès des pouvoirs publics. Dans la mesure où les premiers juges ont considéré qu'il ne disposait pas d'un tel pouvoir, leurs constatations sont manifestement erronées ou traduisent une interprétation erronée de l'art. 31 al. 1 let. c LACI.
5.4. L'intimée soutient en vain qu'en tant qu'exploitant au sens de la LRDBHD, le rôle de son fils était limité à celui d'un "garant vis-à-vis de l'administration dans la mise en oeuvre [de cette loi]". En effet, l'art. 40 al. 3 du règlement d'exécution du 28 octobre 2015 de la loi cantonale précitée (RRDBHD; RS/GE l 2 22.01), cité par l'intéressée, prévoit expressément que l'exploitant doit gérer l'entreprise de façon personnelle et efficace; il doit en particulier assumer la majorité des tâches administratives liées au personnel (engagement, gestion des salaires, des horaires, des remplacements etc.). Dans le contexte des indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail, un tel rôle confère nécessairement à celui qui l'exerce une position assimilable à celle d'un employeur. On relèvera enfin que si C.________ a disposé d'une procuration individuelle depuis le 5 décembre 2019, soit à un moment où sa mère n'était pas encore malade, cela démontre également la volonté de l'intimée de donner plus de pouvoir décisionnel à son fils en vue de la reprise de l'entreprise par celui-ci, indépendamment de la survenue de sa maladie en octobre 2020.
6.
Au vu de ce qui précède, C.________ avait une position assimilable à celle d'un employeur pendant la période litigieuse et n'avait donc pas droit à l'indemnité en cas de RHT, tout comme sa conjointe qui était occupée dans l'entreprise (art. 31 al. 3 let. c LACI). L'arrêt du 23 novembre 2022 doit dès lors être annulé et la décision sur opposition du 5 mai 2022 confirmée.
7.
Vu l'issue de la procédure, les frais judiciaires doivent être mis à la charge de l'intimée (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 23 novembre 2022 est annulé et la décision sur opposition de l'Unia caisse de chômage 5 mai 2022 confirmée.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et au Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO).
Lucerne, le 21 août 2023
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : Elmiger-Necipoglu