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Chapeau

29217/12


Tarakhel Golajan c. Suisse
Arrêt no. 29217/12, 04 novembre 2014

Regeste

SUISSE: Art. 3 CEDH. Refus de se prononcer sur la demande d'asile d'une famille afghane avec six enfants et renvoi de celle-ci en Italie dans le cadre du règlement Dublin.

La Cour rappelle que les demandeurs d'asile, en tant que "catégorie de la population particulièrement défavorisée et vulnérable", ont besoin d'une protection spéciale, d'autant plus importante pour des enfants, même accompagnés de leurs parents.
Compte tenu de la situation actuelle du système d'accueil des requérants d'asile en Italie (manque flagrant de places disponibles impliquant le risque de structures surpeuplées, insalubres, d'environnement de violence) et en l'absence d'informations détaillées et fiables quant à la structure précise de destination, les autorités suisses ne disposent pas d'éléments suffisants pour être assurées qu'en cas de renvoi vers l'Italie, les requérants pourraient rester ensemble et seraient pris en charge d'une manière adaptée à l'âge des enfants (ch. 100 - 122).
Conclusion: violation de l'art. 3 CEDH en cas de renvoi sans avoir obtenu au préalable des autorités italiennes une garantie individuelle quant à l'accueil des enfants des requérants et à la préservation de leur unité familiale.



Synthèse de l'OFJ


(4ème rapport trimestriel 2014)

Interdiction de la torture (art. 3 CEDH) pris isolément ou combiné avec le droit à un recours effectif (art. 13 CEDH); droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH); menace d'expulsion d'une famille afghane vers l'Italie en vertu du Règlement Dublin II.

L'affaire concerne le renvoi d'un couple de ressortissants afghans avec leurs six enfants (les requérants) vers l'Italie en vertu du Règlement Dublin II. Au titre de l'art. 3 CEDH la Cour a noté que l'exigence de "protection spéciale" pour les demandeurs d'asile est d'autant plus importante lorsque les personnes concernées sont des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême vulnérabilité. Compte tenu de la situation actuelle du système d'accueil en Italie, l'hypothèse qu'un nombre significatif de demandeurs d'asile renvoyés vers ce pays soient privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence, n'est pas dénuée de fondement. En l'absence d'informations détaillées et fiables quant à la structure précise de destination, aux conditions matérielles d'hébergement et à la préservation de l'unité familiale, la Cour a considéré que les autorités suisses ne disposent pas d'éléments suffisants pour être assurées qu'en cas de renvoi vers l'Italie, les requérants seraient pris en charge d'une manière adaptée à l'âge des enfants. Selon la Cour, il y aurait violation de l'art. 3 CEDH si les requérants devaient être renvoyés en l'Italie sans que les autorités suisses aient au préalable obtenu des autorités italiennes une garantie individuelle concernant, d'une part, une prise en charge adaptée à l'âge des enfants et, d'autre part, la préservation de l'unité familiale (quatorze voix contre trois). Requête irrecevable pour le surplus (unanimité).





Faits

 
GRANDE CHAMBRE
 
AFFAIRE TARAKHEL c. SUISSE
 
(Requête no 29217/12)
 
ARRÊT
STRASBOURG
 
4 novembre 2014
 
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
 
En l'affaire Tarakhel c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
    Dean Spielmann, président,
    Josep Casadevall,
    Guido Raimondi,
    Mark Villiger,
    Isabelle Berro-Lefèvre,
    András Sajó,
    Ledi Bianku,
    Nona Tsotsoria,
    Işıl Karakaş,
    Nebojša Vučinić,
    Julia Laffranque,
    Linos-Alexandre Sicilianos,
    Helen Keller,
    André Potocki,
    Paul Lemmens,
    Helena Jäderblom,
    Paul Mahoney, juges,
et de Lawrence Early, jurisconsulte,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 février et 10 septembre 2014,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
 
PROCÉDURE
1.  À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 29217/12) dirigée contre la Confédération suisse et dont huit ressortissants afghans (collectivement, « les requérants »), M. Golajan Tarakhel (« le premier requérant »), né en 1971, son épouse, Mme Maryam Habibi (« la deuxième requérante »), née en 1981, et leurs six enfants mineurs, Arezoo, née en 1999, Mohammad, né en 2001, Nazanin, née en 2003, Shiba, née en 2005, Zeynab, née en 2008, et Amir Hassan, né en 2012, tous demeurant à Lausanne, ont saisi la Cour, le 10 mai 2012, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés par le Service d'aide juridique aux exilés (SAJE), pour le compte duquel agit Mme Chloé Bregnard Ecoffey. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Frank Schürmann, chef de l'Unité Protection internationale des droits de l'homme de l'Office fédéral de la justice.
3.  Invoquant les articles 3 et 8 de la Convention, les requérants allèguent essentiellement que leur renvoi en Italie les exposerait à un traitement inhumain et dégradant en raison du risque qu'ils se retrouvent sans hébergement ou soient hébergés dans des conditions inhumaines et dégradantes. Ce risque découlerait de l'absence de garanties de prise en charge individuelle face aux défaillances systémiques dont pâtirait le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie.
Sur le terrain des articles 13 et 3 de la Convention, les requérants soutiennent en outre que les autorités suisses n'ont pas examiné avec suffisamment d'attention leur situation personnelle et qu'elles n'ont pas tenu compte de leur situation familiale.
4.  Le 25 juin 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
5.  Le 24 septembre 2013, la chambre à laquelle avait été attribuée la requête, composée de Guido Raimondi, Danutė Jočienė, Peer Lorenzen, András Sajó, Işıl Karakaş, Nebojša Vučinić et Helen Keller, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, s'est dessaisie de l'affaire en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties, consultées à cet effet, ne s'y étant opposée (article 30 de la Convention et article 72 du règlement).  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement de la Cour (« le Règlement »). Aux dernières délibérations, Paul Lemmens et Nona Tsotsoria, juges suppléants, ont remplacé Ineta Ziemele et Peer Lorenzen, empêchés (article 24 § 3 du Règlement).
6.  Les requérants ainsi que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de la requête (article 59 § 1 du règlement). En outre, des observations ont été soumises par les gouvernements italien, néerlandais, suédois, norvégien et britannique, ainsi que par l'organisation Defence for Children, le Centre de conseil sur les droits de l'individu en Europe (Centre AIRE), le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (CERE) et Amnesty International, que le président de la Cour avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement). Le gouvernement italien a également été invité à participer à la procédure orale.
7.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 12 février 2014 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
-  pour le Gouvernement
    MM. F. SCHÜRMANN, chef de l'Unité Protection internationale des droits de l'homme, Office fédéral de la justice, Département fédéral de justice et police,     agent
    B.DUBEY, chef suppléant de l'Unité Droit européen et coordination Schengen/Dublin, Office fédéral de la justice, Département fédéral de justice et police,     conseil,
    MME D. STEIGER LEUBA, collaboratrice scientifique, Unité Protection internationale des droits de l'homme, Office fédéral de la justice, Département fédéral de la justice et police, conseil,
    M. J. HORNI, chef suppléant de division, division Dublin, Office fédéral des migrations, Département fédéral de justice et police,     conseil,
    MME V. HOFER, agent de liaison « Dublin » auprès du ministère de l'Intérieur italien, Office fédéral des migrations, Département fédéral de justice et police,     conseil.
-  pour les requérants
    MMES     C. BREGNARD ECOFFEY, responsable du SAJE,     juriste,
    K. POVLAKIC,     conseillère.
- pour le gouvernement italien (tierce partie)
    MME P. ACCARDO,     coagente,
    M. G. MAURO PELLEGRINI,     coagent.
 
