11663/04
Droit à un procès équitable (art. 6 § 1 CEDH) et présomption d'innocence (art. 6 § 2 CEDH); devoir de collaborer à la procédure fiscale et procédure pénale.
Le requérant fit l'objet de plusieurs procédures fiscales, administratives et pénales. Dans le cadre de procédures administratives, il fut condamné à des amendes de plusieurs milliers de francs pour avoir refusé de produire l'ensemble des pièces justificatives réclamées. Ultérieurement, une procédure pénale fut ouverte, portant partiellement sur la même période fiscale que les procédures administratives en question. Invoquant l'article 6 § 1 (droit à un procès équitable), le requérant s'est plaint d'une violation de son droit de ne pas être contraint de s'incriminer lui-même. Il fit également valoir une violation du principe de l'égalité des armes, au motif qu'il n'aurait pas pu consulter l'ensemble des documents en la possession de l'administration fiscale des impôts.
Par rapport au grief d'une violation du droit de ne pas être contraint de s'incriminer soi-même, la Cour observa que les documents pour la non-production desquels le requérant s'était vu infliger une amende étaient également mentionnés dans la procédure pénale et que le requérant ne pouvait exclure que toute information relative à des revenus supplémentaires l'exposait à être accusé de soustraction d'impôts. Le fait que l'enquête fut ouverte plusieurs années plus tard n'était pas déterminant selon elle, puisque les décisions internes confirmant les amendes étaient intervenues après l'ouverture de l'enquête.
En ce qui concerne le principe de l'égalité des armes, la Cour constata que le Tribunal administratif cantonal avait refusé au requérant l'accès à certains documents en raison de son attitude en procédure, plus particulièrement parce qu'il ne fournissait pas "les explications les plus élémentaires qui pourraient conduire à douter de la version des faits adoptée dans la décision attaquée". Selon la Cour, cela revenait à lui reprocher de ne pas avoir remis aux autorités fiscales les documents pour lesquels il faisait valoir son droit au silence. Elle en conclut que les conditions établies par la jurisprudence pour le refus de communiquer à un accusé l'ensemble du dossier n'étaient pas données en l'espèce.
Violation de l'article 6 § 1 CEDH (cinq voix contre deux).
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 11663/04) dirigée contre la Conféderation suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Yves Chambaz (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 mars 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me O. Wehrli, avocat à Genève. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent suppléant, M.A. Scheidegger, de l'Unité Droit européen et protection internationale des droits de l'Homme de l'Office fédéral de la Justice.
3. Le requérant allègue des violations du droit au procès équitable tel que garanti par l'article 6 de la Convention.
4. Le 21 juin 2007, le président de la première section a décidé de communiquer au Gouvernement le grief tiré du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination et du droit à l'égalité des armes. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la cinquième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
6. Le requérant est né en 1954 et réside actuellement aux Bermudes. Il a fait l'objet de plusieurs procédures pour soustraction d'impôts impliquant également plusieurs sociétés auxquelles il était lié.
7. Le 10 janvier 1990, le requérant remit à la commission d'impôt et recette de district d'Aubonne sa déclaration d'impôt pour la période fiscale 1989-1990. Parmi les frais dont il demandait la déduction, figurait une note d'honoraire de la société P. SA pour la gestion de sa fortune.
8. Par décision du 18 juin 1991, la commission d'impôt fixa le revenu imposable du requérant pour l'année fiscale 1989-1990. Elle considéra que le requérant n'avait pas déclaré l'ensemble de ses revenus, car l'évolution de sa fortune était disproportionnée par rapport au revenu annoncé. A titre de redressement, elle estima que les gains réalisés par le requérant sur un ensemble de comptes ouverts auprès de la banque S. pour le compte du requérant, et gérés par P. SA, s'élevaient en réalité à 599 309 francs suisses (CHF) par an (correspondant à 399 539 euros (EUR) environ) et qu'ils devaient être ajoutés au revenu déclaré.
9. Le 25 juin 1991, le requérant forma deux réclamations contre la décision de la commission d'impôt du 18 juin 1991. Il adressa sa première réclamation dirigée contre l'impôt fédéral direct à la commission d'impôt, alors que la seconde réclamation, portant sur l'impôt cantonal et communal, fut remise à l'administration cantonale des impôts du canton de Vaud.
10. Au cours de la procédure d'instruction des réclamations, la commission d'impôt demanda au requérant de produire l'ensemble des documents concernant ses relations d'affaire avec la société P. SA et les banques qui détenaient des avoirs pour le compte de celle-ci.
11. Par décision du 17 août 1994, la commission d'impôt rejeta la réclamation dirigée contre l'impôt fédéral direct. Elle infligea au requérant une amende de 2 000 CHF (environ 1 440 EUR) au motif qu'il aurait refusé de produire l'ensemble des pièces justificatives qui lui avaient été réclamées.
