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Chapeau

25711/94


de Oliveira Maria Celeste Vieira Veloso, anc. Luis-Oliveira Celeste Maria gegen Schweiz
Urteil no. 84/1997/868/1080, 30 juillet 1998

Regeste

SUISSE: Art. 4 Prot. n° 7 CEDH. Ne bis in idem. Condamnations successives pour perte de maîtrise du véhicule puis pour lésions corporelles par négligence suite à un accident de la circulation.

Les faits de la cause sont un cas typique de concours idéal d'infractions, caractérisé par la circonstance qu'un fait pénal unique se décompose en deux infractions distinctes, soit l'absence de maîtrise du véhicule et le fait de provoquer par négligence des lésions corporelles; cela n'est pas contraire à l'art. 4 Prot. n° 7 CEDH qui prohibe de juger deux fois une même infraction. Il aurait été plus conforme aux principes d'une bonne administration de la justice que les deux infractions fussent sanctionnées par une seule juridiction dans une procédure unique; qu'il n'en fût pas ainsi en l'espèce ne porte pas à conséquence quant au respect de l'art. 4 Prot. n° 7 CEDH, d'autant plus qu'il n'y a pas eu cumul des peines mais absorption de la plus légère par la plus lourde (ch. 25 - 27).
Conclusion: non-violation de l'art. 4 Prot. n° 7 CEDH.





Faits

Suisse - condamnations successives pour défaut de maîtrise du véhicule puis pour lésions corporelles par négligence, à la suite d'un accident de voiture (articles 31 et 32 de la loi sur la circulation routière, et 125 du code pénal)
article 4 du protocole n° 7
Faits de la cause : cas typique de concours idéal d'infractions, caractérisé par la circonstance qu'un fait pénal unique se décompose en deux infractions distinctes, en l'occurrence l'absence de maîtrise du véhicule et le fait de provoquer par négligence des lésions corporelles. Ne contrevient pas à l'article 4 du Protocole n° 7, dès lors que celui-ci prohibe de juger deux fois une même infraction, alors que dans le concours idéal d'infractions, un même fait pénal s'analyse en deux infractions distinctes.
Il aurait été plus conforme aux principes d'une bonne administration de la justice que, les deux infractions provenant d'un même fait pénal, elles fussent sanctionnées par une seule juridiction, dans une procédure unique. Qu'il n'en fût pas ainsi ne tire pas à conséquence quant au respect de l'article 4 du Protocole n° 7.
Présente espèce se distinguant de l'affaire Gradinger, où le taux d'alcoolémie du requérant avait été apprécié de façon contradictoire par deux instances différentes.
Conclusion : non-violation (huit voix contre une).
RÉFÉRENCE À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
23.10.1995, Gradinger c. Autriche
En l'affaire Oliveira c. Suisse, [2]
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B[3], en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Bernhardt, président,
F. Gölcüklü,
A.N. Loizou,
L. Wildhaber,
B. Repik,
P. Kuris,
E. Levits,
P. van Dijk,
M. Voicu,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 avril et 22 juin 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par une ressortissante portugaise, Mme Maria Celeste Vieira Veloso de Oliveira (« la requérante »), le 25 août 1997 et par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 22 septembre 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 25711/94) dirigée contre la Confédération suisse et dont la requérante avait saisi la Commission le 22 octobre 1994, en vertu de l'article 25.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 de la Convention, tels qu'amendés par le Protocole n° 9 à l'égard de la Suisse, ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) ; la requête de Mme Oliveira renvoie à l'article 48 de la Convention. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 4 du Protocole n° 7.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 35 § 3 d) du règlement B, la requérante a désigné son conseil (article 31), Me A. von Albertini, que le président de la chambre a autorisé à employer la langue allemande (article 28 § 3). Désignée devant la Commission par les initiales C. M. L.-O., la requérante a consenti ultérieurement à la divulgation de son identité.

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 25 septembre 1997, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, A.N. Loizou, B. Repik, P. Kuris, E. Levits, P. van Dijk et M. Voicu (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, M. P. Boillat, agent du gouvernement suisse (« le Gouvernement »), le conseil de la requérante et M. E.A. Alkema, délégué de la Commission, au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires de la requérante et du Gouvernement les 23 février et 30 mars 1998 respectivement. Le 17 avril, le délégué de la Commission a présenté des observations écrites.

5. Le 27 février 1998, la chambre a renoncé à tenir audience, après avoir constaté la réunion des conditions exigées pour une telle dérogation à sa procédure habituelle (articles 27 et 40 du règlement B).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6. Ressortissante portugaise née en 1967, Mme Oliveira réside actuellement à Zurich (Suisse).

