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Chapeau

147 IV 145


15. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause A. contre Ministère public de la République et canton de Neuchâtel (recours en matière pénale)
6B_601/2020 du 6 janvier 2021

Regeste a

Art. 292 CP, art. 70 al. 1 et al. 3, art. 80 al. 3 CPP; conditions formelles de validité et portée d'une décision n'autorisant que conditionnellement l'accès des chroniqueurs judiciaires à des débats à huis clos sous la menace de l'art. 292 CP.
Lorsqu'un huis clos est prononcé sur la base de l'art. 70 al. 1 CPP, l'art. 70 al. 3 CPP permet, afin de garantir des intérêts légitimes et dans le respect du principe de proportionnalité, de poser des conditions à la présence des chroniqueurs judiciaires, dont le non-respect peut entraîner l'exclusion de l'audience.
La décision préjudicielle interdisant aux représentants des médias, admis à assister à des débats tenus à huis clos partiel, de faire état de certaines informations est une décision d'instruction (art. 80 al. 3 CPP), qui ne doit pas nécessairement être rédigée séparément ni motivée mais peut être consignée au procès-verbal et notifiée aux parties de manière appropriée, notamment par oral.
En tant qu'elle incluait la commination au sens de l'art. 292 CP, ni ce mode de communication, ni l'absence d'indication des voies de recours n'ont affecté la validité de la décision, qui s'apparentait à une décision de nature superprovisionnelle (consid. 1).

Regeste b

Art. 292 CP; contrôle de la décision assortie de la menace des peines prévues par l'art. 292 CP.
Nonobstant l'absence d'indication des voies de recours, en présence d'une décision rendue par un juge pénal et contre laquelle un recours n'a pas été formé, le tribunal chargé d'appliquer l'art. 292 CP ne peut revoir librement la légalité de celle-ci (consid. 2.2).

Regeste c

Art. 16 et 36 Cst., art. 10 CEDH; proportionnalité de l'atteinte portée à la liberté d'expression.
Le recourant ayant été condamné pour avoir rendu publiques des informations touchant à la personnalité de l'un des enfants du prévenu après que la commination au sens de l'art. 292 CP lui eut été adressée, cependant qu'il avait déjà rendu ces informations publiques auparavant, la restriction à sa liberté d'expression n'était plus apte à atteindre le but visé (consid. 2.4.4).

Faits à partir de page 147

BGE 147 IV 145 S. 147

A. Par jugement du 17 décembre 2019, le Tribunal de police de B. a libéré A. du chef de prévention d'insoumission à une décision de l'autorité.

B. Par jugement du 7 avril 2020, la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, statuant sur l'appel formé par le Ministère public contre ce jugement, a réformé celui-ci en ce sens que A. est condamné, pour insoumission à une décision de l'autorité, à une amende de 2'500 francs.
La cour cantonale a retenu les faits suivants.

B.a A., né en 1969, est journaliste depuis une vingtaine d'années. Il travaille pour C. SA, au quotidien gratuit D. Ce quotidien connaît une très large diffusion en Suisse romande, en particulier par des caissettes déposées dans des endroits fortement fréquentés - comme les gares d'une certaine importance -, ainsi que par une édition en ligne.

B.b Le (...), le Tribunal criminel de E. (ci-après: le tribunal criminel) a tenu une audience de jugement à F., dans une procédure dirigée contre l'auteur d'un double homicide intentionnel commis en (...) au préjudice de son ex-compagne et de l'ami intime de celle-ci. L'un des éléments de l'accusation était que les faits s'étaient produits en présence de l'un des enfants mineurs du prévenu et de son ex-compagne. L'auteur admettait avoir tué les deux victimes et ne contestait pas que l'un des enfants eût pu assister aux crimes.
BGE 147 IV 145 S. 148
La curatrice des enfants du prévenu avait demandé le huis clos total, afin que la circonstance de la présence de l'un des enfants au moment des crimes reste inconnue du grand public. Le tribunal criminel a ordonné le huis clos partiel; les journalistes étaient autorisés à assister à l'audience, mais pas le public.

B.c Dès l'ouverture de l'audience, en début de matinée le (...), la présidente du tribunal criminel s'est adressée aux journalistes présents, dont A., dans les termes suivants:
"Pour votre information, le huis clos total a été demandé par l'une des parties. Conscient du rôle que les médias jouent dans notre société, mais aussi de l'importance de la liberté des médias, le Tribunal criminel a prononcé un huis clos partiel qui vous permet d'être présents aujourd'hui. Toutefois, le Tribunal criminel, dans le but de protéger, de préserver au maximum les enfants communs du prévenu et de l'une des victimes, souhaiterait que les représentants des médias ici présents ne divulguent pas d'informations en lien avec les enfants. Le Tribunal criminel souhaiterait plus précisément que les enfants ne soient pas localisables et identifiables. Mais aussi, que le public ne puisse pas prendre connaissance de ce que les enfants ont vu ou pas vu, subi ou pas subi, en lien avec les faits que nous aurons à juger ces prochains jours. Le Tribunal criminel enjoint les médias à respecter cela de manière à ce que la présente affaire n'ait pas à nouveau un impact retentissant et négatif sur les enfants qui souffrent toujours actuellement de cette situation".

B.d Le tribunal criminel a ensuite procédé à l'interrogatoire du prévenu. A cette occasion, la présence de l'un des enfants au moment des crimes a été évoquée.

B.e L'édition en ligne de D. a publié, pendant l'interrogatoire, à 11 h 23, sous la signature "A." et le sous-titre "Un quinquagénaire est jugé pour avoir tué sa compagne et son nouvel ami en [...]", un article indiquant que le huis clos total avait été demandé, afin notamment de préserver les enfants du couple, mais que la présidente du tribunal criminel, après avoir relevé que les enfants souffraient toujours de la situation, avait décidé de n'accorder qu'un huis clos partiel. L'article résumait, parfois avec des citations, les déclarations déjà faites par le prévenu. II mentionnait notamment les explications du prévenu au sujet des deux premiers coups de feu tirés sur les victimes, puis indiquait:
"C'est alors qu'il se serait rendu compte qu'un enfant était là, témoin de la tuerie. 'On a brièvement discuté et on a pleuré ensemble sur son lit, puis j'ai fumé une cigarette pendant que l'enfant préparait ses affaires. Je suis redescendu à la cuisine pour appeler ma mère, afin qu'elle vienne le prendre en charge'. C'est alors qu'il réalise que J. est toujours en vie [et l'achève]".
BGE 147 IV 145 S. 149
Il semble qu'un article du même auteur, publié le même jour peu avant celui précité, indiquait, en plus, le sexe de l'enfant et précisait son âge, cette mention ayant ensuite été supprimée.

