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Chapeau

119 Ib 334


35. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 3 février 1993 dans la cause Electricité de la Lienne S.A. contre Etat du Valais et Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement (recours de droit administratif)

Regeste

Expropriation de droits de voisinage; art. 5 LEx; art. 679 ss, art. 685 al. 1 CC.
1. La réalisation d'une galerie de sondage en vue de la construction d'une route nationale n'est pas un acte préparatoire au sens de l'art. 15 LEx; en outre, tant que le projet définitif n'est pas approuvé par l'autorité fédérale compétente, la procédure pour l'acquisition des droits nécessaires à la construction d'une route ne peut pas être valablement ouverte. Lacune de la loi au sujet de la compétence pour statuer sur une demande d'indemnité présentée par un propriétaire voisin à la suite des travaux de sondage; compétence attribuée à la Commission fédérale d'estimation (consid. 2).
2. L'art. 685 al. 1 CC interdit au propriétaire qui fait des fouilles ou des constructions de provoquer des atteintes excessives aux droits de ses voisins; ces droits de voisinage peuvent faire l'objet d'une expropriation (consid. 3a/b). La responsabilité du propriétaire, objective, suppose un rapport de causalité, naturelle et adéquate, entre l'excès dans l'utilisation du fonds et l'atteinte aux droits du voisin (consid. 3c).
3. Lien de causalité naturelle (consid. 4).
4. Rapport de causalité adéquate; en matière de responsabilité objective, la prévisibilité subjective n'est pas décisive, le juge devant procéder à un "pronostic rétrospectif objectif". En présence de phénomènes naturels complexes, la causalité adéquate peut s'étendre à des "conséquences extraordinaires", c'est-à-dire à des conséquences qui n'apparaissent comme telles qu'aux yeux d'un profane, mais non pas à ceux de l'expert (consid. 5b). En l'espèce, l'éventuel défaut de l'ouvrage touché n'est pas propre à interrompre le rapport de causalité; tout au plus pourrait-il constituer un motif de réduction de l'indemnité (consid. 5c).
5. A l'inverse de l'art. 684 CC, l'art. 685 CC confère une protection en priorité aux constructions déjà existantes situées sur des fonds voisins; limites de cette protection (consid. 5d).

Faits à partir de page 336

BGE 119 Ib 334 S. 336

A.- En application de l'art. 11 de la loi fédérale du 8 mars 1960 sur les routes nationales (LRN - RS 725.11), l'Assemblée fédérale a adopté le 21 juin 1960 un arrêté fixant le réseau des routes nationales (cf. RS 725.113.11). La route nationale N 6 Berne-Sion/Sierre figurait dans la liste annexée à cet arrêté; le trajet de sa dernière section était le suivant: Thoune (Gwatt) - Zweisimmen - tunnel du Rawyl - Sion/Sierre (accès à la N 9). Le 2 septembre 1966, le Conseil fédéral a approuvé un projet général de cette section, qui prévoyait la réalisation d'un tunnel de faîte au Rawyl. Il se révéla, à l'occasion de l'élaboration du projet définitif (cf. art. 21 ss LRN), que la construction du tunnel à une altitude inférieure serait mieux à même de garantir le passage dans des conditions hivernales. Plusieurs variantes ont été examinées, dont l'une - tunnel d'une longueur de 9800 m à une altitude de 1200 m environ, reliant la gorge de la Lienne au vallon de Pöschenried - a été retenue pour faire l'objet d'études plus poussées. Par décision prise le 18 juin 1973, le Conseil fédéral a autorisé les cantons de Berne et du Valais à réaliser une galerie de sondage, destinée en particulier à déterminer les conditions géologiques et hydrauliques le long du tracé envisagé pour le tunnel routier. Les travaux de percement de cette galerie de sondage ont débuté en juillet 1976 au portail sud, sur le versant valaisan; le Département des travaux publics du canton du Valais, maître de l'ouvrage, en assurait la surveillance.

