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Chapeau

144 III 93


11. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. contre A.Z. (recours en matière civile)
4A_635/2016 du 22 janvier 2018

Regeste

Prêt de consommation (art. 312 CO) ou donation (art. 239 al. 1 CO). Application des principes d'interprétation de la volonté des parties (art. 18 al. 1 CO et principe de la confiance).
Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie (absence d'un accord de fait), le juge doit alors rechercher leur volonté objective, selon le principe de la confiance (recherche d'un accord de droit).
Un accord de droit ne suppose pas nécessairement que le déclarant ait eu la volonté interne (ou intime) de s'engager; il suffit que le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement ait permis à l'autre partie de déduire, de bonne foi, une volonté de s'engager. Une volonté de donner peut, dans certaines circonstances, être imputée à celui qui a remis une somme d'argent, même si cela ne correspond pas à sa volonté intime (consid. 5).

Faits à partir de page 94

BGE 144 III 93 S. 94

A. X., né le 1 er novembre 1930, et Z., née le 30 août 1941, (...) ont vécu une relation de couple de 1988 à 2000.
X. a pris sa retraite le 30 juin 1994.
Z. (...) était indépendante financièrement. Depuis le début de l'année 1997, elle a souffert de problèmes médicaux, (...). Elle a pris une retraite anticipée le 1 er février 1999, dans l'année de ses 58 ans. Elle a perçu depuis lors une rente mensuelle de 4'815 fr. au lieu du montant de 6'990 fr. qu'elle aurait perçu si elle avait poursuivi son activité professionnelle jusqu'à l'âge de 62 ans.
Le 15 janvier 1999, soit 15 jours avant qu'elle ne prenne sa retraite anticipée, Z. a emménagé avec X., à Rolle. Elle a quitté le domicile le 1 er novembre 2000, ne supportant plus le comportement de son ami.

B.

B.a Le 2 septembre 1997, Z. a acheté une villa à Mougins, pour le prix de 2'000'000 FF. Des travaux de rénovation ont été réalisés dans cette villa.
Il est établi que X. lui a transféré les 25 juin et 25 août 1997, par l'intermédiaire du notaire, un montant de 2'222'000 FF pour procéder à cet achat. En revanche, s'il a été retenu que X. a participé à des frais de rénovation de la villa, il a été constaté que le montant de 509'285 FF allégué par lui n'a pas été établi.
En 2002, Z. a déclaré la villa de Mougins dans ses revenus et sa fortune, rétroactivement au jour de son acquisition.
Z. a revendu la villa le 12 juin 2002, pour le prix de 403'989,90 euros.

B.b Le 31 juillet 2003, ayant eu connaissance de la vente de la villa, X. a réclamé à Z. d'abord le montant de 412'500 fr. (correspondant à
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1'650'000 FF), se réservant le droit de faire valoir l'entier de sa créance, puis, les 28 janvier et 26 juillet 2005, le montant de 2'650'000 FF.
Il a déposé une plainte pénale contre Z., pour abus de confiance, escroquerie et faux dans les titres. (...)
Il a également formé une réquisition de poursuite pour les montants de 49'494 fr. 10, 500'385 fr. 30 et 124'409 fr. 80 avec intérêts à 5 % l'an dès le 16 septembre 2003, sous déduction du montant de 9'898 fr. 80. La débitrice a formé opposition au commandement de payer qui lui a été notifié.

B.c Les parties divergent en définitive au sujet du versement des deux montants de 2'222'000 FF et de 509'285 FF et de la cause de leur versement.