La Cour a entendu MM. Schürmann et Horni, ainsi que Mmes Bregnard Ecoffey, Povlakic et Accardo en leurs déclarations et en leurs réponses aux questions posées par les juges.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit.
9.  À une date indéterminée, le premier requérant quitta l'Afghanistan pour le Pakistan. Il y rencontra la deuxième requérante, qu'il épousa. Tous deux partirent alors pour l'Iran, où ils vécurent pendant quinze ans.
10.  À une date indéterminée, le couple et ses enfants quittèrent l'Iran pour la Turquie, d'où ils se rendirent en Italie par bateau. D'après les constats de la police italienne et les fiches signalétiques qui se trouvent joints aux observations du gouvernement italien, les requérants (le couple et ses cinq premiers enfants) débarquèrent sur les côtes de Calabre le 16 juillet 2011 et furent immédiatement soumis à la procédure d'identification EURODAC (prise de photos et d'empreintes digitales) après avoir fourni de fausses identités. Le jour même, le couple et les cinq premiers enfants furent placés dans une structure d'accueil mise à disposition par la commune de Stignano (province de Reggio de Calabre), où ils demeurèrent jusqu'au 26 juillet 2011, date à laquelle ils furent transférés au Centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Centro di Accoglienza per Richiedenti Asilo, « CARA ») de Bari, dans la région des Pouilles, une fois établie leur véritable identité.
11.  Selon les requérants, les conditions d'hébergement dans ce centre étaient mauvaises, en raison notamment de l'absence d'installations sanitaires appropriées, de la promiscuité et du climat de violence qui aurait régné parmi les occupants.
12.  Le 28 juillet 2011, les requérants quittèrent le CARA de Bari, sans autorisation. Ensuite, ils se rendirent en Autriche, où le 30 juillet 2011 ils furent à nouveau enregistrés dans le système EURODAC. Ils y déposèrent une demande d'asile, qui fut rejetée. Le 1er août 2011, l'Autriche adressa une demande de prise en charge des requérants aux autorités italiennes, qui l'acceptèrent formellement, le 17 août 2011. À une date indéterminée, les requérants se rendirent en Suisse. Le 14 novembre 2011, les services autrichiens informèrent leurs homologues italiens de l'annulation du transfert à cause de la disparition des requérants.
13.  Le 3 novembre 2011, les requérants demandèrent l'asile en Suisse.
14.  Le 15 novembre 2011, le premier requérant et la deuxième requérante furent entendus par l'Office fédéral des migrations (ODM), auquel ils déclarèrent que les conditions de vie en Italie étaient difficiles et que le premier requérant serait dans l'impossibilité de trouver un emploi dans ce pays.
15.  Le 22 novembre 2011, l'ODM demanda aux autorités italiennes de prendre en charge les requérants. Dans leurs observations respectives, le gouvernement suisse et le gouvernement italien s'accordent à considérer que cette demande fut tacitement acceptée par l'Italie.
16.  Par une décision du 24 janvier 2012, l'ODM rejeta la demande d'asile des requérants et ordonna leur renvoi en Italie. L'autorité administrative considéra que « les conditions de vie difficiles en Italie [n'étaient] pas un motif d'inexigibilité de l'exécution du renvoi », qu' « il appart[enait] donc à l'Italie de soutenir les requérants » et qu'« il n'[était] pas du ressort des autorités suisses de se substituer à l'Italie. » Elle déduisit de ces considérations qu'« aucun élément concret susceptible de mettre en danger la vie des requérants en cas de retour en Italie ne ressort[ait] du dossier. »
17.  Par un acte du 2 février 2012, les requérants saisirent le Tribunal administratif fédéral. À l'appui de leur recours, ils alléguèrent que les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie violaient l'article 3 de la Convention et que les autorités fédérales n'avaient pas examiné ce grief avec suffisamment d'attention.
18.  Par un arrêt du 9 février 2012, le Tribunal administratif fédéral rejeta le recours, confirmant intégralement la décision de l'ODM. La juridiction considéra que « même si le dispositif d'accueil et d'assistance sociale souffr[ait] de carences et que les requérants d'asile ne [pouvaient] pas toujours être pris en charge par les autorités ou les institutions caritatives privées », aucun élément du dossier ne permettait « d'écarter la présomption selon laquelle l'Italie respect[ait] ses obligations tirées du droit international public». S'agissant plus particulièrement du comportement des requérants, elle estima « qu'en décidant de gagner la Suisse, ils [n'avaient] pas donné aux autorités italiennes l'occasion d'assumer leurs obligations eu égard à leur situation».
19.  Le 13 mars 2012, les requérants prièrent l'ODM de rouvrir la procédure et de leur octroyer l'asile en Suisse. Ils considéraient que leur situation individuelle n'avait pas fait l'objet d'un examen approfondi. Cette demande fut transmise par l'ODM au Tribunal administratif fédéral, qui la requalifia en une « demande de révision » de l'arrêt du 9 février 2012 et la rejeta le 21 mars 2012, au motif que les requérants n'avaient invoqué aucun moyen nouveau qu'ils n'auraient pu invoquer pendant la procédure ordinaire. Les requérants avaient essentiellement appuyé leur demande sur un récit plus circonstancié de leur séjour en Italie et sur le fait que leurs enfants étaient désormais scolarisés en Suisse.
20.  Par une lettre du 10 mai 2012, parvenue au greffe le 15 mai, les requérants saisirent la Cour et lui demandèrent, à titre de mesure provisoire, de prier le gouvernement suisse de suspendre leur expulsion vers l'Italie pour la durée de la procédure.
