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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_219/2021  
 
 
Arrêt du 25 janvier 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Kiss et May Canellas. 
Greffière : Mme Godat Zimmermann. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Eric Maugué, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
1. B.________ SA, 
2. C.________, 
représentés par Me Philippe Zoelly, avocat, 
intimés. 
 
Objet 
acte illicite; prescription; interruption; poursuites; suspension, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 23 février 2021 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (C/12866/2018 ACJC/282/2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ et C.________ se sont mariés en janvier 1995.  
C.________ était alors copropriétaire avec un tiers d'un bateau à moteur, assuré en responsabilité civile auprès de D.________, qui deviendra B.________ SA (ci-après: B.________ ou la compagnie d'assurance). 
Le 29 mai 1999, les époux naviguaient sur le lac Léman avec des amis afin d'y pratiquer le ski nautique. C.________ pilotait le bateau. Alors qu'elle se trouvait à l'avant, A.________ est tombée par-dessus bord après le passage d'une vague. Le pilote, qui observait le skieur qu'il traînait, n'a pas vu sa compagne chuter. Il a effectué un virage à droite. A.________ a alors passé sous le bateau et sa jambe gauche a été happée par l'hélice au niveau du genou, lui causant de graves lésions. Elle a subi de nombreuses opérations et une longue rééducation. 
 
A.b. A.________ et C.________ se sont séparés en juin 2000. Leur divorce a été prononcé le 25 avril 2012 par le Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois, dont le jugement est devenu définitif et exécutoire le 29 mai 2012.  
 
A.c. Le 27 mai 2004, A.________ a déposé une plainte pénale contre son époux.  
Le 13 janvier 2006, le Tribunal correctionnel de la Côte a condamné C.________ pour lésions corporelles graves par négligence à 200 fr. d'amende et donné acte à A.________ de ses réserves civiles. 
 
A.d. Le 17 décembre 2003, B.________ a fait opposition au commandement de payer la somme de 500'000 fr., notifié sur requête de A.________.  
Le 9 novembre 2004, la compagnie d'assurance a renoncé à se prévaloir de la prescription, sous réserve que celle-ci n'ait pas été d'ores et déjà acquise. 
Entre le 19 décembre 2005 et le 6 septembre 2011, elle renoncera à se prévaloir de la prescription à huit reprises. 
Le 23 décembre 2011, elle a renoncé à se prévaloir de la prescription jusqu'au 29 février 2012. 
Le 29 février 2012, A.________ a déposé une réquisition de poursuite pour un montant de 4'000'000 fr. contre B.________, laquelle a fait opposition au commandement de payer notifié le 16 mars 2012. 
Le 11 mars 2013, elle a déposé une réquisition de poursuite contre B.________, laquelle a fait opposition au commandement de payer notifié le 13 mars 2013. 
Le 25 février 2014, le 26 février 2015, le 22 février 2016, en janvier 2017 à une date indéterminée et le 17 janvier 2018, la lésée a introduit des poursuites contre la compagnie d'assurance, laquelle a fait opposition aux commandements de payer qui lui avaient été notifiés le 28 février 2014, le 2 mars 2015, le 22 février 2016, le 26 janvier 2017 et le 22 janvier 2018. 
 
A.e. Le 13 avril 2017, A.________ a déposé une réquisition de poursuite contre C.________, lequel a fait opposition le 28 avril 2017 au commandement de payer qui lui avait été notifié.  
Le 18 avril 2018, la lésée a déposé une réquisition de poursuite contre son ex-époux. 
 
B.  
 
B.a. Le 31 mai 2018, A.________ a déposé une requête de conciliation à l'encontre de B.________ et de C.________.  
Après l'échec de la conciliation, elle a, par demande du 17 décembre 2018, conclu, sur action partielle, à ce que les défendeurs soient condamnés, conjointement et solidairement, subsidiairement B.________ seule et plus subsidiairement C.________ seul, à lui payer 15'000 fr. avec intérêts à 5 % dès le 31 décembre 2008 et 15'000 fr. avec intérêts à 5 % dès le 29 novembre 2008, et à ce que le solde de ses prétentions à leur égard en lien avec l'accident du 29 mai 1999 et ses suites soit réservé. 
C.________ et B.________ ont conclu au déboutement de la demanderesse, soulevant notamment l'exception de prescription. 
 