B.f La curatrice des enfants a eu connaissance de cet article et a réitéré sa demande de huis clos total. Les autres parties ont été invitées à se déterminer sur la requête, puis le tribunal criminel s'est retiré pour en délibérer.
A 12 h 05, l'audience a repris et le tribunal criminel a rendu oralement, avec mention au procès-verbal, la décision suivante:
"Il est interdit aux représentants des médias de faire état d'information rendant les enfants du prévenu et de la victime localisables et identifiables ou faisant état de ce qu'ils ont vu ou pas vu, subi ou pas subi, en lien avec les faits de la cause. Sous la menace de l'article 292 CP qui stipule: 'Celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende'. Au surplus et en application de l'art. 63 CPP si une nouvelle violation de ce type-là devait se reproduire, le Tribunal expulsera la personne responsable".

B.g L'interrogatoire du prévenu a ensuite repris et a été mené à son terme. L'audience a été suspendue de 12 h 30 à 13 h 30, puis les parties ont plaidé.
Pendant l'audience de l'après-midi, la curatrice des enfants a demandé par courrier électronique à D. de retirer de l'article publié en ligne les mentions concernant l'enfant, en rappelant la décision d'interdiction prise par la présidente du tribunal criminel. La rédaction du journal n'a pas donné la suite espérée, indiquant que la publicité des crimes avait déjà atteint le cercle des proches, mais qu'il avait été renoncé à mentionner le sexe de l'enfant (...) ainsi que son âge.
A 16 h 35, les plaidoiries étant terminées et le prévenu s'étant exprimé en dernier, le tribunal criminel a suspendu l'audience pour ses délibérations à huis clos.

B.h Le (...), à (...), D. a publié sur son site un article signé par A. et consacré à l'affaire. Cet article rappelait que les crimes avaient été commis en (...) et relatait le déroulement des faits, notamment que le prévenu, après s'être introduit chez son ex-compagne, avait abattu l'homme d'une balle en pleine tête, puis avait tiré sur la femme, retournant ensuite vers elle alors qu'elle agonisait, pour l'achever d'une seconde balle. L'article disait aussi ceci:
"Pour le Ministère public comme pour les avocats des parties civiles, G. a agi par vengeance, haine et jalousie, 'tel un monstre de froideur'. Sans même se soucier qu'un des enfants était témoin de la scène".
BGE 147 IV 145 S. 150

B.i Dans une interview qu'il a donnée le (...) à la chaîne de radio H., A. a aussi évoqué la présence d'un enfant lors des crimes. II a notamment dit:
"Il a d'ailleurs été demandé en début d'audience aux médias présents d'éviter de mentionner des détails sur ces gamins. Sauf qu'un élément très grave et très important mais caché jusqu'alors a été révélé durant l'audience. L'accusé avait en fait abattu son ex et l'autre homme sous les yeux d'un des enfants. [...] Nous avons refusé de nous censurer malgré les pressions subies hier".

B.j Le (...), un nouvel article a été publié sur le site de D., sous la signature "A./ats" et le titre "[...] homicide [...]: 20 ans de prison". Il relatait le jugement rendu ce jour-là par le tribunal criminel, qui condamnait le prévenu pour assassinats. L'article disait notamment ceci:
"La Cour a constaté que le quinquagénaire avait fait preuve de 'froideur' et agi de façon 'odieuse' afin de rétablir son honneur. Et ce alors qu'un enfant qu'il avait eu avec son ex était présent sur les lieux du drame".

B.k Aucun autre média n'a alors évoqué la présence de l'un des enfants au moment des crimes, ni n'a fait mention de faits concernant ces enfants, à l'exception de la radio ayant diffusé les déclarations de A. lors de son interview. Les autres médias ont mentionné d'autres éléments pour expliquer la qualification d'assassinat, en soulignant le caractère particulièrement odieux du crime.

C. A. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 7 avril 2020, en concluant, avec suite de frais et dépens, principalement à sa réforme en ce sens qu'il est acquitté et, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision.

D. Invités à se déterminer, la cour cantonale s'est référée au jugement attaqué, tandis que le Ministère public a conclu au rejet du recours. A. a présenté des observations concernant ces déterminations.
(résumé)

Considérants

Extrait des considérants:

1. Le recourant critique l'injonction qui lui a été faite le (...). Il met en cause sa validité tant sur la forme que sur le fond.

1.1 Aux termes de l'art. 70 al. 1 CPP, le tribunal peut restreindre partiellement la publicité de l'audience ou ordonner le huis clos si la sécurité publique et l'ordre public ou les intérêts dignes de protection d'une personne participant à la procédure, notamment ceux
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de la victime, l'exigent (let. a), ou en cas de forte affluence (let. b). L'al. 3 de cette disposition prévoit que le tribunal peut, à certaines conditions, autoriser les chroniqueurs judiciaires et d'autres personnes justifiant d'un intérêt légitime à assister à des débats à huis clos au sens de l'al. 1.

1.2 Selon la cour cantonale, il n'était pas contesté que les conditions pour ordonner un huis clos - au sens de l'art. 70 al. 1 CPP - avaient été réalisées lors de l'audience du (...). Un huis clos partiel avait cependant été prononcé par le tribunal criminel, de sorte que seuls les parties, leurs mandataires et les journalistes avaient été admis aux débats. A lire le procès-verbal de l'audience, le tribunal criminel n'avait pas donné aux journalistes présents la possibilité de s'exprimer avant de formuler l'injonction assortie de la menace de l'art. 292 CP. Le recourant s'était alors trouvé dans la salle et aurait pu réagir s'il avait tenu la décision pour injustifiée. L'intéressé avait immédiatement contacté l'avocat de la société l'employant afin de lui demander conseil, avant de choisir d'ignorer l'interdiction. Le recourant avait ensuite assisté aux débats sans soulever une question sur ce point devant le tribunal criminel, alors qu'il aurait pu en demander la reconsidération, voire déposer un recours à l'encontre de la décision, en demandant l'effet suspensif, sur la base de l'art. 387 CPP. Si le tribunal criminel n'avait pas indiqué, lorsqu'il avait prononcé son injonction à l'audience du (...), que sa décision pouvait faire l'objet d'un recours, le recourant avait pu consulter un avocat immédiatement et devait connaître cette possibilité. Selon l'autorité précédente, la décision du (...) avait en définitive été rendue par une autorité compétente, avait été fondée sur une base légale et n'avait été affectée d'aucun vice d'une gravité telle qu'il aurait pu en entraîner la nullité.

