Chapeau
150 III 280
30. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Royaume d'Espagne contre A. (recours en matière civile)
4A_244/2023 du 3 avril 2024
Regeste a
Arbitrage international; principe d'allégation; exigences de motivation accrues (
art. 77 al. 3 LTF).
L'art. 77 al. 3 LTF institue le principe d'allégation et consacre une obligation analogue à celle que prévoit l'art. 106 al. 2 LTF. Les exigences de motivation du recours en matière d'arbitrage sont accrues. La partie recourante doit donc invoquer l'un des motifs de recours énoncés limitativement à l'art. 190 al. 2 LDIP et montrer par une argumentation précise, en partant de la sentence attaquée, en quoi le motif invoqué justifie l'admission du recours (consid. 4.1).
Regeste b
Contentieux des investissements internationaux; compétence du tribunal arbitral (
art. 190 al. 2 let. b LDIP); portée de la clause d'arbitrage visée par l'art. 26 du Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l'énergie (TCE); compatibilité de ladite clause avec le droit de l'Union européenne (UE).
L'interprétation du TCE, effectuée conformément aux règles de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV), conduit à retenir que le consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à l'arbitrage, formulé à l'art. 26 TCE, vise également les litiges opposant un État membre de l'UE à un investisseur d'un autre État membre de l'UE (consid. 7.6.3-7.7.6).
L'existence d'une incompatibilité entre le droit de l'UE et l'art. 26 TCE n'est pas établie. Les règles du droit de l'UE ne permettent de toute manière pas de remettre en cause la validité du consentement à l'arbitrage exprimé à l'art. 26 TCE, y compris s'agissant des litiges présentant un caractère intra-européen (consid. 7.8).
Faits à partir de page 281
A. Afin de transposer dans son droit interne plusieurs directives européennes visant à encourager la production d'énergie à partir de
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sources renouvelables, le Royaume d'Espagne a adopté plusieurs décrets royaux vers le milieu des années 2000. Le décret royal 661/ 2007 (ci-après: RD 661/2007), promulgué le 25 mai 2007, a arrêté le prix d'achat au kilowattheure (
Feed-in-Tariff ou FIT) pour des installations photovoltaïques qualifiées. Il prévoyait un FIT déterminé et attractif pour les 25 premières années d'exploitation desdites installations et un FIT moins élevé pour les années subséquentes. Pour pouvoir vendre l'électricité produite au FIT prévu par ledit décret, les producteurs d'énergie renouvelable devaient s'annoncer auprès de l'autorité compétente dans un délai déterminé. Le RD 661/2007 a connu un succès fulgurant et a réussi à attirer nombre d'investisseurs en quelques mois seulement.
Le décret royal 1578/2008 (ci-après: RD 1578/2008), promulgué le 26 septembre 2008, a introduit de nouveaux paramètres de soutien en faveur des installations photovoltaïques n'ayant pas été enregistrées auprès de l'autorité compétente dans le délai prévu à cet effet par le RD 661/2007. Il prévoyait un FIT réduit sur une période de 25 ans.
La société de droit français A. a acquis et développé, par le truchement de diverses entités espagnoles contrôlées par elle, douze installations photovoltaïques sur le territoire espagnol. Trois d'entre elles étaient initialement soumises au RD 661/2007, tandis que les neuf autres étaient régies par le RD 1578/2008.
Entre 2010 et 2013, le Royaume d'Espagne a modifié les mesures de soutien financier prévues par le RD 661/2007 ainsi que le RD 1578/2008. En 2013 et 2014, il a abrogé lesdits décrets et a adopté un nouvel arsenal législatif visant notamment à remplacer les FIT fixes pour les installations photovoltaïques par une rémunération censée assurer aux investisseurs un taux de rendement raisonnable.
B.a Le 24 février 2016, A., se fondant sur l'art. 26 du Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l'énergie (TCE; RS 0.730.0), a initié une procédure d'arbitrage à l'encontre du Royaume d'Espagne.
Un tribunal arbitral ad hoc, composé de trois membres, a été constitué. Son siège a été fixé à Genève.
En cours de procédure, le défendeur a soulevé l'exception d'incompétence du Tribunal arbitral. Il a notamment fait valoir que celui-ci n'était pas compétent pour connaître d'un différend opposant un
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investisseur sis dans l'un des États membres de l'Union européenne (ci-après: l'UE) à l'un de ces États au sujet d'un investissement réalisé par le premier sur le territoire de ce dernier.
B.b Le 10 novembre 2017, la Commission européenne (ci-après: CE) a rendu une décision au terme de laquelle elle a notamment conclu à la compatibilité avec le droit européen du mécanisme de soutien financier, mis en place par le Royaume d'Espagne dans sa réglementation adoptée en 2013 et 2014, en vue de promouvoir la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelable.
B.c Par sentence du 11 avril 2023, le Tribunal arbitral a rejeté le motif d'incompétence soulevé par le défendeur en relation avec le caractère intra-européen du litige. Accueillant partiellement la demande, il a considéré, sur le fond, que l'État défendeur avait enfreint l'art. 10 par. 1 TCE car, en adoptant sa nouvelle réglementation en 2013, il avait failli à son devoir d'accorder un traitement loyal et équitable aux investissements de la demanderesse, raison pour laquelle il devait indemniser cette dernière à hauteur de 29'600'000 euros, intérêts en sus.
C. Le 16 mai 2023, le Royaume d'Espagne (ci-après: le recourant) a formé un recours en matière civile aux fins d'obtenir l'annulation de ladite sentence.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.
(résumé)
Extrait des considérants:
4.1 Le recours en matière d'arbitrage international ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de manière exhaustive à l'
art. 190 al. 2 LDIP. Le Tribunal fédéral n'examine que les griefs qui ont été invoqués et motivés conformément à l'
art. 77 al. 3 LTF. Cette disposition institue le principe d'allégation (
Rügeprinzip) et consacre une obligation analogue à celle que prévoit l'
art. 106 al. 2 LTF pour le grief tiré de la violation de droits fondamentaux ou de dispositions de droit cantonal et intercantonal (
ATF 134 III 186 consid. 5). Les exigences de motivation du recours en matière d'arbitrage sont accrues. La partie recourante doit donc invoquer l'un des motifs de recours énoncés limitativement et montrer par une argumentation précise, en partant de la sentence attaquée, en quoi le motif invoqué justifie l'admission du recours (arrêts 4A_7/2019 du 21 mars
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2019 consid. 2; 4A_378/2015 du 22 septembre 2015 consid. 3.1). Les critiques appellatoires sont irrecevables (arrêt 4A_65/2018 du 11 décembre 2018 consid. 2.2). Comme la motivation doit être contenue dans l'acte de recours, la partie recourante ne saurait user du procédé consistant à prier le Tribunal fédéral de bien vouloir se référer aux allégués, preuves et offres de preuve contenus dans les écritures versées au dossier de l'arbitrage. De même, la partie recourante ne peut pas se servir de la réplique pour invoquer des moyens, de fait ou de droit, qu'elle n'a pas présentés en temps utile, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de recours non prolongeable (
art. 100 al. 1 LTF en liaison avec l'
art. 47 al. 1 LTF) ou pour compléter, hors délai, une motivation insuffisante (arrêt 4A_478/2017 du 2 mai 2018 consid. 2.2 et les références citées).
