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Chapeau

37292/97


F.R. gegen Schweiz
Urteil no. 37292/97, 28 juin 2001




Faits

En l'affaire F.R. c. Suisse,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L.Rozakis, président,
A.B. Baka,
L. Wildhaber,
G. Bonello,
P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. A.Kovler, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2000 et le 7 juin 2001,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 37292/97) dirigée contre la Suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. F.R. (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 31 juillet 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») était représenté par son agent suppléant, M. F. Schürmann, chef de la Section droits de l'homme et Conseil de l'Europe, Office fédéral de la justice. Le président de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

3. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant alléguait une atteinte au principe de l'égalité des armes du fait que le Tribunal fédéral des assurances, dans son arrêt du 10 juin 1997, n'avait pas pris en compte une de ses déclarations et que certains témoins n'avaient pas été entendus et lui-même n'avait pas été correctement entendu dans le cadre de cette procédure.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. Elle a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 11 juillet 2000, la Cour a déclaré la requête recevable.

7. Après avoir consulté les parties, la chambre a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 2 in fine du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. Le requérant est un ressortissant suisse né en 1941. Homme d'affaires, il réside à Gersau, en Suisse.
A. L'ouverture de la procédure en compensation

9. Le requérant se porta caution (Bürge) pour un crédit lorsque son fils fonda une société de construction, la R. SA. Il assista aussi son fils dans diverses tâches administratives concernant la société.

10. En 1994, la R. SA fit faillite. La caisse de compensation (Ausgleichskasse) du canton de Schwyz subit des pertes, en particulier quant aux cotisations de la société au régime d'assurance-vieillesse. Elle considéra le requérant comme le directeur administratif et commercial de la société et le tint donc pour redevable de la somme de 13 925,05 francs suisses (CHF).

11. A la suite de la contestation du requérant, la caisse de compensation introduisit les 28 janvier 1995 et 3 janvier 1996 une demande en compensation à l'encontre de l'intéressé.

12. Le 11 décembre 1996, le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) du canton de Schwyz confirma la demande de la caisse de compensation, mais ramena la somme à 12 462,15 CHF.

13. Dans sa décision, le tribunal administratif se référa notamment à la déclaration d'un certain R.H., un ancien membre du conseil d'administration de la société, selon laquelle le requérant avait fait des avances de fonds à la société. Il examina ensuite si le requérant occupait en fait les fonctions d'administrateur de la société et si, à cet égard, il y avait lieu d'entendre les témoins Ch.R. et R.H. Il invoqua notamment deux lettres de l'intéressé à la caisse de compensation, l'une du 24 décembre 1993 faisant état de l'insolvabilité de la société et l'autre du 27 juillet 1994 que le requérant avait signée en qualité de « représentant ». En conséquence, le tribunal conclut que l'intéressé était en fait administrateur de la société et qu'il n'y avait donc pas lieu d'entendre d'autres témoins.
B. La procédure devant le Tribunal fédéral des assurances

14. Le 31 janvier 1997, le requérant saisit le Tribunal fédéral des assurances (Eidgenössisches Versicherungsgericht) d'un recours de droit administratif. Il contesta la demande du tribunal administratif et sollicita l'audition de divers témoins, notamment, Ch.R. et R.H. ainsi que le tribunal de district de March devant lequel il avait introduit une procédure contre un certain R.H.

15. Le recours fut transmis pour observations au tribunal administratif et à la caisse de compensation du canton de Schwyz, ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales (Bundesamt für Sozialversicherung).

16. Le 28 février 1997, le tribunal administratif du canton de Schwyz soumit des observations, comptant cinq pages, sur le recours de droit administratif de l'intéressé. Il proposa en particulier de rejeter le recours.
Dans ses observations, le tribunal constata à titre « préliminaire » que, dans le cadre de l'instance administrative, le requérant n'avait pas mentionné la procédure séparée devant un autre tribunal concernant un certain R.H. Il n'avait donc pas jugé nécessaire de consulter ce dossier et l'on ne pouvait affirmer qu'il n'avait pas procédé à un examen suffisant des faits. Le tribunal déclara en outre que le requérant avait implicitement admis être administrateur de la R. SA en envoyant les lettres des 24 décembre 1993 et 27 juillet 1994.