B.- La société anonyme Electricité de la Lienne S.A. (ci-après: Lienne S.A.) produit de l'énergie hydroélectrique. Elle est propriétaire du barrage du lac d'accumulation de Zeuzier, construit entre
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1954 et 1957, qui se trouve à quelque deux kilomètres en amont du portail sud de la galerie de sondage du tunnel du Rawyl. En octobre 1978, les pendules de contrôle du barrage ont signalé une augmentation anormale des déformations radiales, qui se sont accélérées en décembre 1978, provoquant la fissuration de l'ouvrage. Sous l'égide de l'Office fédéral de l'économie des eaux, un collège d'experts (ci-après: les experts fédéraux) a été chargé de rechercher les causes des mouvements du barrage. Le 3 avril 1979, l'Office fédéral des routes a demandé au Département des travaux publics du canton du Valais d'interrompre les travaux d'excavation de la galerie de sondage; à ce stade, elle avait une longueur de 3236 m et son extrémité se situait à environ 1,5 km au nord-est du barrage.

C.- Les experts fédéraux ont déposé un premier rapport le 24 août 1979. Ils avaient mesuré un rapprochement des deux berges du lac de quelques centimètres, lequel était la cause de la déformation du barrage vers l'amont, et ils émettaient l'hypothèse d'un tassement général de la région de l'ouvrage hydroélectrique. Ils ajoutaient qu'ils avaient de fortes raisons de penser que la cause des déformations devait être recherchée dans le fait que la galerie de sondage du tunnel avait percé et vidé des poches d'eau importantes et éliminé la pression hydrostatique existante. En effet, alors que la galerie n'avait libéré qu'une douzaine de sources faibles dans son premier segment de 2650 m, de grosses venues d'eau ont été rencontrées ensuite, à partir de la fin du mois de septembre 1978, en particulier entre le 20 décembre 1978 et le 22 février 1979.
Le 7 avril 1982, le Conseil fédéral a ordonné l'arrêt définitif des travaux de la galerie de sondage du Rawyl. De son côté, l'Office fédéral de l'économie des eaux avait établi un programme de réparation et de remise en eau du barrage de Zeuzier, qui a été approuvé en définitive par le Conseil fédéral le 16 mai 1984. Par ailleurs, l'Assemblée fédérale a modifié le 19 décembre 1986 l'arrêté fédéral sur le réseau des routes nationales, renonçant à la réalisation du tronçon de la N 6 Wimmis - tunnel du Rawyl - Uvrier (RO 1987, p. 52/53).

D.- Le 18 janvier 1980, Lienne S.A. a annoncé à la Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement (ci-après: la Commission fédérale), qu'elle ferait valoir des prétentions à l'égard de l'Etat du Valais. Le Conseil d'Etat, se référant à un rapport d'un expert géologue qu'il avait mandaté, a contesté la relation de causalité entre le percement de la galerie et les mouvements du barrage. Le 26 mars 1984, Lienne S.A. a précisé ses prétentions: elle réclamait le paiement
BGE 119 Ib 334 S. 338
de 14'455'240 fr. 45 pour les frais de remise en état du barrage déjà engagés, 10'000'000 francs pour les réparations à venir, 12'843'653 fr. 90 pour la perte sur la différence de valeur de l'énergie au 30 septembre 1983, 10'000'000 francs environ pour ces mêmes pertes à partir du 30 septembre 1983, ainsi que des dommages-intérêts pour la moins-value éventuelle du barrage et pour les conséquences directes et indirectes de l'accident jusqu'à l'échéance de la concession. Dans ses déterminations, le Conseil d'Etat a conclu au rejet des prétentions de la société, en alléguant que les raisons des déformations devaient être recherchées dans des mouvements tectoniques relevant d'un ensemble beaucoup plus vaste.
Les parties sont convenues, devant le Président de la Commission fédérale, de commettre un expert, le Prof. Pierre Habib, qui a remis son rapport le 15 octobre 1986. Se référant principalement à cette expertise, la Commission fédérale a rejeté la demande d'indemnité de Lienne S.A. Celle-ci a formé un recours de droit administratif contre cette décision. Le Tribunal fédéral, rendant un jugement partiel, a statué sur le principe de la responsabilité de l'Etat du Valais à l'égard de la société recourante. Il a admis le recours au sens des considérants, annulant la décision de la Commission fédérale d'estimation. Les autres questions ont été renvoyées à une phase ultérieure de la procédure.