1.3 Le Tribunal fédéral a déjà eu, à quelques reprises, l'occasion d'examiner le fonctionnement de l'art. 70 CPP. Il a tout d'abord reconnu le rôle important de pont ("Brückenfunktion") joué par les médias entre l'activité judiciaire et le grand public, et plus particulièrement la fonction de garde ("Wächterrolle"), tenue par les chroniqueurs judiciaires, pour le contrôle par le public de l'activité judiciaire ( ATF 143 I 194 consid. 3.1 p. 199; ATF 141 I 211 consid. 3.3.1.1 p. 215; arrêt 1B_87/2018 du 9 mai 2018 consid. 2.3.2). Le Tribunal fédéral a d'ailleurs relevé que l'art. 70 al. 3 CPP, qui permet au tribunal d'autoriser, à certaines conditions, les chroniqueurs judiciaires à assister à des débats tenus à huis clos, conduit à constater que
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ceux-ci bénéficient d'une position plus favorable par rapport au grand public ( ATF 141 I 211 consid. 3.3.1.2 p. 215 s.). Cela dit, le Tribunal fédéral a constaté que lorsqu'un tribunal exclut le public sur la base de l'art. 70 al. 1 CPP, cela vise également les chroniqueurs judiciaires. Cette disposition constitue en principe une base légale suffisante pour exclure le public - dont les chroniqueurs judiciaires - d'une audience ( ATF 143 I 194 consid. 3.4.2 p. 202).
Par ailleurs, le Tribunal fédéral a indiqué que lorsqu'un chroniqueur judiciaire ne se soumet pas aux exigences du tribunal au sens de l'art. 70 al. 3 CPP, il ne remplit pas les conditions d'entrée et reste exclu de l'audience ( ATF 137 I 209 consid. 4.7 p. 214 s.).

1.4 Ce qui précède ne permet pas d'appréhender les conditions de validité d'une décision - prise en application de l'art. 70 al. 3 CPP - autorisant, sous conditions, les chroniqueurs judiciaires à assister à des débats à huis clos.

1.4.1 L'art. 339 CPP dispose que la direction de la procédure ouvre les débats, donne connaissance de la composition du tribunal et constate la présence des personnes citées à comparaître (al. 1). Le tribunal et les parties peuvent ensuite soulever des questions préjudicielles, notamment concernant la publicité des débats (al. 2 let. e). Après avoir entendu les parties présentes, le tribunal statue immédiatement sur les questions préjudicielles (al. 3).
Selon l'art. 80 CPP, les prononcés qui tranchent des questions civiles ou pénales sur le fond revêtent la forme de jugements. Les autres prononcés revêtent la forme de décisions, lorsqu'ils émanent d'une autorité collégiale, ou d'ordonnances, lorsqu'ils sont rendus par une seule personne. Les dispositions régissant la procédure de l'ordonnance pénale sont réservées (al. 1). Les prononcés sont rendus par écrit et motivés. Ils sont signés par la direction de la procédure et par le préposé au procès-verbal et sont notifiés aux parties (al. 2). Les décisions et ordonnances simples d'instruction ne doivent pas nécessairement être rédigées séparément ni être motivées; elles sont consignées au procès-verbal et notifiées aux parties de manière appropriée (al. 3).

1.4.2 La décision du (...) fondée sur l'art. 70 al. 1, respectivement sur l'art. 70 al. 3 CPP, a en l'espèce été prise par le tribunal, à la demande de la curatrice des enfants et après que les parties ont été invitées à se déterminer sur la question.
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Le tribunal a ainsi tranché une question préjudicielle au sens de l'art. 339 al. 2 let. e et al. 3 CPP (cf. JEANNERET/KUHN, Précis de procédure pénale, 2e éd. 2018, n. 4074). La décision en question (cf. art. 80 al. 1, 2e phrase, CPP) constituait une décision d'instruction au sens de l'art. 80 al. 3 CPP et n'avait - comme telle - pas nécessairement besoin d'être rédigée séparément ni motivée, mais pouvait être consignée au procès-verbal et notifiée aux parties de manière appropriée (cf. DE PREUX/DE PREUX-BERSIER, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 42 ad art. 339 CPP). Elle ne pouvait - conformément à l'art. 65 al. 1 CPP - faire l'objet d'un recours immédiat mais devait être attaquée avec la décision finale (cf. BRÜSCHWEILER/NADIG/SCHNEEBELI, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], 3e éd. 20, n° 19 ad art. 70 CPP; DE PREUX/DE PREUX-BERSIER, op. cit., n° 43 ad art. 339 CPP; SCHMID/JOSITSCH, Schweizerische Straprozessordnung, Praxiskommentar, 3e éd. 2018, n° 15 ad art. 339 CPP; JEANNERET/KUHN, op. cit., n. 4074; MOREILLON/PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2e éd. 2016, n° 18a ad art. 339 CPP; HAURI/VENETZ, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung/Jugendstrafprozessordnung, 2e éd. 2014, n° 21 ad art. 339 CPP).
La forme de la décision du (...), en tant que celle-ci était fondée sur l'art. 70 al. 3 CPP, n'est donc pas critiquable.