21.  Par une télécopie du 18 mai 2012, le greffe indiqua à l'agent du gouvernement suisse que le juge faisant fonction de président de la section à laquelle l'affaire avait été attribuée avait décidé de demander au gouvernement suisse, en application de l'article 39 du règlement de la Cour, de ne pas expulser les requérants vers l'Italie pour la durée de la procédure devant la Cour.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
A.  La loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'asile, dans sa version en vigueur au moment des faits
22.  Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'asile sont ainsi libellées :
Article 29 Audition sur les motifs de la demande d'asile
« 1 L'office entend le requérant sur ses motifs d'asile :
a. soit dans le centre d'enregistrement ;
b. soit dans les 20 jours suivant la décision d'attribution à un canton.
1bis Au besoin, l'office fait appel à un interprète.
2 Le requérant peut se faire accompagner d'un mandataire et de l'interprète de son choix pour autant que ni l'un ni l'autre ne soient un requérant d'asile.
3 L'audition est consignée dans un procès-verbal. Celui-ci doit être signé par les personnes qui ont participé à l'audition, à l'exception du représentant des œuvres d'entraide.
4 L'office peut charger l'autorité cantonale d'entendre elle-même certains requérants si cette mesure permet d'accélérer sensiblement la procédure. Les al. 1 à 3 sont applicables. »
Article 34 Non-entrée en matière en l'absence de risque de persécution à l'étranger
« 1 Si le requérant vient d'un État où il ne risque pas d'être persécuté, au sens de l'art. 6a, al. 2, let. a, l'office n'entre pas en matière sur sa demande, à moins qu'il n'existe des indices de persécution.
2 En règle générale, l'office n'entre pas en matière sur une demande d'asile lorsque le requérant :
a. peut retourner dans un État tiers sûr au sens de l'art. 6a, al. 2, let. b, dans lequel il a séjourné auparavant ;
b. peut retourner dans un État tiers dans lequel il a séjourné auparavant et qui respecte dans le cas d'espèce le principe du non-refoulement visé à l'art. 5, al. 1 ;
c. peut poursuivre son voyage vers un État tiers pour lequel il possède déjà un visa et dans lequel il peut demander protection ;
d. peut se rendre dans un État tiers compétent, en vertu d'un accord international, pour mener la procédure d'asile et de renvoi ;
e. peut poursuivre son voyage vers un État tiers dans lequel vivent des proches parents ou des personnes avec lesquelles il entretient des liens étroits.
3 L'al. 2, let. a, b, c et e n'est pas applicable, lorsque :
a. des proches parents du requérant ou des personnes avec lesquelles il entretient des liens étroits vivent en Suisse ;
b. le requérant a manifestement la qualité de réfugié au sens de l'art. 3 ;
c. l'office est en présence d'indices d'après lesquels l'État tiers n'offre pas une protection efficace au regard du principe du non-refoulement visé à l'art. 5, al. 1. »
Article 42 Séjour pendant la procédure d'asile
« Quiconque dépose une demande d'asile en Suisse peut y séjourner jusqu'à la clôture de la procédure. »
Article 105 Recours contre les décisions de l'office
« Le recours contre les décisions de l'office est régi par la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral. »
Article 107a Procédure selon Dublin
« Les recours déposés contre les décisions de non-entrée en matière sur des demandes d'asile de requérants qui peuvent se rendre dans un pays compétent pour mener la procédure d'asile et de renvoi en vertu d'un traité international n'ont pas d'effet suspensif. Le requérant d'asile peut demander l'octroi de l'effet suspensif pendant le délai de recours. Le Tribunal administratif fédéral statue dans les cinq jours suivant le dépôt de la demande. Lorsque l'effet suspensif n'est pas accordé dans ce délai, le renvoi peut être exécuté. »
B.  L'ordonnance 1 sur l'asile relative à la procédure (ordonnance 1 sur l'asile, OA 1) du 11 août 1999, dans sa version en vigueur au moment des faits
23.  L'article pertinent de l'ordonnance 1 sur l'asile relative à la procédure du 11 août 1999 dispose :
Article 29a Examen de la compétence selon Dublin (art. 34, al. 2, let. d., LAsi)
« 1 L'ODM examine la compétence relative au traitement d'une demande d'asile selon les critères fixés dans le Règlement (CE) no 343/2003.
2 S'il ressort de cet examen qu'un autre État est responsable du traitement de la demande d'asile, l'ODM rend une décision de non-entrée en matière après que l'État requis a accepté la prise ou la reprise en charge du requérant d'asile.
3 L'ODM peut, pour des raisons humanitaires, également traiter la demande lorsqu'il ressort de l'examen qu'un autre État est compétent.
4 La procédure de prise et de reprise en charge du requérant d'asile par l'État compétent se déroule selon le Règlement (CE) no 1560/2003. »
C.  La loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
24.  La disposition pertinente de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 est ainsi libellée :
Article 123 Autres motifs
« (...)
2 La révision peut en outre être demandée :
    (...)
a. dans les affaires civiles et les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu'il n'avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l'exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l'arrêt ; (...) »
D.  La loi sur le Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005
25.  L'article pertinent de la loi sur le Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005 dispose :
Article 45 Principe
 