Considérants

Extrait des considérants:

2. a) En règle générale, une procédure ne peut être ouverte devant une commission fédérale d'estimation qu'à la requête de l'expropriant; la jurisprudence a admis des exceptions à ce principe, qui ne sont pas réalisées ici (ATF 115 Ib 412 /413 consid. 2a, ATF 114 Ib 145 consid. 3a, ATF 112 Ib 126 consid. 2). En l'espèce, c'est néanmoins par Lienne S.A. que la Commission fédérale a été saisie; l'Etat du Valais, en prenant des conclusions et en se déterminant sans réserve à cet égard, s'est rallié à ce mode d'introduction de la procédure (cf. ATF 106 Ib 234 /235 consid. 2b). Le vice éventuel peut être considéré comme réparé et, dans les circonstances particulières de la cause, il faut reconnaître que la Commission fédérale a ainsi permis à Lienne S.A. de soumettre ses prétentions à un juge, conformément aux garanties du droit constitutionnel fédéral (cf. ATF 118 Ib 227 consid. 1b, ATF 116 Ib 253 consid. 2b).
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b) La loi fédérale sur les routes nationales ne prévoit expressément l'ouverture d'une procédure d'expropriation que pour l'acquisition du terrain nécessaire à la construction des routes (art. 30 al. 1 LRN). Le droit d'expropriation est alors conféré aux cantons (art. 39 al. 1 LRN) et l'autorité cantonale ne peut agir qu'une fois le projet définitif approuvé par le département fédéral compétent (aujourd'hui le Département des transports, des communications et de l'énergie - art. 39 al. 2 LRN; cf. art. 28 al. 1 LRN). Si cette dernière condition n'est pas remplie, la procédure ouverte pour l'acquisition des droits nécessaires à la construction de la route est en principe nulle (ATF 114 Ib 145 consid. 3a, ATF 99 Ib 491 /492 consid. 2 et les arrêts cités). Le projet définitif de la section de la route nationale N 6 comprenant le tunnel du Rawyl n'a jamais été approuvé. Les travaux de percement de la galerie de sondage n'avaient toutefois pas pour objet, à proprement parler et sous réserve de ce que l'on verra plus loin (cf. infra consid. 5a), la construction de cette route nationale; il s'agissait de mesures destinées à recueillir les connaissances nécessaires pour l'établissement et l'approbation, le cas échéant, d'un projet général comportant un tunnel de base à cet endroit. Ces "travaux préparatoires" reposaient sur une autorisation délivrée par le Conseil fédéral le 18 juin 1973 et entrée en force.
La loi fédérale sur l'expropriation institue une restriction de droit public de la propriété foncière pour certaines mesures préparatoires nécessaires à l'exécution d'une entreprise pouvant donner lieu à expropriation, telles que passages, levés de plans, piquetages et mesurages (art. 15 al. 1 LEx; cf. ATF 118 Ib 510 consid. 2, 115 Ib 421 consid. 2b). En vertu de l'art. 15 al. 2 LEx, l'indemnité pour le dommage causé par ces actes préparatoires n'est pas fixée par la Commission fédérale d'estimation, mais par une autorité désignée spécialement par le gouvernement cantonal (en Valais: le juge de commune, conformément à l'arrêté du Conseil d'Etat du 7 avril 1933 concernant l'exécution de l'art. 15 LEx, la procédure étant régie par l'ordonnance du Tribunal fédéral du 22 mai 1931 concernant les demandes d'indemnités formulées en vertu de l'art. 15 LEx - RS 711.2). La liste des actes préparatoires de l'art. 15 al. 1 LEx n'est pas exhaustive; cependant, des atteintes qui présentent une certaine gravité ou dont la durée est assez longue ne sauraient être assimilées aux mesures énumérées dans cette disposition (cf. HEINZ HESS/HEINRICH WEIBEL, Das Enteignungsrecht des Bundes, vol. I, Berne 1986, n. 11 ad art. 15 LEx). Tel est, eu égard à l'importance des travaux et à leur coût, manifestement le cas de la galerie de sondage du Rawyl.
