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Chapeau

41170/07


Tavel Bertrand c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 41170/07, 07 janvier 2014

Regeste

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 34 CEDH. Qualité de victime pour faire valoir une discrimination en matière successorale.

La Cour estime que le requérant, en tant que bénéficiaire de la fondation de famille, ne peut se prétendre victime d'une violation de la Convention.
Conclusion: requête déclarée irrecevable.



Synthèse de l'OFJ


(1er rapport trimestriel 2014)

Notion de "victime"(art. 34 CEDH) et discrimination (art. 14 combiné avec 8 CEDH); bénéficiaires d'une fondation de famille.

L'affaire porte sur l'exclusion du requérant, fils d'une fille née de Bosset et ayant changé de nom au mariage, du cercle des bénéficiaires d'une caisse de famille dont les statuts prévoient que "seuls pourront bénéficier de la fondation et recevoir d'elle des allocations, subsides et subventions les personnes descendant en loyal mariage des fondateurs et portant le nom de Bosset". Devant la Cour, le requérant s'est plaint de ce que son exclusion du cercle des bénéficiaires de la caisse de famille a opéré à son égard, en matière de droits successoraux, une discrimination injustifiée "dans l'accès à un patrimoine familial et à un entretien financier concédé par une famille à ses membres".

La Cour a retenu qu'en 1987, l'assemblée générale de la fondation de famille a élargi le cercle des bénéficiaires "aux filles nées de Bosset et à leurs enfants (au premier degré uniquement)". Il en découle que le requérant, en tant qu'enfant au premier degré d'une fille née de Bosset, était devenu bénéficiaire de la fondation de famille sans que sa mère ait eu à changer son nom de famille. Ainsi, contrairement au contenu du grief soulevé par le requérant devant la Cour, celui-ci avait - et a encore -, à lui seul, "accès à un patrimoine familial et à un entretien financier" et n'était aucunement l'objet d'une quelconque discrimination à cet égard. Au demeurant, la Cour n'a pas été convaincue par la déclaration du requérant selon laquelle sa mère n'avait jamais eu accès à la moindre information s'agissant de la fondation de famille. A la lumière de ces considérations, la Cour a estimé que le requérant ne peut se prétendre victime d'une violation au sens de l'article 34 de la Convention. Irrecevable (unanimité).





Faits

 
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 41170/07
Bertrand TAVEL
contre la Suisse
 