7.6.3 La convention d'arbitrage résulte en l'occurrence d'un mécanisme particulier puisque son point d'ancrage se situe directement dans un traité multilatéral signé par des États pour la protection des investissements, traité dont l'art. 26 prévoit notamment le recours à l'arbitrage pour régler les différends relatifs aux prétendues violations de ses clauses matérielles (appelées aussi substantielles). La pratique arbitrale assimile pareille disposition à une offre de chacun des États contractants de résoudre par l'arbitrage les litiges qui pourraient l'opposer aux investisseurs (non parties au traité) des autres États contractants. La convention d'arbitrage n'est conclue qu'au moment où l'investisseur accepte l'offre de l'État, ce qu'il fera le plus souvent par l'acte concluant que constitue le dépôt d'une requête d'arbitrage. Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser que le mécanisme particulier visé par l'art. 26 TCE constitue une convention d'arbitrage formellement valable (
ATF 149 III 131 consid. 6.4.3;
ATF 141 III 495 consid. 3.4.2; cf. aussi KAJ HÓBER, The Energy Charter Treaty, A commentary, 2020, p. 400).
7.6.4 En l'espèce, l'investisseur, société ayant son siège dans un État partie au TCE (la France), se fondant sur l'art. 26 par. 2 point c) et par. 4 point b) TCE, a choisi de soumettre le différend qui l'oppose à l'État recourant à un tribunal ad hoc dont le siège a été fixé en Suisse. En introduisant, le 24 février 2016, une requête d'arbitrage contre le recourant, partie au TCE, il a ainsi accepté l'offre inconditionnelle de cet État, selon l'art. 26 par. 3 point a) TCE, de soumettre leur différend à une procédure d'arbitrage. Dès lors, à la date du 24 février 2016, une convention d'arbitrage est formellement venue à
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chef entre l'investisseur français et l'État recourant sur le territoire duquel les investissements litigieux ont été effectués.
Le recourant objecte toutefois que la convention d'arbitrage issue de ce mécanisme singulier n'a pas été valablement conclue. À cet égard, il soutient, en substance, que l'offre d'arbitrage inconditionnelle, ancrée à l'art. 26 par. 3 point a) TCE, ne s'appliquerait pas aux litiges intra-européens, respectivement que le droit de l'UE lui interdisait de consentir à un règlement par voie d'arbitrage de tels différends lorsque l'intimée a introduit la présente procédure d'arbitrage. Comme l'existence d'une convention d'arbitrage valable est une condition sine qua non de la compétence du tribunal arbitral, il convient de déterminer, dans un premier temps, si l'interprétation du TCE conduit à retenir que l'offre d'arbitrage prévue par l'art. 26 dudit traité ne vise en réalité pas les litiges intra-européens. Le cas échéant, il y aura lieu, dans un second temps, d'examiner si la validité du consentement à l'arbitrage exprimé à l'art. 26 TCE serait susceptible d'être remise en cause par le droit de l'UE, à supposer que celui-ci prime les règles du TCE dans les rapports entre les États membres de l'UE.
7.6.5 Avant d'examiner ces questions, le Tribunal fédéral juge utile de rappeler que le présent litige s'inscrit dans le contexte plus large de la licéité même du recours à l'arbitrage d'investissement, au sein de l'UE, pour régler des différends présentant un caractère intra-européen. Depuis plusieurs années, les organes de l'UE mènent, en effet, une croisade contre de tels arbitrages internationaux (cf. MALIK LAAZOUZI, Le crépuscule de l'arbitrage d'investissement intra-européen, Revue de l'Arbitrage 2022/4 p. 1609 ss; CLAIRE DEBOURG, La portée de la jurisprudence Achmea/PL Holdings: exclusion de l'arbitrage commercial, Revue de l'Arbitrage 2023/3 p. 633 ss).
Sur le plan juridictionnel, la Cour de justice de l'UE (ci-après: la CJUE), dans son arrêt rendu le 6 mars 2018 dans l'affaire C-284/16
Achmea contre Slovaquie (ci-après: l'affaire
Achmea ) a ainsi jugé contraire au droit de l'UE une clause d'arbitrage insérée dans un traité bilatéral d'investissement conclu par deux États membres de l'UE. Elle a confirmé ce point de vue pour les traités multilatéraux d'investissement en considérant, dans la décision qu'elle a prononcée le 2 septembre 2021 dans la cause C-741/19
Komstroy LLC contre
Moldavie (ci-après: l'affaire
Komstroy ), que "l'article 26, paragraphe 2,sous c), du TCE doit être interprété en ce sens qu'il n'est
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pas applicable aux différends opposant un État membre à un investisseur d'un autre État membre au sujet d'un investissement réalisé parce dernier dans le premier État membre". Semblable conclusion a été rendue sous la forme d'un
obiter dictum, la question principale posée par la juridiction de renvoi étant tout autre (i.e. l'existence d'un investissement). Pour aboutir à cette solution, la CJUE a mis l'accent sur l'exigence de préservation de l'autonomie et du caractère propre du droit de l'UE, sans nullement tenir compte du droit international ni des règles d'interprétation des traités.
Pour cette raison notamment, la décision en question a été vivement critiquée par nombre de commentateurs (LAVRANOS/LATH/VARMA, The Meltdown of the Energy Charter Treaty [ECT]: How the ECT was ruined by the EU and its Member States, SchiedsVZ German Arbitration Journal 21/1 p. 42 s.;GIULIA WOLFF, The Impact of the CJEU's Komstroy Decision on Investor-State Arbitration, SchiedsVZ German Arbitration Journal 21/5 p. 283 ss; JÉRÉMY JOURDAN-MARQUES, Chronique d'arbitrage: après Komstroy, Londres rit et Paris pleure, Dalloz Actualité, 17 septembre 2021; ALAN DASHWOOD, Republic of Moldova v Komstroy LCC: Arbitration under Article 26 ECT outlawed in Intra-EU Disputes by Obiter Dictum, in European Law Review 2022 p. 136 s.; PASCHALIS PASCHALIDIS, From Achmea to PL Holdings, Republic of Moldova, and Opinion 1/20: The End of Intra-EU Investment Treaty Arbitration, Sarmiento et al. [éd.], inYearbook on Procedural Law of the Court of Justice of the European Union, 4e éd. 2022, p. 60; le même, Intra-EU Application of the Energy Charter Treaty: A Critical Analysis of the CJEU's Ruling in Republic of Moldova, European Investment Law and Arbitration 2022/1 p. 14 ss; EBERT/WEYLAND, Weitere Rechtsschutzdefizite in der EU?, Recht der Internationalen Wirtschaft 2022 p. 23 s.; RAYYAN EL ISSA, La place contestée de l'arbitrage international en droit de l'investissement, 2023, n. 225 ss; WILSKE/EBERT/RUSCH, The View From Europe: What's New in European Arbitration?, in Dispute Resolution Journal, AAA-ICDR, 2022 p. 83; CRISTIAN GALLORINI, The Termination of Intra-EU Investor-state Arbitration and the Enforceability of Intra-EU Awards in The United States District Courts, ELTE Law Journal 2022/1 p. 35).