BGE 119 Ib 334 S. 340
L'art. 15 LEx n'étant pas applicable aux mesures préparatoires de ce genre et de cette envergure, le juge se trouve en présence d'une véritable lacune de la loi, qu'il doit combler selon les critères développés par la jurisprudence, en s'inspirant notamment des solutions choisies par le législateur pour des cas comparables (ATF 118 II 141 consid. 1a, ATF 105 Ib 13 consid. 3c, ATF 102 Ib 89 consid. 1c et les arrêts cités).
En matière de travaux relatifs aux routes nationales, le droit d'expropriation est conféré aux cantons - à l'Etat du Valais en particulier - directement par la loi fédérale (art. 39 al. 1 LRN en relation avec l'art. 3 al. 2 let. b LEx). Il importe peu à ce propos qu'en l'espèce le projet de galerie de sondage n'ait pas été mis à l'enquête, à l'instar d'un projet définitif (cf. art. 26 ss LRN), ni que l'autorité cantonale ait pu disposer des immeubles nécessaires pour l'ouverture du chantier sans devoir recourir à l'expropriation. L'Etat du Valais a manifestement agi en tant que titulaire de la puissance publique pour l'accomplissement d'une tâche dans l'intérêt de la Confédération, au sens de l'art. 1er al. 1 LEx: cela est décisif pour admettre ici l'application de la loi fédérale sur l'expropriation. Cette solution s'inspire par ailleurs de celle que le législateur a adoptée à l'art. 10 al. 2 de l'arrêté fédéral du 6 octobre 1978 concernant la loi sur l'énergie atomique (RS 732.01), qui institue les "mesures préparatoires en vue de l'aménagement d'un dépôt de déchets radioactifs"; ces mesures, définies à l'art. 1er de l'ordonnance du 27 novembre 1989 sur les mesures préparatoires ("prospections hydrologiques et géologiques destinées à recueillir les données en vue du stockage final de déchets radioactifs" - RS 732.012), sont à distinguer des actes préparatoires selon l'art. 15 LEx (ATF 115 Ib 421 consid. 2c). Parmi ces mesures préparatoires, l'excavation de galeries ou la réalisation de forages importants sont, notamment, soumises à une autorisation du Conseil fédéral (art. 10 al. 2 de l'arrêté fédéral, art. 2 al. 1 de l'ordonnance); la loi sur l'expropriation est alors applicable (art. 16 de l'ordonnance). Dans ces conditions, la Commission fédérale a admis à juste titre sa compétence pour statuer sur la nature et le montant de l'indemnité demandée (cf. art. 64 al. 1 let. a LEx; ATF 113 Ib 37 /38 consid. 2).
c) La forclusion prévue à l'art. 41 al. 2 LEx pour les demandes d'indemnités n'intervient que si une procédure d'expropriation a été ouverte avec avis publics, selon l'art. 30 LEx, ou avis personnel à l'exproprié ou au voisin, conformément à l'art. 33 LEx (ATF 116 Ib 391 consid. 3a, ATF 113 Ib 38 consid. 3, ATF 110 Ib 371 consid. 1, ATF 106 Ib 235
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consid. 2b), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les droit éventuels de Lienne S.A. à une indemnité ne sont donc pas périmés.