C. Le 23 janvier 2009, X. a ouvert action contre son ex-amie, Z., devant la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud, concluant notamment à ce que celle-ci soit condamnée à lui rembourser le montant de 680'000 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 16 septembre 2003.
Z. est décédée le 16 juin 2009 et sa fille A.Z. lui a succédé dans la procédure.
Une convention manuscrite du 30 septembre 1997 a été remise à la Cour civile par un inconnu en 2012. La défenderesse a requis l'ouverture d'une instruction pénale, au motif qu'il s'agissait d'un faux; celle-ci s'est terminée par une ordonnance de classement, dès lors qu'il n'a pas pu être prouvé que le document était un faux et que son authenticité n'a pas non plus été démontrée.
Par jugement du 31 août 2015, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a rejeté les conclusions prises par le demandeur à l'encontre de A.Z. Elle a retenu en substance que l'obligation de restitution des fonds reçus pour l'acquisition de la villa de Mougins n'a pas été établie et que l'allégation de la remise du montant pour les travaux de rénovation n'a pas été prouvée. (...)
Statuant le 4 juillet 2016, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l'appel du demandeur et confirmé le jugement attaqué (...). Sur le fond, elle a retenu en substance que s'il peut être admis que le demandeur a participé à des frais de rénovation de la villa, le montant de 509'285 FF ne peut pas être établi; au demeurant, le fait qu'il ait remis un montant à son amie n'est qu'un indice et non la preuve complète d'un prêt (i.e. de l'obligation de restitution de ce montant). En ce qui concerne les fonds de 2'222'000 FF remis pour
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l'acquisition de la villa, la cour cantonale a considéré que le demandeur a échoué à établir l'existence d'une obligation de restituer à la charge de Z.: adoptant l'appréciation des premiers juges, elle a jugé que "l'appelant échoue à établir l'existence d'une obligation de restituer à la charge de l'intimée. Ni l'existence d'un prêt ni celle d'une donation ne sont établies". Autrement dit, elle a retenu que le demandeur a échoué dans la preuve de l'obligation de restitution qui lui incombait et, partant, qu'il supporte l'échec de la preuve de ce fait et que ses conclusions en restitution doivent être rejetées.

D. Contre cet arrêt, le demandeur a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral, concluant en substance à ce que A.Z. soit condamnée à lui payer principalement le montant de 664'391 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 16 septembre 2003 et, subsidiairement, le montant de 410'283.83 euros avec les mêmes intérêts. Il invoque une appréciation arbitraire des preuves et l'application incorrecte du droit.
(...)
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.
(extrait)

Considérants

Extrait des considérants:

5. Il est établi que le demandeur a effectivement versé le montant de 2'222'000 FF à son amie pour qu'elle puisse acheter la villa de Mougins. Est litigieuse la cause de ce versement: devant le Tribunal fédéral, le demandeur fait uniquement valoir qu'il avait prêté ce montant à son amie, alors que celle-ci soutient qu'il le lui a remis en don, pour compenser la perte de prévoyance qu'elle allait subir du fait qu'elle allait prendre une retraite anticipée comme il l'avait souhaité.

5.1

5.1.1 Le prêt de consommation est un contrat par lequel le prêteur s'oblige à transférer la propriété d'une somme d'argent ou d'autres choses fongibles à l'emprunteur, à charge par ce dernier de lui en rendre autant de même espèce et qualité (art. 312 CO). La restitution du prêt est soumise à deux conditions: premièrement, la remise des fonds à l'emprunteur et, deuxièmement, l'obligation de restitution stipulée à charge de celui-ci.
L'obligation de restitution de l'emprunteur est un élément essentiel du contrat. Elle résulte non pas du paiement fait par le prêteur, mais de la promesse de restitution qu'implique le contrat de prêt. La remise
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de l'argent par le prêteur n'est qu'une condition de l'obligation de restituer ( ATF 83 II 209 consid. 2 p. 210). En réalité, le juge doit déterminer, en appliquant les règles d'interprétation des contrats (cf. infra consid. 5.2), si les parties sont convenues d'une obligation de restitution; pour ce faire, il se base sur toutes les circonstances concrètes de l'espèce, qu'il incombe au prêteur d'établir (art. 8 CC).
Dans certaines circonstances exceptionnelles, le seul fait de recevoir une somme d'argent peut constituer un élément suffisant pour admettre l'existence d'une obligation de restituer et, partant, d'un contrat de prêt ( ATF 83 II 209 consid. 2 p. 210). Il doit toutefois en résulter clairement que la remise de la somme ne peut s'expliquer raisonnablement que par la conclusion d'un prêt (ATF 28 I 674 consid. 2 et 3 p. 686 cité in ATF 83 II 209 ).

