Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_651/2023
Arrêt du 22 janvier 2024
IIIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président,
Stadelmann et Moser-Szeless.
Greffière : Mme Perrenoud.
Participants à la procédure
Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève, rue des Gares 12, 1201 Genève,
recourant,
contre
A.________,
représenté par M e Andres Perez, avocat,
intimé.
Objet
Assurance-invalidité,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 20 septembre 2023 (A/4163/2021 ATAS/706/2023).
Faits :
A.
A la suite d'un premier refus de prestations de l'assurance-invalidité (décision de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève [ci-après: l'office AI] du 9 juillet 2018), A.________, né en 1962, a déposé une nouvelle demande de prestations en juillet 2019. Entre autres mesures d'instruction, l'office AI a soumis l'assuré à une expertise (rapport du docteur B.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 29 juillet 2021) et à un examen neuropsychologique (rapport du neuropsychologue C.________ du 10 mars 2021). Par décision du 3 novembre 2021, il a nié le droit de l'assuré à une rente.
B.
Saisie d'un recours de A.________ contre cette décision, la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, a ordonné une expertise psychiatrique (ordonnance d'expertise du 2 novembre 2022). Dans son rapport du 5 juillet 2023, la doctoresse D.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a retenu les diagnostics d'épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2), d'état de stress post-traumatique (F43.1) et de traits de personnalité dépendante; elle a conclu à une incapacité totale de travail dans toute activité depuis 2019.
Invitée à se prononcer sur l'expertise, l'administration a admis que les conclusions de la doctoresse D.________ sur la capacité de travail pouvaient être suivies et qu'il se justifiait de reconnaître le droit de A.________ à une rente entière d'invalidité depuis le 1er juillet 2020 (écriture du 29 août 2023). L'assuré a conclu à l'octroi d'une rente entière d'invalidité à compter de juillet 2019 (conclusions du 4 août 2023).
Par arrêt du 20 septembre 2023 (rectifié le 4 octobre suivant), la Cour de justice genevoise a partiellement admis le recours et annulé la décision de l'office AI du 3 novembre 2021 (ch. 2 et 3 du dispositif). Elle a reconnu le droit de l'assuré à une rente entière d'invalidité depuis le 1er mai 2020 (ch. 4 du dispositif) et mis les frais de l'expertise judiciaire, à hauteur de 7'105 fr. 69, à la charge de l'office AI (ch. 5 du dispositif).
C.
L'office AI forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, dont il requiert l'annulation en ce qu'il le condamne au paiement des frais d'expertise de 7'105 fr. 69. Il sollicite également l'octroi de l'effet suspensif au recours.
L'assuré conclut au rejet du recours et s'oppose à l'attribution de l'effet suspensif. L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière de droit public peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération.
2.
Compte tenu des conclusions et motifs du recours, est seul litigieux le point de savoir si la juridiction cantonale était en droit de mettre les frais de l'expertise judiciaire (montant total de 7'105 fr. 69) à la charge de l'office AI.
3.
3.1. L'office recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral en mettant à sa charge les frais de l'expertise judiciaire en cause. Il allègue en substance que l'on ne peut lui reprocher aucune légèreté dans la constitution du dossier, dès lors qu'il a procédé à une instruction complète du cas en recueillant des renseignements auprès des médecins traitants de l'assuré et en mettant en oeuvre une expertise psychiatrique, ainsi qu'un examen neuropsychologique. Son instruction n'avait par ailleurs pas été lacunaire ou insuffisante, l'expertise ayant été mise en place pour des "motifs d'opportunité".
3.2. Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d'assurance-invalidité (cf. ATF 139 V 496 consid. 4.3; 139 V 349 consid. 5.4), les frais qui découlent de la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire peuvent le cas échéant être mis à la charge de l'assurance-invalidité. En effet, lorsque l'autorité judiciaire de première instance ordonne la réalisation d'une expertise judiciaire parce qu'elle estime que l'instruction menée par l'autorité administrative est insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l'ATF 137 V 210), elle intervient dans les faits en lieu et place de l'autorité administrative qui aurait dû, en principe, mettre en oeuvre cette mesure d'instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l'expertise ne constituent pas des frais de justice au sens de l'art. 69 al. 1bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l'art. 45 LPGA qui doivent être pris en charge par l'assurance-invalidité. Cette règle ne saurait entraîner la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en oeuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2; arrêt 9C_758/2019 du 4 février 2020 consid. 3.2; sur l'ensemble de la question, cf. aussi ERIK FURRER, Rechtliche und praktische Aspekte auf dem Weg zum Gerichtsgutachten in der Invalidenversicherung, RSAS 2019, p. 14).
