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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_162/2024  
 
 
Arrêt du 31 juillet 2024  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Stadelmann et Moser-Szeless. 
Greffière : Mme Perrenoud. 
 
Participants à la procédure 
A.________ Sàrl, 
représentée par M e Suat Ayan, avocate, 
recourante, 
 
contre  
 
Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes FER CIFA, 
rue de l'Hôpital 15, 1700 Fribourg, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-vieillesse et survivants, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 26 janvier 2024 (608 2023 15). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________ Sàrl (ci-après: la société) est affiliée en tant qu'employeur auprès de la Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des entreprises romandes (FER CIFA 106.2; ci-après: la caisse de compensation). Un contrôle d'employeur portant sur la période de janvier 2017 à décembre 2021 a mis en évidence que la société avait opéré différents versements en espèces en faveur de B.________ Sàrl dans le courant de l'année 2020, pour un montant total de 138'868 fr., sans pouvoir produire de justificatifs détaillés. Par décision du 20 octobre 2022, confirmée sur opposition le 26 janvier 2023, la caisse de compensation a réclamé à A.________ Sàrl le paiement de 21'371 fr. 75, correspondant à des cotisations sociales sur le montant payé à B.________ Sàrl, qualifié de salaires versés à des employés de la société. 
 
B.  
Statuant le 26 janvier 2024 sur le recours formé par A.________ Sàrl contre la décision sur opposition, le Tribunal cantonal du canton de Fribourg, II e Cour des assurances sociales, l'a rejeté. 
 
C.  
A.________ Sàrl interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont elle demande l'annulation. Elle conclut principalement à ce qu'il soit constaté qu'elle n'est débitrice d'aucun montant ensuite du contrôle d'employeur effectué par la caisse de compensation. Subsidiairement, la société requiert le renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Elle sollicite par ailleurs l'octroi de l'effet suspensif au recours. 
La caisse de compensation conclut au rejet de la requête d'effet suspensif et du recours, en se référant à l'arrêt attaqué. L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La III e Cour de droit public du Tribunal fédéral est compétente pour statuer en matière de fixation des cotisations à l'AVS, à l'AI et à l'APG (art. 82 let. a LTF et 31 RTF). Cela vaut aussi lorsque le litige a trait également, comme en l'espèce, à l'obligation de payer des cotisations à l'assurance-chômage et aux caisses d'allocations familiales. Bien que l'assurance-chômage et les allocations familiales entrent formellement dans la compétence de la IV e Cour de droit public (art. 32 RTF), des raisons d'économie de procédure justifient que la III e Cour de droit public traite également des aspects du litige y relatifs (arrêts 9C_481/2022 du 23 janvier 2024 consid. 1.3; 9C_139/2020 du 10 février 2021 consid. 1.1 et les arrêts cités). 
 
2.  
Le recours en matière de droit public peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération (art. 97 al. 1 LTF). 
 
3.  
 
3.1. Le litige porte sur le droit de l'intimée de prélever des cotisations paritaires sur le montant total de 138'868 fr. que la recourante a versé à la société sous-traitante B.________ Sàrl, pour la réalisation de chantiers qu'elle lui a confiés en 2020.  
 
3.2. L'arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables notamment à la détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales (art. 5 al. 2 et 9 al. 1 LAVS; ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1 et les arrêts cités), ainsi que les règles sur l'administration et l'appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA). Il suffit d'y renvoyer.  
Selon la jurisprudence, les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante. Leur activité ne peut être qualifiée d'indépendante que lorsque les caractéristiques de la libre entreprise dominent manifestement et que l'on peut admettre, d'après les circonstances, que l'intéressé traite sur un pied d'égalité avec l'entrepreneur qui lui a confié le travail (arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3 et les arrêts cités). 
Un employeur peut faire exécuter un travail par une personne à laquelle il verse lui-même un salaire ou le confier à un tiers indépendant ou à une personne morale, qui emploie, le cas échéant, son propre salarié pour ce faire. Dans la seconde éventualité, l'indemnité versée au tiers pour l'exécution du travail ne constitue pas un salaire déterminant, mais la rémunération d'une activité indépendante voire ne constitue pas, dans le cas de la personne morale, un revenu soumis à cotisations. Des rapports de travail dont découlerait un salaire déterminant provenant d'une activité dépendante ne peuvent pas être conclus avec une personne morale. Lorsqu'un travail est confié à une personne morale, ce n'est pas l'indemnité en découlant qui est soumise à l'obligation de cotiser, mais le salaire que la personne morale verse à la personne physique qu'elle emploie (arrêt 8C_218/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4.1.1). 
Par ailleurs, une personne est libre de choisir la forme juridique de son activité et d'adopter par exemple la forme juridique de la société anonyme ou de la société à responsabilité limitée pour bénéficier, par exemple, d'une limitation de la responsabilité. Cependant, lorsqu'il existe des circonstances concrètes amenant à conclure que le statut juridique de la personne morale a été uniquement adopté pour des motifs liés au droit des assurances afin d'économiser des cotisations et que la personne morale n'exerçait pas d'activité entrepreneuriale proprement dite - du moins par rapport au donneur d'ordre -, l'indépendance juridique de la personne morale ne produit pas ses effets du point de vue du droit des assurances sociales (arrêt 8C_218/2019 précité consid. 4.2.2). 
 