12. Par décision du 29 août 1994, l'administration cantonale des impôts rejeta la seconde réclamation dirigée contre l'impôt cantonal et communal. Elle infligea une amende au requérant de 3 000 CHF (environ 2 159 EUR) pour les mêmes motifs que la commission d'impôt.
13. Contestant les décisions prises par la commission d'impôt et par l'administration cantonale des impôts, le requérant saisit le tribunal administratif du canton de Vaud.
14. Alors que la procédure devant le tribunal administratif était pendante, une enquête contre le requérant fut ouverte le 25 février 1999 par l'administration fédérale des contributions qui le soupçonnait de s'être soustrait à ses obligations fiscales.
15. Le 3 mars 1999, le directeur de l'administration fédérale des contributions décerna un mandat de perquisition à l'encontre du requérant, invitant les enquêteurs à saisir tous documents concernant « particulièrement les années 1989 à 1998, mais également tout document notable antérieur à 1989 ou postérieur à 1998 ».
16. Le 15 mars 1999, l'administration cantonale des impôts écrivit au requérant pour l'informer que sa « déclaration d'impôt 1999-2000 et celles des années antérieures ne seraient pas exactes ». Il lui était également laissé la possibilité de collaborer avec le fisc en lui indiquant les éléments qui n'auraient pas été déclarés pour les années 1995 à 2000.
17. Le 16 mars 1999, les perquisitions mentionnées dans le mandat du 3 mars 1999 furent effectuées au domicile du requérant et chez des tiers. Le requérant contesta la validité de celles-ci. Par arrêts des 30 avril, 22 septembre 1999 et 26 novembre 1999, la chambre d'accusation du Tribunal fédéral constata que les perquisitions avaient été effectuées avec un mandat valablement rédigé et que les documents séquestrés à titre de preuve auprès des sociétés F.C. SA et Y. SA et au domicile du requérant présentaient un lien suffisant avec les faits faisant objet de l'enquête.
18. Le 16 février 2000, l'administration cantonale des impôts écrivit au tribunal administratif pour lui demander de suspendre la procédure dans l'attente du résultat de l'enquête pour soustraction d'impôts.
19. Le 18 décembre 2000, le requérant fut interrogé en qualité d'inculpé par les inspecteurs de l'administration fédérale des contributions. Il était accusé d'avoir commis une soustraction d'impôt, une tentative de soustraction, d'instigation et de complicité à la commission de cette infraction et d'usage de faux.
20. Au cours de l'interrogatoire, le requérant fut interrogé sur les comptes bancaires que la société P. SA avait ouverts pour son compte auprès de la banque S. Il prétendit que ceux-ci avaient été déclarés correctement. Il fut également questionné au sujet des ses relations avec deux sociétés de droit panaméen, T.F. et F.H. qui étaient toutes deux clientes de la société Y. SA dont le requérant était l'employé.
21. Par lettre des 22 et 24 janvier 2001, l'avocat du requérant demanda à pouvoir consulter le dossier de la procédure d'enquête, plus particulièrement les pièces qui avaient été séquestrées auprès de tiers. Cette demande fut rejetée le 6 février 2001 par l'administration fédérale des contributions au motif que le requérant devait obtenir l'autorisation des personnes concernées. Celles-ci étaient mentionnées à la fin de la lettre. Il s'agissait de M. F.R. et des sociétés F.C. SA et P. SA, cette dernière étant la société mentionnée aux paragraphes 7, 8 et 10 ci-dessus.
22. Le 14 décembre 2001, l'administration fédérale des contributions adressa un questionnaire au requérant concernant sa situation personnelle et celle de plusieurs sociétés auxquelles il était lié. Parmi les questions posées, figuraient les comptes bancaires ouverts par le requérant auprès de la banque S. Dans sa réponse du 1er mars 2002, le requérant insista sur le fait qu'il avait « toujours déclaré ce compte ».
23. Par lettre du 7 février 2002, l'administration cantonale des impôts demanda au tribunal administratif de reprendre la procédure concernant les décisions du 18 juin 1991 et 17 août 1994. A cette occasion, elle insista sur le fait que les dettes fiscales du requérant seraient prescrites le 31 décembre 2002. Se fondant sur les résultats déjà connus de l'enquête pour soustraction d'impôt que l'administration fédérale des contributions n'avait pas encore achevée, elle exposa que celle-ci avait « permis de mettre à jour une quantité impressionnante d'opérations financières effectuées pour le compte du » requérant. Concernant l'ensemble de comptes ouverts auprès de la Banque S. par le requérant, elle reconnut que ceux-ci avaient été partiellement déclarés par le requérant qui avait toutefois omis d'annoncer l'intégralité des revenus et de la fortune y afférent. Concernant les sociétés de droit panaméen T.F. et F.H., l'administration considéra que le requérant était actionnaire de celles-ci à hauteur de 50 % et que le revenu et la fortune desdites sociétés devait lui être attribué à raison de ce pourcentage. Invoquant l'article 52 § 2 de la loi vaudoise sur la procédure et la juridiction administrative, l'administration cantonale des impôts décida de modifier la décision du 18 juin 1991 et d'accroître en conséquence le revenu et la fortune imposables du requérant. Elle informa la juridiction qu'elle maintenait les autres parties des décisions litigieuses.