3. a) L'art 7 al. 3 LEx astreint l'expropriant à exécuter les ouvrages qui sont propres à mettre les fonds voisins, notamment, à l'abri des dangers et des inconvénients qu'impliquent nécessairement l'exécution et l'exploitation de son entreprise et qui ne doivent pas être tolérés d'après les règles du droit de voisinage (cf. aussi art. 42 al. 1 LRN). L'expropriant est donc tenu, en principe, de respecter à l'égard de ses voisins les obligations découlant pour le propriétaire des art. 684 ss CC (cf. HESS/WEIBEL, op.cit., n. 38 ad art. 7). En vertu de l'art. 5 LEx, les droits résultant des dispositions sur la propriété foncière en matière de rapports de voisinage peuvent faire l'objet de l'expropriation et être supprimés ou restreints temporairement ou définitivement, moyennant le respect du principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 1er al. 2 LEx. Dès lors, si les immissions proviennent de la construction, conforme au droit applicable, d'un ouvrage d'intérêt public pour la réalisation duquel la collectivité dispose du droit d'expropriation, le voisin ne peut pas exercer les actions du droit privé, à raison du trouble ou en responsabilité, prévues par l'art. 679 CC. La prétention en versement d'une indemnité se substitue à ces actions et il appartient non plus au juge civil, mais au juge de l'expropriation de statuer sur l'existence du droit et le montant de l'indemnité (ATF 116 Ib 253 /253 consid. 2a, ATF 113 Ib 37 /38 consid. 2 et les arrêts cités). Ces conditions sont réunies en l'espèce: l'exécution de la galerie de sondage a été autorisée par le Conseil fédéral et le préjudice invoqué ne résultait pas d'une violation des règles de l'art ou d'un autre acte manifestement fautif des constructeurs de nature à engager d'emblée leur responsabilité aquilienne (cf. ATF 96 II 350 consid. 6c).
b) Aux termes de l'art. 685 al. 1 CC, le propriétaire qui fait des fouilles ou des constructions ne doit pas nuire à ses voisins en ébranlant leur terrain, en l'exposant à un dommage ou en compromettant les ouvrages qui s'y trouvent. Cette disposition est une concrétisation du principe de l'art. 684 CC, qui prescrit à chaque propriétaire de s'abstenir, dans l'exercice de son droit, de tout excès qui constituerait pour les voisins une gêne intolérable. A la différence de cette dernière disposition, l'art. 685 CC ne parle pas d'excès. Selon la doctrine dominante toutefois, seules les atteintes excessives aux droits des voisins sont interdites en vertu de l'art. 685 al. 1 CC (cf. ARTHUR MEIER-HAYOZ, Das Grundeigentum, Berner Kommentar, T. IV/1/3, 3e éd. Berne 1975, n. 68 ss ad art. 685/686; PAUL-HENRI STEINAUER,
BGE 119 Ib 334 S. 342
Les droits réels, T. II, Berne 1990, p. 139). Le Tribunal fédéral s'est rallié à cette conception dans un arrêt rendu le 7 mars 1985 (arrêt non publié en la cause B. c. K. et S., consid. 2). Pour LIVER en revanche, l'art. 685 al. 1 CC vise toute influence directe ("unmittelbar") qui provoque des mouvements dans le sous-sol du fonds voisin ou qui en compromet la stabilité, même si elle n'est pas excessive (PETER LIVER, Das Eigentum, Schweizerisches Privatrecht, T. V/1, Bâle/Stuttgart 1977, p. 223, 241 et 242). La différence entre cette opinion et celle de la doctrine dominante a une portée plus théorique que pratique. En effet, on relève d'une part que la protection accordée par les art. 684 et 685 al. 1 CC doit être large ("umfassend") et ne pas subir de restriction sans motif pertinent (cf. MEIER-HAYOZ, op.cit., n. 70 ad art. 685/686); d'autre part, on concède que le propriétaire d'un fonds qui, par exemple, y construit ou y emploie des instruments très sensibles, doit prendre lui-même toutes les précautions nécessaires (solidité des fondations, choix de l'emplacement; cf. LIVER, op.cit., p. 242/243).
c) Les prétentions fondées sur l'art. 679 CC - sanction générale des règles sur les rapports de voisinage - ne sont pas subordonnées à une faute du propriétaire à l'origine de l'atteinte. Les art. 679 et 684 ss CC instituent une responsabilité objective ou causale (ATF 109 II 308 consid. 2 et les arrêts cités; cf. MEIER-HAYOZ, op.cit., T. IV/1/2, 2e éd. Berne 1974, n. 12 ad art. 679). Une responsabilité fondée sur l'art. 685 al. 1 CC suppose donc un rapport de causalité entre l'excès dans l'utilisation du fonds et l'atteinte aux droits du voisin; les règles ordinaires sur la causalité, naturelle et adéquate, trouvent application (cf. STEINAUER, op.cit., p. 169 ss). Le lien de causalité naturelle est une question de fait, que le Tribunal fédéral, saisi d'un recours de droit administratif, peut revoir librement. Conformément à la règle générale, le fardeau de la preuve du lien de causalité naturelle incombe à la partie qui entend en déduire des droits (art. 8 CC; ATF 113 Ib 424 consid. 3, ATF 106 Ib 80 /81 consid. 2a/aa; cf. FRITZ GYGI, Bundesverwaltungsrechtspflege, 2e éd. Berne 1983, p. 282). Une preuve scientifique absolue n'est cependant pas requise si le juge ne peut se fonder sur une simple possibilité, il peut considérer comme prouvée une causalité correspondant à une probabilité convaincante. Cette causalité naturelle n'est en revanche pas établie lorsque d'autres circonstances que celles invoquées par le lésé apparaissent prépondérantes ou font sérieusement douter du caractère déterminant de la cause invoquée (ATF 117 V 376 /377 consid. 3a, ATF 113 Ib 424 consid. 3, ATF 107 II 430 et les arrêts cités). Le rapport de causalité
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naturelle doit être adéquat: la cause de l'atteinte doit être un fait qui, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, en sorte que la survenance de ce résultat paraît de façon générale favorisée par le fait en question. Il s'agit là d'un point de droit, que le Tribunal fédéral revoit librement; lorsque la causalité naturelle est prouvée, il incombe à l'intimé d'établir les faits propres à démontrer, le cas échéant, l'"interruption" du rapport de causalité adéquate (ATF 115 II 89 consid. 1b, 178 consid. 2, 113 Ib 424 consid. 3, ATF 107 II 430 et les arrêts cités).