 
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 7 janvier 2014 en une chambre composée de :
    Guido Raimondi, président,
    Dragoljub Popović,
    András Sajó,
    Nebojša Vučinić,
    Paulo Pinto de Albuquerque,
    Helen Keller,
    Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 septembre 2007,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 41170/07) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. Bertrand Tavel (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 septembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me S. Fassbind-Ducommun, avocate à Peseux. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Schürmann, de l'Office fédéral de la justice.
3.  Le requérant allègue une violation de l'article 14 de la Convention, combiné avec l'article 8 de la Convention, au motif qu'il serait victime d'une discrimination injustifiée « dans l'accès à un patrimoine familial et à un entretien financier concédé par une famille à ses membres ».
4.  Le 6 novembre 2009, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement eu égard à la violation alléguée du principe de l'égalité des armes. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l'affaire.
5.  Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  Le requérant, né en 1941 et résidant à Bevaix, est le fils de Mme Anne-Geneviève Tavel, née de Bosset, et le petit-fils des fondateurs de la Caisse de famille de Bosset.
7.  La Caisse de famille de Bosset est une fondation de famille au sens de l'article 335 du code civil (CC ; paragraphe 27 ci-dessous). Elle a été constituée par acte notarié le 13 novembre 1922 par Henri de Bosset et Geneviève Elisa de Bosset, son épouse, dans le « but de subvenir aux frais d'éducation, d'assistance et autres frais analogues des membres de la famille », avec la précision, s'agissant du cercle des bénéficiaires, que « seuls pourront bénéficier de la fondation et recevoir d'elle des allocations, subsides et subventions les personnes descendant en loyal mariage des fondateurs et portant le nom de Bosset ».
8.  Les statuts de la fondation prévoient notamment que l'assemblée générale est formée de « [t]ous les bénéficiaires mâles de la fondation, majeurs et maîtres de leurs droits (...) ». Ils prévoient également que divers biens sont la propriété de la Caisse de famille de Bosset et qu'ils sont inaliénables.
9.  Les fondateurs sont décédés en 1956 et 1964, laissant une fille, Anne-Geneviève Tavel, née de Bosset, et deux fils, Jean-Pierre de Bosset et Renaud de Bosset.
10.  L'acte notarié du 13 novembre 1922 n'a pas été contesté par les parents du requérant ou par les autres héritiers ni dans ses principes, ni dans la quotité prévue.
11.  Mme Anne-Geneviève Tavel a longtemps vécu en Algérie et ne s'est installée en Suisse qu'en 1963.
12.  Le 13 juillet 1987, l'assemblée générale de la fondation décida, à l'unanimité, d'élargir le cercle des bénéficiaires « aux filles nées de Bosset et à leurs enfants (au premier degré uniquement) ». Elle décida également que des allocations, subsides et subventions pouvaient être octroyés sur demande « dans un souci d'équité et pour tenir compte de l'évolution des mœurs et spécialement de l'entrée en vigueur prochaine du nouveau droit matrimonial ».
13.  Par une lettre du 15 juillet 1987, cette décision fut communiquée aux intéressés, dont Mme Anne-Geneviève Tavel.
14.  Avec l'entrée en vigueur de la réforme du droit matrimonial le 1er janvier 1988, l'article 8a du titre final du CC disposa que, dans le délai d'une année à compter de cette date, la femme qui s'était mariée sous le régime de l'ancien droit pouvait déclarer à l'officier de l'état civil vouloir faire précéder son nom de famille de son nom de jeune fille.
La mère du requérant ne procéda pas à cette déclaration, à la différence d'Anne-Catherine Kunz et d'Antoinette de Chambenoit, les filles respectives de Jean-Pierre de Bosset et de Renaud de Bosset.
15.  En application de la décision du 13 juillet 1987 susmentionnée, Mme Antoinette de Bosset, qui se trouvait en situation de précarité à la suite de son divorce, bénéficia temporairement de subsides de mars à août 1991. Les enfants d'Isabelle Guyot, née de Bosset, et d'Anne-Catherine de Bosset Kunz perçurent quant à eux des bourses d'études versées également par la fondation de famille.
16.  Le 16 juin 1992, Mme Anne-Geneviève Tavel décéda à l'âge de 82 ans.
17.  Par une lettre du 21 juillet 1998, le requérant demanda à la fondation de famille d'examiner et d'approuver sa candidature ainsi que celle de ses enfants en tant que membres de celle-ci.
18.  Le 9 octobre 1998, la fondation de famille rejeta la demande du requérant aux motifs, notamment, que la profonde évolution des mentalités et du droit depuis sa création n'emportait aucune conséquence juridique et que les statuts édictés par ses fondateurs constituaient la loi de la fondation à laquelle ses dirigeants étaient tenus de se conformer. Elle indiqua en outre que l'article 13 de son acte constitutif prévoyait que « les décisions de l'assemblée générale, quelles qu'elles soient, sont obligatoires pour tous et sans recours : les membres de la famille ne pourront jamais les attaquer devant les tribunaux ».