24. Agissant par l'intermédiaire de la société fiduciaire chargée de ses déclarations fiscales, le requérant fit part de ses observations par lettre du 18 avril 2002. A titre préliminaire, il demanda au tribunal administratif d'attendre les résultats définitifs de l'enquête pour soustraction d'impôt menée par l'administration fédérale des contributions. Sur le fond, il contesta le bien fondé des demandes nouvelles formées par l'administration et proposa à la juridiction d'ordonner à l'administration cantonale des impôts de produire l'ensemble des relevés concernant les comptes bancaires ouverts auprès de la banque S., de la banque S.B.S et de la banque U.B.S. au nom du requérant ou de tiers.
25. Une audience fut tenue devant le tribunal administratif le 13 juin 2002 à laquelle comparurent l'avocat du requérant, un expert comptable, un fonctionnaire de l'administration cantonale des impôts ainsi qu'un représentant de l'administration fédérale des contributions chargé de l'enquête pour soustraction d'impôt menée contre le requérant. Ce dernier était muni de nombreux documents. Il remit au tribunal certains d'entre eux durant l'audience afin qu'ils soient versés dans le dossier de la procédure. L'avocat du requérant n'eut cependant pas accès aux autres documents que le représentant de l'administration avait amenés avec lui et qu'il n'a pas souhaité remettre au tribunal.
26. Le 31 juillet 2002, l'administration fédérale des contributions fit parvenir à l'administration cantonale des impôts une note concernant le requérant et, plus particulièrement, la prescription des créances fiscales. Elle invita l'administration cantonale à se prévaloir de l'effet interruptif de la prescription lié à l'ouverture de l'enquête pour soustraction d'impôts, au motif qu' « on ne saurait nier toute relation avec la taxation en général » et « qu'un rapport de connexité entre l'activité [l'administration fédérale des contributions] et la taxation ne peut dès lors être nié ». Elle ajouta également que « cette complémentarité [était] par ailleurs corroborée par les récents arrêts de la chambre d'accusation du Tribunal fédéral ».
27. Par jugement du 21 octobre 2002, le tribunal administratif rejeta les recours du requérant et confirma intégralement les décisions administratives des 18 juin 1991 et 17 août 1994, telles que modifiées par la lettre du 7 février 2002 (voir paragraphe 23 ci-dessus). La juridiction estima, tout d'abord, qu'elle n'était pas légalement tenue d'attendre l'issue de l'enquête pour soustraction d'impôt menée par l'administration fédérale des contributions, car la provenance des documents versés au dossier de la procédure n'était pas pertinente. La juridiction considéra, ensuite, que l'article 6 de la Convention n'était pas applicable en l'espèce. Concernant l'impossibilité du requérant d'avoir accès à l'ensemble des documents, la juridiction estima que la pratique des autorités administratives consistant à refuser l'accès à certains documents apportés à l'audience était « très discutable », car « le caractère incomplet du dossier fourni par l'autorité intimée » laissait penser qu'il pouvait se trouver des documents favorables au requérant. Néanmoins, le tribunal administratif considéra que « l'attitude d'obstruction systématique » du requérant, sanctionnée par les amendes litigieuses, permettait de s'en tenir à la version des faits fournis par l'administration.
28. Le requérant attaqua le jugement du tribunal administratif devant le Tribunal fédéral. A l'appui de ses deux recours il se plaignit que les amendes qui lui avaient été infligées pour avoir refusé de produire l'ensemble des pièces justificatives violaient son droit à ne pas s'incriminer lui-même, car les documents pouvaient être utilisés au cours de l'enquête ouverte contre lui. Il soutenait également que le refus de le laisser consulter l'ensemble des documents amenés par le représentant de l'administration fédérale des contributions violait son droit à l'égalité des armes. Finalement, invoquant le droit à la présomption d'innocence, il alléguait que la procédure devant le tribunal administratif aurait dû être suspendue jusqu'à la fin de l'enquête menée par l'administration fédérale des contributions.
29. Par arrêt du 2 octobre 2003, le Tribunal fédéral rejeta les deux recours du requérant. Concernant les amendes infligées au requérant, la juridiction considéra que la procédure ne revêtait pas un caractère pénal, car elle avait uniquement pour objet de déterminer les obligations fiscales de ce dernier qui ne pouvait dès lors se prévaloir ni de son droit à ne pas s'incriminer lui-même, ni de son droit à la présomption d'innocence. Quant au refus de laisser le requérant consulter l'ensemble des documents entre les mains de l'administration fédérale des impôts, le Tribunal fédéral observa que le requérant avait eu accès à toutes les pièces qui avaient été produites devant le tribunal administratif et que « les nombreuses pièces amenées par l'administration (...) à l'audience devant le tribunal administratif, (...) n'étaient apparemment pas pertinentes pour la période fiscale 1989-1990 », si bien que « le tribunal administratif n'a[vait] pas demandé leur production. »
30. Alors que la procédure mentionnée aux paragraphes précédents était pendante devant le tribunal administratif et devant le Tribunal fédéral, l'enquête ouverte le 25 février 1999 contre le requérant pour soustraction d'impôt fut poursuivie.