17. Selon les observations du tribunal administratif, il ressortait en outre de procédures d'exécution séparées que la famille du requérant avait effectué par le biais de la R. SA diverses opérations sur des devises qui avaient rapporté 65 989,40 CHF. Or la société avait pour activité la construction, et non les opérations sur les devises. L'on ne pouvait affirmer que le requérant n'était pas en position de prendre des décisions juridiquement contraignantes. En outre, le tribunal administratif jugea qu'il n'y avait pas lieu d'entendre les témoins Ch.R. et R.H. Il avait donc estimé dans sa décision qu'un litige opposait les deux témoins et que le requérant n'avait pas démontré l'utilité de les entendre.

18. La caisse de compensation soumit des observations analogues, alors que l'Office fédéral des assurances sociales n'en présenta pas.

19. Le 2 mai 1997, le Tribunal fédéral des assurances transmit au requérant, pour information, les observations du tribunal administratif du canton de Schwyz ; il exprima ses regrets de ne pas les avoir, par erreur, communiquées plus tôt.

20. Le 15 mai 1997, le requérant répondit aux observations du tribunal administratif datées du 28 février 1997. La première page se lit ainsi :
« les observations comportent trois nouveaux points importants qui ne figurent pas dans la décision du tribunal administratif. Je n'ai donc pas pu y répondre dans mon recours de droit administratif du 31 janvier 1997. Dès lors, je dois avoir à ce stade la possibilité de formuler les observations ci-après. »

21. Le requérant souligna ensuite que, selon le tribunal administratif, il n'avait jamais mentionné une procédure distincte contre un certain R.H. Il s'agissait d'un point nouveau. Il n'avait eu connaissance de R.H. que dans le jugement du tribunal administratif, raison pour laquelle il n'avait pas pu formuler d'observations à cet égard auparavant. Il fit valoir en outre que le tribunal administratif avait formulé de nouvelles allégations en affirmant qu'au vu des lettres des 24 décembre 1993 et 27 juillet 1994, il avait effectivement admis être administrateur de la R. SA.

22. Enfin, le requérant expliqua que les observations du tribunal administratif renfermaient un autre élément nouveau concernant des opérations sur des devises. Cette information provenait de la procédure distincte devant un autre tribunal de district, celui de March, et non de lui-même. Dans la mesure où le tribunal administratif avait conclu à partir de cette information que l'intéressé avait en fait occupé la position d'administrateur, le requérant estima qu'il aurait dû avoir la possibilité de discuter ce point.

23. Le Tribunal fédéral des assurances rejeta le recours de droit administratif du requérant le 10 juin 1997.

24. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral des assurances rappela d'abord la procédure devant lui, constatant en particulier que le requérant avait soumis, de sa propre initiative, d'autres observations le 15 mai 1997. Il releva ensuite que, conformément à l'article 110 § 4 de la loi fédérale d'organisation judiciaire (Organisationsgesetz), un second échange d'écritures n'avait lieu qu'à titre exceptionnel. L'arrêt se poursuit ainsi :
« (Un second échange d'écritures) est requis pour des raisons d'équité de la procédure lorsque les observations contiennent de nouveaux éléments de fait dont le dossier ne révèle pas immédiatement l'exactitude et qui sont pertinents pour la décision. En ce qui concerne d'éventuels nouveaux arguments juridiques, le Tribunal fédéral des assurances est tenu d'appliquer d'office le droit. Le simple fait que les observations se réfèrent à des arguments appuyant ceux déjà contenus dans la décision attaquée ne saurait justifier la possibilité d'y répondre. Il en irait autrement si le Tribunal fédéral des assurances estimait que la décision attaquée peut être confirmée, non pas sur la base des motifs donnés originairement, mais sur la base de nouveaux motifs présentés dans les observations (...)
A la lumière de ces principes, la demande du requérant de pouvoir bénéficier d'un deuxième échange d'écritures apparaît mal fondée. A cet égard, le fait que les observations du tribunal administratif ont été transmises au requérant avec du retard(nachträglich) est sans pertinence. En effet, aucun nouvel élément de fait ou de droit n'a été soulevé dans ces observations : bien au contraire, les faits que le requérant prétend être nouveaux (déclarations de R.H. relatives à des avances de fonds au capital de la société, bénéfices provenant du commerce de devises) ressortent déjà des documents de saisie dans le cadre des procédures devant les offices de poursuite de Gersau et Lachen et étaient donc sans autre inscrits dans le dossier. Par conséquent, le requérant aurait pu et dû prendre toutes les mesures utiles de manière à éviter un deuxième échange d'écritures (...) De plus, l'argument, qualifié par le requérant de nouveau, du tribunal administratif, relatif à la position d'administrateur du requérant, ne constitue qu'un argument complémentaire appuyant ceux déjà développés dans la décision contestée. Cela ne justifie pas encore le droit de répliquer. Par conséquent, les observations du requérant, présentées de son propre mouvement, ne peuvent être prises en compte juridiquement (aus dem Recht zu weisen). »