La CJUE a également souligné que la fixation du siège de l'arbitrage sur le territoire d'un État membre de l'UE entraînait l'application du droit de l'UE dont les juridictions nationales ont l'obligation d'assurer le respect. Une telle obligation ne s'impose pas aux tribunaux des
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États ne faisant pas partie de l'UE, telle la Suisse, le droit de l'UE étant une
res inter alios acta pour ces États (VOSER/NESSI, The Consequences of Achmea on Arbitrations Seated in Switzerland, Stanic/ Baltag [éd.], in The Future of Investment Treaty Arbitration in theEU: Intra-EU BITs, the Energy Charter Treaty, and the Multilateral Investment Court, 2020, p. 117 s.; WOLFF, op. cit., p. 287). Les États non membres de l'UE ne peuvent au demeurant pas soumettre à la CJUE une question préjudicielle touchant l'interprétation du droit de l'UE, comme pourrait le faire la juridiction d'un État membre de l'UE saisie d'un recours visant une sentence rendue par un tribunal arbitral ayant son siège dans cet État. Il s'ensuit que les décisions rendues par la CJUE, et singulièrement l'arrêt rendu dans l'affaire
Komstroy, ne lient pas le juge étatique appelé à statuer sur un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral siégeant en Suisse (cf. dans le même sens: VOSER/NESSI, op. cit., p. 123; WOLFF, op. cit., p. 287; LAAZOUZI/LEMAIRE, Chronique de jurisprudence arbitrale en droit des investissements, Revue de l'Arbitrage 2019/2 p. 562; WILSKE/EBERT/RUSCH, op. cit., p. 83; JOURDAN-MARQUES, op. cit.).
Il est vrai que, selon la jurisprudence (cf.
ATF 142 III 296 consid. 2.2), le Tribunal fédéral, lorsqu'il est appelé - dans le cadre de son libre pouvoir d'examen en droit de la compétence du tribunal arbitral - à examiner des questions relevant du droit étranger, se rallie en principe, à défaut d'avis majoritaire exprimé sur le point litigieux et en cas de controverse entre la doctrine et la jurisprudence, à l'opinion émise par la juridiction suprême du pays ayant édicté ladite règle. Cette règle prétorienne, qui peut toutefois souffrir des exceptions, est sans doute pertinente lorsque le Tribunal fédéral doit résoudre une question préjudicielle ponctuelle ressortissant au droit étranger, car la cour suprême de l'État en question est sans conteste mieux à même d'en préciser la nature et la portée. Elle l'est moins lorsqu'il s'agit de déterminer si les règles adoptées par une communauté d'États, telle l'UE, doivent l'emporter sur celles qui découlent d'un traité international multilatéral, à l'instar du TCE, liant ladite communauté, des États membres de celle-ci et des États tiers. Il faut en effet bien voir que, dans un tel cas, la problématique juridique ne se résume pas à apprécier la portée d'une norme de droit étranger mais à examiner la relation juridique existant entre les règles ancrées dans divers instruments présentant un caractère international. Or, en présence d'un conflit entre de telles règles, il se
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peut que l'autorité judiciaire mise en place par ladite communauté d'États soit tentée, comme dans l'affaire
Komstroy, d'affirmer la primauté de son droit sur celui issu de cet autre accord international, donnant ainsi à sa décision le caractère d'un plaidoyer
pro domo. Par conséquent, la Cour de céans n'accordera pas de valeur particulière à l'arrêt rendu par la CJUE dans l'affaire
Komstroy mais s'attachera, au contraire, à rechercher elle-même le sens et la portée de l'art. 26 TCE et, à déterminer, le cas échéant, si le droit de l'UE peut effectivement remettre en cause la validité du consentement donné par l'État recourant à la mise en oeuvre d'un arbitrage pour régler le différend qui l'oppose à l'intimée.
7.7.1 Comme tout traité, le TCE doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (art. 31 par. 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111; ci-après: CV]). Au demeurant, le principe de la bonne foi est intimement lié à la règle de l'effet utile, même si cette dernière n'apparaît pas expressément à l'
art. 31 CV. L'interprète doit donc choisir, entre plusieurs significations possibles, celle qui permet l'application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant toutefois d'aboutir à une signification en contradiction avec la lettre ou l'esprit du traité (
ATF 141 III 495 consid. 3.5.1 et la référence citée).
En vertu de l'art. 26 par. 3 point a) TCE, "chaque partie contractante donne son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à une procédure d'arbitrage", sous réserve des cas visés par l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE. Interprété de bonne foi, le terme "inconditionnel" signifie que le consentement à l'arbitrage est exprimé sans la moindre réserve et qu'il ne connaît ainsi aucune limite. Un tel consentement a une portée générale, puisqu'il vise la soumission de "
tout différend" à la voie de l'arbitrage. L'expression "sous réserve", figurant à l'art. 26 par. 3 point a)
in initio TCE, indique certes qu'il existe des exceptions au consentement inconditionnel à l'arbitrage, mais celles-ci sont énumérées de manière exhaustive et concernent uniquement les cas visés par l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE, ainsi que cela ressort du texte de la disposition topique. La lettre claire de l'art. 26 par. 3 point a) TCE laisse ainsi apparaître que l'État recourant, lié par ledit traité, a donné son consentement inconditionnel à ce qu'un investisseur sis dans un autre État partie
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au TCE, telle l'intimée, puisse soumettre à la voie de l'arbitrage tout différend au sujet d'un investissement réalisé sur son territoire et portant sur un manquement allégué à une obligation visé par la partie III du TCE, sous réserve des exceptions mentionnées à l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE. Aucun élément du texte de l'art. 26 TCE ne permet ainsi de déduire que la portée du "consentement inconditionnel" à l'arbitrage connaîtrait d'autres limites et ne viserait en réalité pas les litiges présentant un caractère intra-européen (SULLIVAN/INGLE, Arbitration under the Energy Charter Treaty: the relevance of EU Law, Mata Dona/Lavranos [éd.], in International Arbitration and EU Law, 2021, p. 323; cf. dans le même sens:
Vattenfall et al.
contre Allemagne, CIRDI n° ARB/12/12, sentence du 31 août 2018, n. 182 s. et les références citées;
Ekosol S.p.A. contre Italie, CIRDI n° ARB/15/50, sentence du 7 mai 2019, n. 85;
Mercuria Energy
Group Limited contre Pologne, SCC n° V 2019/126, sentence du 29 décembre 2022, n. 384). Pareille solution ne pourrait ainsi être retenue que sur la base des autres critères d'interprétation prévus par l'
art. 31 CV.
À ce stade du raisonnement, il sied de relever que l'État recourant est une partie contractante selon l'art. 1 ch. 2 TCE, que l'intimée revêt la qualité d'investisseur au regard de l'art. 1 ch. 7 et que le litige divisant les parties concerne un investissement au sens de l'art. 1 ch. 6 TCE et porte sur un manquement allégué à une obligation figurant dans le titre III dudit traité. Les conditions prévues par l'art. 26 par. 1 TCE sont ainsi remplies. Les parties ne contestent pas davantage que les exceptions visées par l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE n'entrent pas en ligne de compte en l'espèce.