31. Le 2 novembre 2004, l'administration fédérale des impôts rédigea un rapport au sujet de l'enquête menée contre le requérant. Elle arrivait à la conclusion que le requérant s'était soustrait à ses obligations durant les périodes fiscales 1995-1996, 1997-1998 et 1999-2000. Concernant les périodes fiscales 1988-1989, 1991-1992 et 1993-1994, l'administration considéra qu'elle avait « trouvé des informations relatives aux périodes fiscales précitées » et que « ces informations ont permis de mettre à jour des éléments imposables ne figurant pas dans les déclarations d'impôt des époux Chambaz, éléments qui ont été transmis à l'administration cantonale des impôts ». Dans la suite du rapport, l'administration mentionna les comptes bancaires détenus par le requérant auprès de la banque S. et gérés par la société P. SA depuis 1986. Elle analysa les revenus réalisés durant les périodes fiscales 1995-1996, 1997-1998 et 1999-2000 par des opérations de change, des placements fiduciaires et des opérations sur titres réalisés à l'aide des avoirs placés sur ce compte. Concernant les sociétés de droit panaméen F.H. et T.F., l'administration imputa au requérant le revenu qu'elles avaient réalisé ainsi que leur fortune. A la fin du rapport, l'administration proposa de déclarer le requérant coupable de soustraction d'impôt et de tentative de soustraction.
32. Par lettre du 8 décembre 2004, l'avocat du requérant contesta le bien fondé des conclusions figurant dans le rapport. Il mit en doute le fait que la procédure d'enquête n'ait concerné que les périodes fiscales indiquées. A ce propos, il allégua que l'administration avait adressé plusieurs ordonnances de perquisition à des banques au sujet de comptes bancaires qui était déjà clos à ce moment. Il en déduisit que la procédure visait, en fait, également les périodes fiscales 1985-1986, 1987-1988, 1989-1990, 1991-1992 et 1993-1994.
33. Par lettre du 21 décembre 2004, l'administration répondit à l'avocat du requérant qu'elle avait « été amenée à analyser les années précédentes », « afin de connaître la situation au 1er janvier 1993 ».
34. Par décision du 12 janvier 2006, l'administration cantonale des impôts réclama au requérant 2 318 458 CHF (environ 1 545 638 EUR) à titre d'arriéré d'impôt pour les périodes fiscales durant les périodes fiscales 1995-1996, 1997-1998 et 1999-2000 et lui infligea une amende pour soustraction d'impôt d'un montant total de 1 304 000 CHF (environ 869 333 EUR). Après réclamation par le requérant, elle diminua, par décision du 12 janvier 2006, le montant des arriérés d'impôts et maintint intégralement l'amende. Le requérant n'allègue pas avoir contesté cette décision devant les tribunaux.
35. Le requérant se plaint, sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, que la procédure devant le tribunal administratif du canton de Vaud, et achevée par l'arrêt du Tribunal fédéral du 2 octobre 2003, n'a pas été équitable. Il soutient qu'une amende lui a été infligée pour ne pas avoir produit des documents susceptibles de l'incriminer dans une procédure pénale et que l'égalité des armes n'a pas été respectée. L'article 6 § 1 est libellé ainsi en ses passages pertinents :
36. Le Gouvernement soutient que l'article 6 de la Convention n'était pas applicable en l'espèce. Il relève que la procédure faisant objet de la présente requête était indépendante de l'enquête ouverte en 1999 (voir paragraphe 14 et suivants) et qu'elle avait uniquement pour but de déterminer les obligations fiscales du requérant. En particulier, le Gouvernement expose que l'enquête a été ouverte quatre ans après que les amendes pour refus de collaborer aient été infligées au requérant. Il allègue également que l'enquête portait sur les années 1995 à 2000 exclusivement.
37. Le requérant rétorque que les amendes qui lui ont été infligées pour avoir refusé de collaborer constituaient une sanction pénale susceptible d'entraîner l'application de l'article 6 § 1 de la Convention à la procédure. Il observe, ensuite, qu'un fonctionnaire de l'administration fédérale des contributions, chargé de l'enquête contre lui, a été autorisé à prendre part à l'audience devant le tribunal administratif. De plus, le requérant soutient qu'il ressortirait de plusieurs documents versés au dossier que les faits faisant l'objet de l'enquête contre lui étaient liés avec la procédure pendante devant le tribunal administratif. A ce propos, le requérant se réfère à la note du 31 juillet 2002 (voir paragraphe 25 ci-dessus) et au contenu du rapport du 2 novembre 2004 (voir paragraphe 30 ci-dessus), aux termes desquels l'administration elle-même aurait reconnu les liens existant entre l'enquête pour soustraction d'impôt et la procédure à l'origine de la présente requête.