4.  
La juridiction cantonale a d'abord relevé que le fait qu'une personne morale, en l'occurrence une société à responsabilité limitée, délègue la réalisation de certains travaux à une autre société du même type ne présente en soi rien de répréhensible. Elle a ensuite admis qu'en présence de certains indices caractéristiques (montants élevés versés en espèces, recours à des tâcherons fréquent dans la branche), il existe une "présomption" - qu'il incombe à la société donneuse d'ordre de renverser -, selon laquelle le versement à une autre personne morale a été effectué pour des motifs liés au droit des assurances, dans l'unique but d'économiser des cotisations, au moyen de documents pouvant prouver, au degré de vraisemblance prépondérante, les versements litigieux. À défaut, les versements en question doivent, selon les premiers juges, être assimilés à des salaires versés par la donneuse d'ordre à des employés (personnes physiques). 
En l'espèce, l'instance précédente a constaté que des indices permettaient de nourrir certains doutes quant au point de savoir si le versement total de 138'868 fr. effectué par la recourante en faveur de la société sous-traitante B.________ Sàrl l'avait été pour des motifs liés au droit des assurances, dans l'unique but d'économiser des cotisations. En particulier, il s'agissait d'une situation de sous-traitance de chantiers entre deux entreprises actives dans le domaine de la construction, soit dans un domaine où le recours à des tâcherons est courant. Par ailleurs, la recourante avait versé à B.________ Sàrl plus de 138'000 fr. en espèces en l'espace de quelques mois, soit une somme constituant indéniablement une part non négligeable de son chiffre d'affaires (qui s'était élevé, en moyenne, à environ 367'000 fr. entre 2013 et 2019). En conséquence, la juridiction cantonale a examiné si A.________ Sàrl était parvenue à établir au degré de vraisemblance prépondérante que les versements qu'elle avait faits en faveur de la société sous-traitante n'avaient pas été effectués pour des motifs liés au droit des assurances, dans l'unique but d'économiser des cotisations, ce qu'elle a nié. En conséquence, la juridiction de première instance a admis que c'était à juste titre que la caisse de compensation avait considéré que des cotisations sociales étaient dues par la recourante sur les montants qu'elle avait versés à B.________ Sàrl. 
 
5.  
 
5.1. La recourante reproche aux premiers juges d'avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte et violé le droit fédéral, en particulier l'art. 5 al. 2 LAVS. Elle leur fait grief d'avoir nié qu'elle avait démontré, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu'elle avait bien versé sa "rétribution à un employeur", alors qu'ils n'ont pas examiné tous les éléments déterminants pour la qualification d'une activité de dépendante ou d'indépendante, en application d'une "jurisprudence qui ne trouvait nullement sa place dans le cas d'espèce". De l'avis de la société, la juridiction cantonale ne pouvait dès lors pas considérer que les montants qu'elle avait versés à la société sous-traitante devaient être assimilés à des salaires qu'elle aurait versés à ses propres "employés dépendants".  
 