5.1.2 La donation est la disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre sans contre-prestation correspondante (art. 239 al. 1 CO). Il s'agit d'un contrat, qui suppose un accord des parties sur un transfert patrimonial à titre gratuit (art. 1 al. 1 CO) et donc une acceptation de la part du donataire. L'acceptation peut intervenir par actes concluants (art. 1 al. 2 CO) et, comme la donation ne présente que des avantages pour le donataire, elle peut être tacite (art. 6 CO; ATF 136 III 142 consid. 3.3).
La gratuité est la caractéristique essentielle de la donation: l'attribution est faite dans le but immédiat d'enrichir le donataire, sans contre-partie, du moins sans contre-partie équivalente. Elle n'exclut cependant pas toute espèce de prestation ou de service promis en même temps par le donataire (TERCIER/BIERI/CARRON, Les contrats spéciaux, 5 e éd. 2016, n. 1497).

5.2 Savoir si les parties sont convenues d'un contrat de prêt, comme le soutient le demandeur, ou d'une donation, comme le prétend la défenderesse, est affaire d'interprétation de leurs manifestations de volonté.

5.2.1 En droit suisse des contrats, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective ( ATF 123 III 35 consid. 2b p. 39).
Lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante (échange de manifestations de volonté concordantes; übereinstimmende Willenserklärungen), qu'elles se sont effectivement comprises et, partant,
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ont voulu se lier, il y a accord de fait (tatsächlicher Konsens); si au contraire, alors qu'elles se sont comprises, elles ne sont pas parvenues à s'entendre, ce dont elles étaient d'emblée conscientes, il y a un désaccord patent (offener Dissens) et le contrat n'est pas conclu.
Subsidiairement, si les parties se sont exprimées de manière concordante, mais que l'une ou les deux n'ont pas compris la volonté interne de l'autre, ce dont elles n'étaient pas conscientes dès le début, il y a désaccord latent (versteckter Dissens) et le contrat est conclu dans le sens objectif que l'on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance; en pareil cas, l'accord est de droit (ou normatif) (cf. ATF 123 III 35 précité consid. 2b p. 39; GAUCH/SCHLUEP/SCHMID, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, vol. I, 2014, n. 308 ss).

5.2.2 En procédure, le juge doit donc rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices ( ATF 132 III 268 consid. 2.3.2, ATF 132 III 626 consid. 3.1 p. 632; ATF 131 III 606 consid. 4.1). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes.
L'appréciation de ces indices concrets par le juge, selon son expérience générale de la vie, relève du fait (arrêts 4A_508/2016 du 16 juin 2017 consid. 6.2 et les arrêts cités; 4A_98/2016 du 22 août 2016 consid. 5.1). Si le juge parvient à la conclusion que les parties se sont comprises ou, au contraire, qu'elles ne se sont pas comprises, il s'agit de constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles ne soient manifestement inexactes (art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF), c'est-à-dire arbitraires au sens de l'art. 9 Cst.