25. Dans la mesure où le requérant se plaignit que certains témoins n'avaient pas été entendus, le Tribunal fédéral des assurances estima notamment que le tribunal administratif avait mentionné avec justesse les circonstances dans lesquelles un administrateur de société était tenu responsable des dettes sociales. Quant à l'audition des témoins Ch.R. et R.H., demandée par le requérant, le Tribunal renvoya aux observations précises soumises par le tribunal administratif le 28 février 1997.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTE

26. Conformément à l'article 128 de la loi fédérale d'organisation judiciaire (Organisationsgesetz), le Tribunal fédéral des assurances connaît en dernière instance des recours de droit administratif contre des décisions des autorités cantonales en matière d'assurance sociale. En principe, le Tribunal se prononce librement sur les questions de fait. Toutefois, d'après l'article 105 § 2 de la loi, lorsque le recours est dirigé contre la décision d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est lié par les faits constatés dans la décision, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été établis au mépris des règles essentielles de procédure. Par conséquent, la possibilité de faire valoir des faits nouveaux dans le cadre de la procédure devant le Tribunal fédéral des assurances est restreinte (arrêts du Tribunal fédéral (ATF), vol. 120 V, p. 485.)

27. La procédure du recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral des assurances ne connaît en principe qu'un seul échange d'écritures dans lequel les autres parties et instances intéressées peuvent déposer leurs observations sur le recours (article 110 § 4 de la loi fédérale d'organisation judiciaire). Selon la pratique du Tribunal fédéral des assurances, un second échange d'écritures a lieu lorsque les observations renferment de nouveaux éléments de fait dont l'exactitude ne ressort pas du dossier et qui sont pertinents pour la décision finale. Si de nouveaux éléments de droit sont soulevés pour la première fois dans ces observations, un second échange d'écritures a lieu lorsque la décision contestée ne se justifie plus avec la motivation donnée par la juridiction inférieure (ATF, vol. 119 V, p. 323 ; vol. 114 Ia, p. 314 ; vol.111 Ia, p. 3 ; vol. 94 I, p. 662).


Considérants

EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

28. Le requérant allègue diverses violations de son droit à un procès équitable, en particulier une atteinte au principe de l'égalité des armes. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

29. La Cour a d'abord examiné le grief de l'intéressé relatif à la méconnaissance du principe de l'égalité des armes. Le requérant souligne que le tribunal administratif du canton Schwyz, dans ses observations au Tribunal fédéral des assurances, a soulevé divers points nouveaux. Dans son arrêt de 10 juin 1997, le Tribunal fédéral des assurances s'est implicitement appuyé sur ces observations, alors qu'il n'a pas pris en compte la déclaration du 15 mai 1997 que le requérant avait déposée auprès de cette juridiction.

30. Le requérant affirme que les observations du tribunal administratif démontrent que celui-ci a dans une large mesure fondé son jugement sur des points évoqués pour la première fois dans lesdites observations. Par conséquent, il n'a pas pu y répondre dans la procédure devant cette juridiction. Selon lui, le Tribunal fédéral des assurances a méconnu le principe de l'égalité des armes en ce qu'il n'a pas pris en considération ses observations datées du 15 mai 1997, alors qu'il a tenu compte de celles du tribunal administratif. En principe, chaque partie doit avoir le droit de présenter sa thèse dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à la partie adverse.

31. Le Gouvernement conteste qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Il soutient que les dispositions de la loi d'organisation judiciaire, en particulier celles qui concernent la compétence restreinte d'une juridiction d'appel, sont conformes aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention. Il soutient que même si le Tribunal fédéral des assurances n'a pas expressément considéré la réponse du requérant du 15 mai 1997, ce dernier a en fait largement eu la possibilité d'exposer son point de vue. En effet, l'intéressé a reçu des copies des observations du tribunal administratif, bien que tardivement en raison d'une inadvertance administrative, et a eu la possibilité d'y répondre. Selon le Gouvernement, la présente affaire se distingue donc de l'affaire Nideröst-Huber c. Suisse (arrêt du 18 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 107 et suiv.), dans laquelle les observations n'avaient pas du tout été communiquées au requérant.