« Les art. 121 à 128 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral s'appliquent par analogie à la révision des arrêts du Tribunal administratif fédéral. »
E.  La jurisprudence pertinente du Tribunal administratif fédéral
26.  Le Tribunal administratif fédéral, qui statue en dernière instance en matière de droit d'asile, a annulé des mesures d'expulsion, ou les a soumises à condition, en raison de la qualité de « personne vulnérable » des personnes visées. Il en a été ainsi notamment dans des cas qui concernaient :
-    une personne jugée vulnérable en vertu du statut de jeune femme non accompagnée (D-4267/2007, du 30 août 2007) ;
-    un homme d'un certain âge, présentant des problèmes de santé sérieux et de nature invalidante (E-6557/2009, du 23 octobre 2009) ;
-    un jeune homme ne disposant d'aucun réseau social ou familial au Somaliland (E-2157/2011, du 18 novembre 2011) ;
-    une personne jugée vulnérable au vu de ses besoins particuliers en matière d'assistance médicale et sociale compte tenu de son état de santé psychique et de la présence d'un enfant à charge, en bas âge (E-188/2012, du 31 janvier 2012) ;
-    des femmes, en particulier seules ou veuves, de certaines régions ou de certains États (E-3568/2012, du 1er mai 2013).
27.  Dans trois arrêts (D-1689/2012, du 24 avril 2012 ; E-1341/2012, du 2 mai 2012 ; E-5194/2012, du 15 février 2013), le Tribunal administratif fédéral a reconnu que les conditions de détention à Malte, État faisant partie du système « Dublin », pouvaient poser problème, notamment pour des personnes accompagnées d'un enfant. Dans une autre affaire (E-1574/2011, du 18 octobre 2013), qui portait sur le renvoi vers l'Italie d'une famille somalienne comptant trois enfants en bas âge, la juridiction fédérale a considéré que la Suisse devait faire application de la « clause de souveraineté » (paragraphe 32 ci-dessous), prévue par le règlement Dublin (paragraphe 29 ci-dessous) et permettant à un État de surseoir à une expulsion pour des raisons humanitaires, du fait des conditions de prise en charge en Italie, jugées inadéquates, et de l'état de santé des parents.
III.  LE DROIT PERTINENT DE L'UNION EUROPÉENNE
28.  Les articles pertinents de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne disposent :
Article 4
Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 18
Droit d'asile
« Le droit d'asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité instituant la Communauté européenne. »
Article 19
Protection en cas d'éloignement, d'expulsion et d'extradition
« 1. Les expulsions collectives sont interdites.
2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 24
Droits de l'enfant
« 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.
2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »
29.  Les instruments pertinents du droit dérivé de l'Union européenne ont été présentés dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, §§ 57-86, CEDH 2011), qui mentionne notamment :
-  la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres (« la directive Accueil ») ;
-  le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers (le « règlement Dublin  ») ;
-  la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (« la directive Qualification ») ;
-  la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (la « directive Procédure »).
30.  En vertu du règlement Dublin, les États membres sont tenus de déterminer, sur la base de critères objectifs et hiérarchisés (articles 5 à 14), quel est l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée sur leur territoire. Le système vise à éviter le phénomène des demandes multiples et prévoit que le cas de chaque demandeur d'asile sera traité par un seul État membre (article 3 § 1). Ainsi, lorsqu'il est établi que le demandeur d'asile a franchi irrégulièrement la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande d'asile (article 10 § 1).
31.  Si l'analyse des critères du règlement désigne un autre État membre comme responsable, ce dernier est sollicité pour prendre en charge le demandeur d'asile et, partant, pour examiner sa demande (article 17).
32.  Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 § 1, une « clause de souveraineté », contenue à l'article 3 § 2, permet à tout État membre d'examiner une demande d'asile même si celle-ci ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par le règlement. En outre, la « clause humanitaire » figurant à l'article 15 permet à tout État membre, même s'il n'est pas responsable selon lesdits critères, d'examiner une demande d'asile pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels.
33.  Dans son arrêt du 21 décembre 2011 dans les affaires N.S. c. Secretary of State for the Home Department et M. E., A. S. M., M. T., K. P., E. H. c. Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Equality and Law Reform (CJUE C-411/10 et C-493/10), la grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a considéré au sujet des transferts au titre du règlement Dublin que, bien que le système européen commun d'asile fût fondé sur la confiance mutuelle et la présomption de respect, par les autres États membres, du droit de l'Union et, plus particulièrement, des droits fondamentaux, une telle présomption était néanmoins réfragable. L'arrêt déclare notamment :
« 78.  Il ressort de l'examen des textes constituant le système européen commun d'asile que celui-ci a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l'ensemble des États y participant, qu'ils soient États membres ou États tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les États membres peuvent s'accorder une confiance mutuelle à cet égard.
(...)
80.  Dans ces conditions, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans chaque État membre est conforme aux exigences de la charte [des droits fondamentaux de l'Union européenne], à la convention de Genève ainsi qu'à la CEDH.
81.  Il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un État membre déterminé, de sorte qu'il existe un risque sérieux que des demandeurs d'asile soient, en cas de transfert vers cet État membre, traités d'une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux.
82.  Néanmoins, il ne peut en être conclu que toute violation d'un droit fondamental par l'État membre responsable affecterait les obligations des autres États membres de respecter les dispositions du règlement no 343/2003.
83.  En effet, il en va de la raison d'être de l'Union et de la réalisation de l'espace de liberté, de sécurité et de justice et, plus particulièrement, du système européen commun d'asile, fondé sur la confiance mutuelle et une présomption de respect, par les autres États membres, du droit de l'Union et, plus particulièrement, des droits fondamentaux.
84.  En outre, il ne serait pas compatible avec les objectifs et le système du règlement no 343/2003 que la moindre violation des directives 2003/9, 2004/83 ou 2005/85 suffise à empêcher tout transfert d'un demandeur d'asile vers l'État membre normalement compétent. En effet, le règlement no 343/2003 vise, en présumant que les droits fondamentaux du demandeur d'asile seront respectés dans l'État membre normalement compétent pour connaître de sa demande, à instaurer (...) une méthode claire et opérationnelle permettant de déterminer rapidement l'État membre compétent pour connaître d'une demande d'asile. À ces fins, le règlement no 343/2003 prévoit qu'un seul État membre, désigné sur la base de critères objectifs, soit compétent pour connaître d'une demande d'asile introduite dans un pays de l'Union.
