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Chapeau

17602/91


Thomann c. Suisse
17602/91, 10 juin 1996

Regeste

SUISSE: Art. 6 par. 1 CEDH. Impartialité de juges ayant statué par défaut, puis rejugé en procédure ordinaire.

Comme l'a expliqué le Tribunal fédéral, les juges qui réexaminent en présence de l'intéressé une affaire qu'ils ont d'abord jugée par défaut, reprennent à son point de départ l'ensemble de l'affaire, sans être liés par leur première décision; toutes les questions soulevées restent ouvertes et font l'objet d'un débat contradictoire à la lumière de l'information plus complète que peut fournir la comparution personnelle de l'accusé. C'est aussi ce qui s'est passé en l'espèce.
Du reste, si une juridiction devait modifier sa composition chaque fois qu'elle fait droit à la demande de relief d'un condamné absent, celui-ci serait avantagé par rapport aux prévenus qui comparaissent dès l'ouverture de leur procès; en outre, le travail de la justice en serait ralenti, ce qui paraît peu compatible avec le respect du "délai raisonnable" (ch. 35 et 36).
Conclusion: non-violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.





Faits

En l'affaire Thomann c. Suisse , [1]
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention (art. 43) de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A [2], en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Gölcüklü,
C. Russo,
J. De Meyer,
M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,
J. Makarczyk,
P. Jambrek,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 janvier et 21 mai 1996,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 12 avril 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 17602/91) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Martin Thomann, avait saisi la Commission le 5 décembre 1990 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 5 mai 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, F. Gölcüklü, C. Russo, J. De Meyer, M.A. Lopes Rocha, J. Makarczyk et P. Jambrek, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement suisse ("le Gouvernement"), l'avocate du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le 2 novembre 1995 les mémoires du Gouvernement et du requérant. Les 24 novembre 1995 et 4 janvier 1996, la Commission lui a fourni diverses pièces qu'il lui avait demandées sur les instructions du président.
5. Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 24 janvier 1996 au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. P. Boillat, chef de la section du droit européen et des affaires internationales,
Office fédéral de la justice, agent,
M. F. Schürmann, section du droit européen et des affaires internationales,
Office fédéral de la justice, conseiller;
- pour la Commission
M. M.P. Pellonpää, délégué;
- pour le requérant
Me B. Pauen, avocate, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Pellonpää, Me Pauen et M. Boillat.
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
6. Citoyen suisse né en 1949, M. Martin Thomann réside à Zurich.
A. La procédure par défaut
7. Le 13 décembre 1988, le parquet du canton de Bâle-Ville le mit en accusation (Anklageerhebung) du chef de récidive d'escroquerie qualifiée et tentative (wiederholter und fortgesetzter, vollendeter und versuchter, teils gewerbsmäßiger Betrug), de banqueroute simple (leichtsinniger Konkurs) et d'absence de comptabilité (Unterlassung der Buchführung).
8. Le tribunal pénal (Strafgericht) du canton décida de tenir audience dans cette affaire du 10 au 17 mai 1989. Toutefois, la citation à comparaître (Vorladung zur Verhandlung) ne put être remise au requérant, car il avait quitté son domicile sans laisser d'adresse. Un mandat d'arrêt fut dès lors décerné; il précisait que les débats pourraient avoir lieu à tout moment, même en l'absence de l'intéressé.
9. Composé des juges Metzener, Becht-Gutmann et Memminger, le tribunal siégea du 10 au 17 mai 1989, en l'absence de M. Thomann. Celui-ci fut arrêté le 16 mai 1989 et assista le 17 au prononcé du jugement le condamnant à deux ans et demi d'emprisonnement et à une amende de cinq cents francs suisses pour escroquerie et tentative dans l'exercice de la profession (gewerbsmäßiger Betrug), banqueroute simple et absence de comptabilité.
B. La procédure en révision
10. Le requérant demanda aussitôt la révision de son procès (paragraphe 24 ci-dessous). Le tribunal y fit droit et décida en conséquence de ne pas motiver par écrit son jugement par défaut (Kontumazurteil). Il engagea par la suite la procédure ordinaire et fixa une nouvelle audience au 30 octobre 1989.
11. Ayant appris que le siège du tribunal pénal serait identique à celui qui l'avait condamné par défaut, M. Thomann formula, le 29 juin 1989, une demande de récusation (Ausstandsbegehren wegen Befangenheit) contre ses trois membres, qui refusèrent le 22 août de l'accueillir.