B.b. Par jugement du 11 mai 2020, le Tribunal de première instance du canton de Genève a admis l'exception de prescription soulevée par chaque défendeur, a constaté que les créances objets de la demande en paiement étaient prescrites et a débouté A.________ de toutes ses conclusions.  
 
B.c. Statuant le 23 février 2021 sur appel de la demanderesse, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance.  
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière civile. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal, au rejet des exceptions de prescription soulevées par les défendeurs et au renvoi de la cause à la Cour de justice pour la suite de la procédure. 
B.________ et C.________ proposent le rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. 
Pour sa part, la cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes à la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF) et au délai de recours (art. 46 al. 1 let. a et art. 100 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1; 136 II 304 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments soulevés dans le recours, ni par la motivation retenue par l'autorité précédente (ATF 137 II 313 consid. 1.4; 135 III 397 consid. 1.4). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 142 III 364 consid. 2.4; 141 III 86 consid. 2; 140 III 115 consid. 2; 137 III 580 consid. 1.3). Par exception à la règle selon laquelle il applique le droit d'office, il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 144 II 313 consid. 5.1; 142 II 369 consid. 2.1; 142 III 364 consid. 2.4; 139 I 229 consid. 2.2).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 143 I 310 consid. 2.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception au sens de l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées. Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). 
 
3.  
La cour cantonale a jugé prescrites les prétentions de la recourante contre chacun des intimés par le même raisonnement. Elle a considéré que seule la réquisition de poursuite, dès sa remise à la poste, interrompait la prescription conformément à l'art. 135 ch. 2 CO et que la notification d'un commandement de payer valable n'avait pour effet que de faire rétroagir l'interruption au moment du dépôt de la réquisition de poursuite. 
En ce qui concerne les prétentions contre la compagnie d'assurance déduites de l'art. 33 al. 1 de la loi fédérale sur la navigation intérieure (LNI; RS 747.201), la cour cantonale a constaté que l'intimée avait renoncé à se prévaloir de la prescription jusqu'au 29 février 2012. Ce jour-là, la recourante a déposé une réquisition de poursuite, laquelle a interrompu la prescription et fait naître un nouveau délai d'un an, conforme à l'art. 60 al. 1 aCO, applicable dès lors que la prescription pénale absolue de l'art. 72 ch. 2 aCP était atteinte au plus tard le 30 novembre 2006 (cf. art. 60 al. 2 aCO et art. 49 Tit. fin. CC). La cour cantonale a jugé que la prescription était acquise dès le 28 février 2013 et que la réquisition de poursuite déposée le 11 mars 2013 n'avait pas d'effet interruptif, quand bien même elle l'avait été moins d'un an après la notification d'un commandement de payer intervenue le 16 mars 2012. 
En ce qui concerne les prétentions contre l'intimé, la Cour de justice a considéré qu'elles étaient en tout cas prescrites le 18 avril 2018, lors de l'envoi de la réquisition de poursuite par la recourante, plus d'un an après la remise à la poste de la précédente réquisition de poursuite en date du 13 avril 2017. 
 
4.  
La recourante ne conteste pas qu'un nouveau délai de prescription d'un an, conforme à l'art. 60 al. 1 aCO, ait commencé de courir à partir des réquisitions de poursuite du 29 février 2012, respectivement du 13 avril 2017. 
Se plaignant d'une violation de l'art. 135 ch. 2 CO et de l'art. 138 al. 2 CO, elle reproche à la cour cantonale de n'avoir pas attribué un nouvel effet interruptif de prescription aux commandements de payer notifiés aux intimés à la suite des réquisitions de poursuite précitées. Elle se réfère à l'ATF 81 II 135, à des arrêts de la Cour de justice du canton de Genève, ainsi qu'à plusieurs avis doctrinaux. 
Sur la base de ce raisonnement, la recourante soutient que la réquisition de poursuite du 11 mars 2013 a interrompu la prescription de la créance envers la compagnie d'assurance, dès lors qu'elle est intervenue moins d'une année après la notification du commandement de payer, en date du 16 mars 2012, à la suite de la réquisition de poursuite du 29 février 2012. 
Invoquant l'art. 105 al. 2 LTF, la recourante demande par ailleurs à la cour de céans de compléter l'état de fait de l'arrêt cantonal, qui ne comprend pas la date de la notification à l'intimé du commandement de payer dans la poursuite introduite le 13 avril 2017. Se référant à la pièce 92 de son bordereau du 26 août 2019, la recourante fait valoir que le commandement de payer a été notifié à son ex-époux le 25 avril 2017, de sorte que la réquisition de poursuite intervenue le 18 avril 2018 a interrompu la prescription. 
 