32. En outre, le Gouvernement invoque la jurisprudence de la Cour, selon laquelle la juridiction interne compétente n'est pas tenue de procéder à un examen détaillé de chaque argument soulevé par les parties (arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, série A n° 288, p. 20, § 61). Par conséquent, le requérant n'avait pas de droit absolu d'exiger du Tribunal fédéral des assurances qu'il expose les motifs qu'il avait de rejeter les arguments supplémentaires soulevés dans sa réponse, ce d'autant plus que cette juridiction a considéré que les observations du tribunal administratif ne contenaient rien de nouveau ni de pertinent pour la décision à rendre.

33. Le Gouvernement rappelle que le Tribunal fédéral des assurances a en fait non seulement pris connaissance de la réponse du requérant datée du 15 mai 1997, mais s'est également prononcée sur celle-ci. Certes, cette juridiction n'a pas jugé nécessaire de procéder à un deuxième échange d'écritures, en particulier puisqu'un double échange avait déjà eu lieu au cours de la procédure de première instance. Toutefois, le Tribunal fédéral a motivé cette décision de manière circonstanciée dans son arrêt du 10 juin 1997. Il ressort de cet arrêt que les observations du requérant ne contenaient « aucun nouvel élément de fait ou de droit ». Le Tribunal fédéral a ensuite examiné les circonstances mentionnées par l'intéressé et expliqué dans sa conclusion pourquoi les éléments, considérés comme nouveaux par celui-ci, ne l'étaient en fait pas. A cet égard aussi, il y a lieu de considérer, selon le Gouvernement, que le pouvoir de cognition du Tribunal fédéral des assurances était limité et que la possibilité pour le requérant d'exposer de nouveaux faits était fortement restreinte. Le requérant aurait déjà dû invoquer les motifs avancés dans sa réponse du 15 mai 1997 dans la procédure de première instance.

34. Conformément à la jurisprudence de la Cour, le principe de l'égalité des armes - l'un des éléments plus large de la notion du procès équitable - requiert que chaque partie se voit offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, parmi d'autres, l'arrêt Ankerl c. Suisse du 23 octobre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1567-1568, § 38).

35. Quant aux faits de l'espèce, le tribunal administratif du canton de Schwyz a soumis au Tribunal fédéral des assurances des observations auxquelles le requérant n'a pas été autorisé à répondre. Cependant, le tribunal cantonal, juridiction indépendante, ne saurait passer pour l'adversaire du requérant dans cette procédure. Aucun manquement à l'égalité des armes ne se trouve donc établi.

36. Toutefois, la notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée aux juges et de la discuter (arrêts Lobo Machado c. Portugal et Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, respectivement p. 206, § 31, et p. 234, § 33).

37. En l'espèce, les observations du tribunal administratif, qui comptaient cinq pages, proposaient explicitement le rejet du recours de droit administratif formé par le requérant. Pour la Cour, peu importe leur effet réel sur l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances. En effet, comme les observations émanaient d'un tribunal indépendant qui, de surcroît, connaissait parfaitement le dossier pour l'avoir examiné au fond, il paraît peu vraisemblable que le Tribunal fédéral ne leur ait pas prêté attention. En fait, le Tribunal fédéral s'est fondé sur ces observations, notamment pour rejeter le grief du requérant relatif à la non-audition des témoins Ch.R. et R.H. Il convenait donc d'autant plus d'offrir à l'intéressé une possibilité de les commenter s'il le désirait (arrêt Nideröst-Huber c. Suisse du 18 décembre 1997, Recueil 1997-I, p. 108, § 27).

38. Il est vrai que le requérant a soumis au Tribunal fédéral des assurances le 15 mai 1997 une réponse aux observations de la juridiction inférieure. Le gouvernement défendeur souligne que le Tribunal fédéral avait en fait connaissance de cette réponse et l'a même discutée dans son arrêt du 10 juin 1997. Toutefois, la Cour constate que, dans son arrêt, cette juridiction a explicitement et sans équivoque déclaré que « les observations du requérant, présentées de son propre mouvement, ne [pouvaient] être prises en compte juridiquement ».

39. De fait, le Tribunal fédéral des assurances n'a pas jugé nécessaire d'examiner la réponse du requérant, au motif notamment que les observations présentées par la juridiction inférieure ne renfermaient aucun nouvel élément de fait ou de droit. Cependant, en pareille situation, les parties au litige doivent avoir la possibilité d'apprécier si tel est le cas et si un document appelle des commentaires. Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : elle se fonde, entre autres, sur l'assurance d'avoir pu s'exprimer sur toute pièce au dossier (voir l'arrêt Nideröst-Huber précité, p. 108, § 29).

