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Chapeau

41843/98


Szokoloczy-Syllaba Philippe, Palffy de Erdoed Szokoloczy-Syllaba Eugénia c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 41843/98, 29 juin 1999

Regeste

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 8 CEDH. Refus d'autoriser des époux à porter leur double patronyme comme nom de famille et à le transmettre à leurs enfants.

Les Etats contractants jouissent d'un large pouvoir d'appréciation en matière de changement de patronyme. En l'espèce, la décision des autorités internes est conforme à la loi et fondée sur des motifs dénués d'arbitraire. L'intérêt des requérants à perpétuer la connaissance de leurs noms dans leur entourage et à ne pas perdre le sentiment d'appartenance à leur famille respective est satisfait dans la mesure où l'époux a conservé son nom et où l'épouse a ajouté au nom de famille celui qu'elle avait avant le mariage; en outre, la limitation découlant de la loi qui ne permet de transmettre aux enfants que le nom de l'un des parents n'est pas excessive et ne saurait suffire à conférer aux requérants le droit de changer de patronyme, de sorte que le refus des autorités internes ne constitue pas un manquement au respect de leur vie privée et familiale.
Conclusion: requête déclarée irrecevable.





Faits

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 29 juin 1999 en présence de
M. C. Rozakis, président,
M. M. Fischbach,
M. L. Wildhaber,
M. B. Conforti,
M. G. Bonello,
Mme V. Stráznická,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section;
Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 23 février 1998 par Philippe SZOKOLOCZY-SYLLABA et Eugénia PALFFY DE ERDOED SZOKOLOCZY-SYLLABA contre la Suisse et enregistrée le 23 juin 1998 sous le n° de dossier 41843/98 ;
Vu le rapport prévu à l'article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, ressortissant suisse né en 1964, est employé de banque. La requérante, ressortissante suisse née en 1963, attachée de presse, est son épouse. Ils résident à Genève. Devant la Cour, il sont représentés par Maître Thomas Steinmann, avocat au barreau de Genève.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
Le 18 avril 1996, les requérants, fiancés, qui s'appelaient respectivement Philippe Szokoloczy-Syllaba et Eugénia Palffy de Erdoed, sollicitèrent de la direction cantonale de l'état civil de Genève l'autorisation de porter après leur mariage le nom de famille Szokoloczy-Palffy, bien que cette faculté ne fût pas prévue par la législation en vigueur. A cette occasion, ils exposèrent qu'ils souhaitaient éviter la formation d'un nom trop long et compliqué, perpétuer la connaissance de leurs noms dans leur entourage socioprofessionnel et éviter l'extinction d'un nom hérité de leurs nobles et lointains ancêtres en le transmettant à leurs enfants.
Cette demande sortant manifestement du cadre des différentes possibilités de choix offertes par la législation, la direction cantonale de l'état civil suggéra aux requérants de contracter mariage et de déposer par la suite une demande en modification du nom fondée sur l'article 30 § 1 du Code civil (ci-après CCS).
Les requérants se marièrent le 11 mai 1996 à Genève. Ils prirent pour nom de famille celui du requérant, conformément à l'article 160 § 1 CCS ; ayant cependant déclaré vouloir conserver le patronyme qu'elle portait jusqu'alors, la requérante prit pour nom Palffy de Erdoed Szokoloczy-Syllaba, en application de l'article 160 § 2 CCS.
Le 14 mai 1996, les requérants confirmèrent leur demande du 18 avril 1996, laquelle fut transmise au Conseil d'État de Genève.
Le 23 avril 1997, le Conseil d'État rejeta cette demande, aux motifs suivants :
« Attendu (...) que le nom de famille des époux est en principe celui du mari (article 160 § 1 CCS) ;
que la fiancée peut toutefois déclarer à l'officier de l'état civil vouloir conserver le nom qu'elle portait jusqu'alors, suivi du nom de famille (article 160 § 2 CCS ...) ;
que (...) les fiancés ont également la possibilité, pour autant qu'ils fassent valoir des intérêts légitimes, de porter, dès la célébration du mariage, le nom de la femme comme nom de famille (article 30 § 2 CCS) ;
que dans cette dernière hypothèse (...) le fiancé peut déclarer à l'officier de l'état civil vouloir conserver, après le mariage, le nom qu'il portait jusqu'alors, suivi du nom de la femme comme nom de famille (article 177a § 1 OEC (...) et article 30 § 2 CCS) ;
que les éventuelles demandes qui ne sont pas expressément couvertes par les articles 30 § 2 et 160 § 2 CCS ne peuvent être envisagées que par le biais du changement de nom ordinaire pour justes motifs, en application de l'article 30 § 1 CCS ; (...)
que la création d'un double patronyme comme nom de famille n'est pas possible ;
que s'il était fait droit à la requête des époux, cela reviendrait (...) à déjouer tout le système du nom de famille tel qu'il résulte des effets généraux du mariage ;
(...) que la solution préconisée par les requérants reviendrait en outre à détourner la loi s'agissant des éventuels enfants à naître ;
