21353/93
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 28 octobre 1996, puis par le gouvernement de la Confédération suisse (« le Gouvernement ») le 14 janvier 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 21353/93) dirigée contre la Suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Bruno Camenzind, avait saisi la Commission le 2 octobre 1992 en vertu de l'article 25.
2. - En application de l'article 31 § 1 du règlement B, le requérant a désigné son conseil.
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 29 octobre 1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. J. De Meyer, A.N. Loizou, A.B. Baka, G. Mifsud Bonnici, J. Makarczyk, E. Levits et P. van Dijk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 27 mars 1997 et celui du Gouvernement le 1er avril.
5. Le 16 mai 1997, M. Bernhardt a accordé l'assistance judiciaire au requérant (article 4 de l'addendum au règlement A, mutatis mutandis).
6. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 26 juin 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
7. Le 5 décembre 1991, la section de surveillance des radiocommunications de la direction générale des PTT localisa sur une bande de fréquence réservée à l'aviation civile et militaire une communication téléphonique privée émise au moyen d'un téléphone non agréé. Elle enregistra la communication localisée sur la ligne de M. Camenzind - un juriste résidant à Fribourg - et en informa les autorités compétentes des PTT.
8. Le requérant fut soupçonné de contravention au sens de l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique ». Le 11 décembre 1991, la direction des télécommunications (Fernmeldekreisdirektion) du canton de Berne ouvrit une information contre lui, conformément à la loi fédérale de 1974 sur le droit pénal administratif.
9. Le 13 décembre 1991, le directeur d'arrondissement des PTT de Berne délivra un mandat de perquisition du domicile de M. Camenzind, en vertu des articles 48 et suivants de la loi fédérale sur le droit pénal administratif. Selon le mandat, la perquisition visait à retrouver et saisir le téléphone sans fil non agréé.
10. Le 21 janvier 1992, à 9 h 50, deux fonctionnaires des PTT se présentèrent au domicile du requérant. Ce dernier reconnut avoir déjà essayé un téléphone sans fil par le passé, mais dit qu'il n'en possédait plus. Au vu du mandat de perquisition, il permit aux agents des PTT d'entrer dans le vestibule de l'appartement dont il n'occupait en fait qu'une pièce, les cinq autres étant louées. Informé des aspects juridiques de la perquisition, il consulta le dossier de son affaire et téléphona à un avocat ainsi qu'à un responsable de la direction des PTT à Berne.
11. La perquisition fut effectuée par un seul fonctionnaire des PTT, sur demande de M. Camenzind et en sa présence. L'agent perquisitionna chacune des pièces des deux étages de la maison, y compris la cave. Il se borna à vérifier la conformité des téléphones et des téléviseurs, ne toucha à rien, n'ouvrit aucun tiroir et ne consulta aucun document. Aucun appareil du type de celui qui était recherché ne fut trouvé. A 11 h 55, un procès-verbal fut établi et signé par le requérant et l'auteur de la perquisition. Il indiquait notamment que la perquisition pouvait faire l'objet d'une plainte, conformément aux articles 26 à 28 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif.
12. Le 24 janvier 1992, M. Camenzind saisit la chambre d'accusation du Tribunal fédéral d'un recours en annulation de la perquisition pour illégalité fondé sur l'article 26 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif. La direction générale des PTT conclut à l'irrecevabilité du recours.
13. Le 27 mars 1992, le Tribunal fédéral rendit un arrêt de rejet ainsi libellé (traduction de l'allemand) :
14. Par des actes des 14 août et 26 septembre 1995, l'Office fédéral de la communication infligea à l'intéressé une amende de 150 francs suisses pour contravention, au sens de l'article 42 de la loi fédérale « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique », et le condamna aux frais et dépens.
15. Le 11 octobre 1995, M. Camenzind engagea une procédure de contrôle juridictionnel du « prononcé pénal » susmentionné devant le tribunal d'arrondissement (Bezirksgericht) de la Sarine. Celui-ci décida, le 18 décembre 1995, de clore la procédure pour cause de prescription (absolute Verjährung) de l'infraction litigieuse.