4. La recourante soutient en premier lieu qu'il existe un lien de causalité naturelle entre le percement de la galerie de sondage du Rawyl et les dégâts causés au barrage de Zeuzier.
a) (Caractéristiques géologiques de la région de Zeuzier; grosses venues d'eau lorsque la galerie de sondage a pénétré dans une couche de Malm, après avoir franchi une couche de Dogger)
b) (Caractéristiques de l'eau ayant jailli dans la galerie, en quantités très importantes et, par moments, avec une forte pression initiale; provenance de cette eau: ensemble hydrologique souterrain, drainage d'un énorme volume de roche)
c) (Cause directe de la fissuration du barrage, non contestée: pincement ou resserrement des rives de la vallée, lié à un enfoncement des couches profondes sous le barrage)
aa) (Hypothèse de l'Etat du Valais quant à l'origine de l'enfoncement: poussée tectonique; hypothèse non démontrée et hautement improbable comme cause naturelle du dommage)
bb) (Explication de la recourante: phénomène hydrogéologique, diminution de la pression interstitielle dans la roche; explication complémentaire de l'expert Habib, critiquée par la recourante: singularité mécanique exceptionnelle sous le barrage)
dd) (Accord des experts fédéraux et de l'expert Habib sur le fait que le drainage du massif rocheux provoqué par le percement de la galerie de sondage constitue à tout le moins une cause du tassement de la couche profonde située sous le barrage)
Ces éléments amènent à la conclusion que le drainage provoqué par le percement de la galerie de sondage constitue très probablement une cause de l'accident, en ce sens qu'à défaut de drainage l'événement ne se serait pas produit. Cela suffit pour considérer comme établi un rapport de causalité naturelle (cf. supra consid. 3b). Le Conseil fédéral est d'ailleurs parvenu à la même conclusion, à lire la réponse qu'il a donnée le 27 novembre 1989 à la question ordinaire
BGE 119 Ib 334 S. 344
du conseiller aux Etats Delalay relative aux dommages au barrage de Zeuzier (cf. Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale/Conseil des Etats, 1989, p. 851).
ff) En définitive, si l'expert Habib et les experts fédéraux s'accordent à considérer les travaux de percement de la galerie comme une cause (naturelle) du tassement du Dogger et de la subsidence qui a provoqué le dommage, ils divergent quant au point de savoir si ces travaux en constituent l'unique cause, l'expert Habib faisant intervenir comme cause concurrente un fait indépendant de ceux-ci, la "singularité géotechnique" localisée exactement sous le barrage. Il n'est pas aisé de résoudre cette controverse scientifique sans avoir recours à des mesures d'instruction supplémentaires, tendant par exemple, le cas échéant, à analyser l'état initial du rocher à la verticale du barrage. Le Tribunal fédéral, statuant à ce stade sur le principe d'une responsabilité de l'Etat du Valais en vertu de l'art. 685 CC, pourrait cependant laisser cette question indécise si, même en présence d'une "singularité géotechnique", il admettait un rapport de causalité adéquate entre le percement de la galerie et l'accident. Pour des motifs d'économie de procédure, ce point doit donc être examiné préalablement.

