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Chapeau

27819/95


Vercambre Werner c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 27819/95, 15 décembre 1998

Regeste

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 34 et 8 CEDH. Qualité de victime. Séquestre de documents dans les locaux d'une société en mains d'un tiers à la suite d'une demande d'entraide de la Belgique.

Il n'est pas nécessaire de déterminer si le requérant pouvait se prétendre victime d'une ingérence dans son droit au respect de la correspondance en tant qu'auteur des documents saisis et administrateur de la société intéressée, puisqu'une éventuelle immixtion était justifiée; en effet, celle-ci était prévue par la loi, poursuivait les buts légitimes de défense de l'ordre et de prévention des infractions pénales, et il n'apparaît pas que les autorités suisses auraient ordonné des actes non requis par le juge d'instruction belge ou séquestré et transmis des documents étrangers à la procédure pénale menée en Belgique.
Conclusion: requête déclarée irrecevable.





Faits

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 15 décembre 1998 en présence de
M. M. Fischbach, président
M. L. Wildhaber
M. G. Bonello,
Mme V. Stráznická,
M. P. Lorenzen,
M. A.B. Baka,
M. E. Levits, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section;
Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 29 juin 1995 par Werner Vercambre (Note 2007-12-13T00:00:00 En minuscules. contre la Suisse et enregistrée le 7 juillet 1995 sous le n° de dossier 27819/95 ;)
Vu le rapport prévu à l'article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, ressortissant belge né en 1940, administrateur, réside en Belgique. Il est représenté devant la Cour par Maître Eric Stauffacher, avocat au barreau de Lausanne, en Suisse.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l'affaire
En 1993, les autorités belges ouvrirent une enquête pénale pour usage de faux contre le requérant et K., lesquels étaient soupçonnés d'avoir vendu à la société F. en Belgique (ci-après F.), par l'intermédiaire de la société I. en Suisse (ci-après I.), des marchandises originaires du Pakistan qu'ils présentaient, à la faveur de certificats délivrés par la chambre de commerce de Lausanne, comme provenant des Emirats arabes unis.
Le requérant et K. sont administrateurs de I. et de F. ; K. est également le directeur de I.
Le 29 décembre 1993, un juge d'instruction de Bruges, en Belgique, adressa une commission rogatoire aux autorités suisses, les priant notamment de vérifier auprès de la chambre de commerce de Lausanne l'authenticité des certificats d'origine, de saisir dans les bureaux de I. toutes les pièces relatives aux transactions avec F. et d'interroger le directeur de I. au sujet de l'origine de la marchandise et des relations entre les deux sociétés.
Par ordonnance du 12 janvier 1994, le juge d'instruction du canton de Vaud, en Suisse, déclara admissible la demande d'entraide des autorités belges et chargea la police du canton de Vaud de procéder à l'exécution des actes requis.
Par ordonnance du 22 février 1994 adressée à K., le juge d'instruction du canton de Vaud séquestra les documents saisis par la police.
Le 9 juin 1994, le requérant s'opposa à la remise aux autorités belges des preuves recueillies en Suisse.
Le 31 août 1994, le juge d'instruction du canton de Vaud nia au requérant la qualité de s'opposer à la transmission aux autorités belges des documents séquestrés, en application de l'article 21 § 3 de la Loi fédérale suisse sur l'entraide internationale en matière pénale (ci-après EIMP). En particulier, il estima que le requérant n'était pas « personnellement touché » par les actes d'entraide effectués, en l'occurrence l'audition de K., une visite domiciliaire et un séquestre dans les locaux de I., et qu'aucun motif ne permettait de penser que ses droits pourraient être lésés dans la procédure en Belgique.
Le 12 septembre 1994, le requérant recourut contre cette ordonnance auprès de la chambre d'accusation du canton de Vaud.