Sur recours (Beschwerde) de l'intéressé, la cour d'appel (Appellationsgericht) du canton annula cette décision le 5 octobre et ordonna qu'il fût statué sur la demande en l'absence des juges récusés. Composé des juges Kunz, Stephenson et Stamm, le tribunal la rejeta le 25 octobre.
12. Invoquant les articles 58 de la Constitution fédérale et 6 par. 1 de la Convention européenne (art. 6-1), le requérant saisit derechef la cour du canton, qui écarta l'appel (Beschwerde) le 14 novembre 1989.
Selon elle, la révision au sens de l'article 267 par. 2 du code de procédure pénale (paragraphe 24 ci-dessous) ne s'analyse pas en une véritable voie de recours, mais en une restitution (Restitution) qui a pour seul effet d'annuler un jugement par défaut et d'ouvrir une procédure ordinaire (gewöhnliches Verfahren) qui mène à un nouveau jugement remplaçant le premier. En l'absence de dispositions légales sur ce point, la pratique confie au magistrat qui a rendu le premier jugement le soin de traiter la demande en révision et de siéger dans la procédure ordinaire. Cela se comprend par la circonstance que la révision n'implique ni l'exercice de fonctions différentes de celles exercées par le premier juge ni une critique de sa décision: elle vise uniquement à compléter les éléments de fait sur lesquels son jugement se trouve fondé. Dans ces conditions, on ne saurait guère craindre un manque d'impartialité de sa part quand il rejuge l'affaire.
Du reste, les magistrats statuant par défaut sont parfaitement conscients que leurs décisions sont sujettes à révision. En l'espèce, le jugement censuré est issu d'un collège de trois juges - ce qui a déjà réduit les risques de manquements au devoir d'impartialité - qui, de surcroît, ont consenti à annuler leur propre décision, montrant ainsi qu'à leurs yeux, M. Thomann ne devait pas pâtir de son absence à la première audience.
13. Le 2 mai 1990, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public (staatsrechtliche Beschwerde) introduit par l'intéressé.
Rappelant sa jurisprudence en la matière, la haute juridiction considéra notamment que les membres d'un collège de trois juges siégeant dans une procédure ordinaire ne perdaient pas leur impartialité par cela seul qu'ils ont déjà statué par défaut dans la même affaire, pourvu que l'issue de celle-ci paraisse toujours ouverte et non prédéterminée (Anschein der Vorbestimmtheit). Pour s'en assurer, il convient de tenir compte des éléments de fait et de procédure entourant les instances respectives.
Vu l'importance de la comparution personnelle devant une juridiction pénale, on ne saurait jamais exclure qu'une affaire traitée en l'absence du prévenu n'eût pu connaître une conclusion différente si celui-ci avait assisté aux débats. Aussi les codes de procédure pénale cantonaux autorisant le jugement par défaut prévoient-ils tous le droit pour le condamné de demander l'ouverture d'une procédure ordinaire. Contrairement à l'appel, celle-ci n'a pas pour objet l'examen (Überprüfung) du premier jugement: elle replace l'affaire au stade de l'audience pour qu'elle soit entièrement reprise à zéro, à travers des débats et un jugement nouveaux.
Certes, les juges ont à y trancher les mêmes questions, celles de la culpabilité et de la peine. Comme toutefois la procédure ordinaire permet d'accomplir des actes qui, tels les interrogatoires et les répliques, s'avéraient impossibles en raison de l'absence du prévenu, l'affaire se trouve entièrement reconsidérée. Son issue est donc ouverte, les magistrats pouvant très bien parvenir à une conclusion différente de celle qu'ils ont adoptée antérieurement. L'avis contraire de M. Thomann sur ce point s'appuie uniquement sur ses impressions subjectives qui, d'après la jurisprudence, ne peuvent être retenues. Quant aux décisions de justice qu'il invoque, elles manquent de pertinence car elles concernent un problème étranger au cas d'espèce: le cumul de fonctions différentes, notamment celles de juge du fond et de magistrat instructeur.
Au demeurant, la thèse du requérant ouvrirait la voie aux abus, car dans les cantons où l'ouverture d'une révision ne dépend pas de la réalisation de conditions objectives, il suffirait à un prévenu de ne pas se présenter à l'audience pour écarter le juge qui n'a pas ses faveurs. L'intéressé se verrait ainsi avantagé par rapport à celui qui comparaît. Il provoquerait en outre un ralentissement de l'instance, lui-même renforcé par le fait qu'à chaque fois, de nouveaux juges devraient étudier l'affaire.
C. La procédure ordinaire