85.  Or, si toute violation des dispositions isolées des directives 2003/9, 2004/83 ou 2005/85 par l'État membre compétent devait avoir pour conséquence que l'État membre dans lequel a été introduite une demande d'asile serait empêché de transférer le demandeur dans ce premier État, cette conséquence aurait pour effet d'ajouter aux critères de détermination de l'État membre compétent énoncés au chapitre III du règlement no 343/2003 un critère supplémentaire d'exclusion selon lequel des violations mineures aux règles des directives susmentionnées commises dans un État membre déterminé pourraient avoir pour effet d'exonérer celui-ci des obligations prévues par ledit règlement. Une telle conséquence viderait lesdites obligations de leur substance et compromettrait la réalisation de l'objectif de désigner rapidement l'État membre compétent pour connaître d'une demande d'asile introduite dans l'Union.
86.  En revanche, dans l'hypothèse où il y aurait lieu de craindre sérieusement qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l'article 4 de la charte, des demandeurs d'asile transférés vers le territoire de cet État membre, ce transfert serait incompatible avec ladite disposition.
(...)
104.  (...) la présomption, constatée au point 80 du présent arrêt, sous-tendant les réglementations en la matière, que des demandeurs d'asile seront traités de manière conforme aux droits de l'homme doit être considérée comme réfragable.
105.  Eu égard à ces éléments, (...) le droit de l'Union s'oppose à l'application d'une présomption irréfragable selon laquelle l'État membre que l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 343/2003 désigne comme responsable respecte des droits fondamentaux de l'Union.
106.  L'article 4 de la charte doit être interprété en ce sens qu'il incombe aux États membres, en ce compris les juridictions nationales, de ne pas transférer un demandeur d'asile vers l'« État membre responsable » au sens du règlement no 343/2003 lorsqu'ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de cette disposition. »
34.  Le règlement Dublin s'applique à la Suisse en vertu de l'accord d'association du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile introduite dans un État membre ou en Suisse (JO L 53 du 27 février 2008). En revanche, la Suisse n'est pas formellement liée par les trois directives mentionnées au paragraphe 29 ci-dessus.
35.  Le règlement Dublin II a récemment été remplacé par le règlement 
no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (le « règlement Dublin III »), qui est destiné à accroître l'efficacité du système « Dublin » et à renforcer les garanties juridiques des personnes soumises à la procédure « Dublin ». Il vise notamment à assurer le maintien de l'unité familiale et prête une attention particulière aux besoins des mineurs non accompagnés et des autres personnes nécessitant une protection spéciale. En particulier, les articles 6, 31, 32 et 33 du règlement Dublin III sont ainsi libellés :
Article 6
Garanties en faveur des mineurs
« 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement.
(...)
3. Lorsqu'ils évaluent l'intérêt supérieur de l'enfant, les États membres coopèrent étroitement entre eux et tiennent dûment compte, en particulier, des facteurs suivants :
a) les possibilités de regroupement familial ;
b) le bien-être et le développement social du mineur ;
c) les considérations tenant à la sûreté et à la sécurité, en particulier lorsque le mineur est susceptible d'être une victime de la traite des êtres humains ;
d) l'avis du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité. »
Article 31
Échange d'informations pertinentes avant l'exécution d'un transfert
« 1. L'État membre procédant au transfert d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), communique à l'État membre responsable les données à caractère personnel concernant la personne à transférer qui sont adéquates, pertinentes et raisonnables, aux seules fins de s'assurer que les autorités qui sont compétentes conformément au droit national de l'État membre responsable sont en mesure d'apporter une assistance suffisante à cette personne, y compris les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels, et de garantir la continuité de la protection et des droits conférés par le présent règlement et par d'autres instruments juridiques pertinents en matière d'asile. Ces données sont communiquées à l'État membre responsable dans un délai raisonnable avant l'exécution d'un transfert, afin que ses autorités compétentes conformément au droit national disposent d'un délai suffisant pour prendre les mesures nécessaires.
2. L'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable les informations qu'il juge indispensables à la protection des droits de la personne à transférer et à la prise en compte de ses besoins particuliers immédiats, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, et notamment :
a) les mesures immédiates que l'État membre responsable est tenu de prendre aux fins de s'assurer que les besoins particuliers de la personne à transférer sont adéquatement pris en compte, y compris les soins de santé urgents qui peuvent s'avérer nécessaires ;
b) les coordonnées de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent se trouvant dans l'État membre de destination, le cas échéant ;
c) dans le cas des mineurs, des informations sur leur scolarité ;
d) une évaluation de l'âge du demandeur.
3. L'échange d'informations prévu par le présent article ne s'effectue qu'entre les autorités notifiées à la Commission conformément à l'article 35 du présent règlement, au moyen du réseau de communication électronique «DubliNet» établi conformément à l'article 18 du règlement (CE) no 1560/2003. Les informations échangées ne sont utilisées qu'aux fins prévues au paragraphe 1 du présent article et ne font pas l'objet d'un traitement ultérieur.
4. Afin de faciliter l'échange d'informations entre les États membres, la Commission rédige, par voie d'actes d'exécution, un formulaire type de transmission des données requises en vertu du présent article. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2.
5. Les règles fixées à l'article 34, paragraphes 8 à 12, s'appliquent à l'échange d'informations prévu au présent article. »
Article 32
Échange de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert
« 1. Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d'actes de torture, de viol ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L'État membre responsable s'assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis.
La Commission rédige, par voie d'actes d'exécution, un certificat de santé commun. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2.