Le 20 octobre 1994, la chambre d'accusation du canton de Vaud déclara irrecevable le recours du requérant, motif pris de ce qu'il n'avait pas qualité pour recourir au sens de l'article 21 § 3 EIMP. A cet égard, elle rappela que selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'inculpé dans une procédure étrangère n'était pas « touché personnellement » par la saisie de documents lorsque ceux-ci se trouvaient en possession d'un tiers ; or en l'espèce, le séquestre avait été opéré en mains de K. dans les locaux de I., en Suisse. Elle releva en outre que le requérant n'avait pas démontré que la transmission aux autorités belges des documents séquestrés léserait ses droits de la défense dans le cadre de la procédure pénale ouverte à son encontre en Belgique.
Le 21 novembre 1994, le requérant recourut au Tribunal fédéral ; à cette occasion, il invoqua les articles 6 et 8 de la Convention ainsi que la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (ci-après CEEJ).
Par arrêt du 29 décembre 1994, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant. Considérant que la CEEJ visait à assurer une exécution rapide des demandes d'entraide judiciaire, il confirma sa jurisprudence selon laquelle un prévenu devait être renvoyé devant le juge de l'Etat requérant pour y contester les éléments de preuve recueillis dans le cadre d'une commission rogatoire internationale, sous réserve des cas prévus à l'article 21 § 3 EIMP. A cet égard, il rappela qu'une personne était « personnellement touchée » par la mesure entreprise lorsque celle-ci l'affectait concrètement et directement, par exemple en cas de saisie d'avoirs ou de documents en sa possession, et estima que le requérant ne satisfaisait pas à cette condition, sa seule qualité d'administrateur de I. ou d'auteur des documents séquestrés n'étant pas suffisante. Il rappela également que l'octroi de l'entraide était susceptible de porter atteinte aux droits de la défense notamment lorsque la personne poursuivie ne pourrait pas, dans la procédure pénale ouverte à son encontre à l'étranger, consulter les pièces transmises, poser des questions complémentaires ou être confrontée à un témoin ; or le requérant n'avait pas démontré que tel serait le cas en Belgique. Enfin, il estima que l'article 6 de la Convention n'était pas applicable à une procédure d'entraide judiciaire et que les griefs tirés de l'article 8 de la Convention étaient dénués de fondement, l'ingérence reposant sur une loi, en l'occurrence l'EIMP, présentant les caractères d'accessibilité et de prévisibilité suffisants.
Le 30 septembre 1998, le requérant informa le Greffe que l'instruction pénale menée par les autorités belges n'était pas terminée.
B. Droit interne pertinent
L'entraide en faveur d'une procédure pénale étrangère est régie, sous réserve des accords internationaux, par la Loi fédérale suisse sur l'entraide internationale en matière pénale du 20 mars 1981, laquelle est publiée au Recueil officiel (RS 351.1).
Aux termes de l'article 21 § 3 EIMP :
« La personne visée par une procédure pénale étrangère ne peut attaquer une décision que si elle est touchée personnellement par une mesure ou lorsque celle-ci peut léser ses droits de défense dans la procédure pénale. »
GRIEFS
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ce que les autorités suisses ont méconnu le principe d'équité et ses droits de la défense. En particulier, il allègue qu'en donnant suite à la demande reçue du juge d'instruction de Bruges, elles ont enfreint la législation en matière d'entraide judiciaire et que les éléments de preuve recueillis en Suisse devaient en conséquence être écartés du dossier. Selon lui, bien que « les garanties (...) contenues dans l'article 6 (...) ne valent pas en matière d'entraide, d'extradition et de procédure d'exequatur (...) », cette disposition est applicable car les décisions entreprises ont été rendues dans le cadre d'une procédure pénale .
Le requérant se plaint également de ce que le séquestre de documents dans les bureaux de I. et leur transmission aux autorités belges ont méconnu son droit au « respect de sa (...) correspondance », tel que garanti par l'article 8 de la Convention. Il indique que la quasi totalité des pièces saisies sont des courriers, des factures, des notes téléphoniques, etc. relatives aux relations d'affaires liant I. et F., et précise en avoir rédigé plusieurs. Il affirme en outre que d'autres documents concernent ses relations personnelles avec K.


