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Chapeau

93 II 367


48. Arrêt de la IIe Cour civile du 16 novembre 1967 dans la cause R. contre B.

Regeste

Action en recherche de paternité. Péremption.
1. L'arrêt de la dernière juridiction cantonale qui rejette préjudiciellement une action en recherche de paternité pour cause de péremption est-il une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ? (consid. 1).
2. L'art. 139 CO est-il applicable lorsqu'une action en recherche de paternité a été régulièrement introduite, mais rejetée parce que la partie demanderesse avait omis de citer le défendeur en tribunal, après l'échec de la tentative de conciliation, dans le délai fixé par la loi de procédure cantonale et que le délai de péremption de l'art. 308 CC est expiré dans l'intervalle? (consid. 3, 4 et 6).
3. Le demandeur peut-il être déclaré déchu de son droit, en vertu de la procédure cantonale, du seul fait qu'il n'a pas donné suite à l'acte de non-conciliation dans les formes ou les délais prescrits? (consid. 5).

Faits à partir de page 368

BGE 93 II 367 S. 368

A.- Demoiselle S.R. a mis au monde à Genève, le 8 février 1965, une fille illégitime à laquelle elle a donné le prénom de St. Elle a désigné comme père L. B.
Agissant en sa qualité de curateur de St. R., X. a introduit une action en recherche de paternité contre B. en déposant, le 19 janvier 1966, un projet d'exploit en vue de conciliation.
La tentative de conciliation faite à l'audience du 24 février 1966 ayant échoué, la demanderesse a reçu l'autorisation de citer le défendeur devant le Tribunal de première instance de Genève.
X. n'a cependant pas procédé dans le délai d'un mois fixé par l'art. 67 al. 2 de la loi de procédure civile genevoise (LPC gen.).
Le 18 avril 1966, il a déposé un nouveau projet d'exploit introductif d'instance en vue de la tentative de conciliation. Cet acte énonçait les mêmes moyens et conclusions que celui du 19 janvier 1966. La demanderesse sollicitait le bénéfice de l'art. 139 CO.
A l'audience de conciliation du 30 juin 1966, une nouvelle autorisation de citer a été délivrée à la demanderesse.
X. a fait signifier le 7 juillet 1966 son exploit introductif d'instance et, par là, a assigné le défendeur à comparaître devant le Tribunal de première instance, le mardi 30 août 1966.
B. a excipé de la péremption de l'action et conclu au déboutement de la demanderesse. Il a fait valoir que le curateur X., qui avait déposé un exploit en vue de la conciliation, le 19 janvier 1966, savoir avant l'expiration du délai d'un an fixé à l'art. 308 CC, n'avait pas procédé dans le mois suivant l'autorisation de citer délivrée le 24 février 1966 (art. 67 al. 1 LPC gen.) et que l'instance était dès lors réputée n'avoir pas été liée (art. 67 al. 2 LPC gen.); il a allégué d'autre part que le dépôt du second exploit, le 18 avril 1966, était intervenu après l'expiration du délai d'un an de l'art. 308 CC et que l'art. 139 CO n'était pas applicable en l'espèce.
BGE 93 II 367 S. 369
Statuant le 12 décembre 1966, le Tribunal de première instance de Genève a débouté B. de son exception de péremption. Il a considéré l'omission de la partie demanderesse comme un vice de forme réparable au sens de l'art. 139 CO et jugé que cette disposition légale était applicable au délai de péremption prévu par l'art. 308 CC.

B.- Saisie d'un appel de B., la Première Chambre de la Cour de justice du canton de Genève a rendu le 26 mai 1967 un arrêt qui annulait le jugement de première instance et déclarait l'action en recherche de paternité irrecevable. Elle a estimé que si l'art. 139 CO était applicable au délai de péremption statué à l'art. 308 CC, le curateur de l'enfant ne pouvait pas s'en prévaloir, du moment que l'informalité commise par lui en l'espèce était postérieure à l'ouverture régulière de l'action.