5. La Commission fédérale, après avoir admis l'existence d'un lien de causalité naturelle, a libéré l'Etat du Valais de toute responsabilité, sans examiner explicitement l'adéquation juridique de ce rapport de cause à effet. Elle a d'abord retenu qu'une violation des règles de l'art ne pouvait être imputée ni à l'Etat du Valais, lorsqu'il a réalisé la galerie de sondage, ni à Lienne S.A., lorsqu'elle a construit le barrage. Ensuite, pour admettre les conclusions libératoires de l'Etat du Valais, elle a considéré, d'une part, que l'ouvrage de la recourante était entaché de graves défauts et, d'autre part, que la survenance d'un dommage était totalement imprévisible pour l'auteur des travaux de la galerie du Rawyl.
a) (Modification du régime hydrologique: constituait un des buts essentiels des travaux de réalisation de la galerie; atteinte en soi prévisible pour l'auteur des travaux, qui ne pouvait ignorer que les conséquences précises de cette modification)
b) La Commission fédérale a accordé à la prévisibilité subjective un caractère décisif; or si cet aspect joue un rôle dans la responsabilité aquilienne pour apprécier la faute de l'auteur, il n'entre pas en considération en matière de responsabilité causale (cf. HENRI DESCHENAUX/PIERRE TERCIER, La responsabilité civile, 2e éd. Berne 1982, p. 58). Il est donc indifférent, pour statuer sur la responsabilité
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de l'Etat du Valais en vertu de l'art. 685 CC, que celui-ci eût pu prévoir ou non la survenance du dommage. En revanche, la prévisibilité objective est déterminante pour savoir si un fait est la cause adéquate d'un préjudice. Le juge procède à un pronostic rétrospectif objectif: se plaçant au terme de la chaîne des causes, il lui appartient de remonter du dommage dont la réparation est demandée au chef de responsabilité invoqué et de déterminer si, dans le cours normal des choses et selon l'expérience générale de la vie humaine, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles (ATF 117 II 54 consid. 2c, ATF 112 II 442 consid. 1d, 108 II 53/54 consid. 3, ATF 101 II 73 consid. 3a et les arrêts cités). Pour procéder à cette appréciation de la probabilité, le juge se met en règle générale à la place d'un "tiers neutre"; cependant, pour permettre de déterminer le rôle de phénomènes naturels complexes, il sied de requérir l'avis d'experts. A cet égard, le Tribunal fédéral admet que la causalité adéquate peut aussi s'étendre à des "conséquences extraordinaires", c'est-à-dire à des conséquences qui n'apparaissent comme telles qu'aux yeux d'un profane, mais non pas à ceux de l'expert; il en va de même des conséquences "rares" (ATF 93 II 338, ATF 87 II 127 consid. 6c; cf. DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., p. 58/59).
Les phénomènes de subsidence relevant de la mécanique des sols - effets sur un terrain d'une modification du niveau de la nappe phréatique ou de simples travaux d'assèchement du sol - sont bien connus, même pour le profane (cf. LIVER, op.cit., p. 223; MEIER-HAYOZ, op.cit., n. 72 ad art. 685/686; ROBERT HAAB, Kommentar zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch, Das Eigentum, IV/1, 2e éd. Zurich 1977, p. 375; ADOLF E. ALTHERR, Die rechtliche Behandlung des Grundwassers, thèse Zurich 1934, p. 67 ss, 275 ss). Ces phénomènes de subsidence sont en revanche moins bien connus pour ce qui concerne les massifs rocheux; ils ne sont pourtant pas totalement inconnus (l'expertise Habib et le modèle des experts fédéraux en citent des exemples). Le manque relatif de connaissances pourrait provenir du fait que, faute de conséquences dommageables et, de façon générale, d'un réseau développé d'instruments de mesure précis, ces phénomènes échappent le plus souvent à l'observation. D'ailleurs, comme les experts fédéraux l'ont remarqué, l'enfoncement des couches profondes n'a pas eu à lui seul, en l'espèce, de conséquences directes pour le barrage, celles-ci ayant été provoquées par le pincement des rives de la vallée qu'il a entraîné; sans la présence du barrage, l'enfoncement serait probablement passé inaperçu dans
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ce site. C'est en cela - et seulement en cela - que réside le caractère insolite, singulier ou "extraordinaire" de l'accident. Or, dans ces conditions, l'unicité du cas n'est pas un élément permettant de conclure à un défaut de causalité adéquate, en d'autres termes à l'inaptitude objective de l'événement à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit. Il faut donc admettre que le rapport de causalité naturelle est en principe aussi adéquat.