38. La Cour observe au préalable que l'article 6 de la Convention n'est pas applicable sous son volet civil à la présente procédure qui avait pour objet la détermination des obligations fiscales du requérant à l'égard de l'État (Ferrazzini c. Italie [GC], no 44759/98, § 29, CEDH 2001-VII). La question qui se pose toutefois consiste à savoir si la procédure litigieuse était de nature « pénale » et est à ce titre susceptible d'entraîner l'application des garanties prévues par le volet pénal de l'article 6 de la Convention (Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 29, CEDH 2006-XIII).
39. La Cour rappelle, à ce propos, qu'elle a déjà eu l'occasion de se pencher à plusieurs reprises sur la question de l'application de l'article 6 de la Convention à des procédures fiscales se déroulant devant les autorités suisses. Ainsi, dans l'affaire A.P., M.P. et T.P. c. Suisse elle a jugé qu'une procédure aboutissant à une amende pour l'infraction de soustraction d'impôt selon le droit fiscal suisse appelle en principe un examen sous l'angle de l'article 6 de la Convention (arrêt du 29 août 1997, §§ 40 ss, Recueil des arrêts et des décisions 1997-V).
40. L'applicabilité de l'article 6 de la Convention ne se limite, par ailleurs, pas aux cas où une amende pour soustraction d'impôt a effectivement été prononcée au terme de celle-ci. Lorsque la procédure tend à la détermination des montants dus à titre d'impôt, sans complètement exclure qu'une amende soit prononcée, l'article 6 est également applicable, même si, en fin de compte, les autorités renoncent à infliger toute sanction financière au requérant (J.B. c. Suisse, no 31827/96, §§ 47-48, CEDH 2001-III). La question se pose donc de savoir si l'article 6 de la Convention s'applique à une procédure administrative comme celle qui est ici en cause.
41. A cet égard, la Cour rappelle que la Convention doit être interprétée de manière à garantir le caractère concret et effectif des droits qui y sont garantis ( Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32). Elle irait à l'encontre de ce but, si elle s'estimait liée par les qualifications contenues dans l'ordre juridique interne, car cela aurait pour conséquence que l'application de l'article 6 de la Convention à certaines catégories de litiges serait subordonnée à la volonté souveraine des Etats membres ( Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 81, série A no 22).
42. S'agissant de la situation particulière d'un requérant contre lequel plusieurs procédures distinctes sont menées en parallèle, la Cour ne saurait, ainsi, exclure l'applicabilité de l'article 6 de la Convention lorsque l'examen des griefs allégués par le requérant l'amène inévitablement à se pencher peu ou prou sur des actes, ou des fragments de procédure, auxquels l'article 6 n'est en principe pas applicable ( Sträg Datatjänster AB c. Suède (déc.), no 50664/99, 21 juin 2005), notamment lorsque différents éléments se trouvent combinés dans une même procédure de telle manière qu'il est impossible de distinguer les phases de celle-ci portant sur une « accusation en matière pénale » de celles qui ont un autre objet ( Jussila c. Finlande, précité, § 45).
43. La Cour peut donc être amenée, dans certaines circonstances, à examiner globalement, sous l'angle de l'article 6 de la Convention, un ensemble de procédures si celles-ci sont suffisamment liées entre elles pour des raisons tenant soit aux faits sur lesquelles elles portent, soit à la manière dont elles sont menées par les autorités nationales. L'article 6 de la Convention sera ainsi applicable lorsqu'une des procédures en cause porte sur une accusation en matière pénale et que les autres lui sont suffisamment liées.
44. Se tournant vers les circonstances particulières du cas d'espèce, la Cour relève d'emblée qu'il ne fait aucun doute que la procédure d'enquête pour soustraction d'impôt porte sur une accusation de nature pénale. La question se pose de savoir si la procédure à l'origine de la présente requête, ayant pour objet les impôts dus par le requérant pour la période fiscale 1989-1990 (voir paragraphes 7 et 8 ci-dessus), tombe également sous l'empire de l'article 6 de la Convention.
45. La Cour observe, tout d'abord, que l'article 111 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct fait obligations aux différentes autorités de se fournir mutuellement des renseignements et qu'en vertu de l'article 195 § 1 de cette même loi pareille obligation existe également en ce qui concerne la procédure d'enquête pour soustraction d'impôt. Les deux procédures n'étaient donc pas conçues en droit interne pour être menées de manière indépendante.