2. L'État membre procédant au transfert ne transmet à l'État membre responsable les informations visées au paragraphe 1 qu'après avoir obtenu le consentement explicite du demandeur et/ou de son représentant, ou si le consentement du demandeur ne peut être recueilli en raison d'une incapacité physique ou juridique, lorsque cette transmission est nécessaire à la protection des intérêts vitaux du demandeur ou d'une autre personne. L'absence de consentement, y compris le refus de consentement, ne fait pas obstacle à l'exécution du transfert.
3. Le traitement des données à caractère personnel concernant la santé visées au paragraphe 1 n'est effectué que par un praticien de la santé qui est soumis au secret professionnel au titre du droit national ou de règles arrêtées par les organismes nationaux compétents, ou par une autre personne soumise à une obligation de secret professionnel équivalente.
4. L'échange d'informations au titre du présent article ne s'effectue qu'entre les praticiens de la santé ou les autres personnes visées au paragraphe 3. Les informations échangées ne sont utilisées qu'aux fins prévues au paragraphe 1 et ne font pas l'objet d'un traitement ultérieur.
5. La Commission adopte, par voie d'actes d'exécution, des conditions uniformes et des modalités pratiques pour l'échange des informations visées au paragraphe 1 du présent article. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2.
6. Les règles fixées à l'article 34, paragraphes 8 à 12, s'appliquent à l'échange d'informations prévu au présent article. »
Article 33
Mécanisme d'alerte rapide, de préparation et de gestion de crise
« 1. Lorsque, sur la base notamment des informations recueillies par le BEAA en vertu du règlement (UE) no 439/2010, la Commission établit que l'application du présent règlement peut être compromise soit en raison d'un risque sérieux de pression particulière exercée sur le régime d'asile d'un État membre et/ou en raison de problèmes de fonctionnement du régime d'asile d'un État membre, elle adresse, en coopération avec le BEAA, des recommandations à cet État membre en l'invitant à élaborer un plan d'action préventif.
L'État membre concerné indique au Conseil et à la Commission s'il a l'intention de présenter un plan d'action préventif en vue de surmonter la pression et/ou les problèmes de fonctionnement de son régime d'asile tout en assurant la protection des droits fondamentaux des demandeurs d'une protection internationale.
Un État membre peut, à sa propre convenance et de sa propre initiative, élaborer un plan d'action préventif et ses révisions ultérieures. Lorsqu'il élabore un plan d'action préventif, l'État membre peut faire appel à l'assistance de la Commission, d'autres États membres, du BEAA et d'autres agences compétentes de l'Union.
2. Lorsqu'il élabore un plan d'action préventif, l'État membre concerné le soumet et présente des rapports réguliers sur sa mise en œuvre au Conseil et à la Commission. La Commission informe ensuite le Parlement européen des éléments essentiels de ce plan d'action préventif. La Commission présente au Conseil des rapports sur la mise en œuvre de ce plan et transmet au Parlement européen des rapports sur sa mise en œuvre.
L'État membre concerné prend toutes les mesures appropriées pour faire face à la situation de pression particulière exercée sur son régime d'asile ou pour veiller à remédier aux défaillances constatées avant que la situation ne se détériore. Lorsque le plan d'action préventif comprend des mesures visant à faire face à une pression particulière exercée sur le régime d'asile d'un État membre et susceptible de compromettre l'application du présent règlement, la Commission demande l'avis du BEAA avant de rendre compte au Parlement européen et au Conseil.
3. Lorsque la Commission établit, sur la base de l'analyse du BEAA, que la mise en œuvre du plan d'action préventif n'a pas permis de remédier aux défaillances constatées ou lorsqu'il existe un risque sérieux que la situation en matière d'asile dans l'État membre concerné évolue vers une crise qu'un plan d'action préventif serait peu susceptible de régler, la Commission, en coopération avec le BEAA le cas échéant, peut demander à l'État membre concerné d'élaborer un plan d'action de gestion de crise et, si nécessaire, des révisions de celui-ci. Le plan d'action de gestion de crise garantit, tout au long du processus, le respect de l'acquis de l'Union en matière d'asile, en particulier des droits fondamentaux des demandeurs d'une protection internationale.
Lorsqu'il lui a été demandé d'élaborer un plan d'action de gestion de crise, l'État membre concerné, en coopération avec la Commission et le BEAA, le fait dans les meilleurs délais, et au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la demande.
L'État membre concerné soumet son plan d'action de gestion de crise et, au moins tous les trois mois, rend compte de sa mise en œuvre à la Commission et aux autres acteurs concernés, comme le BEAA, s'il y a lieu.
La Commission informe le Parlement européen et le Conseil du plan d'action de gestion de crise, de ses éventuelles révisions et de sa mise en œuvre. Dans ces rapports, l'État membre concerné fait rapport sur des données permettant de vérifier le respect du plan d'action de gestion de crise, telles que la durée de la procédure, les conditions du placement en rétention et la capacité d'accueil par rapport au flux de demandeurs.
4. Tout au long du processus d'alerte rapide, de préparation et de gestion de crise établi au présent article, le Conseil surveille la situation de près et peut demander un complément d'information et apporter une orientation politique, en particulier en ce qui concerne l'urgence et la gravité de la situation et donc la nécessité pour un État membre d'élaborer un plan d'action préventif ou, si nécessaire, un plan d'action de gestion de crise. Le Parlement européen et le Conseil peuvent, tout au long du processus, discuter et apporter des orientations sur les mesures de solidarité qu'ils jugent appropriées. »
36.  Le règlement Dublin III est entré en vigueur le 1er janvier 2014 et a été « repris » par le Conseil fédéral suisse le 7 mars 2014.
IV.  LE CONTEXTE ITALIEN
A.  La procédure d'asile
37.  Une personne qui souhaite demander l'asile en Italie doit s'adresser pour cela à la police des frontières ou, si elle se trouve déjà en Italie, au service de l'immigration de la préfecture de police (questura). Dès le dépôt de sa demande d'asile, la personne concernée obtient le droit d'entrer en Italie et l'accès à la procédure d'asile, et est autorisée à rester dans le pays en attendant que la Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale (la « Commission territoriale ») se prononce sur la demande d'asile.
38.  Pour un demandeur non titulaire d'un visa d'entrée valable, la police mène une procédure d'identification (fotosegnalamento), au besoin avec l'aide d'un interprète. Cette procédure comprend la prise de photographies pour passeport et le relevé des empreintes digitales. Ces dernières sont comparées à celles enregistrées dans le système EURODAC et la base de données nationale AFIS (Système automatisé d'identification dactyloscopique). Au terme de cette procédure, le demandeur reçoit une fiche confirmant qu'il a été procédé au premier enregistrement (cedolino), sur laquelle sont inscrits les rendez-vous à venir, notamment celui qui correspond à l'enregistrement officiel de la demande.