5.  
Aux termes de l'art. 135 ch. 2 CO, la prescription est interrompue lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites (" durch Schuldbetreibung "; " mediante atti di esecuzione "), par une requête de conciliation, par une action ou une exception devant un tribunal ou un tribunal arbitral ou par une intervention dans une faillite. Un nouveau délai commence à courir dès l'interruption (art. 137 al. 1 CO). Sous le titre marginal "Fait du créancier" (" Bei Handlungen des Gläubigers "; " In caso di atti del creditore "), l'art. 138 CO prévoit, à son alinéa 2, que si l'interruption résulte de poursuites (" Schuldbetreibung "; " esecuzione per debiti "), la prescription reprend son cours à compter de chaque acte de poursuite (" mit jedem Betreibungsakt "; " ad ogni singolo atto esecutivo ").  
 
5.1. Déterminer à quelles conditions une poursuite pour dettes a pour effet d'interrompre la prescription est une question de droit matériel à trancher par le juge (ATF 144 III 425 consid. 2.1). Selon une jurisprudence ancienne et constante, la réquisition de poursuite remplissant les conditions posées à l'art. 67 LP est un acte interruptif de prescription au sens de l'art. 135 ch. 2 CO; le Tribunal fédéral n'a ainsi pas pris en compte l'art. 38 al. 2 LP aux termes duquel la poursuite commence par la notification du commandement de payer (ATF 39 II 66 consid. 2 [sous l'empire de l'art. 154 aCO analogue à l'art. 135 CO]; 51 II 563 consid. 1 p. 566; 57 II 462 consid. 2; 101 II 77 consid. 2c in fine; 104 III 20 consid. 2; 114 II 261 consid. 2a; cf. également ATF 138 III 328 consid. 4.1). Le moment déterminant est celui de la remise à la poste ou à l'office des poursuites de la réquisition de poursuite (ATF 49 II 38 consid. 2 p. 42; 114 II 261 consid. 2a; arrêt 2C_426/2008 du 18 février 2009 consid. 6.6.1; pour la transmission électronique: cf. art. 143 al. 2 CPC; ROBERT K. DÄPPEN, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7e éd. 2020, n° 6 ad art. 135 CO; GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, OR AT Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, tome II, 11e éd. 2020, n. 3345 p. 276; ALFRED KOLLER, OR AT Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, 4e éd. 2017, n. 69.04 p. 1215).  
 