7.7.2 Pour asseoir sa position selon laquelle le consentement inconditionnel à l'arbitrage au sens de l'art. 26 par. 3 point a) TCE ne vaudrait pas pour les litiges intra-européens, le recourant se réfère à d'autres dispositions dudit traité. À l'en croire, la lecture combinée de l'art. 1 ch. 3 et ch. 10 TCE ainsi que de l'art. 25 TCE établirait l'existence d'un régime juridique autonome, à l'intérieur du TCE, propre aux États membres de l'UE. Le recourant soutient, en effet, que le texte même du TCE réserverait un domaine de compétences transférées à l'UE et reconnaîtrait la primauté du droit de l'UE sur le TCE. À son avis, les compétences transférées échapperaient ainsi au champ d'application du TCE et l'UE serait seule compétente pour fixer les règles applicables dans les domaines concernés et en contrôler l'application par le truchement de la CJUE. Tel serait notamment
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le cas dans le secteur du marché intérieur de l'électricité et des investissements directs étrangers.
Semblable argumentation n'emporte point la conviction de la Cour de céans. L'art. 1 ch. 3 TCE définit ce qu'est une Organisation d'intégration économique régionale (ci-après: OIER), laquelle vise toute organisation constituée par des États à laquelle ils ont transféré des compétences dans des domaines déterminés, dont certains sont régis par le présent traité, y compris le pouvoir de prendre des décisions qui les lient dans ces domaines. Quant à l'art. 1 ch. 10 TCE, il ne fait que préciser que la "zone" d'une OIER recouvre la zone des États membres d'une telle organisation. Contrairement à ce que prétend le recourant, ces deux définitions ne permettent pas de retenir que les compétences transférées par certains États à une OIER, soit en l'occurrence l'UE, sortiraient du champ d'application du TCE et que les domaines concernés obéiraient exclusivement aux règles du droit de l'UE (cf. dans le même sens: Vattenfall et al. contre Allemagne, op. cit., n. 180). Que des États parties au TCE aient décidé de transférer certains domaines de compétences à l'UE ne signifie en effet pas qu'ils ne seraient plus liés par les dispositions d'un traité international qu'ils ont ratifié, y compris dans les relations entre les États membres de l'UE. Quant à la notion de la zone d'une OIER définie à l'art. 1 ch. 10 TCE, elle ne permet nullement de conclure à l'existence d'un espace juridique autonome au sein même du TCE qui serait soumis exclusivement au droit de l'UE (cf. dans le même sens: Vattenfall et al. contre Allemagne, op. cit., n. 180).
S'agissant de l'art. 25 TCE, celui-ci prévoit, à son premier paragraphe, que les dispositions dudit traité ne doivent pas être interprétées comme obligeant une partie contractante qui est partie à un accord d'intégration économique (ci-après: AIE) à étendre, sous le couvert du traitement de la nation la plus favorisée, à une autre partie contractante qui n'est pas partie à cet AIE, un traitement préférentiel applicable entre les parties à cet AIE en raison du fait qu'elles sont parties à cet AIE. Il appert ainsi que les États membres de l'UE - qui sont liés par un AIE au sens de l'art. 25 par. 2 TCE - ne sont pas tenus d'accorder à des États tiers les prérogatives résultant d'un tel accord. Ainsi, à titre d'exemple, les États membres de l'UE ne sont pas tenus d'étendre les droits de libre circulation en vigueur sur le territoire de l'UE à des investisseurs provenant d'États tiers. L'art. 25 TCE ne permet en revanche pas de retenir que les diverses garanties matérielles prévues par le TCE ne s'appliqueraient pas dans les
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litiges intra-européens ni que la clause d'arbitrage ancrée à l'art. 26 TCE serait inopérante pour résoudre de tels différends. Une telle lecture ne trouve en effet aucune assise dans le texte de l'art. 25 TCE. En réalité, cette disposition démontre simplement que l'UE et ses États membres ont décidé, lors des négociations entourant la conclusion du TCE, d'insérer dans ledit traité certaines règles visant expressément à délimiter les contours et la portée de dispositions précises du TCE, à l'instar de la clause du traitement de la nation la plus favorisée en lien avec un AIE (cf. dans le même sens:
Ekosol S.p.A. contre Italie, op. cit., n. 95).
Cela étant, si l'UE et ses États membres entendaient réellement restreindre l'application d'autres règles du TCE dans leurs rapports mutuels, respectivement limiter la portée de leur consentement inconditionnel aux seules procédures d'arbitrage introduites par des investisseurs issus d'États tiers, pareille intention aurait pu et dû être exprimée clairement dans le texte du TCE finalement adopté, ce qui n'a pas été le cas (cf. dans le même sens: Vattenfall et al., op. cit., n. 202). Ceci est d'autant plus vrai que l'UE, avant de conclure le TCE, avait déjà inséré, à plusieurs reprises, dans des traités multilatéraux, des clauses de déconnexion autorisant les États membres de l'UE à ne pas appliquer les règles d'un tel traité dans leurs relations mutuelles (cf. dans le même sens: Vattenfall et al., op. cit., n. 203; Ekosol S.p.A. contre Italie, op. cit., n. 92). Or, en l'occurrence, force est de constater qu'une telle clause de déconnexion n'a pas été introduite dans le TCE.
7.7.3 L'
art. 31 par. 1 CV commande également de tenir compte de l'objet et du but du traité. Selon l'art. 2 TCE, intitulé "Objet du traité", celui-ci vise à établir un cadre juridique destiné à promouvoir la coopération à long terme dans le domaine de l'énergie, et fondé sur la complémentarité et les avantages mutuels, conformément aux objectifs et aux principes de la Charte européenne de l'énergie, signée le 17 décembre 1991, laquelle insistait déjà sur la nécessité pour les États signataires d'offrir un cadre juridique à la fois stable et transparent afin d'encourager le flux international d'investissements. Le TCE tend ainsi à promouvoir la coopération et les flux d'investissements internationaux en matière d'énergie - sans opérer de distinction au niveau géographique quant à l'origine des investisseurs - afin de servir la cause ultime de la sécurité énergétique. Accorder aux investisseurs sis dans un État membre de l'UE le droit d'initier une procédure d'arbitrage à l'encontre d'un autre État membre concourt
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sans nul doute à la réalisation d'un tel objectif et se révèle conforme à l'esprit du TCE. En revanche, priver les investisseurs concernés d'une telle faculté serait contre-productif dans l'optique de favoriser les flux d'investissements internationaux (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre Allemagne, op. cit., n. 198;
Mercuria contre
Pologne, op. cit., n. 393). Ceci est d'autant plus vrai que l'art. 16 TCE, lequel règle la relation entre ledit traité et d'autres accords internationaux, vise à garantir aux investisseurs le droit d'exiger un règlement du différend qui leur soit le plus favorable.