46. Par ailleurs, pour ce qui est, ensuite, de l'organisation de l'enquête en matière fiscale, la Cour relève que le mandat de perquisition visant le requérant invitait les fonctionnaires chargés de l'enquête contre lui à saisir des documents concernant la période fiscale 1989-1990 (voir paragraphe 15 ci-dessus) et que l'administration fédérale des impôts a elle-même reconnu que l'enquête pour soustraction d'impôt avait porté sur des années pour lesquelles le requérant n'avait pas formellement été accusé de soustraction d'impôt (voir paragraphe 33 ci-dessus). L'administration cantonale des impôts a, de surcroît, invoqué les résultats de la procédure d'enquête en cours pour former des demandes nouvelles devant le tribunal administratif (voir paragraphe 23 ci-dessus) et un fonctionnaire chargé de l'enquête contre le requérant a assisté à une audience devant la juridiction (voir paragraphe 25 ci-dessus).
47. Concernant, finalement, les faits eux-mêmes faisant l'objet de l'enquête, la Cour note que les comptes bancaires détenus par le requérant auprès de la Banque S., et gérés par la société P. SA, ont été mentionnés tant dans la procédure ayant donné lieu à la présente requête (voir paragraphes 8 et 24 ci-dessus) que dans l'enquête pour soustraction d'impôts (voir paragraphes 21 et 31 ci-dessus). De surcroît, les relations entre le requérant et les sociétés de droit panaméen T.F et F.H. sont à l'origine des demandes nouvelles devant le tribunal administratif (voir paragraphe 23 ci-dessus), alors que le requérant a été interrogé à leur sujet au cours de l'enquête pour soustraction d'impôts (voir paragraphe 20 ci-dessus).
48. A la lumière de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion que l'enquête pour soustraction d'impôts dirigée contre le requérant s'inscrivait dans le prolongement de la procédure qui s'est déroulée devant le tribunal administratif. Elle estime, par conséquent, que les deux procédures étaient étroitement liées de sorte que le caractère manifestement pénal de l'enquête s'est étendu à la procédure ayant donné lieu à la présente requête. Il s'ensuit que l'article 6 de la Convention est applicable dans le cas d'espèce sous son volet pénal. Partant, il convient de rejeter l'exception du Gouvernement.
49. La Cour constate en outre que les griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'ils ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
50. Le requérant considère que sa situation est identique à l'affaire Funke c. France (arrêt du 25 février 1993, série A no 256-A). Il expose que, d'une part, en produisant les documents réclamés par la commission d'impôt, il aurait permis au fisc d'ouvrir sur le champ une procédure en soustraction d'impôt à son encontre. Il se plaint, par ailleurs, que le tribunal administratif et le Tribunal fédéral ont confirmé les amendes qui lui avaient été infligées alors qu'il faisait l'objet d'une enquête pour soustraction d'impôt pour les mêmes périodes fiscales et qu'en produisant les documents réclamés il s'exposait à ce qu'ils soient utilisés contre lui dans cette procédure à coloration pénale.
51. Le Gouvernement affirme, en se référant à l'affaire Allen c. Royaume-Uni, que l'obligation de fournir des informations au cours d'une procédure en rappel d'impôt ne saurait violer l'interdiction de contribuer à sa propre incrimination en l'absence de procédure pénale prévisible (décision du 10 septembre 2002, no 76574/01, CEDH 2002-VIII). A ce propos, il réitère son point de vue selon lequel les deux procédures menées contre le requérant étaient distinctes et observe, à nouveau, que l'enquête pour soustraction d'impôt n'a débuté que quatre ans après la décision de la commission d'impôt ayant infligé les amendes litigieuses au requérant. Il relève que la situation du requérant se distingue de l'affaire Funke c. France précitée, dans la mesure où la condamnation du requérant n'était pas uniquement destinée à obtenir des informations en vue d'une procédure pénale ultérieure, mais concernait uniquement l'établissement de ses obligations fiscales.
52. La Cour rappelle que même si l'article 6 de la Convention ne les mentionne pas expressément, le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable consacrée par l'article 6 § 1. En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'« accusé » (voir Funke précité ; John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 45, Recueil 1996-I ; Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI ; Serves c. France, 20 octobre 1997, § 46, Recueil 1997-VI ; J.B. c. Suisse, précité, § 64).
53. En l'espèce, la Cour relève qu'en infligeant des amendes au requérant, les autorités ont fait pression sur lui pour qu'il leur soumette des documents qui auraient fourni des informations sur son revenu et sa fortune en vue de son imposition, plus particulièrement en ce qui concerne ses comptes auprès de la Banque S. (voir paragraphe 8 ci-dessus). S'il n'appartient pas à la Cour de spéculer sur la nature de ces informations, elle constate que celles-ci sont également mentionnées dans le rapport établi à l'issue de l'enquête pour soustraction d'impôt (voir paragraphe 31 ci-dessus).
54. La Cour observe, par ailleurs, que le requérant ne pouvait exclure que toute information relative à des revenus supplémentaires de sources non imposées l'exposait à être accusé d'avoir commis l'infraction de soustraction d'impôt ( J.B. c. Suisse, précité, § 65) et était de nature à compromettre sa position dans l'enquête pour soustraction d'impôts.