5.2. En l'espèce, le litige porte sur le point de savoir si la prescription est interrompue une nouvelle fois lors de la notification du commandement de payer.  
Selon STOFFEL/CHABLOZ, auxquels la cour cantonale se réfère, l'interruption de la prescription par la poursuite, au sens de l'art. 135 ch. 2 CO, suppose un commandement de payer valablement notifié, lequel n'a donc d'autre effet que de faire rétroagir l'interruption au moment du dépôt de la réquisition de poursuite (Voies d'exécution, 3e éd. 2016, n. 28 p. 109 et n. 42 p. 111). 
Une telle manière de voir se heurte à la jurisprudence. Le Tribunal fédéral a jugé plusieurs fois qu'il n'était pas nécessaire qu'un commandement de payer soit notifié pour que la réquisition de poursuite interrompe la prescription (ATF 104 III 20 consid. 2; 101 II 77 consid. 2c in fine; 57 II 462 consid. 2; arrêt 5P.339/2000 du 13 novembre 2000 consid. 3c; cf. également ATF 114 II 261 consid. a; cf. toutefois ATF 83 II 41 consid. 5 et 69 II 162 consid. 2b p. 175 [une réquisition de poursuite adressée à un office incompétent ratione loci interrompt la prescription pour autant que le commandement de payer soit finalement notifié au débiteur et ne soit pas annulé sur plainte]).  
Cela étant, il s'agit ici de déterminer si le commandement de payer est un acte de poursuite interruptif de la prescription au sens de l'art. 138 al. 2 CO
Il convient d'emblée d'écarter la thèse des intimés selon laquelle le titre marginal de l'art. 138 CO exclurait tout acte de poursuite n'émanant pas du créancier. La référence au " fait du créancier " établit simplement le lien avec l'art. 135 ch. 2 CO, qui décrit les actes interruptifs du créancier après l'énumération, à l'art. 135 ch. 1 CO, des actes interruptifs du débiteur. Il est ainsi largement admis que l'acte de poursuite mentionné à l'art. 138 al. 2 CO peut émaner du créancier comme de l'office des poursuites (ATF 81 II 135 consid. 1; WILDHABER/DEDE, Berner Kommentar, 2021, n° 34 ad art. 138 CO; GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, op. cit., n. 3346 p. 276; ALFRED KOLLER, op. cit., n. 69.07 p. 1216; PETER NABHOLZ, Verjährung und Verwirkung als Rechtsuntergangsgründe infolge Zeitablaufs, 1958, p. 117). 
Le Tribunal fédéral a précisé que l'acte interruptif devait introduire une nouvelle phase dans la poursuite, ce qui n'était pas le cas de la communication prévue à l'art. 76 LP, lorsque l'office des poursuites remet au créancier un exemplaire du commandement de payer attestant de l'opposition ou de l'absence d'opposition; il en a déduit dans le cas particulier que la prescription avait été interrompue la dernière fois lors de la notification du commandement de payer (ATF 81 II 135 consid. 1; cf. également arrêt 2C.1/1998 du 21 février 2000 consid. 2c). 
Déjà dans l'ATF 39 II 66, le Tribunal fédéral avait indiqué expressément que la prescription interrompue une première fois par le dépôt de la réquisition de poursuite l'était une deuxième fois par la notification du commandement de payer (consid. 2). La possibilité d'une double interruption de la prescription au début des poursuites est également rendue par la formule selon laquelle la remise de la réquisition de poursuite - et non seulement (" nicht erst ") la notification du commandement de payer - est un acte interruptif (ATF 51 II 563 consid. 1). A d'autres reprises, le nouveau délai de prescription a simplement été calculé à partir de la notification du commandement de payer (ATF 70 II 85 consid. 3; arrêt 4A_513/2010 du 30 août 2011 consid. 4.1 non publié in ATF 137 III 453).  
La notification du commandement de payer est également citée en doctrine à titre d'exemple d'acte de poursuite interruptif de la prescription au sens de l'art. 138 al. 2 CO (IVO SCHWANDER, in OR Kommentar, Kren Kostkiewicz et al. [éd.], 4e éd. 2023, n° 2 ad art. 138 CO; WILDHABER/DEDE, op. cit., n° 34 ad art. 138 CO; PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 9 ad art. 138 CO; DÄPPEN, op. cit., n° 5 ad art. 138 CO; BLAISE CARRON et NIELS FAVRE, La révision de la prescription dans la partie générale du Code des obligations, in Le nouveau droit de la prescription, François Bohnet et Anne-Sylvie Dupont [éd.], 2019, n. 129 p. 50; FRÉDÉRIC KRAUSKOPF, Das Management der privatrechtlichen Verjährung, in Le insidie della prescrizione, 2019, p. 29; DANIEL WUFFLI, Verjährungsunterbrechung durch Betreibung, in Die Verjährung - Antworten auf brennende Fragen zum alten und neuen Verjährungsrecht, Frédéric Krauskopf [éd.], 2018, p. 168; KOLLER, op. cit., n. 69.07 p. 1216; STEPHEN BERTI, Zürcher Kommentar, 3e éd. 2002, n° 40 ad art. 138 CO; PIERRE-ROBERT GILLIÉRON, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, Articles 1-88, 1999, n° 135 ad art. 67 LP; LE MÊME, in Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5e éd. 2012, n. 665 p. 161, paraît toutefois exclure que le commandement de payer interrompe la prescription.). 
 