7.7.4 Afin d'étayer sa thèse selon laquelle le consentement inconditionnel à l'arbitrage exprimé à l'art. 26 par. 3 point a) TCE serait inopérant dans les litiges intra-européens, le recourant fait grand cas de la Déclaration des Communautés européennes du 16 décembre 1997 faite en application de l'art. 26 par. 3 point b) ii) TCE (ci-après: la Déclaration de 1997), laquelle a la teneur suivante:
"Les Communautés européennes, en leur qualité de partie contractante au traité sur la Charte de l'énergie, font la déclaration suivante concernant leurs politiques, pratiques et conditions relatives aux différends entre un investisseur et une partie contractante et à la soumission des différends à une procédure d'arbitrage ou de conciliation internationale:
«Les Communautés européennes sont une organisation d'intégration économique régionale au sens du traité sur la Charte de l'énergie. Elles exercent les compétences qui leur sont transférées par leurs États membres par l'intermédiaire d'institutions autonomes dotées d'un pouvoir de décisionet d'un pouvoir judiciaire.
Les Communautés européennes, d'une part, et leurs États membres, d'autre part, ont signé le traité sur la Charte de l'énergie et doivent donc répondre au niveau international de l'exécution des obligations qui y figurent, selon leurs compétences respectives.
Si nécessaire, les Communautés et les États membres concernés détermineront lequel d'entre eux est la partie défenderesse dans une procédure d'arbitrage engagée par un investisseur ou par une autre partie contractante. Le cas échéant, à la demande de l'investisseur, les Communautés et les États membres concernés procéderont à cette désignation dans un délai de trente jours.
La Cour de justice des Communautés européennes, en tant qu'organe judiciaire des Communautés, est compétente pour connaître de toute question liée à l'application et à l'interprétation des traités fondateurs et des actes adoptés en application de ceux-ci, y compris des accords internationaux conclus par les Communautés, qui peuvent être invoqués devant elle sous certaines conditions.
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Toute affaire soumise à la Cour de justice des Communautés européennes par un investisseur ou une autre partie contractante conformément aux possibilités de recours prévues par les traités fondateurs des Communautés relève de l'article 26, paragraphe 2, point a), du traité sur la Charte de l'énergie. Étant donné que le système juridique des Communautés prévoit la procédure applicable à une telle action, les Communautés européennes n'ont pas donné leur accord inconditionnel à la soumission d'un différend à une procédure d'arbitrage ou de conciliation internationale. [...]»" (passage mis en gras par le recourant).
Contrairement à ce qu'affirme le recourant, ce document ne lui est d'aucun secours. Il ressort, premièrement, de l'intitulé même de la déclaration en question que celle-ci a été formulée sur la base de l'art. 26 par. 3 point b) ii) TCE, raison pour laquelle elle revêt une portée circonscrite au cas particulier visé par cette disposition. À cet égard, il sied de rappeler que l'art. 26 par. 3 point b) i) TCE dispose que les parties contractantes énumérées à l'annexe ID n'ont pas donné leur consentement inconditionnel à l'arbitrage dans l'hypothèse où l'investisseur a, au préalable, soumis le différend à une autre autorité juridictionnelle visée par l'art. 26 par. 2 points a) et b) TCE (clause de "fork-in-the-road"). Les Communautés Européennes, devenues par la suite l'UE, figurent dans l'annexe ID. L'art. 26 par. 3 point b) ii) TCE prévoit que, pour des raisons de transparence, chaque partie contractante listée dans l'annexe ID communique par écrit ses politiques, pratiques et conditions en la matière. Force est ainsi de constater que la Déclaration de 1997 ne revêt qu'une portée limitée à la clause de "fork-in-the-road".
Deuxièmement, contrairement à ce que tente de faire accroire le recourant, la Déclaration de 1997 ne vise que les Communautés européennes, et non pas ses États membres ("les Communautés européennes n'ont pas donné leur accord inconditionnel à la soumission d'un différend à une procédure d'arbitrage"). Elle ne concerne ainsi pas les États membres de l'UE, tel le recourant.
Enfin, troisièmement, il convient de souligner que ledit document n'opère aucune distinction entre les litiges présentant un caractère intra-européen et ceux impliquant un investisseur issu d'un État non membre de l'UE. À aucun moment, il n'est fait mention d'une prétendue compétence exclusive de la Cour de justice des Communautés européennes (désormais la CJUE) pour connaître d'éventuels litiges opposant un État membre de l'UE à un investisseur provenant d'un autre État membre. La Déclaration de 1997 fait d'ailleurs expressément allusion à la possibilité de résoudre d'éventuels
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différends en matière d'investissements par la voie de l'arbitrage, sans jamais préciser qu'une telle procédure serait exclue lorsque le litige revêt un caractère intra-européen (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al., op. cit., n. 189 s.).
7.7.5 Invoquant l'art. 31 par. 3 points a) et b) CV, le recourant estime qu'il convient de tenir compte de la déclaration formulée le 15 janvier 2019 par vingt-deux États membres de l'UE - dont la France et l'État recourant - à propos des "conséquences juridiques de l'arrêt Achmea rendu par la Cour de justice et à la protection des investissements dans l'Union européenne" (ci-après: la Déclaration des 22), laquelle énonce notamment ce qui suit:
" (...)
Le droit de l'Union prime les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres. En conséquence, toutes les clauses d'arbitrage entre investisseurs et États contenues dans les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres sont contraires au droit de l'Union et, de ce fait, inapplicables. Ces clauses (...) ne produisent pas d'effets. Un tribunal arbitral établi sur la base de telles clauses est incompétent, du fait que l'État membre partie au traité bilatéral d'investissement sous-jacent n'a pas présenté une offre d'arbitrage valide.
Par ailleurs, les conventions internationales conclues par l'Union, notamment le traité sur la Charte de l'énergie, font partie intégrante de l'ordre juridique de l'UE et doivent donc être compatibles avec les traités européens. Des tribunaux arbitraux ont jugé que le traité sur la Charte de l'énergie contenait également une clause d'arbitrage entre investisseurs et États applicable entre États membres. Ainsi interprétée, cette clause serait incompatible avec les traités, et son application devrait dès lors être écartée.
(...)
Eu égard aux considérations qui précèdent, les États membres déclarent qu'ils prendront les mesures suivantes dans les meilleurs délais:
1. Par la présente déclaration, les États membres informent les tribunaux d'arbitrage en matière d'investissements des conséquences juridiques de l'arrêt Achmea, telles qu'elles sont exposées dans la présente déclaration, pour toutes les procédures arbitrales pendantes relatives à des investissements intra-UE qui ont été engagées au titre soit de traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres, soit du traité sur la Charte de l'énergie.
2. En concertation avec l'État membre défendeur, l'État membre dans lequel est établi un investisseur ayant engagé ce type de recours prendra les mesures nécessaires pour informer le tribunal d'arbitrage en matière d'investissements concerné des conséquences de cet arrêt. De même, les
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États membres défendeurs demanderont aux juridictions, y compris de pays tiers, qui doivent prononcer une sentence arbitrale relative à des investissements intra-UE, d'annuler ou de ne pas exécuter lesdites sentences en raison de l'absence d'un consentement valide.