16. A l'époque des faits, l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique » disposait :
17. Les procédures pénales administratives sont régies par la loi fédérale sur le droit pénal administratif (« DPA ») du 22 mars 1974 modifiée.
18. L'administration fédérale est chargée de poursuivre et juger certaines infractions au droit fédéral. Elle est également compétente pour procéder aux enquêtes relatives à celles-ci. Les auditions, qui sont l'objet de procès-verbaux, les inspections locales et les mesures de contrainte sont alors confiées à des fonctionnaires formés spécialement à cet effet (article 20 § 1 DPA).
19. Les fonctionnaires appelés à procéder à une enquête ou à prendre une décision ou à la préparer sont tenus de se récuser s'ils ont un intérêt personnel à l'affaire, s'ils sont parents ou alliés de l'« inculpé » en ligne directe ou collatérale jusqu'au troisième degré ou s'ils lui sont liés par mariage, fiançailles ou adoption, et s'il existe des circonstances de nature à leur donner l'apparence de prévention dans l'affaire (article 29).
20. L'« inculpé » peut, en tout état de la cause, se prévaloir d'un défenseur (article 32). Tous deux peuvent en principe être autorisés par le fonctionnaire enquêteur à participer à l'administration des preuves (article 35).
21. Le fonctionnaire enquêteur peut procéder à l'audition de l'« inculpé » (article 39), de personnes « à titre de renseignement » (article 40) et - en présence de l'« inculpé » et de son défenseur - de témoins (article 41). Il peut également ordonner une expertise - en consultation avec l'« inculpé » (article 43) - et une « inspection locale », à laquelle l'« inculpé » et son défenseur ont alors le droit d'assister (article 44). Il a également le pouvoir de procéder « avec les égards dus à la personne concernée et à sa propriété » à des séquestres, perquisitions et arrestations provisoires (articles 45 et suivants ; de telles mesures, dites « de contrainte », ne peuvent être prises en cas d'« inobservation de prescriptions d'ordre » (est réputée telle la contravention que la loi administrative spéciale désigne sous ces termes et la contravention passible d'une amende d'ordre ; article 3).
22. Les perquisitions en particulier sont régies par les dispositions suivantes de la loi fédérale sur le droit pénal administratif :
23. Les mesures de contrainte - dont la perquisition - (articles 45 et suivants DPA) et les actes ou omissions qui s'y rapportent peuvent être l'objet d'une plainte devant la chambre d'accusation du Tribunal fédéral (article 26).
24. L'administration est compétente pour juger les infractions au droit pénal administratif. Toutefois, lorsque le département auquel elle est subordonnée estime qu'une peine ou une mesure privative de liberté doit être envisagée, le tribunal est compétent. La personne touchée par un prononcé pénal de l'administration peut, dans les dix jours suivant la notification, demander à être jugée par le tribunal ; à défaut, le prononcé pénal est « assimilé à un jugement passé en force » (articles 21 et 72).
25. L'inculpé qui bénéficie d'un non-lieu a la faculté de demander une indemnité à l'administration pour la détention préventive et les autres préjudices qu'il a subis. Cette indemnité peut lui être refusée en tout ou en partie s'il a provoqué l'instruction par sa faute ou s'il a, sans raison, entravé ou prolongé la procédure. La décision de l'administration sur cette question peut être attaquée par la voie de la plainte à la chambre d'accusation du Tribunal fédéral (articles 99 et 100).
26. Dans sa requête du 2 octobre 1992 à la Commission (n° 21353/93), M. Camenzind alléguait que la perquisition effectuée à son domicile constituait une violation de l'article 8 de la Convention et qu'il n'avait bénéficié ni d'un procès équitable au sens de l'article 6 ni d'un recours effectif devant une instance nationale, au mépris de l'article 13.
27. Les 27 février et 27 novembre 1995, la Commission a retenu la requête quant aux seuls griefs relatifs aux articles 8 et 13. Dans son rapport du 3 septembre 1996 (article 31), elle formule à l'unanimité l'avis qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8, mais qu'il y a eu méconnaissance de l'article 13. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt[4].
28. Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour
29. De son côté, le requérant prie la Cour de
30. D'après M. Camenzind, la perquisition pratiquée en l'espèce a méconnu l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :
31. Le Gouvernement et la Commission marquent leur désaccord.
32. Le requérant voit dans la perquisition litigieuse une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de son domicile, pour ce qui concerne non seulement la pièce qu'il occupait dans l'immeuble en cause, mais aussi les autres pièces qu'il louait à une tierce personne. Il soutient avoir qualité pour agir pour le compte de sa locataire - qu'il aurait associée à sa requête devant la Commission - dans la mesure où, bailleur, il serait tenu contractuellement de protéger son preneur « contre tout acte d'usurpation extérieure ».
33. Le Gouvernement ne nie pas l'existence d'une ingérence dans l'exercice du droit de M. Camenzind au respect de son domicile. Il plaide néanmoins que ce dernier - d'ailleurs seul requérant en l'espèce - ne peut se dire victime d'une violation de l'article 8 que du fait de la perquisition de la partie de l'appartement qu'il occupait effectivement.
34. La Commission ne se prononce pas sur ce dernier point et conclut à l'existence d'une ingérence dans le droit en question.
35. La Cour n'estime pas nécessaire d'entrer dans un débat dont, en l'espèce, l'issue ne serait pas pertinente. Il lui suffit de constater qu'en tout état de cause - et cela n'est pas controversé - la perquisition de la pièce occupée par le requérant s'analyse en une ingérence, au sens de l'article 8, dans l'exercice du droit de celui-ci au respect de son domicile.
36. Le requérant conteste que la perquisition litigieuse fût « prévue par la loi ». Selon lui en effet, l'acte dont il lui était fait reproche constituait non une « infraction » mais une « inobservation de prescription d'ordre » au sens de l'article 3 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif du 22 mars
37. La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi », au sens de l'article 8 § 2 de la Convention, signifient que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne, et que la loi en cause doit être accessible à la personne concernée - laquelle de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle - et être compatible avec la prééminence du droit (arrêt Kruslin c. France du 24 avril 1990, série A n° 176-A, p. 20, § 27). En l'espèce, elle note d'abord que l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique » incriminait notamment « [l'établissement, l'exploitation, ou l'utilisation], sans concession ni autorisation (...) des installations expéditrices ou réceptrices et des installations quelconques soumises à concession ou autorisation et servant à la transmission électrique ou radioélectrique de signaux, d'images ou de sons » (paragraphe 16 ci-dessus). Elle relève ensuite que, pour la recherche d'une infraction relevant du droit pénal administratif, l'article 48 DPA dispose qu'une perquisition peut être opérée dans des logements ou autres locaux « s'il s'y trouve (...) des traces de l'infraction » et que ladite loi ménage des garanties de nature à constituer une protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique au droit au respect du domicile (paragraphes 17-25 ci-dessus et 46 ci-après). Le requérant n'ayant fourni aucun élément à l'appui de ses allégations, la Cour, avec le Gouvernement et la Commission, admet que la mesure litigieuse était « prévue par la loi ».
38. M. Camenzind soutient que le but de la perquisition en cause - la recherche de traces de l'infraction - avait perdu sa légitimité dès lors que lui-même avait fait savoir aux fonctionnaires chargés de celle-ci qu'il ne détenait plus l'appareil téléphonique litigieux.
39. Le Gouvernement et la Commission rejettent cette thèse.
40. La Cour constate que le requérant était soupçonné d'avoir contrevenu, à l'aide d'un téléphone sans fil non agréé, aux dispositions de l'article 42 de la loi fédérale de 1922 réglant la correspondance télégraphique et téléphonique. Il n'est donc pas douteux que la perquisition de l'immeuble de celui-ci tendant à retrouver et saisir cet appareil visait des fins compatibles avec la Convention : la « défense de l'ordre » et la « prévention des infractions pénales ».