19.  Le 4 octobre 1999, le requérant engagea une action contre la fondation de famille devant la cour civile du tribunal cantonal du canton de Neuchâtel (« la cour civile »), invitant cette juridiction à conclure principalement à la constatation de la nullité de la fondation, à la restitution des biens de celle-ci aux héritiers légaux et à leur partage, et subsidiairement à son admission et à celle de ses descendants au sein de la fondation de famille en tant que membres avec effet rétroactif au 1er janvier 1988.
20.  Par un jugement du 24 janvier 2006, la cour civile constata la nullité partielle de la fondation de famille, pour autant qu'un patrimoine composé de biens mobiliers, sous forme de meubles, portraits, bibelots et bijoux, lui avait été attribué. Elle ordonna la restitution aux fins de partage de l'ensemble de ces biens aux héritiers légaux des fondateurs, et subséquemment le partage desdits biens selon les règles applicables aux successions ab intestat. Elle prononça en outre l'admission du demandeur et de ses descendants dans le cercle des bénéficiaires de la fondation de famille. A ce titre, elle estima que la décision prise par l'assemblée générale de cette dernière à l'unanimité, le 13 juillet 1987, d'étendre la possibilité d'octroyer des allocations, subsides et subventions aux filles nées de Bosset et à leurs enfants « dans un souci d'équité et pour tenir compte de l'évolution des mœurs et spécialement de l'entrée en vigueur prochaine du nouveau droit matrimonial », même si elle était révocable et n'avait pas emporté modification des dispositions statutaires, prouvait que les membres actuels de la fondation de famille, qu'on ne pouvait soupçonner de vouloir trahir les intentions des fondateurs, admettaient que le cercle des bénéficiaires de la fondation défini dans l'acte constitutif ne correspondait plus à la volonté des fondateurs.
21.  Par un arrêt du 30 novembre 2006 (ATF 133 III 167), notifié au requérant le 16 mars 2007, le Tribunal fédéral fit droit au recours de la fondation de famille dans les termes suivants :
« 4. Si les fondations de famille se distinguent des fondations ordinaires par leurs buts et le cercle de leurs destinataires, expressément restreints par la loi, elles sont en revanche soumises pour le surplus aux règles des art. 80 à 89 [du code civil ; CC] régissant les fondations ordinaires (...).
4.1 La liberté du fondateur doit notamment s'exercer dans les limites de la loi, qui sont les mêmes que celles qui s'appliquent aux contrats. Des clauses qui excluent certaines personnes ne sont pas a priori illicites ou contraires au[x] mœurs (...). Selon le but légitime qu'il vise, le fondateur peut être amené à restreindre le cercle des bénéficiaires aux personnes détenant certaines qualités. En revanche, si le but n'est pas légitime ou que la discrimination des bénéficiaires n'est objectivement pas nécessaire à ce but, la limitation du cercle des bénéficiaires doit être considérée comme inadmissible et, partant, comme nulle.
En vertu de l'art. 88 al. 2 CC, la fondation doit être dissoute lorsque son but est devenu illicite ou contraire aux mœurs. Selon la jurisprudence, la décision de dissoudre une fondation dont le but a cessé d'être réalisable (art. 88 al. 1 CC) devrait en principe revêtir un caractère subsidiaire par rapport à d'autres mesures pouvant, le cas échéant, permettre la continuation de la fondation, comme par exemple la modification de son but (art. 86 CC par analogie) ou sa liquidation partielle (...). Il doit en aller de même lorsque le but de la fondation est devenu illicite ; une modification du but permettant une continuation de la fondation doit être préférée à la liquidation de celle-ci.
4.2 (...) [L]a Caisse de famille X. [de Bosset] s'inscrit dans la tradition de nombre d'institutions semblables créées aux XIXe voire XVIIIe siècles, sous l'empire de l'ancien droit neuchâtelois. Elles étaient gérées par des hommes et réservées aux descendants par les mâles. Dans cette tradition, les filles "sortaient" de la caisse au moment où elles se mariaient, mais c'était normalement pour "entrer" dans une autre caisse, celle de la famille du mari, dont leurs enfants devenaient bénéficiaires.
Depuis la constitution de ladite caisse de famille en 1922, la position de la femme dans la société et la famille a considérablement évolué. Désormais, l'égalité de traitement entre homme et femme est garantie par l'art. 8 [de la Constitution fédérale ; Cst.], la loi devant pourvoir à l'égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. Cette garantie s'adresse toutefois à l'Etat et, sous réserve de l'égalité de salaire de l'art. 8 al. 3 3e phr. Cst., ne produit pas d'effet horizontal direct dans les relations entre personnes privées. Il n'existe pas, en droit privé, de principe général d'égalité de traitement. Les particuliers ne sont pas tenus de traiter de manière semblable toutes les situations semblables et de manière dissemblable toutes les situations dissemblables. Un tel principe n'existe en tout cas pas en matière de successions, de droits réels et de contrats (...). L'autonomie privée et la liberté de disposer, en particulier la liberté de la fondation et du fondateur, ne sont pas limitées par l'interdiction des discriminations du droit constitutionnel (...).