1.4.3 Toujours concernant l'art. 70 al. 3 CPP, le recourant soutient que cette disposition ne permettrait pas d'imposer aux chroniqueurs judiciaires des limites relatives aux informations pouvant être communiquées au public. Selon lui, seul un huis clos total pourrait être ordonné sur la base de l'art. 70 al. 1 CPP, tandis qu'en l'absence d'un tel huis clos aucune restriction ne pourrait être prononcée quant à l'activité des chroniqueurs judiciaires, y compris en cas d'application de l'art. 70 al. 3 CPP.
Cet avis ne peut être suivi. En effet, il ressort expressément de la lettre de la loi que des "conditions" ("Auflagen"; "condizioni") peuvent être imposées aux chroniqueurs judiciaires assistant aux débats lorsqu'un huis clos a été prononcé sur la base de l'art. 70 al. 1 CPP. Le Tribunal fédéral l'a d'ailleurs déjà souligné, en estimant qu'un chroniqueur judiciaire ne se soumettant pas aux conditions posées pouvait être exclu des débats (cf. ATF 137 I 209 consid. 4.7 p. 215). La doctrine admet elle aussi que de telles conditions - toujours proportionnées - doivent pouvoir être imposées par un tribunal, afin
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de garantir des intérêts légitimes (cf. MAHON/JEANNERAT, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 13b ad art. 70 CPP; MASCHA SANTSCHI KALLAY, Externe Kommunikation der Gerichte, 2018, p. 148 ss; SCHMID/JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3e éd. 2017, p. 104; ELIANE WELTE, Information der Öffentlichkeit über die Tätigkeit der Strafjustiz, 2016, p. 158; SAXER/THURNHEER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung/Jugendstrafprozessordnung, 2e éd. 2014, nos 19 s. ad art. 70 CPP; FRANZ RIKLIN, StPO Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung mit JStPO, StBOG und weiteren Erlassen, 2e éd. 2014, n° 5 ad art. 70 CPP; BRÜSCHWEILER/NADIG/SCHNEEBELI, op. cit., n° 14 ad art. 70 CPP), en particulier afin de viser la protection des droits de la personnalité des parties au procès (cf. ANDREAS MEILI, Medien im Spannungsfeld zwischen Justiz- Öffentlichkeit und Persönlichkeitsschutz, Medialex 2017, p. 31 ss, 35). La jurisprudence fédérale ne dit pas autre chose lorsqu'elle rappelle, à propos de l'application de l'art. 70 CPP, que la protection de la sphère privée, ou de l'intégrité et du développement des jeunes personnes, constitue un intérêt digne de protection pouvant justifier des atteintes à la liberté des médias et au principe de publicité de la justice (cf. ATF 143 I 194 consid. 3.5 p. 204 et consid. 3.6.1 p. 205).
Il résulte de ce qui précède que le tribunal criminel pouvait, sur le principe, conditionner la participation des chroniqueurs judiciaires aux débats - dont celle du recourant - à l'observation de règles, telles que celles visant à protéger la personnalité des enfants dont le père était alors jugé.

1.4.4 Se pose ensuite la question de savoir si les conditions imposées sur la base de l'art. 70 al. 3 CPP aux chroniqueurs judiciaires pouvaient être assorties de la commination prévue à l'art. 292 CP.
Dans la doctrine, les auteurs admettent en général qu'une telle commination est possible (cf. MAHON/JEANNERAT, op. cit., n° 13b ad art. 70 CPP; SANTSCHI KALLAY, op. cit., p. 150; SAXER/THURNHEER, op. cit., n° 22 ad art. 70 CPP). MEILI estime en revanche que le respect des conditions évoquées à l'art. 70 al. 3 CPP ne peut être garanti par l'emploi de l'art. 292 CP, faute de base légale suffisante (cf. MEILI, op. cit., p. 36). L'art. 292 CP vise à assurer le respect des injonctions des autorités (cf. arrêts 1B_253/2019 du 11 novembre 2019 consid. 5.1; 1B_250/2008 du 13 mai 2009 consid. 6). Dès lors que,
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comme dit précédemment, les tribunaux peuvent prendre des décisions d'instruction fondées sur l'art. 70 al. 1, respectivement al. 3 CPP, on ne voit pas ce qui empêcherait, sur le principe, ces autorités d'assortir les conditions fixées pour la participation aux débats - au sens de l'art. 70 al. 3 CPP - d'une commination fondée sur l'art. 292 CP, étant précisé qu'une telle commination ne doit pas nécessairement être évoquée dans la loi sur laquelle se fonde la décision dont le respect est recherché (cf. RIEDO/BONER, in Basler Kommentar, Strafrecht, vol. II, 4e éd. 2019, n° 86 ad art. 292 CP; TRECHSEL/VEST, in Praxiskommentar, Schweizerisches Strafgesetzbuch, 3e éd. 2018, n° 9 ad art. 292 CP; DONATSCH/THOMMEN/WOHLERS, Strafrecht IV, Delikte gegen die Allgemeinheit, 5e éd. 2017, p. 426; BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3e éd. 2010, n° 10 ad art. 292 CP).

1.4.5 Le recourant soutient que la décision du (...) - comprenant la commination au sens de l'art. 292 CP - n'aurait pas été motivée. Il critique par ailleurs l'absence d'indication des voies de recours et prétend que l'injonction ne lui aurait pas été notifiée - à ce jour - selon les formes exigées par les art. 80 et 81 CPP.

1.4.5.1 A cet égard, on peut relever que la décision en question pouvait valablement être signifiée au recourant par oral (cf. RIEDO/BONER, op. cit., nos 83 et 181 ad art. 292 CP; TRECHSEL/VEST, op. cit., n° 8 ad art. 292 CP; DUPUIS ET AL., Petit commentaire, Code pénal, 2e éd. 2017, n° 6 ad art. 292 CP; DONATSCH/THOMMEN/WOHLERS, op. cit., p. 426; AUDE BICHOVSKY, in Commentaire romand, Code pénal, vol. II, 2017, n° 5 ad art. 292 CP; CORBOZ, op. cit., n° 3 ad art. 292 CP), celui-ci s'étant trouvé dans un cercle déterminé de personnes concernées par l'injonction du tribunal (cf. sur ce point l'arrêt 1B_250/2008 précité consid. 6; cf. aussi ATF 78 IV 237 p. 239).