c) Le lien de causalité adéquate peut toutefois être interrompu par la force majeure, la faute ou le fait d'un tiers ainsi que la faute ou le fait de la victime (cf. DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., p. 62). En l'espèce, les deux premiers facteurs interruptifs n'entrent pas en considération, pas plus qu'une faute de Lienne S.A., les parties et les experts s'accordant à reconnaître que les règles de l'art applicables à l'époque de la construction du barrage avaient été respectées. Il reste l'hypothèse d'un grave défaut du barrage, que la Commission fédérale a retenue sur la base de l'expertise Habib (singularité mécanique sous l'ouvrage, couche de Dogger complètement desserrée et déconsolidée), pour exclure la responsabilité de l'Etat du Valais. A supposer qu'il ait existé, ce vice aurait constitué un défaut de l'ouvrage au sens de l'art. 58 CO, disposition qui, elle aussi, fonde une responsabilité causale du propriétaire. Selon la jurisprudence, ce fait constitutif de responsabilité pour Lienne S.A. pourrait être considéré comme un facteur interruptif de la causalité adéquate s'il apparaissait déterminant (ou exclusif) au point de reléguer à l'arrière-plan la cause dont répond l'Etat du Valais en vertu de l'art. 685 CC (cf. ATF 108 II 54 consid. 3; DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., p. 63). Or, toujours à supposer qu'un tel défaut du barrage soit constaté, cette condition ne serait manifestement pas remplie. Certes, l'expert Habib, se servant d'une expression imagée, a écrit que "le barrage de Zeuzier était assis sur une véritable bombe et donc était à la merci d'un incident, d'une fuite provoquée par n'importe quel phénomène géologique et par exemple tectonique". Un examen attentif de ce texte montre que, pour l'expert, un accident du genre de celui qui s'est produit aurait pu se produire aussi à la suite d'un événement naturel ayant les caractéristiques de la force majeure; aux exemples cités par l'expert Habib on peut ajouter celui d'un séisme d'une amplitude particulière. De pareilles hypothèses, purement théoriques, ne suffisent pas à admettre une interruption du lien de causalité. Il importe peu que, comme la Commission fédérale l'a relevé, un accident analogue aurait pu se déclencher à la suite d'autres interventions volontaires (forages, autres galeries de reconnaissance): les
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conséquences de tels travaux auraient aussi été soumises au régime découlant de l'art. 685 CC.
Un éventuel défaut de l'ouvrage de la recourante du type de celui retenu par la Commission fédérale, s'il n'est pas propre à interrompre le rapport de causalité adéquate, pourrait tout au plus constituer un motif de réduction de l'indemnité à verser pour la réparation du dommage (ATF 108 II 56 /57 consid. 5a et les références citées). Cette question ne fait pas l'objet du présent jugement.
d) L'art 685 CC confère au propriétaire d'un ouvrage immobilier un certain avantage sur son voisin. Cette disposition tend en effet à garantir la stabilité du sol et celle des constructions qui y ont été érigées. Or la stabilité du sol y est assurée par un ensemble de conditions naturelles, en particulier l'état de la nappe phréatique, voire le degré d'humidité du sous-sol; une intervention humaine propre à modifier cet état naturel au-delà des limites de la parcelle de celui qui l'entreprend est en principe contraire au droit et entraîne la responsabilité causale prévue par cette norme dès que ses effets excèdent ce que le propriétaire voisin est tenu de tolérer (cf. supra consid. 3b). A l'inverse de l'art. 684 CC qui ne tend pas spécialement à protéger les bâtiments des fonds voisins (cf. MEIER-HAYOZ, op.cit., n. 137 ss ad art. 684, n. 71, 75/76 ad art. 685/686; LIVER, op.cit., p. 242), l'art. 685 CC confère une protection en priorité aux constructions déjà existantes situées sur des fonds voisins.
Il ne serait certes pas équitable d'accorder au voisin, en vertu de cette priorité, une protection qui aille jusqu'à couvrir n'importe quelle malfaçon évidente de sa construction, notamment l'absence d'une fondation appropriée ou de graves défauts de celle-ci. Cependant, l'art. 685 CC ne saurait être vidé de sa substance. Tel serait le cas si le voisin, dont la construction - établie à l'époque selon les règles de l'art - a été endommagée, se voyait refuser toute réparation au motif que les connaissances acquises depuis lors feraient apparaître comme insuffisantes les précautions prises lors de la construction.
Dans le cas particulier, une éventuelle insuffisance des précautions prises lors de la construction du barrage - au regard des connaissances acquises après le sinistre - ne permet donc pas de refuser toute indemnisation. Cette conclusion s'impose d'autant plus que l'accident a été la conséquence d'un risque assumé par le maître de l'ouvrage. En effet, la modification de la situation hydrologique constituait un des buts des travaux engagés et elle était destinée à réduire les coûts de la construction du tunnel routier définitif. L'équité exige en pareil cas que celui qui entreprend des travaux de
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ce genre, impliquant une intervention contraire au droit dans le sous-sol de ses voisins, n'ait pas simplement à profiter des avantages de sa façon de procéder, mais qu'il ait aussi à en supporter les risques.

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références

ATF: 114 IB 145, 116 IB 253, 113 IB 37, 113 IB 424 suite...

Article: art. 685 CC, art. 15 LEx, art. 684 CC, art. 685 al. 1 CC suite...

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