14. L'audience sur révision se tint du 26 septembre au 3 octobre 1990 devant le tribunal pénal de Bâle-Ville composé des juges Metzener, Becht-Gutmann et Memminger, qui entendirent le requérant, assisté d'un avocat commis d'office, ainsi que plusieurs témoins. Le 3 octobre, cette juridiction le condamna à deux ans et trois mois d'emprisonnement et à une amende de cinq cents francs suisses pour escroquerie et tentative dans l'exercice de la profession, banqueroute simple et absence de comptabilité.
15. Le 11 juillet 1991, la cour d'appel du canton acquitta M. Thomann de certains chefs d'accusation relatifs à l'escroquerie, puis ramena la peine à deux ans d'emprisonnement et cinq cents francs d'amende.
Le 9 décembre 1992, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public formé par l'intéressé contre cet arrêt.
II. Le droit cantonal pertinent
A. La procédure ordinaire
16. Le prévenu qui comparaît au procès est d'abord interrogé sur sa situation personnelle, puis autorisé à faire une déclaration succincte sur l'acte d'inculpation. Ensuite, le président du tribunal le questionne dans le détail sur les charges portées contre lui (article 178 du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung) de Bâle-Ville).
17. Le prévenu peut être confronté à des témoins (article 179) et demander l'audition d'autres témoins (article 181). Après les réquisitions du ministère public et, le cas échéant, les déclarations de la victime, il peut présenter sa défense; il a toujours la parole en dernier, après les répliques du ministère public (articles 185 et 186).
18. A l'exception de celui-ci, les parties à une procédure pénale qui ont un intérêt à agir peuvent interjeter appel contre le jugement de première instance. Dans ce cas, la cour d'appel réentendra toute la cause (article 236, deuxième phrase).
B. La procédure par défaut
19. Dans la mesure du possible, l'enquête préliminaire contre un suspect absent doit être conduite de manière aussi approfondie que s'il était présent; il convient en particulier d'entendre les témoignages pertinents (article 260).
20. Une personne absente qui n'a pas été entendue sur les charges portées contre elle ne peut être mise en accusation (öffentliche Anklage) que si sa non-audition résulte de sa faute et que, malgré l'absence de l'intéressé, le procès paraît pouvoir déboucher sur des conclusions fiables (article 261 par. 1).
21. Lorsqu'une personne absente a été mise en accusation ou qu'une personne citée à comparaître s'absente sans raison valable, le président du tribunal pénal (Strafgerichtspräsident) ordonne que l'audience se tienne par défaut (Kontumazialverhandlung). Il en est fait mention dans les documents relatifs aux recherches et enquêtes menées pour retrouver cette personne (article 262 par. 1).
22. Si le prévenu ne peut être amené à l'audience, les pièces pertinentes du dossier d'instruction sont remises aux membres du siège ou lues lors des débats. Le tribunal rend son jugement en se fondant sur le dossier, après avoir entendu les parties présentes (article 263 par. 1). Le président peut, d'office ou à la demande d'une partie, ordonner l'audition de témoins, d'experts ou de toute autre personne (article 263 par. 2).
23. S'il manque des preuves suffisantes pour condamner le prévenu, la procédure est provisoirement suspendue (article 264 par. 1). En revanche, s'il condamne celui-ci, le tribunal se prononce, dans son jugement par défaut (Kontumazurteil), sur les mesures à prendre dès l'arrestation de l'intéressé. Le jugement doit, autant que possible, être exécuté immédiatement (article 264 par. 2).
24. La personne condamnée par défaut en est informée par signification dès qu'elle est traduite devant la juridiction compétente ou qu'elle comparaît de son plein gré (article 267 par. 1). Elle peut demander la révision du procès (Revision des Verfahrens) dans les dix jours qui suivent la signification (article 267 par. 2). La demande ne peut être accueillie que si l'intéressé démontre qu'il n'a pas reçu la citation ou que, sans faute de sa part, il a été empêché de comparaître (article 267 par. 3). S'il y est fait droit, l'affaire est rejugée en procédure normale et un nouveau jugement est rendu (article 267 par. 4); dans le cas contraire, ou en l'absence de demande de révision, le jugement par défaut passe en force de chose jugée (article 267 par. 5).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
25. Dans sa requête du 5 décembre 1990 à la Commission (n° 17602/91), M. Thomann se plaignait d'avoir été condamné le 3 octobre 1990 par un tribunal ne présentant pas l'impartialité voulue par l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
26. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1994. Dans son rapport du 2 mars 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt voix contre quatre, à l'absence de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt[3] .