5.2. L'argumentation de la recourante est en partie bien fondée. On ne voit tout d'abord pas sur quelle disposition légale ou jurisprudence l'autorité judiciaire de première instance fonde une "présomption" - à l'aune de laquelle elle a essentiellement examiné la cause - quant au but d'économie des cotisations sociales en cas de versements d'une personne morale à une autre, en présence de certains éléments caractéristiques; l'arrêt qu'elle cite (8C_218/2019 du 15 octobre 2019) ne comprend pas de considération correspondante. Ensuite, il incombait à la caisse de compensation intimée et, à sa suite à l'instance précédente, d'examiner concrètement les caractéristiques de l'activité déployée par la société sous-traitante pour le compte de la recourante, ce qu'elles ont précisément manqué de faire en l'occurrence. L'arrêt entrepris ne contient en effet aucune constatation quant au point de savoir notamment qui de A.________ Sàrl ou de B.________ Sàrl supportait le risque économique de l'activité en cause. Or la jurisprudence selon laquelle les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante (consid. 3.2 supra) ne signifie pas que le principe de l'instruction (art. 43 et 61 let. c LPGA) ne s'applique pas ou seulement sous une forme atténuée. Au contraire, il faut en principe procéder à un examen approfondi des circonstances particulières de chaque cas. De même, il ne faut pas poser d'exigences excessives quant à l'obligation de collaborer de la personne physique ou morale (au sens de l'art. 28 LPGA) à laquelle on s'adresse en tant qu'employeur. Il n'y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, habituel en droit des assurances sociales, s'applique (cf. arrêt H 191/05 du 30 juin 2006 consid. 4.1 et les références).  
Par ailleurs, lorsqu'une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d'elles si le revenu en découlant est celui d'une activité indépendante ou salariée, même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise (ATF 122 V 172 consid. 3b; 104 V 126 consid. 3b). En particulier, pour les activités exercées dans le secteur principal ou secondaire de la construction, il est important de déterminer, entre autres éléments, qui répond des travaux mal exécutés vis-à-vis du maître d'ouvrage ou du propriétaire de l'ouvrage. Il s'agit ici de savoir si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d'égalité avec l'entrepreneur qui lui a confié le travail (cf. arrêt H 191/05 précité consid. 4.1 et les références). En l'occurrence, l'arrêt entrepris ne contient aucune constatation sur ce point. 
 
5.3. Dans la mesure où les éléments qui auraient permis d'évaluer la relation contractuelle entre la recourante et B.________ Sàrl font largement défaut en l'espèce, la cause n'est pas en état d'être jugée. En particulier, les pièces produites par la recourante (essentiellement trois factures établies par B.________ Sàrl, par lesquelles elle facture à A.________ Sàrl le total des heures effectuées, sous la mention "Heure de régie", sans donner d'autres précisions), ne permettent pas de conclure que l'activité déployée par la société sous-traitante (et son personnel) pour le compte de la recourante en 2020 aurait été un travail dépendant au sens de l'art. 5 al. 2 LAVS. Par ailleurs, selon les constatations cantonales, non contestées par la recourante, celle-ci n'a pas produit les contrats ou accords avec la société sous-traitante, ainsi que les preuves d'adjudication et des contrats avec les maîtres d'ouvrage ou les architectes (notamment en raison du fait que les travaux qu'elle avait confiés à B.________ Sàrl l'avaient été en vertu d'un contrat oral). Dans ces circonstances, la caisse de compensation intimée devra procéder à des clarifications complémentaires et rendre ensuite une nouvelle décision sur l'obligation litigieuse de la recourante de payer les cotisations sociales sur les rémunérations qu'elle a versées à la société sous-traitante. Le recours est bien fondé sur ce point.  
 
6.  
Le présent arrêt rend sans objet la demande d'effet suspensif qui assortit le recours. 
 
7.  
Vu le renvoi ordonné, qui revient à donner gain de cause à la recourante, les frais judiciaires doivent être mis à la charge de l'intimée (art. 66 al. 1 LTF). Celle-ci versera par ailleurs une indemnité de dépens à la recourante (art. 68 al. 1 LTF). La cause est renvoyée à la juridiction cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure antérieure (art. 67 et 68 al. 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg, II e Cour des assurances sociales, du 26 janvier 2024 et la décision sur opposition de la Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes (FER CIFA 106.1) du 26 janvier 2023 sont annulés. La cause est renvoyée à cette dernière pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'600 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
L'intimée versera à la recourante la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, II e Cour des assurances sociales pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure.  
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, II e Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 31 juillet 2024 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
La Greffière : Perrenoud