5.3. Il apparaît ainsi que la jurisprudence, approuvée par la doctrine, a attribué de longue date un effet interruptif de la prescription à la notification du commandement de payer.  
Ni les considérants de l'arrêt attaqué, ni la motivation développée par les intimés ne recèlent de motifs sérieux justifiant un changement de jurisprudence (cf. ATF 147 III 14 consid. 8.2), lequel porterait manifestement atteinte à la sécurité juridique requise par le régime de la prescription (cf. ATF 137 III 16 consid. 2.1). 
Il s'ensuit que, contrairement à ce que la cour cantonale a jugé, la réquisition de poursuite déposée le 11 mars 2013 contre l'intimée a interrompu la prescription dès lors qu'elle est intervenue moins d'une année après la notification d'un commandement de payer en date du 16 mars 2012; tel est également l'effet des réquisitions de poursuite du 26 février 2015 et du 17 janvier 2018, déposées plus d'un an après les réquisitions précédentes, mais moins d'un an après la notification de commandements de payer le 28 février 2014, respectivement le 26 janvier 2017. 
Comme la recourante le demande de manière motivée (cf. consid. 2.2 supra), il convient par ailleurs de compléter l'état de fait déterminant sur la base de l'art. 105 al. 2 LTF en constatant que la poursuite introduite le 13 avril 2017 contre l'intimé a donné lieu à la notification d'un commandement de payer en date du 25 avril 2017. La réquisition de poursuite déposée le 18 avril 2018 a dès lors interrompu la prescription. 
En conclusion, la cour cantonale a violé le droit fédéral en jugeant prescrites les créances envers les intimés au motif que la recourante avait laissé passer plus d'une année entre le dépôt de deux réquisitions de poursuite. 
 
6.  
Envisageant l'hypothèse où la motivation de l'arrêt attaqué ne résisterait pas à l'examen du Tribunal fédéral, l'intimé fait valoir dans sa réponse que, de toute manière, les prétentions de son ex-épouse envers lui-même sont prescrites. A son sens, le délai de prescription qui a commencé de courir dès le 29 mai 2012 - date à laquelle le jugement de divorce est devenu définitif et exécutoire - est le délai civil d'un an prévu par l'art. 60 al. 1 aCO, et non le délai pénal de cinq ans applicable en vertu de l'art. 70 aCP. Par conséquent, la créance de la recourante aurait déjà été atteinte par la prescription lors du dépôt de la réquisition de poursuite du 13 avril 2017. L'intimé se réfère au but de la prescription pénale de plus longue durée applicable selon l'art. 60 al. 2 aCO, qui est d'éviter que le lésé ne puisse plus agir contre le responsable à un moment où ce dernier pourrait encore faire l'objet d'une procédure pénale. Or, en l'espèce, la prescription pénale absolue de sept ans et demi de l'art. 72 ch. 2 aCP était atteinte au plus tard le 30 novembre 2006; il serait dès lors absurde et choquant de faire partir un délai de prescription pénal de cinq ans à compter du 29 mai 2012, soit à une date où la procédure pénale avait définitivement pris fin et où il ne pouvait plus être question de prescription pénale. 
 
6.1. Dans sa réponse, l'intimé peut fonder ses conclusions en rejet du recours sur des motifs que l'autorité précédente n'a pas retenus, pour le cas où la motivation de la décision attaquée ne résisterait pas devant le Tribunal fédéral (arrêt 2C_738/2012 du 27 novembre 2012 consid. 1.2; cf. ATF 137 I 257 consid. 5.4; 135 IV 56 consid. 4.2; 134 III 332 consid. 2.3; BERNARD CORBOZ, in Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 34 ad art. 102). Le grief - suffisamment motivé (art. 42 al. 2 LTF) - est recevable.  
 