3. Par la présente déclaration, les États membres informent la communauté des investisseurs qu'aucune nouvelle procédure d'arbitrage en matière d'investissements intra-UE ne devrait être engagée.
(...)
6. Conformément à l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, du TUE [Traité sur l'UE], les États membres garantiront sous le contrôle de la Cour de justice, une protection juridictionnelle effective contre des mesures d'État qui font l'objet d'une procédure d'arbitrage en matière d'investissements intra-UE encore pendante.
7. Les arrêts et les sentences arbitrales rendus dans des affaires d'arbitrage relatives à des investissements intra-UE qui ne peuvent plus être annulés ni suspendus et qui ont été volontairement respectés ou définitivement exécutés avant l'arrêt Achmea ne devraient pas être contestés. Les États membres examineront, dans le cadre du traité plurilatéral ou de résiliations bilatérales et dans le respect du droit de l'Union, les modalités pratiques à adopter pour ces arrêts et sentences arbitrales. Cette démarche est sans préjudice de l'absence de compétence des tribunaux arbitraux dans les affaires intra-UE pendantes.
(...)
9. Au-delà des mesures concernant le traité sur la Charte de l'énergie fondées sur la présente déclaration, les États membres examineront dans les meilleurs délais avec la Commission si des mesures supplémentaires sont nécessaires pour tirer toutes les conséquences de l'arrêt Achmea en ce qui concerne l'application intra-UE du traité sur la Charte de l'énergie."
Se référant à l'art. 31 par. 3 points a) et b) CV, le recourant soutient que la Déclaration des 22 constituerait un accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du TCE, et singulièrement de la portée de la clause d'arbitrage ancrée à l'art. 26 dudit traité, respectivement une pratique ultérieurement suivie dans l'application du TCE.
Pour les motifs énoncés ci-après, l'intéressé ne saurait être suivi lorsqu'il prétend que les États concernés, en signant ledit document, auraient valablement exclu tout consentement de leur part à l'arbitrage visé par l'art. 26 TCE pour les litiges présentant un caractère intra-européen.
L'art. 31 par. 3 points a) et b) CV requiert un accord ou une pratique des parties au traité. Il est douteux que le sens de termes clairs
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d'un traité multilatéral puisse varier en fonction de l'État impliqué dans un litige, en vertu d'un accord ou d'une pratique adoptés par certains États seulement, et non par toutes les parties contractantes (cf. dans le même sens:
Mercuria contre Pologne, op. cit., n. 409). En l'occurrence, la Déclaration des 22 n'a pas été formulée par toutes les parties au TCE, mais par certains États seulement. Ledit document n'a du reste pas été signé par tous les États membres de l'UE, puisque six d'entre eux ont refusé, au moment de sa rédaction, de qualifier la clause d'arbitrage prévue par le TCE d'incompatible avec le droit de l'UE. Dans ces conditions, on ne saurait
a priori voir dans la Déclaration des 22 un accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du TCE ou de son application au sens de l'art. 31 par. 3 point a) CV, ni une pratique ultérieurement suivie dans l'application dudit traité au regard de l'art. 31 par. 3 point b) CV.
Un examen plus attentif de la Déclaration des 22 confirme en outre que celle-ci ne vise, en réalité, aucunement à interpréter les dispositions du TCE, mais uniquement à préciser les conséquences juridiques résultant de l'arrêt rendu dans l'affaire Achmea, lequel ne concernait nullement le TCE. Ainsi, il s'agit avant tout d'une déclaration d'intention, à des fins politiques, des 22 États concernés lesquels entendaient donner, à l'avenir, une lecture nouvelle à leur consentement inconditionnel à l'arbitrage prévu par le TCE, afin d'écarter les solutions contraires, potentiellement préjudiciables à leurs intérêts, retenues par divers tribunaux arbitraux (cf. dans le même sens: Ekosol S.p.A. contre Italie, op. cit., n. 222 s.). Il ne ressort ainsi pas de la Déclaration des 22 que les États membres de l'UE concernés n'auraient jamais valablement consenti auparavant à ce que des litiges intra-européens puissent être soumis à des tribunaux arbitraux.
En tout état de cause et même à supposer qu'il faille reconnaître une quelconque valeur à la Déclaration des 22 en vertu de l'
art. 31 par. 3 CV, celle-ci ne saurait déployer des effets rétroactifs (cf. dans le même sens:
Ekosol S.p.A. contre Italie, op. cit., n. 226). Autrement dit, l'intimée, qui a initié une procédure d'arbitrage le 24 février 2016 en se fiant de bonne foi à l'offre d'arbitrage formulée de manière inconditionnelle par l'État recourant à l'art. 26 par. 3 point a) TCE, ne saurait se voir dénier le droit de voir sa cause tranchée par un tribunal arbitral sur la base d'un document établi plus de trois ans après l'introduction de la présente procédure. C'est le lieu de
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rappeler ici que le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que, pour apprécier la compétence d'un tribunal arbitral reposant sur l'art. 26 TCE, il convenait, en principe, de se fonder sur la situation juridique prévalant au moment de l'introduction de la procédure d'arbitrage concernée (arrêt 4A_492/2021 du 24 août 2022 consid. 6.4.9, non publié in
ATF 149 III 131).
7.7.6 Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal fédéral considère que l'art. 26 par. 3 point a) TCE, interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, exclut de retenir que le consentement inconditionnel donné par l'État recourant à la soumission de tout différend à une procédure d'arbitrage n'engloberait pas les litiges présentant un caractère intra-européen.
Au vu de ce qui précède, le recours aux moyens complémentaires d'interprétation selon l'art. 32 CV n'est pas nécessaire, dès lors que la seule application des principes d'interprétation posés à l'art. 31 CV ne conduit pas à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. À titre superfétatoire, on relèvera néanmoins que, lors des négociations entourant la signature du TCE, l'UE a tenté d'introduire une clause de déconnexion au sein dudit traité (ROBERT BASEDOW, Moldova v. Komstroy and the Future of Intra-EU Investment Arbitration under the Energy Charter Treaty: What Does the ECT's Negotiating History Tell Us?, Kluwer Arbitration Blog, 24 avril 2021; WOLFF, op. cit., p. 284; SULLIVAN/INGLE, op. cit., p. 325; cf. dans le même sens: Vattenfall et al., op. cit, n. 205; Ekosol S.p.A.
contre Italie, op. cit., n. 93; Mercuria contre Pologne, op. cit., n. 389). Ladite clause n'étant finalement pas venue à chef, ceci constitue un élément supplémentaire plaidant en faveur de la possibilité de soumettre des litiges intra-européens à la voie de l'arbitrage conformément à l'art. 26 par. 3 point a TCE. Ce n'est dès lors certainement pas un hasard si, lors de l'adoption du projet de TCE modernisé en juin 2022, les parties ont souhaité introduire une nouvelle disposition précisant que l'art. 26 TCE ne s'appliquerait pas entre États membres de la même OIER.