qu'en effet, le nom des enfants est régi par le droit de la filiation ;
(...) que les demandes en changement de nom au sens de l'article 30 § 1 CCS supposent l'existence de justes motifs ;
(...) que, d'une manière générale, la jurisprudence admet l'existence de justes motifs lorsque le nom légal cause à la partie requérante un préjudice sérieux et durable (...) ;
que pour éviter les inconvénients résultant d'un nom de famille trop long, les deux fiancés auraient pu, avant le mariage, solliciter une simplification de leurs noms de famille respectifs, sur la base de l'article 30 § 1 CCS ;
que le fiancé aurait ainsi pu être autorisé à porter le nom Szokoloczy (après abandon du nom Syllaba) ;
que la fiancée aurait également pu être autorisée à porter le nom Palffy (après abandon du nom de Erdoed) ;
qu'ainsi, le nom de famille des époux aurait été soit Szokoloczy (article 160 § 1 CCS), soit Palffy (article 30 § 2 CCS), ce qui n'aurait pas empêché la fiancée, dans le premier cas, ou le fiancé, dans le deuxième cas, de conserver le nom porté avant le mariage, suivi du nom de famille ;
que les deux conjoints n'auraient toutefois pas pu porter le même nom ; (...)
que l'octroi du double nom sollicité comme nom de famille (à savoir Szokoloczy-Palffy) impliquerait déjà de toute manière l'abandon des noms Syllaba et de Erdoed ;
que l'état civil permet (...) l'identification des requérants et de leurs liens de filiation de manière claire (...) ;
qu'ainsi la crainte des requérants de ne pas pouvoir établir leur lien de filiation de manière (...) non contestable est dénuée de tout fondement ;
(...) que les requérants n'ont pour le surplus pas invoqué un préjudice sérieux et durable susceptible de justifier un changement de nom pour justes motifs ;
que toute leur argumentation témoigne d'une simple volonté de porter comme nom de famille un double nom qui n'est pas prévu par le CCS ; (...) »
Par arrêt du 14 août 1997, notifié le 5 décembre 1997, le Tribunal fédéral rejeta le recours en réforme interjeté par les requérants contre cette décision. Il rappela d'abord qu'il y avait « justes motifs » au sens de l'article 30 § 1 CCS lorsque l'intérêt du requérant - en tant qu'individu et de lui seul - à porter un nouveau nom l'emportait, d'une part, sur l'intérêt de l'administration et de la collectivité à l'immutabilité du nom acquis et inscrit à l'état civil et, d'autre part, sur l'intérêt public à la fonction d'individualisation du nom. A cet égard, il souligna notamment que le changement de nom dans l'intérêt d'une famille illustre à ce que son patronyme ne s'éteigne pas ne constituait pas un juste motif au sens de cette disposition ; que le nom de famille des requérants ne rendait pas plus difficile le sentiment d'appartenance à leur famille ou la participation à la vie économique et sociale dans la mesure où chacun des époux avait pu conserver le nom qu'il portait avant le mariage ; qu'au contraire, le patronyme proposé (Szokoloczy-Palffy) impliquait la suppression d'une partie de leur nom actuel ; que la requérante aurait pu solliciter avant le mariage une simplification de son nom si elle souhaitait éviter un long patronyme et qu'elle était au demeurant malvenue de se plaindre de sa complexité dans la mesure où ce dernier résultait d'un choix délibéré de sa part.
- B. Droit interne
- Les dispositions pertinentes du Code civil suisse sont rédigées comme suit :
Article 30
« 1. Le gouvernement du canton de domicile peut, s'il existe de justes motifs, autoriser une personne à changer de nom.
2. Il y a lieu d'autoriser les fiancés, à leur requête et s'ils font valoir des intérêts légitimes, à porter, dès la célébration du mariage, le nom de la femme comme nom de famille. »
Article 160
« 1. Le nom de famille des époux est le nom du mari.
2. La fiancée peut toutefois déclarer à l'officier d'état-civil vouloir conserver le nom qu'elle portait jusqu'alors, suivi du nom de famille. »
GRIEFS
Invoquant l'article 8 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que le refus opposé par les autorités suisses à leur demande en changement de nom constitue une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. A cet égard, ils allèguent que l'intérêt public ne prime pas sur leur intérêt à porter le patronyme « Szokoloczy-Palffy », ce dernier leur permettant d'éviter la formation d'un nom long et compliqué, de ne pas perdre le sentiment d'appartenance à leur famille respective et de continuer à se faire connaître dans leur entourage socioprofessionnel ; ils soulignent également que le patronyme choisi permettra d'éviter l'extinction de leurs noms puisqu'en droit suisse, seul le nom de famille se transmet aux enfants.
Les requérants affirment en outre que ce refus constitue une discrimination au sens de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention. Ils indiquent avoir sollicité un changement de nom susceptible d'assurer « une parfaite égalité de traitement ».
Enfin, les requérants allèguent que les décisions des autorités suisses ont méconnu l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention.