39.  La demande d'asile officielle doit être présentée par écrit. À partir d'un entretien avec le demandeur dans une langue qu'il comprend, la police remplit le « formulaire type C/3 pour la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève » (Modello C/3 per il riconoscimento dello status di rifugiato ai sensi della Convenzione di Ginevra), qui comporte des questions sur les données personnelles du demandeur (nom et prénom, date de naissance, nationalité, noms et prénoms des parents/conjoint/enfants et lieu où ils se trouvent), ainsi que sur le voyage effectué par la personne concernée jusqu'en Italie et les raisons pour lesquelles elle a fui son pays d'origine et sollicite l'asile en Italie. Le demandeur peut fournir un document écrit dans sa propre langue - à joindre au formulaire - rendant compte de son parcours de demande d'asile. La police conserve le formulaire original et remet au demandeur une copie estampillée.
40.  Le demandeur est ensuite invité, par notification écrite de la police, à se présenter à une audience de la commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale qui est compétente. Celle-ci comprend deux représentants du ministère de l'Intérieur, un représentant de la commune, du département (provincia) ou de la région concernée et un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« le HCR »). Lors de cette audience, le demandeur est assisté par un interprète. La commission territoriale peut :
-    accorder l'asile en reconnaissant au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés (« la Convention de 1951 sur les réfugiés ») ;
-    ne pas reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention de 1951 sur les réfugiés, mais lui accorder une protection subsidiaire en vertu de l'article 15 c) de la directive Qualification (paragraphe 29 ci-dessus), telle que mise en œuvre par le décret législatif (decreto legislativo) no 251/2007 ;
- ne pas accorder l'asile ou la protection subsidiaire, mais un permis de séjour pour raisons humanitaires impérieuses en vertu des décrets-loi (decreti-legge) nos 286/1998 et 25/2008 ;
- n'accorder aucune forme de protection au demandeur. En pareil cas, le demandeur reçoit l'ordre de quitter l'Italie (foglio di via) dans un délai de quinze jours.
41.  Une personne dont le statut de réfugié a été reconnu en vertu de la Convention de 1951 sur les réfugiés reçoit un permis de séjour valable pendant cinq ans et renouvelable. Par ailleurs, elle a droit, notamment, à un document de voyage pour étrangers (Titolo di viaggio per stranieri), au travail, au rapprochement familial et au bénéfice des dispositifs généraux prévus par le droit interne italien en matière d'aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d'éducation.
42.  Une personne qui obtient une protection subsidiaire reçoit un permis de séjour valable pendant trois ans et pouvant être renouvelé par la commission territoriale qui l'a accordé. Ce permis peut aussi être converti en permis de séjour pour travailler en Italie, à condition que la demande en soit faite avant l'expiration du permis de séjour initial et que l'intéressé détienne une pièce d'identité. Un permis de séjour accordé à titre de protection subsidiaire donne à l'intéressé, notamment, le droit à un document de voyage pour étrangers, au travail, au rapprochement familial et au bénéfice des dispositifs généraux prévus par le droit interne italien en matière d'aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d'éducation.
43.  Une personne qui obtient un permis de séjour pour des raisons humanitaires impérieuses se voit délivrer un permis de séjour valable pendant un an, qui peut être converti en permis de séjour pour travailler en Italie, à condition que l'intéressé détienne un passeport. Un permis de séjour accordé pour des raisons humanitaires donne à l'intéressé le droit au travail, aux soins médicaux et, s'il n'a pas de passeport, à un document de voyage pour étrangers.
44.  En cas de refus de la commission territoriale d'accorder une protection internationale, il peut être fait appel de la décision devant une juridiction de droit civil ( sezione civile del Tribunale). Des recours peuvent ensuite être formés auprès de la cour d'appel (Corte di appello) et, en dernière instance, la Cour de cassation (Corte di cassazione). Ces recours doivent être présentés par un avocat, le demandeur d'asile concerné pouvant à cet effet demander l'aide judiciaire.
45.  À tout moment de la procédure relative à l'examen de sa demande d'asile, la personne concernée peut retirer ladite demande en remplissant un formulaire à cet effet. Celui-ci peut être obtenu auprès du service de l'immigration de la police. Le retrait formel d'une demande d'asile signifie qu'il est mis fin à la procédure sans que la commission territoriale ait statué sur la demande. Cependant, le retrait d'une demande d'asile n'est pas automatiquement présumé lorsque le demandeur a quitté le centre d'accueil pour demandeurs d'asile, est parti pour une destination inconnue ou a quitté le pays. En cas de non-comparution d'un demandeur devant la commission territoriale, celle-ci signale officiellement l'absence de l'intéressé et statue sur sa demande à partir des éléments du dossier. Dans la plupart des cas, elle rejette la demande d'asile pour « défaut de traçabilité » (diniego per irreperibilità). L'intéressé peut alors demander une nouvelle audience, auquel cas la procédure sera relancée une fois que la date d'un nouvel entretien lui aura été communiquée.
B.  Cadre juridique et organisation du système d'accueil des demandeurs d'asile
46.  Une description détaillée du cadre juridique et de l'organisation du système d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, fournie par le gouvernement italien, figure dans la décision rendue par la Cour dans l'affaire Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie ((déc.), 2 avril 2013, no 27725/10, § 45). Dans ses observations en qualité de tiers intervenant dans la présente procédure, le gouvernement italien ajoute les informations suivantes :
« (...) Le système de protection disposait de 3 000 places par an. Le flux extraordinaire de demandeurs d'asile au cours de l'année 2013 a, cependant, mené à une évaluation pour ce qui est du renforcement du SPRAR [Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati].
Les ressources allouées avec l'OPCM (Ordonnance du Président du Conseil des Ministres) du 21 septembre 2011 (9 millions d'euros) ont permis d'augmenter, depuis décembre 2012, pour une année, la capacité d'accueil du Système à 700 unités. Successivement, 800 places supplémentaires ont été réalisées avec davantage de ressources (5 000 000 alloués avec OCPC du 23 novembre 2012 no 26).
Des augmentations supplémentaires de 3 900 places, intervenues par la suite, ont conduit, à ce jour, à une capacité totale du SPRAR de 8 400 places d'accueil.
Enfin, en septembre 2013, en raison de la persistance des débarquements, une nouvelle demande pour 8 000 places supplémentaires - par rapport auxquels, jusqu'à présent, seulement 1 230 étaient disponibles - a été présentée au réseau SPRAR.
Il s'ensuit donc que, dans le cadre du système du SPRAR, la capacité d'accueil, pouvant être garantie, est actuellement de 9 630 ressortissants de pays tiers au total.