Considérants

EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION
27. Le requérant dénonce une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) impartial (...) qui décidera (...) de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)"
S'appuyant notamment sur les arrêts De Cubber c. Belgique du 26 octobre 1984 (série A n° 86) et Padovani c. Italie du 26 février 1993 (série A n° 257-B), il estime que le tribunal pénal qui le jugea le 3 octobre 1990 ne pouvait pas passer pour impartial car il était composé des magistrats qui l'avaient déjà condamné par défaut le 17 mai 1989. Avant même qu'il ne comparût devant eux dans la procédure ordinaire, ils se seraient donc déjà formé leur opinion sur sa culpabilité. Cela lui aurait nui d'autant plus qu'en l'espèce, les faits de la cause étaient largement incontestés, le litige portant pour l'essentiel sur l'appréciation de leur gravité. Pour avoir ainsi méconnu l'importance de l'impartialité du tribunal et celle des apparences en la matière, la procédure sur révision n'aurait été, en somme, qu'une répétition purement formelle de la précédente.
28. Le Gouvernement souligne qu'en statuant par défaut, les magistrats savaient parfaitement qu'ils ne rendaient leur décision que sur un fondement incomplet. Aussi, en accueillant la demande en révision du requérant (paragraphe 10 ci-dessus) et en entendant celui-ci ainsi que plusieurs témoins dans le cadre de la procédure ordinaire, ils ont fait bénéficier M. Thomann, dès sa réapparition, d'un tout nouveau procès, à tel point qu'ils ont même réduit la peine initialement prononcée (paragraphe 14 ci-dessus). Cela prouverait bien qu'ils sont restés impartiaux.
D'autre part, si le tribunal pénal statuant sur révision avait dû être autrement composé, l'intéressé se serait vu avantagé par rapport aux prévenus qui donnent suite à leur citation: il aurait bénéficié d'une instance supplémentaire s'ajoutant aux autres recours intentés par lui, devant la cour d'appel du canton puis le Tribunal fédéral (paragraphe 15 ci-dessus). Au demeurant, le requérant a joui de l'assistance d'un avocat tout au long de la procédure qui a suivi l'accueil de sa demande en révision (paragraphe 10 ci-dessus).
29. En substance, la Commission souscrit à cette thèse.
30. Lorsqu'il échet de déterminer l'impartialité d'un tribunal au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) - la Cour le rappelle -, il faut tenir compte non seulement de la conviction et du comportement personnels du juge en telle occasion - ce qui est une démarche subjective -, mais aussi rechercher si ce tribunal offrait objectivement des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, parmi d'autres, l'arrêt Bulut c. Autriche du 22 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 356, par. 31).
31. En ce qui concerne l'aspect subjectif de l'impartialité du tribunal, la Cour constate que rien n'indique en l'espèce un quelconque préjugé ou parti pris de la part des juges Metzener, Becht-Gutmann et Memminger et qu'aucun reproche ne leur est d'ailleurs fait à cet égard par le requérant. Elle ne peut que présumer l'impartialité personnelle de ces magistrats (arrêt Bulut précité, p. 356, par. 32).
Reste donc l'aspect objectif.