1.4.5.2 Concernant la motivation de la décision litigieuse, il apparaît que si celle-ci ne ressort pas directement de l'inscription mentionnée au procès-verbal, le tribunal criminel a par ailleurs expliqué aux journalistes présents aux débats pour quelles raisons il estimait que certaines informations concernant les enfants du prévenu ne devaient pas être rendues publiques. Le recourant a bien compris ces motifs, qu'il a critiqués tant devant la cour cantonale que devant le Tribunal fédéral, cela en connaissance de cause (cf. à cet égard ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 p. 46).
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1.4.5.3 A propos des voies de recours et de la garantie du droit d'être entendu, la cour cantonale a indiqué que le tribunal criminel n'avait pas donné aux journalistes présents la possibilité de s'exprimer avant que la décision du (...) leur fût communiquée. Cependant, le recourant - qui s'était alors trouvé dans la salle - aurait pu réagir s'il avait considéré que ladite décision était injustifiée. Le recourant avait ensuite assisté aux débats sans soulever la question devant le tribunal criminel, ni déposer un recours contre la décision en demandant l'octroi de l'effet suspensif. Par ailleurs, selon l'autorité précédente, le tribunal criminel n'avait pas, lorsqu'il avait prononcé l'injonction durant l'audience du (...), précisé que sa décision pouvait faire l'objet d'un recours. Le recourant, qui avait pu consulter un avocat immédiatement, devait néanmoins connaître cette possibilité.
Le recourant prétend qu'il aurait été arbitrairement retenu qu'il avait pu s'entretenir immédiatement avec un avocat après avoir pris connaisance de la décision litigieuse. Il n'apparaît pas qu'un éventuel vice sur ce point dans la constatation des faits pourrait avoir une influence sur le sort de la cause (cf. art. 97 al. 1 LTF), compte tenu de ce qui suit.
Selon la jurisprudence, le destinataire d'un acte ne mentionnant pas de voie de droit ne peut simplement l'ignorer. L'intéressé est au contraire tenu de l'attaquer dans le délai ordinaire pour recourir ou alors de se renseigner, dans un délai raisonnable, sur la voie de recours lorsque le caractère de décision de l'acte est reconnaissable et qu'il entend la contester ( ATF 129 II 125 consid. 3.3 p. 134; ATF 119 IV 330 consid. 1c p. 334; arrêt 6B_964/2013 du 6 février 2015 consid. 3.4). En l'occurrence, une absence d'indication relative aux voies de droit ne pouvait donc avoir pour effet l'invalidité de l'injonction adressée au recourant le (...), indépendamment de la consultation éventuelle d'un avocat le jour en question. Surtout, le recourant a commis les actes qui lui sont reprochés entre les (...) et (...), soit de toute manière avant qu'un délai pour attaquer le jugement du tribunal criminel - comportant la décision litigieuse - fût écoulé, étant rappelé que la décision du (...) ne pouvait faire l'objet d'un recours immédiat (cf. consid. 1.4.2 supra). Il n'apparaît donc nullement, en l'espèce, que le recourant aurait été empêché de contester la décision litigieuse en raison d'une absence d'indication des voies de recours, ni qu'il aurait pu simplement ignorer celle-ci pour cette raison. On doit d'ailleurs relever que le recourant aurait pu recourir contre la décision du (...) - même s'il n'était pas partie à la
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procédure conduite par le tribunal criminel -, dès lors qu'il pouvait, sur le principe, se prévaloir d'un intérêt juridiquement protégé à cet égard (cf. en ce sens arrêts 4A_179/2019 du 24 septembre 2019 consid. 1.1, non publié aux ATF 146 I 30 ; 1B_349/2016 du 22 février 2017 consid. 2.1, non publié aux ATF 143 I 194 ; 1B_169/ 2015 du 6 novembre 2015 consid. 2.3, non publié aux ATF 141 I 211 ), comme l'exige l'art. 382 al. 1 CPP. Un recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. b CPP aurait ainsi pu être interjeté.
Dès lors qu'en l'espèce la question du départ d'un délai de recours contre la décision du (...) ne se pose pas, les considérations émises par le recourant à ce propos en lien avec l'obtention d'une décision motivée par écrit - y compris les pièces et écritures déposées au Tribunal fédéral après l'échéance du délai de recours - sont sans objet.
Il convient par ailleurs de relever que, avant de rendre la décision litigieuse, le tribunal criminel a invité les parties à se déterminer sur la requête de huis clos total présentée. Dans une telle configuration, il n'apparaît pas que les chroniqueurs judiciaires - lesquels n'étaient pas parties à la procédure mais allaient être touchés par la décision à rendre sur la base de l'art. 70 al. 1 ou al. 3 CPP - auraient dû être invités à se déterminer. On ne saurait en effet envisager, pour des motifs d'efficacité de la justice, qu'un tribunal soit systématiquement contraint, avant de prendre une telle décision, d'entendre chaque chroniqueur judiciaire pouvant être affecté par un huis clos ou par le prononcé de conditions au sens de l'art. 70 al. 3 CPP. Le cas échéant, le droit d'être entendu du chroniqueur judiciaire intéressé doit être exercé devant l'autorité de recours.
En outre, compte tenu du but des conditions qui peuvent être imposées aux chroniqueurs judiciaires par le tribunal sur la base de l'art. 70 al. 3 CPP, la décision y relative s'apparente à une décision de nature superprovisionnelle. En effet, des conditions imposées sur la base de l'art. 70 al. 3 CPP et assorties d'une commination au sens de l'art. 292 CP n'auraient aucune efficacité si elles ne pouvaient déployer des effets qu'après épuisement des voies de droit (cf. à cet égard RIEDO/BONER, op. cit., nos 195 et 234 ad art. 292 CP), soit après que des informations dont la divulgation n'est pas souhaitée pussent être communiquées dans les médias.

1.5 Au vu de ce qui précède, il apparaît que la décision du (...) - comportant une commination au sens de l'art. 292 CP - était valable d'un point de vue formel.
BGE 147 IV 145 S. 158

2. Le recourant se plaint de sa condamnation à titre de l'art. 292 CP.

2.1 Aux termes de l'art. 292 CP, celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende.
L'application de l'art. 292 CP suppose notamment que l'auteur ne se soit "pas conformé à une décision à lui signifiée". La définition de la décision au sens de l'art. 292 CP est la même que celle qui a été développée en droit administratif. Il doit donc s'agir d'une décision concrète de l'autorité, prise dans un cas particulier et à l'égard d'une personne déterminée et qui a pour objet de régler une situation juridique de manière contraignante ( ATF 131 IV 32 consid. 3 p. 33 s.). La décision doit par ailleurs avoir été prise par une autorité ou un fonctionnaire compétent, cette compétence s'entendant en raison du lieu, de la matière et de l'attribution. Une condamnation fondée sur la violation d'une décision irrégulière est exclue ( ATF 122 IV 340 consid. 2 p. 342).
Cette infraction suppose que le comportement ordonné par l'autorité soit décrit avec suffisamment de précision pour que le destinataire sache clairement ce qu'il doit faire ou ce dont il doit s'abstenir, et partant quel comportement ou omission est susceptible d'entraîner une sanction pénale ( ATF 127 IV 119 consid. 2a p. 121; ATF 124 IV 297 consid. II.4.d p. 311; arrêt 6B_306/2014 du 29 janvier 2015 consid. 2.3).
Pour que l'infraction soit réalisée, il faut que l'insoumission soit intentionnelle. L'intention suppose la connaissance de l'injonction, de sa validité et des conséquences pénales de l'insoumission. Le dol éventuel suffit ( ATF 119 IV 238 consid. 2a p. 240; arrêt 6B_1073/2018 du 23 août 2019 consid. 7.1).