Considérants

EN DROIT
1. Les requérants estiment que le refus des autorité suisses d'autoriser le changement de nom qu'ils avaient sollicité constitue une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention, qui est ainsi rédigé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure, qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La Cour rappelle que, bien que l'article 8 de la Convention ne contienne pas de disposition explicite en matière de nom, celui-ci, en tant que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, n'en concerne pas moins la vie privée et familiale des individus, laquelle doit être conçue comme englobant le droit de nouer des relations avec ses semblables (Cour eur. D.H., arrêt Burghartz c. Suisse du 22 février 1994, série A n° 280-B, p. 28, § 24).
Toutefois, le refus des autorités suisses d'autoriser les requérants à changer de nom ne saurait nécessairement passer pour une ingérence dans l'exercice de leur droit au respect de leur vie privée et familiale comme l'aurait été, par exemple, l'obligation de modifier leur patronyme. L'article 8 de la Convention, en effet, tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics. La Cour a cependant déjà jugé que cette disposition peut également engendrer des obligations positives de la part des États contractants.
La frontière entre obligations positives et négatives ne se prête pas à une définition précise ; dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (Cour eur. D.H., arrêt Stjerna c. Finlande du 25 novembre 1994, série A n° 299-B, pp. 60 et 61, § 38).
Il est admis qu'il peut exister de justes motifs conduisant un individu à désirer changer de nom ; néanmoins, des restrictions légales à pareille possibilité se justifient dans l'intérêt public, par exemple, afin d'assurer un enregistrement exact de la population ou de sauvegarder les moyens d'une identification personnelle. La Cour a par ailleurs précisé que les États contractants jouissent d'un large pouvoir d'appréciation et qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes pour définir la politique la plus opportune en matière de changement de patronyme (arrêt Stjerna précité, p. 61, § 39).
En l'espèce, la Cour relève d'abord que la décision des autorités internes est conforme à la législation en vigueur et fondée sur des motifs dénués d'arbitraire. Elle observe ensuite que l'intérêt des requérants à perpétuer la connaissance de leurs noms dans leur entourage, d'une part, et à ne pas perdre le sentiment d'appartenance à leur famille respective, d'autre part, est satisfait dans la mesure où l'époux a conservé son nom et où l'épouse a ajouté au nom de famille celui qu'elle avait avant le mariage. Elle souligne également que le nom de famille légal des requérants, à savoir « Szokoloczy-Syllaba », n'est pas plus compliqué que le patronyme « Szokoloczy-Palffy » qu'ils souhaitaient être autorisés à porter. Enfin, elle estime que la limitation consistant à transmettre aux enfants le nom de l'un des parents seulement n'est pas excessive et ne saurait suffire à conférer le droit de changer de patronyme.
Dans ces circonstances, la Cour estime que le refus opposé par les autorités suisses à la demande en changement de nom des requérants ne constitue pas un manquement au respect de leur vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et doit être rejetée, en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
2. Les requérants se plaignent aussi de ce que la décision des autorités suisses a méconnu l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention ainsi que l'article 5 du Protocole n° 7 à la Convention.
La Cour rappelle d'abord que l'instrument de ratification du Protocole n° 7 à la Convention déposé par la Suisse contient une réserve relative à l'article 5 et que la question pourrait dès lors se poser de savoir si les griefs tirés de cette disposition sont compatibles ratione materiae avec la Convention et son Protocole n° 7 (Cour eur. D.H., arrêt Belilos c. Suisse du 29 avril 1988, série A n° 132, p. 24, § 51 et Comm. eur. D.H., n° 31506/96, déc. 25.11.96, D.R. 87-B, p. 164). Elle n'estime cependant pas nécessaire de se prononcer sur ce point.
Aux termes de l'article 35 de la Convention, en effet, la « ... Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus ... ». En particulier, cette disposition impose aux justiciables d'invoquer dans la procédure interne, au moins en substance, les moyens qu'ils entendent formuler devant elle (Cour eur. D.H., arrêt Ankerl c. Suisse du 23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, n° 19, p. 1565, § 34).
Or la Cour relève en l'espèce que les requérants n'ont pas allégué, même en substance, devant les autorités suisses que le refus opposé à leur demande en changement de nom était discriminatoire ou contraire au principe d'égalité entre les époux.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l'article 35 § 4 de la Convention, pour défaut d'épuisement des voies de recours internes, au sens de l'article 35 § 1 de la Convention.


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président

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Etat de fait

Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 8 CEDH, § 1 OEC