41. M. Camenzind plaide qu'il n'était pas « nécessaire » de perquisitionner son immeuble pour établir la preuve matérielle de l'infraction et donc pour atteindre le but poursuivi. Selon lui, en effet, ladite preuve était déjà faite puisque sa communication avait été enregistrée par la section de surveillance des radiocommunications de la direction générale des PTT et qu'il avait reconnu avoir utilisé le téléphone en cause. D'autres éléments démontreraient le caractère disproportionné de la mesure dont il est question : il n'aurait pas récidivé durant les six semaines que l'administration laissa s'écouler entre la commission de l'infraction et la perquisition, le comportement dont il lui était fait reproche ne serait que « bagatelle », et l'administration aurait pu opter pour des mesures moins contraignantes. Bref, l'ingérence litigieuse ne répondrait pas à un « besoin social impérieux » au sens de la jurisprudence des organes de la Convention.
42. D'après le Gouvernement, la jurisprudence de la Cour autorise les Etats contractants à recourir à certaines contraintes pour établir la preuve matérielle d'une infraction, dans la mesure où leurs législation et pratique en la matière offrent des garanties adéquates et suffisantes pour éviter les abus et où les ingérences ainsi constituées sont proportionnées au but légitime poursuivi. La circonstance que la perquisition litigieuse se fit sans mandat judiciaire ne révélerait donc pas forcément une violation de la Convention. Au contraire, le cadre légal dans lequel elle fut ordonnée, les modalités de son exécution et son étendue très limitée démontreraient sa « nécessité dans une société démocratique ».
43. La Commission parvient à la même conclusion.
44. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché ; pour se prononcer sur la « nécessité » d'une ingérence « dans une société démocratique », la Cour tient compte de la marge d'appréciation laissée aux Etats contractants (voir, par exemple, l'arrêt Olsson c. Suède (n°1) du 24 mars 1988, série A n° 130, pp. 31-32, § 67).
45. Les Etats contractants peuvent estimer nécessaire de recourir à des mesures telles les visites domiciliaires et les saisies pour établir la preuve matérielle de certaines infractions. La Cour contrôle alors la pertinence et la suffisance des motifs invoqués pour justifier celles-ci ainsi que le respect du principe de proportionnalité susmentionné (voir les arrêts Funke c. France, Crémieux c. France et Miailhe c. France du 25 février 1993, respectivement série A n° 256-A, pp. 24-25, §§ 55-57, série A n° 256-B, pp. 62-63, §§ 38-40, et série A n° 256-C, pp. 89-90, §§ 36-38, et, mutatis mutandis, l'arrêt Z c. Finlande du 25 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 347, § 94). Quant à ce dernier point, elle est amenée, d'une part, à s'assurer que la législation et la pratique en la matière offrent aux individus des « garanties adéquates et suffisantes contre les abus » (ibidem) ; nonobstant la marge d'appréciation qu'elle reconnaît en la matière aux Etats contractants, elle doit redoubler de vigilance lorsque, comme en l'espèce, le droit national habilite l'administration à prescrire et conduire une perquisition domiciliaire sans mandat judiciaire : la protection des individus contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par l'article 8 réclame un encadrement légal et une limitation des plus stricts de tels pouvoirs. La Cour examine, d'autre part, les circonstances particulières à chaque affaire afin de déterminer si, in concreto, l'ingérence litigieuse était proportionnée au but recherché.
46. En l'espèce, la perquisition visait à saisir un téléphone sans fil non agréé que M. Camenzind était soupçonné d'avoir utilisé en contravention à l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique » (paragraphes 7-9 ci-dessus). Les autorités disposaient certes déjà de certaines preuves de l'infraction puisque la communication du requérant avait été enregistrée par la section de surveillance des radiocommunications de la direction générale des PTT et que l'intéressé avait reconnu avoir fait usage dudit téléphone (paragraphes 7 et 10 ci-dessus). Néanmoins, la Cour admet que les autorités administratives compétentes étaient fondées à penser que la saisie du corpus delicti - et, en conséquence, la perquisition - était nécessaire à l'établissement de la preuve de l'infraction en cause.
47. Eu égard aux garanties offertes par la législation fédérale suisse et surtout à la très faible ampleur de la perquisition dont il est question, la Cour admet que l'ingérence dans le droit du requérant au respect de son domicile peut passer pour proportionnée au but poursuivi et donc « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l'article 8. Partant, il n'y a pas eu violation de cette disposition.