32. A ce sujet, la Cour observe que la présente affaire ne concerne pas l'exercice successif de fonctions juridictionnelles différentes, mais qu'il s'agit cette fois-ci de juges ayant siégé deux fois en la même qualité.
33. Dans ses arrêts Ringeisen c. Autriche et Diennet c. France, la Cour a dit qu'"on ne saurait poser en principe général découlant du devoir d'impartialité qu'une juridiction de recours annulant une décision administrative ou judiciaire a l'obligation de renvoyer l'affaire à une autre autorité juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité"; elle a admis qu'"on ne peut voir un motif de suspicion légitime dans la circonstance" que des juges qui ont "pris part à la première décision" participent aussi à la deuxième (respectivement arrêts du 16 juillet 1971, série A n° 13, p. 40, par. 97, et du 26 septembre 1995, série A n° 325-A, p. 17, par. 38).
34. A cet égard, le requérant soutient que la jurisprudence citée vise l'hypothèse de magistrats auxquels un dossier est renvoyé après annulation ou cassation par la juridiction supérieure. En pareil cas, ils ne disposeraient plus d'une "grande marge d'appréciation", ce qui rendrait moins choquant qu'ils rejugent l'affaire. Ici, au contraire, les membres du tribunal pénal auraient gardé toute liberté de décision dans la procédure ordinaire. A cela s'ajouterait qu'ils avaient tous les trois déjà condamné par défaut M. Thomann, alors que dans les affaires Ringeisen et Diennet, seuls certains membres de l'organe de renvoi avaient participé au premier examen du dossier.
35. Ces considérations ne sont pas de nature à convaincre la Cour.
Comme l'a expliqué le Tribunal fédéral (paragraphe 13 ci-dessus), les juges qui réexaminent en présence de l'intéressé une affaire qu'ils ont dû d'abord juger par défaut, sur la base des éléments dont ils pouvaient alors disposer, ne sont en aucune manière liés par leur première décision; ils reprennent à son point de départ l'ensemble de l'affaire, toutes les questions soulevées par celle-ci restant ouvertes et faisant cette fois l'objet d'un débat contradictoire à la lumière de l'information plus complète que peut leur fournir la comparution personnelle de l'accusé. C'est aussi ce qui s'est passé en l'espèce.
Une telle situation ne suffit pas à mettre en doute l'impartialité des juges dont il s'agit.
36. Du reste, si une juridiction devait modifier sa composition chaque fois qu'elle fait droit au recours d'un condamné absent, celui-ci se verrait avantagé par rapport aux prévenus qui comparaissent dès l'ouverture de leur procès, car il obtiendrait ainsi que d'autres magistrats le jugent une seconde fois dans la même instance. Cela contribuerait de surcroît à ralentir le travail de la justice, obligeant un plus grand nombre de juges à étudier un même dossier, ce qui paraît peu compatible avec le respect du "délai raisonnable".
37. En conclusion, il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITÉ,
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 10 juin 1996.
Signé: Rolv RYSSDAL
Président
Signé: Herbert PETZOLD
Greffier
1.
Notes du greffier : L'affaire porte le n° 33/1995/539/624. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2.
Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
3.
Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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Article: Art. 6 par. 1 CEDH