2.2 Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir considéré que le pouvoir d'examen du juge pénal appelé à statuer sur les conditions de réalisation d'une infraction à l'art. 292 CP était limité.
En l'occurrence, dès lors que la cour cantonale s'est en définitive penchée sur tous les aspects ayant conduit à la condamnation du recourant, il n'apparaît pas que celle-ci aurait restreint son pouvoir d'examen. Point n'est besoin, partant, d'examiner si une éventuelle limitation de son pouvoir d'examen en la matière aurait pu se justifier.
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De toute manière, il peut être relevé ce qui suit à ce propos.
Selon la jurisprudence, le pouvoir du juge pénal d'examiner à titre préjudiciel la validité des décisions administratives qui sont à la base d'infractions pénales se détermine selon trois hypothèses. En l'absence de voie de recours contre la décision administrative, le juge pénal peut revoir librement la décision quant à sa légalité, l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation notamment. Lorsqu'un tribunal administratif s'est déjà prononcé, le juge pénal ne peut, en revanche, en aucun cas revoir la légalité de la décision administrative. Enfin, si un tel recours eût été possible mais que l'accusé ne l'ait pas interjeté ou que l'autorité saisie n'ait pas encore rendu sa décision, l'examen de la légalité par le juge pénal est limité à la violation manifeste de la loi et à l'abus manifeste du pouvoir d'appréciation (cf. ATF 129 IV 246 consid. 2.1 et 2.2; cf. aussi arrêt 6B_1006/2008 du 5 mars 2009 consid. 3.3.5.2 et les références citées). Lorsque la décision émane d'une juridiction civile, la question de savoir si et dans quelle mesure le juge pénal peut revoir sa légalité a été laissée ouverte par le Tribunal fédéral (cf. ATF 121 IV 29 consid. 2a p. 31 s.). En tous les cas, en supposant que le juge pénal ne soit pas lié par la décision de la juridiction civile, son pouvoir d'examen serait limité à l'arbitraire (cf. arrêts 6B_449/2015 du 2 mai 2016 consid. 3; 6B_547/2012 du 26 mars 2013 consid. 2.1).
En l'espèce, contrairement à ce qu'affirme le recourant, la décision litigieuse, rendue par une autorité judiciaire pénale, aurait pu faire l'objet d'un recours - même s'il ne s'agissait pas d'un recours immédiat (cf. consid. 1.4.2 et 1.4.5.3) -, indépendamment d'une éventuelle absence d'indication des voies de droit.
Au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue à l'égard des décisions administratives contrôlées - ou contrôlables - par des tribunaux administratifs, la cour cantonale n'aurait ainsi de toute manière pu revoir la légalité de la décision, respectivement aurait tout au plus pu le faire en se limitant à la violation manifeste de la loi et à l'abus manifeste du pouvoir d'appréciation. En tenant compte de la jurisprudence concernant les décisions rendues par le juge civil, la cour cantonale aurait dû limiter son pouvoir d'examen à l'arbitraire. Ainsi, en aucune manière le juge pénal chargé d'appliquer l'art. 292 CP n'aurait pu revoir librement la décision litigieuse contenant la menace de cette dernière disposition. On ne voit pas pour quels motifs il devrait en aller différemment s'agissant de la
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décision rendue par un tribunal pénal, en l'occurrence par le tribunal criminel. Il convient donc d'admettre qu'en présence d'une décision rendue par un juge pénal et contre laquelle un recours n'a pas été formé, le tribunal chargé d'appliquer l'art. 292 CP ne peut revoir librement la légalité de celle-ci (cf. dans le même sens RIEDO/BONER, op. cit., n° 233 ad art. 292 CP; CORBOZ, op. cit., n° 16 ad art. 292 CP). Il ne saurait en aller différemment eu égard à une éventuelle absence d'indication des voies de recours sur la décision du (...) (cf. sur cette question ATF 124 IV 297 consid. II.4.b p. 309).

2.3 En l'espèce, le recourant a contesté la validité de la décision litigieuse sous différents angles formels, sans succès (cf. consid. 1 supra). Il ne remet pas en cause la compétence du tribunal criminel ayant prononcé ladite décision, ni ne met en évidence un vice formel d'une gravité telle qu'il pourrait conduire à sa nullité. Le recourant a en revanche soutenu qu'une base légale aurait fait défaut pour le prononcé d'une décision assortissant sa présence aux débats de conditions, sous la menace d'une sanction à titre de l'art. 292 CP. Sur ce point, son grief s'est également révélé infondé (cf. consid. 1.4.3 et 1.4.4 supra). On ne voit pas, pour le reste, que la décision du (...) pût être qualifiée d'arbitraire, ni qu'elle eût consacré une violation manifeste de la loi ou un abus manifeste du pouvoir d'appréciation, ce que le recourant ne soutient pas lui-même.
Ainsi, le Tribunal fédéral peut se dispenser d'examiner si, comme le prétend le recourant, la décision du (...) aurait été inopportune, ou si elle aurait pu contrevenir au principe de la publicité des débats (cf. art. 6 par. 1 CEDH; 14 Pacte ONU II; 30 al. 3 Cst.; 69 CPP). Au demeurant, le grief du recourant consiste essentiellement, sur ce point, à reproduire des considérations extraites de la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant l'accès aux débats ou aux décisions de justice, sans préciser de manière suffisamment motivée (cf. art. 106 al. 2 LTF) dans quelle mesure le principe de publicité des débats aurait pu être violé par l'injonction qui lui a été faite de ne pas révéler certaines informations relatives aux circonstances du crime jugé par le tribunal criminel.
De même, le Tribunal fédéral peut se dispenser d'examiner les critiques formulées par le recourant à l'encontre de la "pratique neuchâteloise", qui consisterait à admettre les chroniqueurs judiciaires aux débats pour lesquels un huis clos est prononcé, tout en les exhortant à ne pas révéler certaines informations relatives aux victimes
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ou à leurs proches. Cet aspect n'est aucunement pertinent pour la présente procédure, puisque le recourant n'a pas été exclu des débats, par exemple après avoir refusé de se conformer aux exhortations du tribunal criminel. Il n'appartient pas, pour le reste, au Tribunal fédéral de se prononcer, dans le cadre d'une affaire pénale, sur une éventuelle pratique générale ayant cours dans le canton de Neuchâtel et qui ne faisait pas l'objet de la procédure. Il en va de même à l'égard des critiques adressées par le recourant aux "autres pratiques coutumières des autorités judiciaires neuchâteloises" - relatives en particulier à la consultation de l'acte d'accusation par les journalistes -, cet aspect ne faisant pas davantage l'objet de la présente procédure. Au demeurant, on voit mal comment la pratique dénoncée, évoquée par la cour cantonale afin d'expliquer le caractère rarissime du huis clos total dans les tribunaux neuchâtelois, pourait relever d'une censure proscrite par l'art. 17 al. 2 Cst.