48. M. Camenzind se dit aussi victime d'une violation de l'article 13 de la Convention, ainsi rédigé :
49. Comme déjà devant la Commission, le Gouvernement soulève en substance une exception relative à l'examen d'office par la Commission du présent grief, lequel n'aurait pas été expressément soulevé par M. Camenzind dans sa requête.
50. La Cour rappelle que les organes de la Convention ont compétence pour apprécier au regard de l'ensemble de ses exigences les circonstances dont se plaint un requérant. Dans l'accomplissement de leur tâche, il leur est notamment loisible de donner aux faits de la cause, tels qu'ils les considèrent comme établis par les divers éléments en leur possession une qualification juridique différente de celle que leur attribue l'intéressé ou, au besoin, de les envisager sous un autre angle (voir, par exemple, l'arrêt Foti et autres c. Italie du 10 décembre 1982, série A n° 56, pp. 15-16, § 44).
51. Selon M. Camenzind, à la thèse duquel la Commission souscrit, il n'a pas bénéficié d'un « recours effectif » pour faire valoir son grief tiré de l'article 8 de la Convention - pourtant « défendable » au sens de la jurisprudence des organes de la Convention -, le Tribunal fédéral ayant refusé de se prononcer sur la « légalité et la justification au fond » de la perquisition litigieuse. Certes il eût pu, après la clôture de la procédure pénale administrative, user aussi du recours prévu à l'article 99 DPA, mais une telle procédure se résumerait à l'examen de la réunion des conditions de l'indemnisation du préjudice subi du fait de ladite perquisition ; une action en responsabilité ou une plainte pénale contre les fonctionnaires des PTT en cause n'eussent pas davantage été adéquates.
52. Le Gouvernement plaide que, en l'absence d'un constat de violation de l'article 8, le requérant ne pourrait se prévaloir d'un grief « défendable » au regard de la Convention et qu'en conséquence aucune question ne se poserait sur le terrain de l'article 13. Quant au fond, il ne nie pas que la chambre d'accusation du Tribunal fédéral ne s'est pas prononcée sur la légalité de la mesure litigieuse. Elle aurait ainsi fait application de sa jurisprudence constante selon laquelle « n'a qualité pour déposer plainte que celui qui est (encore) atteint au moins partiellement par la décision attaquée
53. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'article 13 exige un « recours effectif devant une instance nationale » pour les plaintes que l'on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, par exemple, l'arrêt Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A n° 172, p. 14, § 31).
54. La loi fédérale sur le droit pénal administratif instaure un recours spécial contre les mesures de contrainte - telles les perquisitions domiciliaires - prises dans le cadre d'une procédure pénale administrative : ces mesures et les actes ou omissions qui s'y rapportent peuvent faire l'objet d'une plainte devant la chambre d'accusation du Tribunal fédéral. Cette plainte peut être déposée par « quiconque est atteint par l'acte d'enquête qu'il attaque, l'omission qu'il dénonce ou la décision sur plainte, et a un intérêt digne de protection à ce qu'il y ait annulation ou modification » de celui-ci ou celles-là (articles 26 et 28 DPA, paragraphe 23 ci-dessus).
55. Il en va de même de la demande de jugement déposée par le requérant en vertu de l'article 72 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif (paragraphe 24 ci-dessus), le tribunal d'arrondissement de la Sarine ayant clos la procédure en raison de la prescription de l'infraction litigieuse (paragraphe 15 ci-dessus).
56. Quant aux autres procédures invoquées, le Gouvernement cite une affaire relative à une mesure de détention mais aucun cas d'application qui puisse être qualifié de semblable au cas d'espèce. La Cour estime en conséquence que l'effectivité des recours n'est pas établie (voir, par exemple, les arrêts Vereinigung Demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c. Autriche du 19 décembre 1994, série A n° 302, p. 20, § 53, et Valsamis c. Grèce du 18 décembre 1996 , Recueil 1996-VI, p. 2327, § 48 in fine).
57. Bref, compte tenu de l'ensemble des circonstances de la cause, le requérant n'a pas bénéficié d'un « recours effectif devant une instance nationale » pour exposer son grief tiré de l'article 8. Partant, il y a eu violation de l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 8.