5.2.3 Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur
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volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance (arrêts 4A_508/2016 déjà cité consid. 6.2 et les arrêts cités; 4A_98/2016 déjà cité consid. 5.1). D'après ce principe, la volonté interne de s'engager du déclarant n'est pas seule déterminante; une obligation à sa charge peut découler de son comportement, dont l'autre partie pouvait, de bonne foi, déduire une volonté de s'engager. Le principe de la confiance permet ainsi d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime ( ATF 130 III 417 consid. 3.2 p. 424 et les arrêts cités).
La détermination de la volonté objective des parties, selon le principe de la confiance, est une question de droit, que le Tribunal fédéral examine librement; pour la trancher, il faut cependant se fonder sur le contenu des manifestations de volonté et sur les circonstances, lesquelles relèvent du fait. Les circonstances déterminantes à cet égard sont uniquement celles qui ont précédé ou accompagné la manifestation de volonté, mais non pas les événements postérieurs ( ATF 133 III 61 consid. 2.2.1 p. 67 et les arrêts cités).

5.3 En l'espèce, la cour cantonale a recherché uniquement la volonté réelle des parties.
(...)

5.4 La cour cantonale ne pouvait toutefois pas s'arrêter là. En effet, conformément aux principes applicables à l'interprétation des contrats, elle devait encore rechercher s'il y a eu accord de droit, par interprétation objective de la volonté des parties, en ne perdant pas de vue que le principe de la confiance permet aussi d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime. S'agissant d'une question de droit, dont les parties ne pouvaient ignorer la pertinence juridique, la cour de céans est en mesure de statuer immédiatement, sans renvoi à la cour cantonale, sur la base des faits constatés dans l'arrêt attaqué.

5.4.1 Il ressort de l'arrêt attaqué que les 25 juin et 25 août 1997, le demandeur a transféré à son amie le montant de 2'000'000 FF pour acheter une villa à Mougins, que celle-ci l'a achetée en septembre 1997, que le 15 janvier 1999, elle a emménagé avec le demandeur à Rolle et qu'elle a pris sa retraite anticipée le 1 er février 1999, soit dans
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l'année de ses 58 ans, de sorte qu'elle n'a perçu qu'une rente mensuelle de 4'815 fr. au lieu des 6'990 fr. qu'elle aurait perçus si elle n'avait pas pris de retraite anticipée. Le demandeur n'a ni allégué ni prouvé l'état de sa fortune à l'époque de la remise du montant litigieux.

5.4.2 Contrairement à ce que croit le recourant, la question n'est pas de savoir si, lorsqu'il a remis les fonds à son amie pour acheter la villa de Mougins, il avait la volonté interne de lui faire un prêt, qu'elle devrait lui rembourser ultérieurement. Ce qui est décisif, c'est de déterminer si, dans les circonstances de l'espèce, l'amie pouvait penser de bonne foi que la somme de 2'222'000 FF lui était remise à titre gratuit (donation) pour compenser sa perte de prévoyance, comme elle l'avait déclaré aux personnes de sa connaissance entendues comme témoins.
Certes, le montant de 2'222'000 FF est en lui-même important. D'un autre côté, la perte de prévoyance que l'amie a subie est de plus de 2'000 fr. par mois, sa vie durant. Il peut et doit donc être admis que, de bonne foi, elle pouvait raisonnablement comprendre que le montant qui lui avait été remis pour acheter la villa lui avait été donné.
Dès lors que le demandeur n'a pas allégué ni prouvé le montant total de sa fortune, il n'est pas possible de déterminer si l'on se trouvait dans une situation exceptionnelle au sens de la jurisprudence, en ce sens qu'il ne pourrait s'agir que d'un prêt, au vu de la comparaison entre le montant remis et le montant de la fortune. Le seul fait que le demandeur ait pris sa retraite en 1994 ne donne aucune indication à cet égard. Il en va de même du fait que l'amie avait été d'accord de prendre une retraite anticipée, pour pouvoir voyager avec son compagnon et bénéficier de plus de temps libre, et que l'achat de la villa a été effectué près d'un an et demi avant sa prise de retraite.

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Etat de fait

Considérants 5

références

ATF: 83 II 209, 123 III 35, 136 III 142, 132 III 268 suite...

Article: art. 312 CO, art. 239 al. 1 CO, art. 18 al. 1 CO, art. 8 CC suite...