7.8 Dans son mémoire de recours, l'intéressé, invoquant l'art. 31 par. 3 point c) CV, reproche encore aux arbitres d'avoir nié toute pertinence aux traités de l'UE. À son avis, les dispositions desdits traités, telles qu'interprétées par la CJUE, seraient en conflit avec l'art. 26 TCE - ces règles ayant le même objet - et elles
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l'emporteraient dans un tel cas, raison pour laquelle elles écarteraient tout consentement à l'arbitrage s'agissant des litiges intra-européens.
Dans sa réplique, le recourant soutient, pour la première fois, que la primauté du droit de l'UE sur le TCE résulterait également des
art. 30 et 41 CV.
7.8.1 Force est d'emblée de relever que l'intéressé, dans son mémoire de recours, s'est borné à soutenir qu'une interprétation "correcte" du TCE au regard de l'
art. 31 CV devait conduire à nier la validité du consentement à l'arbitrage selon l'art. 26 TCE pour les litiges intra-européens, et à prétendre que les traités de l'UE, en tant que "règle[s] pertinente[s] de droit international applicable[s] dans les relations entre les parties" au sens de l'art. 31 par. 3 point c) CV, devaient l'emporter en cas de conflit avec l'art. 26 TCE. À aucun moment, l'intéressé n'a fait la moindre allusion à l'
art. 30 CV, ou à l'
art. 41 CV, pour tenter de justifier la prétendue primauté du droit de l'UE sur le TCE. De son côté, l'intimée n'a pas davantage fait référence à ces dispositions dans sa réponse. Contrairement à ce qu'affirme le recourant, c'est bien lui, et non son adversaire, qui a évoqué la question de la prétendue primauté du droit de l'UE sur le TCE. Il appert ainsi que le recourant, en consacrant, pour la première fois au stade de sa réplique, de longs développements relatifs aux
art. 30 et 41 CV, a formulé de nouvelles considérations juridiques qui auraient pu et dû figurer dans son mémoire de recours (
ATF 150 III 89 consid. 3.1). Ces nouveaux éléments visant à combler les lacunes de son argumentation initiale apparaissent ainsi irrecevables.
7.8.2 En tout état de cause, les arguments avancés par le recourant en vue de démontrer que le droit de l'UE justifierait, en l'occurrence, d'écarter son consentement à l'arbitrage dans les litiges intra-européens n'apparaissent de toute manière pas convaincants.
Le recourant assoit son raisonnement sur la prémisse selon laquelle il existerait un conflit entre l'art. 26 TCE et certaines normes du Traité sur le fonctionnement de l'UE (ci-après: le TFUE). Le Tribunal fédéral n'ignore pas que la CJUE a abouti, dans l'affaire
Komstroy, à la conclusion que l'art. 26 TCE était incompatible avec le droit de l'UE. Il n'est toutefois pas convaincu par le raisonnement adopté par la CJUE dans l'arrêt
Komstroy , puisqu'il se base essentiellement, sinon exclusivement, sur l'exigence de préservation de l'autonomie et du caractère propre du droit de l'UE, sans nullement tenir compte du droit international ni des règles d'interprétation des
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traités. Quoi qu'il en soit, l'arrêt rendu dans l'affaire
Komstroy ne lie pas la Cour de céans, étant donné que l'obligation pour les juridictions nationales des États membres de l'UE de respecter les décisions prises par la CJUE lorsque le siège de l'arbitrage se situe dans l'un de ces États ne s'impose pas aux autorités juridictionnelles sises en dehors de l'UE, telle la Suisse.
Contrairement à ce que prétend le recourant, le Tribunal fédéral considère que l'existence d'un conflit entre l'art. 26 TCE et les traités de l'UE n'est pas établie (cf. dans le même sens: Vattenfall et al., op. cit., n. 212; Mercuria contre Pologne, op. cit., n. 419). Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, l'art. 207 al. 1 TFUE a certes conféré une compétence exclusive à l'UE en matière d'investissements étrangers directs. Cela ne signifie toutefois pas que les normes figurant dans les traités internationaux multilatéraux conclus antérieurement seraient devenues automatiquement contraires au droit de l'UE. Quant à l'art. 267 TFUE, il prévoit certes que la CJUE est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation des traités fondateurs de l'UE (TUE et TFUE) ainsi que sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de l'UE, parmi lesquels figure notamment le TCE, étant donné que ledit traité a aussi été ratifié par l'UE. Il ne ressort toutefois pas de la lettre de l'art. 267 TFUE que la compétence de la CJUE en la matière serait exclusive. Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire Komstroy, la CJUE a du reste elle-même souligné que, selon sa jurisprudence constante, un accord international prévoyant la création d'une juridiction chargée de l'interprétation de ses dispositions et dont les décisions lient les institutions de l'UE, y compris la CJUE, n'est, en principe, pas incompatible avec le droit de l'UE (cf. n. 61). Il appert ainsi que diverses autorités juridictionnelles peuvent en principe coexister au niveau international, y compris au sein de l'UE.
L'art. 344 TFUE ne permet pas davantage de conclure à l'existence d'une incompatibilité entre l'art. 26 TCE et le droit de l'UE. À teneur de cette disposition, les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci. Il résulte de la lettre de cette norme que celle-ci vise les États membres et non pas leurs ressortissants (WOLFF, op. cit., p. 284 et les références citées). De plus, l'art. 344 TFUE dispose uniquement que les États membres de l'UE ne peuvent pas avoir recours à un mode de
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résolution des litiges différent de ceux prévus par les traités; il n'indique, en revanche, nullement que lesdits États ne pourraient pas être attraits devant d'autres autorités juridictionnelles. Enfin et surtout, la disposition vise exclusivement les différends relatifs "à l'interprétation ou à l'application des traités". Or, selon l'art. 1 par. 2 TFUE, la dénomination "les traités" désigne le TUE et le TFUE. Il n'apparaît ainsi pas que l'art. 344 TFUE engloberait également les litiges en matière d'investissements opposant un État membre de l'UE à un investisseur sis dans un autre État membre. Au vu de ce qui précède, il n'est pas possible de conclure à l'existence d'un éventuel conflit entre les normes précitées du TFUE et l'art. 26 TCE.
7.8.3 Quoi qu'il en soit, et même à supposer que l'art. 26 TCE soit effectivement incompatible avec le droit de l'UE, ce qui n'est pas démontré, rien ne permet de retenir, au regard des principes de droit international public, que les règles du TFUE devraient primer celles du TCE.
7.8.3.1 L'art. 31 par. 3 point c) CV commande certes de tenir compte, au moment d'interpréter les règles d'un traité, de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. On peut toutefois d'emblée s'interroger sur le point de savoir si la norme précitée fait uniquement référence aux règles de droit international applicables entre
toutes les parties au traité en question, soit en l'occurrence le TCE, ou si elle englobe aussi les normes liant exclusivement certains États contractants. Quoi qu'il en soit, il ne résulte pas de l'art. 31 par. 3 point c) CV que d'autres engagements internationaux pris par certains États parties au TCE devraient l'emporter en cas de conflit avec les dispositions dudit traité. En effet, les normes d'un traité multilatéral doivent, en principe, être interprétées de la même manière pour toutes les parties contractantes, et non pas recevoir une acception différente suivant les autres accords conclus par certaines d'entre elles, sous peine de nuire à la sécurité du droit (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al., op. cit., n. 156;
Ekosol S.p.A. contre Italie, op. cit., n. 125).