6.2. Aux termes de l'art. 134 al. 1 ch. 3 CO, la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, elle est suspendue à l'égard des créances des époux l'un contre l'autre, pendant le mariage. La prescription commence à courir, ou reprend son cours, dès l'expiration du jour où cessent les causes qui la suspendent (art. 134 al. 2 CO).  
La recourante et l'intimé étaient mariés lors de l'accident du 29 mai 1999. Le délai de prescription n'a dès lors commencé de courir qu'à partir du jour où le jugement de divorce est devenu définitif et exécutoire, soit le 29 mai 2012. 
Est en jeu le délai de prescription extraordinaire applicable aux créances découlant d'actes punissables, calculé selon l'art. 60 al. 2 CO dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2019. Par exception aux principes posés à l'art. 60 al. 1 aCO, l'art. 60 al. 2 aCO prévoit que, si les dommages-intérêts dérivent d'un acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus longue durée, cette prescription s'applique à l'action civile. Le droit pénal ne sert qu'à déterminer le point de départ et la durée de la prescription de la prétention civile; pour le reste, les règles du droit civil s'appliquent (cf. art. 127 ss CO) (ATF 101 II 321 consid. 3). 
En l'espèce, le délit de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) retenu par le juge pénal à l'encontre de l'intimé se prescrivait par cinq ans selon l'ancien art. 70 CP, applicable en vertu de la lex mitior dès lors que l'infraction avait été commise avant l'entrée en vigueur de la nouvelle version de cette disposition le 1er octobre 2002. Si la recourante et l'intimé n'avaient pas été mariés, le délai de cinq ans, déterminant pour la prescription de l'action civile, aurait commencé de courir à partir du jour de l'accident. C'est donc ce délai qui, au sens de l'art. 134 al. 1 et 2 CO, a été " empêché " de s'écouler durant le mariage et qui a pris son cours dès que le jugement de divorce est devenu définitif et exécutoire.  
L'art. 60 al. 2 aCO tend à harmoniser la prescription du droit civil avec celle du droit pénal, dans l'idée qu'il serait choquant que le lésé ne puisse plus agir contre le responsable à un moment où celui-ci demeure exposé à une poursuite pénale (ATF 137 III 481 consid. 2.3; 131 III 430 consid. 1.2; 127 III 538 consid. 4c). Eu égard à ce but, il n'y a certes, comme l'intimé le fait observer, aucune nécessité de faire partir un délai pénal de plus longue durée à un moment où la prescription pénale est acquise. Le Tribunal fédéral l'a reconnu en jugeant que les actes interruptifs de prescription au sens des art. 135 ou 138 CO survenant après l'expiration de la prescription pénale ne pouvaient faire partir que le délai de prescription de droit civil de l'art. 60 al. 1 CO (ATF 131 III 430 consid. 1.4). Cependant, la jurisprudence constante, fondée sur l'interprétation littérale de l'art. 60 al. 2 aCO, a été maintenue sur le principe lorsque l'acte interruptif se produit avant que la prescription de l'action pénale soit acquise: l'interruption de la prescription fait partir, en vertu de l'art. 137 CO, un nouveau délai égal à la durée initiale prévue par le droit pénal (ATF 131 III 430 consid. 1.2; 127 III 538 consid. 4c et 4d). 
Mutatis mutandis le même raisonnement peut être tenu en l'espèce. La condamnation pénale de l'intimé et la prescription pénale absolue intervenues pendant la durée du mariage sont sans incidence sur le délai de prescription applicable dès la fin de la cause de suspension, puisque la durée de ce délai est déterminée au jour de l'acte punissable, soit à un moment par définition antérieur à l'acquisition de la prescription pénale. 
C'est dès lors bien un délai de cinq ans qui a commencé de courir à partir du 29 mai 2012, de sorte que la recourante a interrompu la prescription en déposant une réquisition de poursuite le 13 avril 2017. L'argumentation de l'intimé est mal fondée. 
 
7.  
Sur le vu de ce qui précède, la cour cantonale a violé le droit fédéral en rejetant les actions de la recourante pour cause de prescription. En conséquence, il y a lieu d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer la cause à l'autorité précédente pour la suite de la procédure. 
Les intimés, qui succombent, prendront solidairement à leur charge les frais judiciaires (art. 66 al. 1 et 5 LTF) ainsi que les dépens à verser à la recourante (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour de justice du canton de Genève pour la suite de la procédure. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis solidairement à la charge des intimés. 
 
3.  
Les intimés, débiteurs solidaires, verseront à la recourante une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile. 
 
 
Lausanne, le 25 janvier 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Godat Zimmermann