3.3. En l'espèce, le motif retenu par les premiers juges pour mettre les frais d'expertise en question à la charge de l'office recourant met en évidence un lien entre des défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mandater la doctoresse D.________. Ils ont considéré qu'il s'était avéré indispensable d'ordonner une expertise judiciaire en raison du fait que celle du docteur B.________ n'était pas probante. A cet égard, on constate, à la suite de la Cour de justice genevoise (cf. ordonnance du 2 novembre 2022, p. 12), que le docteur B.________ a rédigé son rapport sans tenir compte du rapport du docteur E.________, spécialiste en neurologie, du 27 mai 2021 (cf. la synthèse du dossier figurant sous le ch. 2 de l'expertise, où le dernier rapport mentionné est celui de la doctoresse F.________, médecin, du 16 février 2021). Si l'absence de prise en compte du rapport du docteur E.________ peut s'expliquer par le fait que le docteur B.________ a reçu le dossier de l'administration le 9 décembre 2020 et qu'il a vu l'expertisé le 22 janvier 2021, en revanche l'expert avait connaissance du rapport du neuropsychologue C.________ du 10 mars 2021 au moment où il a rédigé son rapport, le 29 juillet 2021. A la lecture de l'expertise, on constate en effet que le docteur B.________ a mentionné le rapport du neuropsychologue C.________ dans les sources qu'il a utilisées (cf. ch. 1.3 de l'expertise). Or comme l'a expliqué de manière circonstanciée la juridiction cantonale dans son ordonnance d'expertise du 2 novembre 2022, le neuropsychologue C.________ avait suggéré, dans son rapport du 10 mars 2021, de réaliser un examen neurologique avec une imagerie cérébrale si un doute subsistait quant à une possible étiologie démentielle. En l'occurrence, un tel doute subsistait puisque le docteur E.________ avait indiqué, dans son rapport du 27 mai 2021, que le fonctionnement cognitif de l'intimé était très altéré et qu'un début de détérioration dû à une maladie neurodégénérative n'était pas exclu. Il n'y a dès lors pas lieu de s'écarter de la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle cet élément remettait sérieusement en doute le diagnostic de majoration des symptômes psychiques et neuropsychologiques pour des raisons psychologiques et/ou simulation de symptômes psychiques et neuropsychologiques posé par le docteur B.________.
On ajoutera que l'instance précédente a mis en évidence d'autres incohérences contenues dans le rapport du docteur B.________. Elle a notamment exposé de manière convaincante, concernant l'état dépressif de l'assuré, que le docteur B.________ avait exclu la présence d'un trouble dépressif récurrent pour le motif qu'il n'y avait pas eu d'épisode antérieur, alors même qu'il y en avait pourtant eu au moins deux (à savoir une période critique du 16 octobre 2017 au mois de janvier 2018 [cf. rapport du docteur G.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 21 mars 2018] et une hospitalisation pour un soutien psychologique du 27 juin au 11 juillet 2019 en raison d'un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen à sévère [cf. lettre de sortie de la clinique H.________ du 31 juillet 2019]). Partant, quoi qu'en dise l'office recourant, ce ne sont pas des motifs d'opportunité qui ont conduit la juridiction cantonale à mettre en oeuvre une expertise judiciaire, mais bien le fait que les conclusions du docteur B.________ n'étaient pas assez probantes. Dans ces conditions, l'instruction était lacunaire, de sorte que les frais de l'expertise judiciaire pouvaient être mis à la charge de l'office AI. Le recours est mal fondé.
4.
Le présent arrêt rend sans objet la demande d'effet suspensif qui assortit le recours.
5.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais de justice et les dépens doivent être mis à la charge du recourant ( art. 66 al. 1 et 68 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 900 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimé la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 22 janvier 2024
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
La Greffière : Perrenoud