Il s'ensuit que l'art. 335 al. 1 CC n'a pas à être interprété conformément au principe de l'égalité de traitement entre homme et femme garanti par l'art. 8 Cst. et que, par conséquent, l'exclusion des femmes du cercle des bénéficiaires de la caisse de famille ici en cause, dès qu'elles se marient et changent de nom, ainsi que de leurs descendants, n'est pas critiquable sous cet angle. (...) »
22.  Au demeurant, dans son arrêt, le Tribunal fédéral nota que le problème avait perdu de son acuité depuis l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions du droit matrimonial le 1er janvier 1988 puisque était prévue la possibilité pour les fiancés de demander à porter, dès la célébration du mariage, le nom de la femme comme nom de famille (article 30 alinéa 2 du CC) et celle pour la femme de conserver le nom qu'elle portait avant son mariage (article 160 alinéa 2 du CC ; paragraphe 28 ci-dessous).
23.  De plus, la juridiction suprême observa que la fondation avait, par la décision de son assemblée générale du 13 juillet 1987, élargi le cercle des bénéficiaires « aux filles nées de Bosset et à leurs enfants (au premier degré uniquement) » pour tenir compte de l'évolution des mœurs. Par conséquent, le Tribunal fédéral constata que le requérant n'était lui-même pas discriminé :
«  4.3 (...) Dans le contexte juridique et social qui prévalait à l'époque de la constitution de la fondation en cause, la famille et sa conception de l'assistance se concentraient en priorité sur la descendance masculine dès lors qu'en se mariant une fille entrait dans une autre famille et que son mari était tenu légalement de lui apporter aide et assistance, ainsi que de pourvoir convenablement à son entretien (...). La limitation du cercle des bénéficiaires qui en découlait répondait en outre à une nécessité d'ordre pratique : comme le relève la défenderesse, il convenait en effet d'assurer la pérennité de la fondation et d'éviter une rapide dilapidation des biens du fait de l'augmentation exponentielle de la descendance (...).
En l'espèce, l'on constate que les normes statutaires litigieuses n'excluent pas les femmes du cercle des bénéficiaires de la fondation de façon générale, mais seulement lorsqu'elles se marient et qu'elles changent de nom de famille. En outre, c'est notamment pour tenir compte de l'évolution des mœurs que la fondation a, le 13 juillet 1987, élargi le cercle des bénéficiaires « aux filles nées X. et à leurs enfants (au premier degré uniquement) ». Il s'ensuit que le demandeur lui-même, en tant qu'enfant au premier degré d'une fille née X., n'est pas du tout discriminé. De plus, la possibilité (...) pour les fiancés de porter, dès la célébration du mariage, le nom de la femme comme nom de famille (art. 30 al. 2 CC) permet d'empêcher qu'une femme née X. soit exclue du cercle des bénéficiaires de la caisse de famille.
Tout bien considéré, les clauses statutaires en question ne s'avèrent donc pas contraires aux mœurs, que l'on se place à l'époque de leur adoption ou à l'heure actuelle, compte tenu notamment de la modification statutaire du 13 juillet 1987. En outre, elles n'apparaissent nullement illicites, le droit en vigueur conférant au fondateur, ainsi qu'on l'a relevé plus haut, une liberté qui lui permet, à l'instar du testateur, de limiter le cercle des destinataires à un groupe déterminé de membres de sa famille (...). »
24.  Partant, le Tribunal fédéral annula le jugement de la cour civile.
25.  Par ailleurs, il ressort des pièces jointes par le requérant à ses « observations sur les observations du Gouvernement suisse » du 20 avril 2010 que le gérant du patrimoine de la Fondation de Bosset avait eu un long entretien avec les parents du requérant au « début des années 80 » (« copie du procès-verbal d'audition par interrogatoire écrit de Me de Dardel du 4 et 10 mars 2001 »).
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
26.  En son article 8, alinéa 3, la Constitution fédérale suisse (RS - Recueil systématique du droit fédéral - 101) dispose :
« L'homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l'égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L'homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. »
27.  Les fondations de famille sont essentiellement régies par le CC du 10 décembre 1907 (RS 210). La disposition pertinente en l'espèce, l'article 335, est libellée comme suit :
Article 335 [Fondations de famille]
« 1 Des fondations de famille peuvent être créées conformément aux règles du droit des personnes ou des successions ; elles seront destinées au paiement des frais d'éducation, d'établissement et d'assistance des membres de la famille ou à des buts analogues.
2 La constitution de fidéicommis de famille est prohibée. »
28.  S'agissant du nom de famille de la femme mariée, les dispositions pertinentes en l'espèce du CC, en vigueur à l'époque depuis la réforme du droit matrimonial intervenue le 1er janvier 1988, se lisaient ainsi :
 