7. Le 15 décembre 1990, elle roulait sur une route verglacée et enneigée à Zurich quand sa voiture se déporta sur l'autre côté de la route, puis heurta une première voiture avant d'entrer en collision avec une seconde, conduite par M., lequel fut grièvement blessé.

8. Le 19 mars 1991, l'office du juge de police (Polizeirichteramt) de Zurich transmit le dossier au parquet de district (Bezirksanwaltschaft) pour un complément d'information sur la question de savoir si la requérante avait provoqué par négligence des lésions corporelles graves au sens de l'article 125 § 2 du code pénal suisse (paragraphe 16 ci-dessous).

9. Le 5 avril 1991, la préfecture du district (Statthalteramt) de Zurich transmit le dossier au parquet de district pour un complément d'information sur d'éventuelles contraventions à la loi fédérale sur la circulation routière (paragraphe 17 ci-dessous).

10. Le 3 juin 1991, le parquet de district renvoya à l'office du juge de police le dossier relatif à la victime de l'accident, dans lequel figurait un rapport médical attestant que celle-ci avait été grièvement blessée. Le 12 août 1991, le juge de police rendit une ordonnance de non-lieu (Einstellungs-Verfügung) quant à d'éventuelles poursuites contre la victime puis, le 13 août 1991, condamna la requérante, en vertu des articles 31 et 32 de la loi sur la circulation routière, pour défaut de maîtrise du véhicule en raison de la non-adaptation de la vitesse aux conditions de circulation (Nichtbeherrschen des Fahrzeuges infolge Nichtanpassens der Geschwindigkeit an die Strassenverhältnisse) ; il lui infligea une amende de 200 francs suisses (CHF). La décision précisait notamment que le 15 décembre 1990, la route était verglacée et enneigée et que la voiture de la requérante s'était déportée sur l'autre côté de la route, heurtant une première voiture avant d'entrer en collision avec une seconde.

11. Par une ordonnance pénale (Strafbefehl) du 25 janvier 1993, le parquet de district condamna Mme Oliveira, en vertu de l'article 125 du code pénal suisse, à une amende de 2 000 CHF pour lésions corporelles par négligence, au titre des lésions subies par M. du fait de la collision entre son véhicule et celui de la requérante.

12. Sur opposition de la requérante, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich ramena le 11 mars 1993 l'amende à 1 500 CHF. Il considéra notamment :
« Le juge de police qui rendit l'ordonnance portant amende[ Bussenverfügung] à laquelle la requérante se réfère était appelé à examiner les faits litigieux dans le cadre d'une procédure pour contravention[ Übertretungsstrafverfahren], en sorte qu'eu égard au principe ne bis in idem, il ne fait aucun doute qu'une deuxième procédure pour contravention ne saurait être engagée au titre du même incident. Toutefois, l'examen sommaire et restreint propre à ce type de procédure permet que l'acte puni d'une simple amende soit une nouvelle fois poursuivi et sanctionné comme crime ou délit, pour autant que cet examen plus rigoureux soit requis par des considérations tenant au droit ou aux faits. Dans ce cas, la décision initiale et la sanction qu'elle inflige sont annulées. »
Le tribunal ajouta que l'amende de 200 CHF infligée par l'ordonnance du 13 août 1991 était annulée et - pour autant qu'elle eût déjà été payée - déduite de la présente amende, ainsi ramenée à 1 300 CHF.

13. L'intéressée saisit alors la cour d'appel (Obergericht) de Zurich qui, le 7 octobre 1993, la débouta de son recours, considérant notamment :
« Il y a lieu de s'interroger sur les conclusions à tirer de l'erreur du juge de police quant à la question litigieuse. Il est manifeste que dans sa décision du 13 août 1991, le juge de police a seulement jugé l'absence de contrôle du véhicule, mais pas les lésions corporelles qui s'en suivirent pour la victime (...) Pourtant, le juge de police avait le pouvoir et l'obligation, pour statuer sur l'inobservation du code de la route, d'apprécier dans leur intégralité et de juger exhaustivement, au regard du droit pénal, les faits qui constituaient l'objet de la procédure ; qu'il ait, nonobstant d'éventuelles lésions corporelles graves causées par négligence, omis de transmettre le dossier, n'entraîne donc pas nécessairement l'annulation de la décision du juge de police - cette décision continue d'exister. Il n'a pas été allégué, et il ne ressort pas du dossier, que la décision en cause présente des vices graves de nature à en entraîner, en toute hypothèse, l'annulation intégrale. »
La cour d'appel confirma ensuite la déduction de 200 CHF de l'amende de 1 500 CHF, estimant que la requérante ne devait pas être sanctionnée plus lourdement que si les deux infractions avaient été examinées dans une seule procédure.