55. Le fait que celle-ci ait été ouverte quatre ans plus tard n'est, aux yeux de la Cour, pas déterminant, car au moment où le tribunal administratif a confirmé les décisions litigieuses, l'enquête était déjà ouverte depuis un peu moins de trois ans. Dès lors, les décisions des juridictions internes, confirmant les amendes infligées précédemment au requérant, ont eu pour résultat d'obliger le requérant à contribuer à sa propre incrimination.
56. De surcroît, la Cour constate que l'article 183 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct a été modifié au 1er janvier 2008, de manière à donner aux personnes faisant l'objet d'une enquête fiscale des garanties suffisantes, dont la garantie que les informations fournies lors d'une procédure purement fiscale ne seront pas utilisées au cours de l'enquête pour soustraction d'impôts.
57. Finalement, la Cour estime que la situation du requérant se distingue de celle d'un contribuable qui avoue spontanément avoir fraudé le fisc dans l'espoir d'être moins sévèrement puni. A la différence de l'affaire Allen c. Royaume-Uni invoquée, le requérant n'a, en effet, jamais reconnu avoir eu un comportement illégal et s'est prévalu à tous les stades de la procédure de son droit au silence.
58. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le droit de ne pas être contraint de s'incriminer soi-même, tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, a été violé en l'espèce.
59. Le requérant allègue qu'il n'a pas été en mesure d'avoir accès à l'ensemble des pièces du dossier le concernant. Se référant à l'affaire Dowsett c. Royaume-Uni (arrêt du 24 juin 2003, no 39482/98, CEDH 2003-VII), il soutient qu'il aurait dû être en mesure de consulter l'ensemble des pièces apportées par le délégué de l'administration fédérale des contributions à l'audience devant le tribunal administratif. Il affirme que les documents en question présentaient des liens évidents avec la procédure en cours et qu'il n'appartient pas à l'administration de choisir seule les documents qu'elle entend invoquer en justice.
60. Le Gouvernement rétorque que le requérant a eu accès à l'ensemble des documents produits dans la procédure le concernant. Il estime que ce dernier aurait été en mesure de consulter l'ensemble des documents entre les mains de l'administration en obtenant le consentement écrit de tiers. Se référant à l'affaire Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas (arrêt du 27 octobre 1993, § 33, série A no 274), le Gouvernement soutient que le requérant n'aurait pas été placé dans une position de désavantage par rapport à son adversaire.
61. La Cour rappelle que le droit à un procès pénal équitable implique que la défense puisse avoir accès à l'ensemble des preuves entre les mains de l'accusation, qu'elles soient en défaveur, ou en faveur, de l'accusé (McKeown c. Royaume-Uni, no 6684/05, § 43, 11 janvier 2011). Les seules restrictions admissibles au droit d'accès à l'ensemble des preuves disponibles sont celles qui s'avèrent strictement indispensables (Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 58, Recueil 1997-III), soit la protection d'intérêts nationaux vitaux ou la sauvegarde des droits fondamentaux d'autrui (Dowsett c. Royaume-Uni, précité, § 42).
62. Par ailleurs, la procédure doit prévoir des moyens adéquats pour compenser cette restriction et éviter que des abus ne soient commis (Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 74-75, Recueil 1996-II). Ainsi, la Cour tient compte, par exemple, du fait que la question de l'opportunité d'une divulgation soit examinée par un magistrat indépendant et impartial ayant eu accès aux moyens de preuve litigieux et ayant, par voie de conséquence, été en mesure d'apprécier pleinement, et tout au long de la procédure, la pertinence pour la défense des informations non communiquées à celle-ci (Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, § 56, 16 février 2000 ; Fitt c. Royaume-Uni [GC], no 29777/96, § 49, CEDH 2000-II). Lorsque la communication d'informations tenues secrètes n'a pas été soumise au contrôle détaillé d'une juridiction au cours de la procédure de première instance, le manque d'équité de la procédure ne peut être réparé en degré d'appel que par une communication totale et complète des éléments litigieux (I.J.L. et autres. c. Royaume-Uni, nos 29522/95, 30056/96 et 30574/96, § 149, CEDH 2000-IX).
63. S'agissant, plus particulièrement, d'une procédure devant les juridictions administratives dans une affaire fiscale à caractère pénal, la Cour a déjà eu l'occasion d'indiquer qu'elle n'excluait pas que la notion de procès équitable puisse quand même comporter l'obligation, pour le fisc, de consentir à fournir au justiciable certaines pièces quand bien même celles-ci n'étaient pas spécifiquement invoquées par l'administration contre le requérant ( Bendenoun c. France, 24 février 1994, § 52, série A no 284).