7.8.3.2 Les règles de conflit entre les traités internationaux ancrées à l'
art. 30 CV ne conduisent pas davantage à retenir la primauté du droit de l'UE sur le TCE.
En l'occurrence, le TFUE ne saurait primer le TCE en vertu du principe
lex posterior derogat priori, concrétisé à l'
art. 30 par. 3 CV. D'une part, force est tout d'abord de souligner que les deux
BGE 150 III 280 S. 301
instruments internationaux en question ne portent pas sur la "même matière" au sens de l'
art. 30 CV. Le TCE vise, en effet, à établir un cadre juridique destiné à promouvoir la coopération à long terme dans le domaine de l'énergie. Le TFUE tend lui à organiser le fonctionnement de l'UE et à déterminer les domaines, la délimitation et les modalités d'exercice de ses compétences (cf. art. 1 par. 1 TFUE). Il ne porte ainsi pas sur la promotion et la protection des investissements dans le secteur énergétique. Il ne confère pas davantage de garanties matérielles aux investisseurs dans le domaine concerné. D'autre part, les normes sur lesquelles s'est appuyée la CJUE pour affirmer la primauté du droit de l'UE sur l'art. 26 TCE, soit les art. 267 et 344 TFUE, existaient déjà, sous une autre forme, au moment de la conclusion du TCE. Les dispositions topiques ont en effet été reprises des précédents traités de l'UE, sous une numérotation différente, lors de l'adoption du Traité de Lisbonne (WOLFF, op. cit., p. 285; cf. dans le même sens:
Vattenfall et al., op. cit., n. 218;
Mercuria contre Pologne, op. cit., n. 432).
Il n'est pas davantage possible de retenir que le droit de l'UE occuperait un rang hiérarchiquement supérieur à celui du TCE en vertu de l'art. 30 par. 2 CV. L'application de ladite norme suppose tout d'abord que les deux traités internationaux concernés, soit en l'occurrence le TCE et le TFUE, portent sur la même matière, ce qui n'est pas le cas. Pour que l'art. 30 par. 2 CV puisse trouver application, il faudrait encore que l'un des traités précise qu'il est "subordonné" à l'autre ou mentionne qu'il ne doit pas être considéré comme incompatible avec cet autre traité. Or, à aucun endroit, le TCE ne laisse entendre qu'il serait subordonné à d'autres engagements internationaux pris par les États contractants. Les dispositions du TFUE ne prévoient pas non plus que celui-ci primerait le TCE.
Mais il y a plus. Le TCE contient, en effet, une règle spécifique visant à régler la relation entre ledit traité et un accord international conclu antérieurement ou postérieurement par deux ou plusieurs parties contractantes. L'art. 16 TCE prévoit, ainsi, qu'aucune norme d'un traité international conclu par deux ou plusieurs parties contractantes avant ou après la conclusion du TCE ne peut être interprétée comme dérogeant aux dispositions des parties III ou V du TCE ni au droit d'exiger un règlement du différend concernant ce point conformément au TCE, lorsque de telles dispositions sont plus favorables pour l'investisseur ou l'investissement. Cette règle de conflit
BGE 150 III 280 S. 302
spécifique, adoptée par les parties lors de la signature du TCE, confirme que le droit pour un investisseur de soumettre un différend à un tribunal arbitral conformément à l'art. 26 TCE devait être garanti, nonobstant d'éventuelles conditions moins favorables aux investisseurs pouvant être prévues dans d'autres traités internationaux. Si les parties au TCE avaient réellement souhaité aménager un régime particulier pour les États membres de l'UE, en précisant que le mécanisme de résolution des différends prévu par le droit de l'UE devait primer l'art. 26 TCE, elles auraient pu et dû le mentionner explicitement dans le texte du TCE. Les parties ne l'ayant pas fait, l'art. 16 TCE permet d'aboutir à la conclusion que l'art. 26 TCE prime le mode de résolution des différends prévu par le TFUE, l'investisseur concerné bénéficiant ainsi de la possibilité de soumettre le litige l'opposant à un État membre de l'UE à l'autorité juridictionnelle de son choix (juridictions étatiques ou tribunaux arbitraux).
7.8.3.3 Le recourant ne peut pas davantage être suivi lorsque, invoquant l'
art. 41 CV, il prétend que les États membres de l'UE auraient conclu un accord ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles seulement.
La première hypothèse visée par l'art. 41 point a) CV est celle où la possibilité d'une modification serait prévue par le TCE. Or, contrairement à ce que prétend le recourant, ledit traité ne réserve nullement une telle option, l'art. 1 ch. 3 TCE, dont l'intéressé fait grand cas, ne faisant que définir ce qu'est une OIER. Rien ne permet ainsi d'admettre que le TCE octroierait aux États membres d'une OIER la faculté d'adopter un régime spécial dans leurs relations mutuelles, dérogeant aux dispositions du TCE.
La seconde hypothèse concerne le cas où une telle modification n'est pas interdite par le traité multilatéral concerné. Selon l'art. 41 par. 1 point b) CV, un accord, conclu par deux ou plusieurs parties à un traité multilatéral ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles seulement, n'est alors possible que si les conditions cumulatives suivantes sont remplies:
- la modification en question ne porte atteinte ni à la jouissance par les autres parties des droits qu'elles tiennent du traité ni à l'exécution de leurs obligations (point i); et
- ladite modification ne porte pas sur une disposition à laquelle il ne peut être dérogé sans qu'il y ait incompatibilité avec la réalisation effective de l'objet et du but du traité pris dans son ensemble (point ii).
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En l'occurrence, ces conditions ne sont pas remplies, puisque les dispositions du TFUE sur lesquelles se fonde le recourant pour exclure la possibilité de soumettre un différend à la voie de l'arbitrage sur la base de l'art. 26 TCE contreviennent à l'art. 16 TCE. Aussi n'est-il pas possible d'admettre que le fait d'écarter l'application de l'art. 26 TCE en présence de litiges présentant un caractère intra-européen serait compatible avec la réalisation effective de l'objet et du but dudit traité, étant donné que l'art. 16 TCE prévoit, en substance, qu'aucune disposition d'un autre traité international ne peut être interprétée comme dérogeant au droit d'exiger un règlement du différend conformément à l'art. 26 TCE (cf. dans le même sens: Vattenfall et al., op. cit., n. 221; Ekosol S.p.A. contre Italie, op. cit., n. 151). Comme le souligne du reste l'intimée dans sa duplique, le Secrétariat Général de la Charte de l'énergie a clairement indiqué, dans un courrier du 13 février 2023 adressé au Parlement de l'UE, qu'un accord inter se entre les États membres de l'UE, excluant l'application du TCE dans leurs relations mutuelles, serait contraire à l'art. 16 TCE.
7.8.4 Au vu de ce qui précède, les critiques formulées par le recourant au soutien de son grief d'incompétence du Tribunal arbitral ne peuvent qu'être rejetées dans la mesure de leur recevabilité.