14. Mme Oliveira forma des pourvois en nullité (Nichtigkeitsbeschwerden) contre cet arrêt devant la Cour de cassation (Kassationsgericht) du canton de Zurich et devant le Tribunal fédéral. Le 27 avril 1994, la Cour de cassation déclina l'examen du pourvoi en nullité.

15. La requérante saisit alors le Tribunal fédéral d'un recours de droit public contre cette dernière décision.
Le 17 août 1994, la haute juridiction rejeta les recours de droit public et en nullité. Dans son arrêt sur le second, elle estima qu'il fallait supposer que lorsque, le 13 août 1991, le juge de police condamna Mme Oliveira à une amende, celui-ci n'avait pas connaissance des graves lésions subies par M., car il n'eût pas pu, sinon, infliger une amende et eût dû renvoyer le dossier au parquet de district. D'après le Tribunal fédéral, le tribunal de district avait toutefois évité les effets d'une double sanction en tenant compte, « pour déterminer le montant de la nouvelle amende »(bei der Bemessung der neuen Busse), de celle de 200 CHF imposée par le juge de police.
ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT

16. L'article 125 du code pénal suisse dispose :
« 1. Celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement ou de l'amende.
2. Si la lésion est grave le délinquant sera poursuivi d'office. »

17. L'article 31 de la loi fédérale sur la circulation routière prévoit, en son paragraphe 1, que le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. Aux termes de l'article 32, le conducteur doit adapter aux circonstances la vitesse du véhicule.
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION

18. Mme Oliveira a saisi la Commission le 22 octobre 1994, dénonçant une infraction à l'article 4 du Protocole n° 7.

19. La Commission a retenu la requête (n° 25711/94) le 13 janvier 1997. Dans son rapport du 1er juillet 1997 (article 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre huit, à la violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt[4].
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR

20. Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire qu'il n'y a pas eu violation de l'article 4 du Protocole n° 7 dans la présente affaire.

21. De son côté, la requérante prie la Cour, dans son mémoire,
« 1. de constater que plusieurs jugements rendus dans une affaire pénale par le juge unique du tribunal de district de Zurich, la cour d'appel et la Cour de cassation du canton de Zurich ainsi que le Tribunal fédéral suisse - jugements relevant de la souveraineté de la Confédération helvétique - ont porté atteinte, au détriment de la requérante, à certaines dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme, en particulier au Protocole n° 7 à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, et que, partant, la partie défenderesse n'a pas rempli l'obligation qui lui incombe de respecter les dispositions de ladite Convention ;
2. d'imposer à la partie défenderesse, au regard de l'article 50 de la Convention des Droits de l'Homme, lu conjointement avec l'article 52 § 1 du règlement B, le paiement à la requérante d'une indemnité équitable d'un montant de 60 340 francs suisses. »


Considérants

EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 4 DU PROTOCOLE N° 7

22. D'après la requérante, la circonstance que les mêmes faits aient entraîné sa condamnation d'abord pour absence de maîtrise du véhicule, puis pour lésions corporelles par négligence, a méconnu l'article 4 du Protocole n° 7, libellé comme suit :
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n'empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l'Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n'est autorisée au présent article au titre de l'article 15 de la Convention. »
Dans son arrêt du 7 octobre 1993, la cour d'appel aurait noté que le juge de police savait que la victime de l'accident avait subi des lésions graves, lesquelles échappaient à sa compétence, et avait néanmoins statué sans renvoyer le dossier au parquet de district. Il aurait donc tranché l'affaire en pleine connaissance des faits de la cause et il importerait peu, à cet égard, de savoir pourquoi il avait choisi de ne pas sanctionner plus lourdement
l'intéressée au vu de ceux-ci. Même à supposer que le juge de police eût commis une erreur dans l'évaluation des faits et de la sanction qu'ils appelaient, il ne serait pas acceptable d'en faire supporter les conséquences par la requérante, en la condamnant deux fois pour les mêmes événements. En effet, ni la décision du juge de police ni l'amende infligée par lui n'ont été annulées par les juridictions supérieures qui ont, elles aussi, sanctionné l'intéressée. Bref, il y aurait eu méconnaissance du principe ne bis in idem.