2.4 Il reste donc à déterminer si la condamnation du recourant pouvait porter atteinte à sa liberté d'expression ou à la liberté des médias.

2.4.1 Aux termes de l'art. 10 CEDH, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations (par. 1). L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire (par. 2).
Selon l'art. 16 Cst., la liberté d'opinion et la liberté d'information sont garanties (al. 1). Toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion (al. 2). Toute personne a le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser (al. 3). En vertu de
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la liberté d'expression (cf. art. 10 CEDH), les médias doivent pouvoir diffuser et le public recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias; les journalistes peuvent librement relater et commenter les affaires pénales ( ATF 143 I 194 consid. 3.1 p. 197 ss). Aux termes de l'art. 17 al. 1 Cst., la liberté de la presse, de la radio et de la télévision, ainsi que des autres formes de diffusion de productions et d'informations ressortissant aux télécommunications publiques est garantie. La liberté des médias constitue l'un des aspects essentiels du droit fondamental général à la libre expression des opinions. La libre transmission des nouvelles et le libre échange des opinions se trouvent au coeur de cette liberté. La protection constitutionnelle porte sur l'activité d'investigation des journalistes, destinée à la production d'oeuvres médiatiques et à leur diffusion dans le public. Cette liberté de production médiatique n'est pas protégée pour elle-même. C'est la libre circulation des nouvelles et des opinions qui revêt une signification politique et sociale importante dans un Etat de droit démocratique. La valeur d'une publication n'est d'importance, au regard de la Constitution, que s'il y a lieu d'effectuer une pesée des intérêts en présence, par exemple entre le libre exercice de la liberté des médias et la protection de la sécurité publique ( ATF 143 I 194 consid. 3.1 p. 200; ATF 141 I 211 consid. 3.1 p. 214).
Les conditions permettant la restriction des droits garantis par les art. 16 al. 3 et 17 Cst. sont identiques ( ATF 137 I 209 consid. 4.2 p. 212).
Aux termes de l'art. 36 Cst., toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1). Toute restriction d'un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2). Toute restriction d'un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3). L'essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).
Les restrictions graves des droits fondamentaux doivent être fondées sur une base claire et explicite dans une loi au sens formel, tandis que les restrictions légères peuvent être fondées sur une loi au sens matériel. La gravité de la restriction s'apprécie selon des critères objectifs, l'appréciation de la personne touchée n'étant pas décisive ( ATF 143 I 194 consid. 3.2 p. 201; ATF 141 I 211 consid. 3.2 p. 214; ATF 137 I 209 consid. 4.3 p. 212).
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Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit; ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 p. 412; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 p. 84).

2.4.2 Il est indéniable que la condamnation du recourant sur la base de l'art. 292 CP a porté atteinte à sa liberté d'expression ainsi qu'à la liberté des médias, puisque l'intéressé a été sanctionné après avoir, dans le cadre de son activité de journaliste, divulgué des informations relatives au procès pénal auquel il avait assisté en tant que chroniqueur judiciaire.
Cette restriction a été fondée sur une base légale, puisque l'art. 70 CPP permet de renoncer à la publicité des débats ainsi qu'à la notification orale du jugement (cf. ATF 143 I 194 consid. 3.4.3 p. 204), l'art. 70 al. 3 CPP permettant quant à lui expressément d'assortir de conditions la présence des chroniqueurs judiciaires lorsqu'un huis clos a été prononcé (cf. consid. 1.4.3 supra). En outre, l'observation de ces conditions peut être assortie d'une commination au sens de l'art. 292 CP (cf. consid. 1.4.4 supra). La question de savoir si la restriction des droits du recourant doit être ou non qualifiée de grave peut donc être laissée ouverte. On peut préciser que, contrairement à la situation qui prévalait dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt publié aux ATF 141 I 211 - dans lequel le Tribunal fédéral a conclu à l'absence d'une base légale suffisante pour interdire, sous la menace d'une amende, aux journalistes de révéler certaines informations évoquées durant des débats publics -, le huis clos partiel avait été ordonné par le tribunal criminel (cf. ATF 141 I 211 consid. 3.4 p. 218).

2.4.3 Le recourant soutient que la restriction en question ne visait pas un but légitime.
Sur ce point, la cour cantonale a exposé que la mesure qui avait été prise par le tribunal criminel reposait sur un motif légitime, soit la protection des enfants de l'auteur et de l'une des victimes - tout particulièrement la protection de l'enfant ayant assisté aux crimes - contre la révélation des faits dont la connaissance par le public pouvait leur être préjudiciable. La publication du fait que l'un des
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enfants avait été présent au moment des crimes était susceptible d'entraîner pour celui-ci des conséquences négatives, sous la forme d'interpellations par des camarades, ou de susciter la curiosité d'adultes ou une pression psychologique par le rappel public de sa présence sur les lieux. Il était donc légitime de protéger les droits de la personnalité de l'enfant concerné.
L'appréciation de la cour cantonale doit être confirmée. Comme l'a déjà relevé le Tribunal fédéral par le passé, la protection de la sphère privée et de l'intégrité psychique des jeunes personnes directement concernées par des actes criminels constitue un intérêt digne de protection, pouvant justifier des restrictions à la liberté des médias (cf. ATF 143 I 194 consid. 3.5 p. 204 et consid. 3.6.2 p. 206). En l'occurrence, la condition imposée par le tribunal criminel pour la présence des chroniqueurs judiciaires aux débats, ainsi que la commination fondée sur l'art. 292 CP, avaient pour unique objectif d'éviter que les enfants du prévenu et de l'une des victimes - en particulier celui ayant assisté à la tuerie - fussent par la suite exposés à la curiosité morbide de camarades ou d'adultes désireux d'obtenir des détails relatifs au déroulement des événements.