64. Finalement la Cour observe, qu'elle n'a certes pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes auxquelles il incombe en premier chef d'apprécier l'utilité d'une offre de preuve et qu'il ne lui appartient pas de spéculer sur le contenu ou la pertinence des documents en question (voir, parmi beaucoup d'autres, Asch c. Autriche, 26 avril 1991, § 25, série A no 203). Il n'en demeure pas moins que le refus d'administrer une preuve doit être dûment motivé ( Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 34, série A no 35-B).
65. En l'espèce, la Cour constate que le tribunal administratif a refusé au requérant l'accès aux documents en raison de son « attitude adoptée [...] en procédure », plus particulièrement à cause du fait qu'il ne « fourni[ssai]t pasles explications les plus élémentaires qui pourraient conduire à douter de la version des faits adoptée dans la décision attaquée » (voir paragraphe 27 ci-dessus). En substance, cela revenait à reprocher au requérant de ne pas avoir remis aux autorités fiscales les documents pour lesquelles il faisait valoir son droit au silence. La Cour en déduit que les restrictions en question n'avaient pas pour but de protéger des intérêts vitaux nationaux, ou de veiller à la sauvegarde des droits fondamentaux d'autrui au sens de l'arrêt Dowsett c. Royaume-Uni précité.
66. Finalement, la Cour constate que le Tribunal fédéral a entériné l'approche suivie par le tribunal administratif, sans procéder à son propre examen de la question, et sans autoriser la communication intégrale des documents litigieux au requérant (voir paragraphe 29 ci-dessus). Les défauts ayant entaché la procédure de première instance n'ont ainsi pas pu être régularisés par le biais du recours au Tribunal fédéral.
67. Au vu de ce qui précède, la Cour en déduit que le refus de communiquer au requérant l'intégralité du dossier détenu par l'administration n'était pas justifié par des motifs en adéquation avec les principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour en matière d'égalité des armes. Le processus décisionnel n'a en outre pas été assorti de garanties aptes à protéger les intérêts de l'accusé. Celui-ci a donc été placé dans une situation de net désavantage ( Bendenoun c. France, précité, § 52).
68. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le droit à l'égalité des armes, tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention a été violé en l'espèce.
69. Le requérant se plaint enfin de violation du droit à la présomption d'innocence dans la mesure où l'enquête fiscale pour soustraction d'impôt s'est achevée après la procédure ayant donné lieu à la présente requête. Il invoque à cet égard l'article 6 § 2 de la Convention ainsi libellé :
70. La Cour rappelle que la présomption d'innocence interdit aux autorités d'accomplir leurs devoirs en partant de l'idée que les personnes faisant l'objet d'une enquête sont coupables des faits qui leurs sont reprochés (Telfner c. Autriche, no 33501/96, § 15, 20 mars 2001).
71. En l'espèce, la Cour constate que les autorités chargées de la procédure fiscale ne se sont jamais prononcées sur l'éventuelle culpabilité du requérant. Le fait que le requérant ait été condamné pour soustraction d'impôt une fois que la procédure fiscale s'était achevée ne saurait être à lui seul déterminant, car l'article 6 § 2 de la Convention ne va pas jusqu'à imposer aux Etats membres de traiter différentes procédures dans un certain ordre ( mutatis mutandis Cortina de Alcocer et de Alcocer Torra c. Espagne (déc.), no 33912/08).
72. Compte tenu des éléments en sa possession, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention au titre de l'article 6 § 2 de la Convention.
73. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
74. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
75. Le requérant réclame le remboursement des amendes qui lui ont été infligées, s'élevant à 5 000 francs suisses (CHF) soit 3 599 euros (EUR), au titre du préjudice matériel qu'il aurait subi. Il ne présente aucune demande en réparation du dommage moral.
76. Le Gouvernement admet que l'octroi de la somme revendiquée au titre du dommage matériel est équitable en cas de constat de violation du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination garanti par l'article 6 de la Convention.
77. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que possible la situation antérieure (voir Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
78. En l'espèce, la Cour constate que les amendes dont le requérant demande le remboursement lui ont été infligées pour avoir refusé de fournir les renseignements litigieux à l'administration fiscale. Au vu des conclusions ci-dessus (paragraphes 59 et 68), la Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 3 599 EUR au titre du préjudice matériel plus tous montants pouvant être dus par lui à titre d'impôt.
79. Le requérant demande également, notes d'honoraires à l'appui, 44 000 CHF, soit 31 672 EUR, pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 15 000 CHF, soit EUR 10 797, pour ceux engagés devant la Cour.
80. Le Gouvernement s'oppose à ces demandes. Il allègue que l'activité du défenseur n'est pas mise en rapport avec les montants encaissés, les sommes demandées n'étant dès lors pas établies. Il conclut dès lors à ce que le montant des frais et dépens soit ramené à 10 000 CHF, soit 7 198 EUR, en cas de condamnation.
81. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux ( Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], précité, § 54).
82. En l'espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, estime raisonnable la somme de 7 198 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant plus tous montants pouvant être dus par lui à titre d'impôt.
83. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.