23. Pour le Gouvernement, les limites dans lesquelles l'article 4 du Protocole n° 7 a été conçu ne sauraient être fixées de manière à exclure catégoriquement toute possibilité d'apprécier le même énoncé des faits dans deux procédures différentes. En tout cas, l'affaire se distinguerait sur trois points de l'affaire Gradinger c. Autriche (arrêt du 23 octobre 1995, série A n° 328-C) : il n'y aurait pas eu contradiction dans l'appréciation des faits par les deux autorités saisies, la première d'entre elles n'aurait pas pu examiner le comportement litigieux à la lumière de tous ses aspects, en raison de la compétence limitée du juge de police et, enfin, la requérante n'aurait pas été désavantagée par la séparation de la procédure.
S'agissant en particulier de la compétence du juge de police, elle ne couvrirait pas, en droit suisse, les crimes et délits, réservés aux procureurs de district(Bezirksanwaltschaft) et au ministère public (Staatsanwaltschaft). Aussi le principe ne bis in idem ne pouvait-il pas jouer à l'égard de faits dont le juge de police ne pouvait de toute façon pas connaître. Que ce magistrat ait quand même statué résulterait vraisemblablement d'un malentendu entre lui et le procureur de district : tandis que celui-ci aurait renvoyé à celui-là le dossier concernant d'éventuelles poursuites contre la victime de l'accident, le juge de police l'aurait pris pour le dossier contre la requérante. Quoi qu'il en soit, Mme Oliveira n'en aurait pas pâti, puisque le montant de la première amende a été soustrait de la seconde. Toutefois, il ne faudrait pas non plus qu'au nom du principe ne bis in idem, ce soit la requérante qui profite de cette erreur de procédure.

24. Se fondant sur l'arrêt Gradinger précité, la Commission souscrit en substance à l'opinion de la requérante. Elle relève que les deux condamnations de Mme Oliveira se fondaient sur le fait que la voiture de celle-ci s'est déportée de l'autre côté de la route, où elle a heurté une première voiture avant d'entrer en collision avec un second véhicule dont le conducteur a été grièvement blessé. Les lésions corporelles ne constitueraient pas un élément séparé, elles feraient partie intégrante du comportement dont elles ont finalement résulté. En outre, la simple circonstance qu'un vice de procédure ait été à l'origine d'une condamnation ne saurait annihiler la protection contre l'ouverture d'un nouveau procès.