40. L'article 6 § 1 de la Convention vise avant tout à préserver les intérêts des parties et ceux d'une bonne administration de la justice (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Acquaviva c. France du 21 novembre 1995, série A n° 333-A, p. 17, § 66). En l'espèce, le respect du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, exigeait de donner au requérant la faculté de discuter les observations présentées par le tribunal administratif du canton de Schwyz. Toutefois, l'intéressé n'a pas bénéficié de cette possibilité.

41. A lui seul, ce constat emporte violation de l'article 6 § 1 de la Convention. En conséquence, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner l'autre grief soulevé par le requérant sur le terrain de cette disposition, à savoir qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable du fait que dans la procédure devant le tribunal administratif du canton de Schwyz certains témoins n'ont pas été entendus et que lui-même n'a pas été correctement entendu (voir, mutatis mutandis, l'arrêt De Haes et Gijsels c. Belgique du 24 février 1997, Recueil 1997-I, p. 239, § 59).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

42. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage

43. Pour dommage matériel, le requérant sollicite 9 012,15 francs suisses (CHF) sur la somme de 12 462,15 CHF qu'il devait à la caisse de compensation du canton de Schwyz. Il réclame en outre 2 000 CHF pour préjudice moral.

44. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces prétentions, estimant qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la violation dénoncée et le préjudice allégué.

45. Pour la Cour, il n'existe aucun lien de causalité entre la violation dénoncée et le dommage matériel allégué. En particulier, il n'appartient pas à la Cour de spéculer sur l'issue d'une procédure conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention (voir l'arrêt Nideröst-Huber précité, p. 109, § 37).

46. Quant au préjudice moral, la Cour l'estime suffisamment compensé par le constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
B. Frais et dépens

47. Le requérant demande aussi la somme totale de 4 303,95 CHF pour frais et dépens, soit 1 200 CHF pour les frais exposés devant le Tribunal fédéral des assurances et 3 103,95 CHF pour les honoraires de son avocat.

48. Le Gouvernement accepte de rembourser la somme de 3 103,95 CHF et demande à la Cour de rejeter cette prétention pour surplus.

49. La Cour relève que d'après sa jurisprudence, pour avoir droit à l'allocation de frais et dépens, la partie lésée doit les avoir supportés afin d'essayer de prévenir ou faire corriger une violation de la Convention, d'amener la Cour à la constater et d'en obtenir l'effacement. Il faut aussi que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi d'autres, l'arrêt Philis c. Grèce (n° 1) du 27 août 1991, série A n° 209, p. 25, § 74).

50. Pour la Cour, les frais afférents à l'instance devant le Tribunal fédéral des assurances ne sauraient avoir été engagés pour prévenir ou faire corriger une violation affectant la procédure devant cette même juridiction. Avec le Gouvernement, elle estime donc devoir rejeter cette partie de la demande.

51. Quant aux frais d'avocat exposés par le requérant, la Cour alloue la somme demandée, soit 3 103,95 CHF.
C. Intérêts moratoires

52. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en Suisse à la date d'adoption du présent arrêt est de 5 % l'an.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice moral subi par le requérant ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, la somme de 3 103 (trois mille cent trois) francs suisses et 95 (quatre-vingt-quinze) centimes pour frais et dépens ;
b) que ce montant sera à majorer d'un intérêt simple de 5 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 28 juin 2001 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh            Greffier
Christos Rozakis         Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion concordante de M. Bonello.
C.L.R.
E.F.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE BONELLO
Jusqu'à présent, lorsque la Cour a conclu à la violation d'une garantie de la Convention, j'ai toujours voté contre la pratique consistant à dénier à la victime de cette atteinte toute indemnité pour préjudice moral au motif que le constat de violation représentait en soi une satisfaction équitable. J'ai exposé dans le détail les raisons de ce vote dans mon opinion en partie dissidente en l'affaire Aquilina c. Malte (arrêt du 29 avril 1999, Recueil 1999-III, p. 247).
Cette prise de position constante traduisait mon désir d'établir un « cordon sanitaire » entre moi-même et ce que je considère être une pratique non souhaitable.
Ayant exposé mon point de vue, et dans l'intérêt de la collégialité, de la sécurité juridique et pour éviter, chaque fois que possible, une fragmentation du processus décisionnel, je me rallierai à l'avenir à la majorité dans les affaires analogues.
Bien entendu, lorsque j'estimerai que les circonstances d'une affaire font apparaître des raisons particulièrement solides justifiant l'octroi d'une indemnité pour préjudice moral, j'exprimerai cette opinion.