C.- St. R., représentée par son curateur, recourt en réforme et conclut à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral "débouter B de son exception de péremption et annuler l'arrêt attaqué".
L'intimé n'a pas produit de réponse dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet. Le conseil de la recourante ayant renoncé à plaider, celui de l'intimé n'a pas pu prendre la parole aux débats (art. 61 al. 2 OJ).

Considérants

Considérant en droit:

1. L'arrêt déféré est une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ: il met fin définitivement au procès, sans aborder le fond, et déboute la recourante des fins de sa demande en admettant que son action est périmée au regard de l'art. 308 CC (cf. RO 88 II 59 consid. 2; 86 II 123; 84 II 229 ss.).

2. (valeur litigieuse).

3. L'art. 139 CO institue un délai supplémentaire de soixante jours lorsque l'action a été mal introduite et que le délai de prescription est expiré dans l'intervalle. Selon la jurisprudence, cette disposition légale s'applique non seulement aux délais de prescription proprement dits, mais aussi aux délais de péremption ou de déchéance prévus par le droit fédéral, en particulier au délai d'un an que l'art. 308 CC fixe au demandeur pour introduire l'action en recherche de paternité (RO 89 II 307 ss. consid. 6, où le Tribunal fédéral réfute les objections formulées par certains auteurs et se réfère aux arrêts antérieurs publiés au RO 80 II 291 ss., 72 II 328 ss.,
BGE 93 II 367 S. 370
61 II 149 ss.). Et le demandeur n'est pas tenu de poursuivre l'action affectée d'un vice de forme jusqu'au jugement qui le déboutera préjudiciellement de ses conclusions; il peut renoncer à l'action qui est vouée à un échec certain et en ouvrir une nouvelle en se mettant au bénéfice de l'art. 139 CO (RO 72 II 331 s.).

4. La Cour cantonale estime que le délai supplémentaire de l'art. 139 CO ne saurait être accordé à la recourante parce que son curateur a commis une informalité non pas dans l'acte introductif d'instance, mais en cours de procès. Certes, l'action en recherche de paternité a été ouverte régulièrement par le dépôt, dans le délai d'un an que fixe l'art. 308 CC, d'un exploit en vue de la tentative de conciliation, que la procédure civile genevoise rend obligatoire en pareil cas (cf. art. 48 ss. LPC). Elle a été viciée dans la phase subséquente de l'assignation du défendeur devant le Tribunal de première instance, à laquelle la partie demanderesse n'a pas procédé dans le mois suivant la délivrance de l'autorisation de citer (art. 67 al. 2 LPC).
Le Tribunal fédéral a d'abord admis, dans l'arrêt P. c. M. (RO 72 II 328 ss.), que l'art. 139 CO s'appliquait lorsque le demandeur avait omis de déposer sa demande dans le délai de trente jours dès la délivrance de l'acte de non-conciliation, comme l'exige l'art. 254 al. 2 CPC vaudois. Il a relevé ensuite, dans l'arrêt Madeira c. Trolliet (RO 80 II 292), que cette jurisprudence ne laissait pas d'être fort discutable, car le délai supplémentaire de l'art. 139 CO supposait en principe une action mal introduite. Un auteur a même qualifié l'arrêt P. c. M. d'erroné et proposé de restreindre l'application du délai de grâce au vice de forme affectant l'acte d'ouverture d'action (RATHGEB, L'action en justice et l'interruption de la prescription, Recueil de travaux publié à l'occasion du cinquantenaire de l'Ecole des hautes études commerciales de l'Université de Lausanne, 1961, p. 166 s.). Toutefois, la jurisprudence récente adopte une solution plus nuancée. Elle accorde le bénéfice de l'art. 139 CO au plaideur qui a introduit régulièrement son action avant que le délai de péremption soit expiré et commis une informalité dans une phase ultérieure de l'instance, mais à la condition qu'il ait procédé, fût-ce irrégulièrement (RO 89 II 311 ss. consid. 7, où le demandeur avait bien déposé sa demande dans le délai péremptoire de vingt jours
BGE 93 II 367 S. 371
dès la délivrance de l'acte de non-conciliation, mais omis par inadvertance de joindre cette pièce officielle à son mémoire, comme l'exige l'art. 96 CPC du canton des Grisons). En revanche, le plaideur qui laisse simplement expirer le délai que la loi de procédure lui fixait pour agir, par exemple en omettant de poursuivre l'instance après l'échec de la tentative de conciliation, ne saurait bénéficier du délai supplémentaire de soixante jours prévu à l'art. 139 CO; seule la restitution du délai qui lui serait accordée, le cas échéant, en vertu de la loi de procédure, lui permettrait de réparer son erreur. Si le délai de procédure n'est pas restitué, il ne reste au demandeur que la possibilité d'introduire une nouvelle action, à la condition toutefois que le délai de péremption fixé par le droit fédéral ne soit pas expiré dans l'intervalle (cf. LEUCH, Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, n. 3 ad art. 144 CPC bernois).