Considérants

EN DROIT
1. Le requérant se plaint de ce que « dans le cadre (de la) procédure pénale dirigée contre (lui) », les autorités suisses ont méconnu l'article 6 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
La Cour rappelle que dans le cadre d'une procédure pénale, l'article 6 ne trouve à s'appliquer qu'aux décisions qui tranchent du « bien-fondé » d'accusations pénales et que tel n'est pas le cas, en particulier, des mesures qui ne lient pas le magistrat appelé à se prononcer sur le fond. Ainsi, il a déjà été jugé qu'une perquisition et la confiscation de biens suite à la commission d'une infraction ne constituent pas en soi une « accusation en matière pénale » (N° 21353/93, déc. 27.2.95, D.R. 80-B, p. 101 et Cour eur. D.H., arrêt Agosi c. Royaume-Uni du 24 octobre 1986, série A n° 108, p. 22, par. 65) ; par ailleurs, une décision par laquelle une autorité accepte de donner suite à une demande d'entraide judiciaire internationale, par exemple d'extradition, ne tombe en principe pas sous le coup de cette disposition (mutatis mutandis Cour eur. D.H. arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 45, par. 113).
En l'espèce, la Cour relève qu'une procédure pénale a été ouverte contre le requérant en Belgique. Toutefois, les autorités suisses ont seulement examiné la question de la qualité du requérant d'attaquer une mesure prise dans le cadre d'une demande d'entraide judiciaire internationale, en l'occurrence la transmission au juge d'instruction de Bruges des preuves saisies par la police du canton de Vaud ; ce faisant, elles n'ont aucunement tranché du bien-fondé des accusations pénales dirigées contre le requérant.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3, et doit dès lors être rejetée, en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint également de ce que le séquestre de documents en Suisse et leur transmission au juge d'instruction de Bruges constituent une ingérence dans son droit au « respect de sa (...) correspondance », tel que garanti par l'article 8 de la Convention. Il précise que la quasi totalité des pièces saisies concernent les relations d'affaires liant I. et F. et que d'autres ont trait à ses relations personnelles avec K. ; il indique en outre qu'il a rédigé plusieurs de ces documents.
L'article 8 de la Convention dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de (...) sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La Cour rappelle d'abord que la saisie de documents dans des locaux professionnels peut s'analyser en une ingérence dans les droits reconnus par l'article 8 § 1 de la Convention (Cour eur. D.H., arrêt Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, p. 33 à 35, par. 29 à 33). Toutefois, elle relève qu'en l'espèce le requérant conteste le séquestre en Suisse et la transmission aux autorités belges de documents de I., saisis en mains de K. sur la base d'une ordonnance notifiée à ce dernier. La question pourrait dès lors se poser de savoir si le requérant peut se prétendre « victime », au sens de l'article 34 de la Convention, d'une ingérence dans son droit au respect de sa correspondance. En effet, seule peut en principe se prétendre victime la personne directement affectée par la mesure contestée (Cour eur. D.H., arrêt Groppera Radio AG et autres c. Suisse du 28 mars 1990, série A n° 173, p. 20, par. 47).
Elle n'estime cependant pas nécessaire de se prononcer sur ce point. En effet, à supposer même que le séquestre de documents de I., saisis en mains de K. dans les bureaux de la société, et leur transmission aux autorités belges constituent une ingérence dans les droits du requérant garantis par l'article 8 § 1 de la Convention, cette ingérence est justifiée au regard du paragraphe 2 de cette disposition.
En l'espèce, la Cour relève que la mesure d'entraide était fondée sur l'EIMP. Partant, elle était « prévue par la loi ».
Elle observe en outre que la demande d'entraide a été ordonnée et exécutée dans le cadre d'une enquête pénale ouverte par les autorités belges. Visant « à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales », elle tendait à des buts légitimes (Cour eur. D.H. arrêt Camenzind c. Suisse du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, n° 61, p. 2892, par. 40).
Enfin, concernant la nécessité de l'ingérence, la Cour rappelle que ce critère implique que la mesure entreprise soit justifiée par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi ; elle tient compte, pour se prononcer sur la « nécessité » d'une ingérence « dans une société démocratique », de la marge d'appréciation laissée aux Etats contractants (arrêt Camenzind précité, p. 2893, par. 44). A cet égard, elle constate qu'en l'espèce, il ne ressort pas des éléments figurant au dossier que les autorités suisses auraient ordonné des actes non requis par le juge d'instruction de Bruges, d'une part, ou séquestré et transmis des documents étrangers à la procédure pénale menée en Belgique, d'autre part . Elle souligne également que le requérant n'a pas allégué que l'ingérence des autorités publiques aurait été disproportionnée.
Dans ces circonstances, la Cour ne décèle aucune apparence de violation de l'article 8 de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l'article 35 de la Convention.


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Erik Fribergh      Greffier
Marc Fischbach      Président

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Etat de fait

Considérants

Dispositif

références

Article: § 3 EIMP, Art. 34 et 8 CEDH