Article 30 [Changement de nom]
« 1 Le gouvernement du canton de domicile peut, s'il existe de justes motifs, autoriser une personne à changer de nom.
2 Il y a lieu d'autoriser les fiancés, à leur requête et s'ils font valoir des intérêts légitimes, à porter, dès la célébration du mariage, le nom de la femme comme nom de famille (...) »
Article 160 [Nom]
« 1 (...)
2 La fiancée peut toutefois déclarer à l'officier de l'état civil vouloir conserver le nom qu'elle portait jusqu'alors, suivi du nom de famille (...) »
Article 8a du Titre final du Code civil
« Dans le délai d'une année à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la femme qui s'est mariée sous l'ancien droit peut déclarer à l'officier de l'état civil vouloir faire précéder le nom de famille du nom qu'elle portait avant le mariage. »
GRIEF
Le requérant se plaint de ce que la décision rendue par le Tribunal fédéral a opéré à son égard, en matière de droits successoraux, une discrimination injustifiée « dans l'accès à un patrimoine familial et à un entretien financier concédé par une famille à ses membres », cette discrimination alléguée portant d'après lui atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il estime par conséquent qu'il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8 de la Convention.
 


Considérants

EN DROIT
I. SUR L'ÉTENDUE DU GRIEF SOULEVÉ PAR LE REQUÉRANT
29.  A titre liminaire, force est de constater que seul le requérant a introduit une requête devant la Cour et en son nom propre uniquement. Il s'ensuit que, contrairement aux instances internes dans le cadre des procédures nationales, la Cour n'est pas appelée à se prononcer sur une éventuelle discrimination vis-à-vis des descendants du plaignant, à savoir ses trois fils.
30.  La Cour note ensuite que le requérant, en se prononçant sur sa qualité de victime dans ses « observations sur les observations du Gouvernement suisse » du 20 avril 2010, soutient que la présente affaire concerne non seulement la question de son appartenance au cercle des « bénéficiaires » de la fondation de famille, mais aussi « la possibilité de devenir membre de (...) [ladite fondation], ce qu['il] souhaitait également (...)» (italiques ajoutés). Or, sur ce dernier aspect, la requête déposée le 14 septembre 2007 devant la Cour ne comporte - même en substance -aucun élément. Il s'ensuit que le grief relatif à la possibilité pour le plaignant de devenir membre de la fondation de famille, soulevé pour la première fois le 20 avril 2010, est tardif.
31.  A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n'a pas respecté le délai de six mois posé par l'article 35 § 1 de la Convention. Par conséquent, la question concernant la possibilité de devenir membre de la fondation de famille est irrecevable et elle doit être rejetée, en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
II. SUR L'EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
A. Les thèses des parties
32.  A titre préliminaire et principal, le Gouvernement estime que le requérant n'a pas la qualité de victime au sens de la Convention.
33.  Le Gouvernement indique que, en l'espèce, les femmes de la famille de Bosset ne sont pas exclues, de façon générale, du cercle des bénéficiaires de la fondation de famille. Il précise qu'une exclusion se produit seulement lorsque ces femmes changent de nom de famille. De plus, il ajoute que, à la suite de l'entrée en vigueur de la réforme du droit matrimonial, plusieurs de ces femmes ont déclaré, dans le délai prévu par l'article 8a du titre final du CC, vouloir faire précéder leur nom de famille de leur nom de jeune fille qu'elles avaient perdu sous le régime de l'ancien droit au moment de leur mariage.
34.  A cet égard, le Gouvernement fait observer que la mère du requérant, décédée en 1992, n'a pas fait, ni dans le délai prévu par la disposition susmentionnée, ni après, une telle déclaration.
35.  Contestant la thèse du Gouvernement le requérant indique, pour l'essentiel, qu'en 1987 sa mère, alors âgée de 77 ans, était malade et handicapée, et qu'il aurait été inconcevable de lui demander de changer de nom de famille. De plus, il déclare que sa mère n'avait jamais eu accès à la moindre information s'agissant de la fondation de famille.
B. L'appréciation de la Cour