5. C'est à tort que la Cour de justice de Genève s'est référée, d'ailleurs par surabondance, à l'art. 477 LPC gen., aux termes duquel "l'expiration du délai accordé par la loi pour l'exercice d'un droit en entraîne la déchéance". Une pareille disposition de la loi de procédure ne peut viser que la déchéance du droit d'accomplir un procédé, mais non la perte du droit au fond. La procédure civile cantonale ne saurait en effet statuer qu'une prétention régie par le droit privé fédéral est périmée, c'est-à-dire éteinte, du seul fait que le demandeur n'a pas donné suite à une citation en conciliation ou à un acte de non-conciliation ou que ces actes sont entachés d'une irrégularité (RO 67 II 72 ss. consid. 2; VOYAME, Droit privé fédéral et procédure civile cantonale, RDS 1961 II 105; RATHGEB, L'action en justice et l'interruption de la prescription, Mélanges François Guisan, Lausanne 1950, p. 267 ss.). Aussi bien, l'art. 156 CPC fribourgeois, qui correspond à l'art. 64 CPC vaudois, précise-t-il que "l'abandon d'une requête aux fins de citation en conciliation ou d'un acte de nonconciliation, de même que l'irrégularité de ces actes n'invalident pas par eux-mêmes le droit litigieux". Il est possible, en revanche, que la prétention déduite en conciliation soit périmée dans l'intervalle, par exemple que le délai de déchéance fixé par le droit fédéral pour ouvrir action soit expiré (cf. DESCHENAUX/CASTELLA, La nouvelle procédure civile fribourgeoise, p. 129, litt. E).
BGE 93 II 367 S. 372

6. En l'espèce, le curateur de la recourante a omis d'assigner l'intimé devant le Tribunal de première instance dans le délai légal d'un mois à compter de l'autorisation de citer délivrée après l'échec de la tentative de conciliation. Il n'a pas procédé irrégulièrement, mais simplement laissé expirer le délai prévu à l'art. 67 LPC. Selon les principes énoncés dans l'arrêt Bizzozzero c. Sigrist (RO 89 II 312 in fine), il ne peut pas bénéficier du délai supplémentaire institué par l'art. 139 CO. Lorsqu'il a déposé son second exploit de citation en conciliation, le 18 avril 1966, le délai de péremption d'un an dès la naissance (8 février 1965) fixé par l'art. 308 CC pour introduire une action en recherche de paternité était expiré. La nouvelle action ouverte par cet exploit devait dès lors être rejetée préjudiciellement pour cause de péremption, sans examen du fond. Il en résulte que l'arrêt attaqué est conforme au droit fédéral, quand bien même il déclare irrecevable l'action de la recourante, au lieu de la rejeter.

Dispositif

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours et confirme l'arrêt rendu le 26 mai 1967 par la Première Chambre de la Cour de justice du Canton de Genève.

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 1 2 3 4 5 6

Dispositif

références

ATF: 86 II 123, 84 II 229

Article: art. 139 CO, art. 308 CC, art. 48 al. 1 OJ, art. 67 al. 2 LPC suite...