58. Aux termes de l'article 50 de la Convention,
59. En réparation du dommage moral qu'il aurait subi du fait de la violation de la Convention, le requérant réclame le payement d'« un montant symbolique » de 100 francs suisses (CHF).
60. Le délégué de la Commission ne se prononce pas.
61. Avec le Gouvernement, la Cour estime que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante quant au tort moral allégué.
62. Le requérant demande 13 755 CHF pour les frais et dépens engagés devant le Tribunal fédéral et les organes de Strasbourg.
63. Le Gouvernement se dit prêt à payer 5 000 CHF à l'intéressé dans le cas où la Cour constate une violation des articles 8 et 13 de la Convention, et seulement la moitié dudit montant en cas de constat de violation d'une seule de ces dispositions.
64. Le délégué de la Commission ne prend pas position.
65. Statuant en équité, la Cour accorde 8 000 CHF à M. Camenzind, moins les 9 184 francs français versés par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire.
66. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal applicable en Suisse à la date d'adoption du présent arrêt est de 5 % l'an.
1. Il est constant que la chambre d'accusation du Tribunal fédéral déclara irrecevable la partie de la plainte de M. Camenzind relative à la perquisition litigieuse au motif que cette mesure avait pris fin et que le requérant n'était plus actuellement atteint par celle-ci (paragraphe 54 de l'arrêt). Sur la base de cette constatation, la Cour qualifie le recours à la chambre d'accusation de « non effectif » au sens de l'article 13. Elle estime ensuite que l'effectivité des autres procédures invoquées par le Gouvernement n'est pas établie, aucun cas d'application semblable au cas d'espèce n'ayant été cité par ce dernier.
2. Le Gouvernement cite pourtant un arrêt du Tribunal fédéral (ATF 103 IV 115, p. 118 (1977)) qui a trait à des problèmes de détention illégale pour démontrer qu'un juge aurait pu contrôler la légalité d'une perquisition à l'occasion d'une action en responsabilité. La Cour estime qu'il ne s'agit pas d'un « cas semblable » alors que le principe énoncé dans l'arrêt du Tribunal fédéral semble à première vue assez large pour pouvoir être appliqué au cas d'espèce. Or l'action en responsabilité dont il est question présuppose que le juge, indépendamment de l'octroi d'une indemnité, contrôle la légalité de la mesure de contrainte.
3. Par ailleurs, dans l'affaire Valsamis c. Grèce (arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2327, § 48), la Cour a conclu à l'absence d'effectivité d'une procédure en réparation au motif que, d'après le droit grec, une « décision judiciaire constatant l'illégalité de la mesure » incriminée - exclue en cette espèce - constituait « le préalable à l'introduction d'une demande en réparation ». Or dans l'affaire Camenzind le Gouvernement explique avec justesse que l'octroi d'une indemnité en vertu de l'article 99 DPA ne nécessite pas que le préjudice en cause découle d'une mesure illégale : il suffit que celle-ci soit injustifiée.
4. La Cour estime donc insuffisantes les circonstances que la chambre d'accusation du Tribunal fédéral examina la légalité de l'écoute et de l'enregistrement des communications téléphoniques, que l'article 99 DPA permettait au requérant de demander une réparation, et qu'un juge aurait pu contrôler la légalité d'une perquisition à l'occasion d'une action en responsabilité.
5. Etant donné « la très faible ampleur de la perquisition dont il est question » (paragraphe 47 de l'arrêt), on aurait pu se demander s'il n'y avait pas lieu de suivre l'arrêt Akdivar c. Turquie (arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1213, § 77) en se limitant aux circonstances de l'espèce et en constatant que le degré de contrôle prévu par l'ordre juridique suisse, tout en n'étant pas ample, aurait pu être considéré comme adéquat. Si nous avons néanmoins voté avec la majorité, c'est parce que la Cour s'appuie dans ce domaine sur une jurisprudence constante dont l'observation importe pour établir un standard minimum de protection efficace et réelle des droits de l'homme à travers toute l'Europe.