25. La Cour note qu'à l'origine des condamnations litigieuses, il y a un accident provoqué par la requérante qui, le 15 décembre 1990, roulait sur une route verglacée et enneigée quand sa voiture se déporta sur l'autre côté de la route, puis heurta une première voiture avant d'entrer en collision avec une seconde, dont le conducteur fut grièvement blessé. Mme Oliveira se vit d'abord condamnée à une amende de 200 francs suisses (CHF) par le juge de police, pour défaut de maîtrise de son véhicule faute d'avoir adapté sa vitesse aux conditions de circulation (paragraphe 10 ci-dessus). Ensuite, le tribunal de district puis la cour d'appel de Zurich la condamnèrent, pour lésions corporelles par négligence, à une amende de 1 500 CHF, dont fut toutefois soustrait le montant de la première amende (paragraphes 11-12 ci-dessus).
26. Il s'agit là d'un cas typique de concours idéal d'infractions, caractérisé par la circonstance qu'un fait pénal unique se décompose en deux infractions distinctes, en l'occurrence l'absence de maîtrise du véhicule et le fait de provoquer par négligence des lésions corporelles ; en pareil cas, la peine la plus lourde absorbe le plus souvent la plus légère.
Il n'y a là rien qui contrevienne à l'article 4 du Protocole n° 7, dès lors que celui-ci prohibe de juger deux fois une même infraction, alors que dans le concours idéal d'infractions, un même fait pénal s'analyse en deux infractions distinctes.
27. Il aurait certes été plus conforme aux principes d'une bonne administration de la justice que, les deux infractions provenant d'un même fait pénal, elles fussent sanctionnées par une seule juridiction, dans une procédure unique. C'est aussi, semble-t-il, ce qui aurait dû se passer en l'espèce si, eu égard aux lésions corporelles graves subies par la victime de l'accident, lesquelles échappaient à la compétence du juge de police, ce dernier avait renvoyé le dossier au parquet de district afin que celui-ci statuât sur les deux préventions réunies (paragraphe 10). Qu'il n'en fût pas ainsi dans le cas de Mme Oliveira, toutefois, ne tire pas à conséquence quant au respect de l'article 4 du Protocole n° 7, dès lors que cette disposition ne s'oppose pas à ce que des juridictions distinctes connaissent d'infractions différentes, fussent-elles les éléments d'un même fait pénal, et cela d'autant moins qu'en l'occurrence, il n'y a pas eu cumul des peines mais absorption de la plus légère par la plus lourde.
28. La présente espèce se distingue donc de l'affaire Gradinger précitée, où le taux d'alcoolémie du requérant avait été apprécié de façon contradictoire par deux instances différentes.
29. En conclusion, il n'y a pas eu violation de l'article 4 du Protocole n° 7.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par huit voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 4 du Protocole n° 7.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 30 juillet 1998.
Signé : RudolfBernhardt
Président
Signé : HerbertPetzold
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 55 § 2 du règlement B, l'exposé de l'opinion dissidente de M. Repik.
Paraphé : R. B.
Paraphé : H. P.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE REPIK
Je regrette de ne pas pouvoir m'associer au raisonnement de la Cour qui l'a conduite au constat de non-violation de l'article 4 du Protocole n° 7.
La question de l'identité de l'infraction dans la procédure pénale et de ses conséquences (chose jugée, ne bis in idem) est des plus controversées dans la doctrine. Est-ce l'identité du fait matériel ou bien l'identité de la qualification juridique qui est déterminante ; si c'est le même fait matériel qui est décisif, lesquels de ses éléments doivent être les mêmes pour que l'identité du fait comme tel soit conservée - Des solutions différentes sont retenues par les législations nationales. Aucune de ces solutions ne saurait être retenue pour interpréter l'article 4 du Protocole n° 7. Il appartient à la Cour de donner au terme « infraction » dans cette disposition une signification autonome correspondant à son objet et à son but. Ce but répond au souci « d'assurer au prévenu que son sort ne sera pas remis en question[5] », c'est-à-dire de lui assurer qu'il ne sera pas deux ou plusieurs fois exposé aux contraintes des poursuites pénales et condamné pour la même cause.
A ce souci de sécurité juridique est adaptée la solution que la Cour a choisie dans l'arrêt Gradinger. Elle a explicitement écarté l'identité de la qualification juridique comme critère de l'identité de l'« infraction » au sens de l'article 4 du Protocole n° 7 lorsqu'elle a dit : « La Cour n'ignore pas que les dispositions en cause se distinguent non seulement sur le plan de l'appellation des infractions mais aussi sur celui, plus fondamental, de leur nature et de leur but. Elle relève en outre que l'infraction punie par l'article 5 du code de la route ne représente qu'un aspect du délit sanctionné par l'article 81 § 2 du code pénal. Néanmoins, les deux décisions litigieuses se fondent sur le même comportement. »[6] C'est donc, à n'en pas douter, l'identité du fait matériel et en particulier l'identité du comportement que la Cour a retenu comme critère de l'identité de l'« infraction » au sens de l'article 4 du Protocole n° 7. J'approuve pleinement cette solution de la Cour. Elle empêche de fractionner un fait matériel unique et bien défini en changeant certains de ses aspects particuliers et de procéder, sous des qualifications juridiques différentes, à des poursuites successives d'une personne pour la même cause.
Or, en l'espèce, la Cour a choisi la solution diamétralement opposée, à savoir celle de la qualification juridique comme critère de l'identité de l'« infraction ». En effet, il lui a suffi d'une qualification juridique différente « d'un même fait pénal » pour faire tomber la garantie ne bis in idem consacrée par l'article 4 du Protocole n° 7.
Pourtant, entre l'affaire Gradinger et l'affaire Oliveira, on ne peut déceler aucune différence qui pourrait justifier ces deux décisions totalement opposées. Dans les deux cas, le comportement, objet des poursuites successives, était identique, dans les deux cas, un aspect des faits, par faute de la juridiction qui a prononcé la première condamnation, n'a pas été pris en compte dans cette condamnation, et enfin, dans les deux cas, le même comportement, enrichi de cet aspect omis par la première juridiction, a été l'objet d'une deuxième condamnation sous une qualification juridique différente.
Que ce soit une mauvaise appréciation des faits ou bien une négligence ou une erreur du juge de police, pourtant censé connaître le dossier, qui étaient à l'origine de ce que tous les aspects de l'objet des poursuites pénales n'étaient pas ou ne pouvaient pas être pris en compte dans la première condamnation, cela ne saurait justifier ce flottement de la jurisprudence. Une erreur judiciaire, pas plus qu'une mauvaise appréciation des faits, ne peuvent être pertinentes au regard de l'article 4 du Protocole n° 7.
C'est pour ces raisons que j'ai voté pour la violation de cette disposition.
1.
Notes du greffier
2.
L'affaire porte le n° 84/1997/868/1080. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.
Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s'applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.
4.
Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
5.
R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Procédure pénale, Cujas, 4e éd., 1989, s. 878.
6.
Arrêt Gradinger c. Autriche du 23 octobre 1995, série A n° 328-C, p. 66, § 55.