2.4.4 Le recourant conteste la proportionnalité de la restriction de ses droits.

2.4.4.1 A cet égard, la cour cantonale a exposé qu'il avait certes existé un certain intérêt à publier le fait que l'un des enfants du prévenu avait assisté aux crimes perpétrés. Le prévenu avait en effet été questionné à ce sujet et le Ministère public avait évoqué cet aspect durant son réquisitoire. Le tribunal criminel avait quant à lui tenu compte de cet élément dans sa discussion relative à la qualification juridique des faits. Pour l'autorité précédente, les informations dont la divulgation avait été proscrite n'étaient cependant pas fondamentales, au point que le public n'aurait pas pu comprendre - sans avoir connaissance de celles-ci - la qualification d'assassinat ainsi que la peine privative de liberté de 20 ans prononcée. Le tribunal criminel avait retenu la qualification d'assassinat non seulement eu égard à la présence d'un enfant sur les lieux du crime, mais aussi en raison d'autres circonstances, comme la préméditation ou la froideur des exécutions. La présence de l'enfant au moment de la tuerie n'avait donc constitué qu'une circonstance parmi d'autres et non le point central de l'accusation. Il n'avait pas été essentiel de faire part au public de cet élément. Les autres représentants des médias présents à l'audience s'étaient d'ailleurs abstenus d'en faire
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état, sans pour autant avoir livré des articles incomplets ou induisant le public en erreur. Pour l'autorité précédente, il ne pouvait être exclu que le recourant avait cherché à s'assurer une exclusivité - en partant de l'idée que ses confrères se conformeraient aux injonctions du tribunal criminel - et à satisfaire la curiosité d'amateurs de faits divers désireux de connaître l'affaire dans ses détails les plus tristes. Il aurait été possible, pour le recourant, de mentionner qu'aux événements principaux ressortant de l'accusation s'était ajouté un élément particulièrement dramatique, sur lequel les journalistes présents avaient été invités à garder le silence pour des raisons de protection de la personnalité d'une victime collatérale du drame. En définitive, l'intérêt à ne pas restreindre la liberté de la presse et à permettre au public de prendre connaissance de la circonstance en question n'avait pas été négligeable, sans pour autant revêtir une importance extrême.
A cet intérêt s'opposait, selon la cour cantonale, celui des enfants du prévenu au respect de leur vie privée ainsi qu'à être épargnés par la curiosité de leur entourage. Avant les débats tenus par le tribunal criminel, il était connu du public qu'un double homicide avait été commis à I. Un cercle de personnes assez large avait pu connaître l'identité des victimes, par déduction, et savoir ainsi que [des] enfants avaient perdu leur mère à cause de leur père. L'enfant ayant assisté aux crimes avait un intérêt important à ce que sa présence sur les lieux ne fût pas révélée au public. Pour l'autorité précédente, l'intérêt de l'enfant à ce que la circonstance concernée ne soit pas publiée devait être considéré comme prépondérant.

2.4.4.2 L'appréciation de la cour cantonale peut être partagée concernant la mise en balance des intérêts en jeu et l'existence d'un intérêt prépondérant du côté de l'enfant. On peut en particulier relever la faible valeur informative de l'élément dont la communication était proscrite, puisqu'il s'agissait tout au plus de faire part au public d'une circonstance scabreuse nullement décisive pour la condamnation du prévenu.
En revanche, force est de constater que la règle de l'aptitude - nécessaire pour la restriction des droits du recourant - n'a pas été observée en l'espèce. Le recourant a en effet été condamné pour avoir rendu public, après que la commination au sens de l'art. 292 CP lui eut été adressée par le tribunal criminel, le fait que l'un des enfants du prévenu avait été témoin des crimes commis. Or, dans le premier article mis en ligne par le journal D. - avant que la commination précitée soit formulée - et émanant du recourant, cet élément avait
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déjà été rendu public. Par conséquent, la condition énoncée par le tribunal criminel et assortie de la commination au sens de l'art. 292 CP ne pouvait plus empêcher la connaissance, par le public, de cette circonstance relative à la présence d'un enfant sur les lieux de la tuerie. Ainsi, lorsque le recourant a été condamné, le but poursuivi - soit la non-révélation de l'élément en question en vue de sauvegarder les intérêts des enfants du prévenu - ne pouvait être atteint. Il en résulte que la condamnation du recourant, qui a en définitive consisté à châtier son irrespect des injonctions du tribunal criminel, n'était plus apte à atteindre le but légitime que le tribunal criminel avait cherché à atteindre. Ladite condamnation n'était pas non plus nécessaire dans une société démocratique (cf. pour une situation comparable l'arrêt CourEDH Weber contre Suisse du 22 mai 1990, Publications de la CourEDH, série A, vol. 177, § 46-52).
Ce qui précède ne signifie pas qu'une condamnation sur la base de l'art. 292 CP n'aurait aucunement pu être envisagée dans une semblable configuration. Ainsi, il apparaît que le critère de l'aptitude aurait été rempli si, parmi les informations divulguées par le recourant postérieurement à l'injonction formulée par le tribunal criminel, celui-ci avait inclus des éléments nouveaux concernant l'enfant - en précisant par exemple son âge, son sexe, ou encore des circonstances plus précises entourant sa perception de la tuerie -, qui n'avaient pas été rendus publics lors de la première publication. Par ailleurs, si la règle de l'aptitude, nécessaire à une condamnation du recourant, n'a pas été observée en l'espèce, cela ne signifie pas que ce dernier n'a pas porté atteinte à la personnalité de l'enfant en question par ses publications et révélations successives, ni que des conséquences civiles - déduites en particulier des art. 28 ss CC - n'auraient pu être envisagées eu égard au comportement dénoncé, contraire aux intérêts dudit enfant.
En définitive, la condamnation du recourant a donc représenté une restriction de ses droits inadmissible au regard des art. 5 al. 2 et 36 Cst. Le recours doit être admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale afin que celle-ci acquitte l'intéressé. L'autorité cantonale demeurera libre de se prononcer sur les conséquences de cet acquittement, notamment en faisant application de l'art. 426 al. 2 CPP si elle devait estimer que le recourant a agi de manière illicite sur le plan civil.

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ATF: 143 I 194, 141 I 211, 137 I 209, 124 IV 297 suite...

Article: Art. 292 CP, art. 70 al. 3 CPP, art. 70 CPP, art. 70 al. 1 et al. 3, art. 80 al. 3 CPP suite...