36.  La Cour rappelle que la notion de « victime » au sens de l'article 34 de la Convention doit être interprétée de façon autonome et indépendante des notions internes telles que celles d'intérêt ou de qualité pour agir (Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 35, CEDH 2004-III, et Tourkiki Enosi Xanthis et autres c. Grèce, no 26698/05, § 38, 27 mars 2008).
37.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, par « victime », l'article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l'acte ou l'omission litigieux (SARL du Parc d'Activités de Blotzheim c. France, no 72377/01, § 20, 11 juillet 2006, Otto-Preminger-Institut c. Autriche, 20 septembre 1994, §§ 39-41, série A no 295-A, Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, 29 octobre 1992, § 43, série A no 246-A, et Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 31, série A no 142). L'existence d'un manquement aux exigences de la Convention se conçoit même en l'absence de préjudice (voir, à titre d'exemples, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 128, CEDH 2012, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, 1er juin 2010, Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII, et Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III).
38.  En l'espèce, la Cour observe que, par sa décision du 13 juillet 1987, l'assemblée générale de la fondation de famille avait élargi le cercle des bénéficiaires « aux filles nées de Bosset et à leurs enfants (au premier degré uniquement) ». En application de cette décision, Mme Antoinette de Bosset reçut des subsides, de même que les enfants d'Isabelle Guyot, née de Bosset, et d'Anne-Catherine de Bosset Kunz perçurent des bourses d'études versées également par ladite fondation. Il en découle - comme le Tribunal fédéral l'avait constaté à juste titre - que le requérant, en tant qu'enfant au premier degré d'une fille née de Bosset, était devenu bénéficiaire de la fondation de famille sans que sa mère ait eu à changer son nom de famille. Ainsi, contrairement au contenu du grief soulevé par le requérant devant la Cour, celui-ci avait - et a encore -, à lui seul, « accès à un patrimoine familial et à un entretien financier » et n'était aucunement l'objet d'une quelconque discrimination à cet égard.
39.  Au demeurant, la Cour n'est pas convaincue par la déclaration du requérant selon laquelle sa mère n'avait jamais eu accès à la moindre information s'agissant de la fondation de famille. Elle note d'abord que, au plus tard six mois avant l'entrée en vigueur de la réforme du droit matrimonial, la mère du requérant avait eu connaissance de l'existence de cette fondation au vu du courrier du 15 juillet 1987 informant les personnes concernées, dont l'intéressée, que l'assemblée générale de ladite fondation avait élargi le cercle de ses bénéficiaires « aux filles nées de Bosset et à leurs enfants (au premier degré uniquement) ». De plus, elle constate que, d'après les pièces jointes aux observations du requérant, et notamment la réponse du gérant du patrimoine de la Caisse de famille de Bosset (« copie du procès-verbal d'audition par interrogatoire écrit de Me de Dardel des 4 et 10 mars 2001 »), que ce dernier avait eu un long entretien avec les parents du requérant, qu'il avait déclaré que pour eux « il ne s'agissait certainement pas de solliciter des prestations de la [fondation], peut-être de s'enquérir de leurs droits ou de ceux de leurs après-venants », et qu'il avait indiqué que cet entretien datait du « début des années 80 ». Il en découle que la mère du requérant, malgré ses souffrances et son âge, avait antérieurement, et au plus tard en juillet 1987, eu connaissance de l'existence de la fondation de famille.
40.  A la lumière de ces considérations, la Cour estime que le requérant, en tant que bénéficiaire de la fondation de famille, ne peut se prétendre victime d'une violation au sens de l'article 34 de la Convention. En conséquence, le grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et il doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
 


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
 
Déclare la requête irrecevable.
  Stanley Naismith   Greffier
  Guido Raimondi   Président
 

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