La consolidation du SPRAR, grâce à l'expansion de sa capacité et à l'allocation de ressources stables, représente une mesure fondamentale pour renforcer et assurer une base solide au système d'accueil, en vue de passer d'une situation d'urgence à une situation de gestion régulière.
L'objectif pour les trois prochaines années 2014-2016, est de renforcer davantage le réseau SPRAR en assurant une capacité effective de 16 000 places (...)
À cette fin, l'avis, adressé aux collectivités locales pour la sélection des projets à financer, destinés à l'accueil des demandeurs et des bénéficiaires de protection internationale et humanitaire pour la période 2014-2016, a été publié au Journal officiel du 4 septembre 2013, no 207.
Actuellement, les 510 activités de projets proposées font l'objet d'une évaluation. »
C.   Recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés concernant d'importants aspects de la protection des réfugiés en Italie (juillet 2013)
47.  Les passages pertinents des recommandations du HCR concernant d'importants aspects de la protection des réfugiés en Italie (juillet 2013) se lisent ainsi :
(Traduction du greffe) [1]
« 1. Cadre général
(...) Le nombre de ressortissants de pays tiers vivant en Italie est estimé à 4-5 millions, dont 64 000 réfugiés (...)
3. L'accès à la procédure d'asile
Des efforts ont été entrepris par les autorités compétentes, au moyen d'un nouveau dispositif en ligne et d'instructions internes, dans le but d'accélérer la procédure d'enregistrement des demandes d'asile, d'améliorer la gestion de chaque dossier tout au long de la procédure, et de surveiller et prendre immédiatement en compte les retards survenant entre le moment où une personne exprime son intention de demander l'asile et l'enregistrement formel d'une demande.
En dépit de ces progrès, il y a toujours des informations signalant que l'enregistrement des demandes d'asile est, dans certains cas, programmé plusieurs semaines après que le demandeur d'asile a exprimé l'intention de faire une demande. Cette pratique touche également les personnes transférées vers l'Italie en application du règlement Dublin qui, après avoir transité par l'Italie sans déposer de demande d'asile, ont fait une demande de protection internationale dans d'autres pays européens. Ce retard peut avoir pour conséquence un accès tardif au système d'accueil, ainsi qu'un allongement du délai d'examen de leurs dossiers. En outre, on continue de signaler des difficultés dans certains sièges de police provinciale (Questure), où un justificatif de domicile (domicilio) est exigé pour le dépôt d'une demande d'asile. Cela peut causer, dans certains cas, des retards supplémentaires s'agissant de l'accès à la procédure d'asile. Il est également signalé que les brochures d'information sur la procédure de protection internationale ne sont pas distribuées de manière systématique comme le prévoit la loi.
Des difficultés d'accès à la procédure d'asile continuent également à être signalées au niveau des centres d'identification et d'expulsion (CIE). Ces difficultés sont dues à un manque d'assistance et d'informations juridiques ainsi qu'à des obstacles administratifs. Qui plus est, l'absence de procédures normalisées en matière de demande d'asile émanant des personnes retenues dans les CIE a conduit, dans certains cas, à des retards dans la transmission des demandes d'asile aux services de l'immigration compétents. Ces retards peuvent exposer les demandeurs d'asile au risque de rapatriement avant l'examen de leur demande d'asile, ce qui pourrait créer un risque de refoulement.
Depuis 2011, il y a eu des cas dans lesquels des ressortissants égyptiens et tunisiens qui étaient arrivés à Lampedusa de manière clandestine par la mer, souvent directement depuis leur pays d'origine, et avaient exprimé le souhait de demander l'asile, n'ont été admis à la procédure d'asile qu'après des interventions de la part de membres de Praesidium, d'ONG ou d'avocats. Les nouveaux venus appartenant à ces groupes de nationalités ont régulièrement été transférés vers des CIE plutôt que vers des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CARA), même dans les cas où l'intention de demander l'asile avait été exprimée avant le transfert. Selon de récentes observations émanant de membres de Praesidium il semble qu'il y ait également un nombre croissant de personnes (principalement des ressortissants érythréens, somaliens, afghans et syriens) qui échappent à la prise d'empreintes digitales en Italie et essaient d'atteindre d'autres pays européens afin d'y demander l'asile, apparemment à cause de la médiocrité des conditions d'accueil et des perspectives d'intégration en Italie.
S'agissant de l'application du règlement Dublin, le HCR observe qu'en Italie les procédures destinées à déterminer quel est l'État responsable en application de ce règlement sont très longues et excèdent souvent les délais énoncés par les dispositions applicables. Les procédures peuvent durer jusqu'à vingt-quatre mois, ce qui pèse lourdement sur le bien-être des demandeurs d'asile, notamment les personnes ayant des besoins particuliers et les enfants demandeurs d'asile non accompagnés. Ces retards prolongés seraient dus à des restrictions en matière de ressources humaines. En conséquence, quelque 1 000 personnes hébergées au sein des centres d'accueil en Italie attendent une décision quant à la détermination de l'État responsable en application du règlement [Dublin] ou sont en attente de leur transfert vers l'État réglementairement responsable, ce qui ne soulage pas les capacités d'accueil déjà affaiblies de l'Italie. Suite à l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce de la Cour européenne des droits de l'homme, aucun retour vers la Grèce en application du règlement Dublin n'est concrètement mis en œuvre. Pour autant, les demandeurs d'asile dont les empreintes ont été relevées en Grèce sont toujours considérés comme des « cas Dublin » jusqu'à ce que le « bureau Dublin » déclare l'Italie compétente. Dans ces dossiers, la survenance de retards est également constatée. Récemment, certains « cas Dublin » hébergés dans des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CARA) pour lesquels la détermination de l'État réglementairement responsable était pendante depuis plus de six mois ont fait l'objet d'un traitement prioritaire.
Les demandeurs d'asile renvoyés en Italie en application du règlement Dublin II sont normalement transférés vers les principaux aéroports italiens (Rome, Milan ; ainsi qu'en petits nombres vers Bari et Venise). En principe, les ONG qui s'occupent des services d'information sont prévenues de l'arrivée de « cas Dublin », afin qu'elles puissent fournir les informations nécessaires au déclenchement de la procédure d'asile en Italie. Les personnes renvoyées en application du règlement Dublin se voient remettre à l'aéroport, par la police des frontières, une lettre les invitant à demander l'asile auprès de la Questura compétente, laquelle est déterminée suivant un certain nombre de critères, tels que le lieu antérieur d'enregistrement de l'asile ou les disponibilités dans des centres d'accueil spécifiques. À Rome, la demande d'asile est enregistrée directement dans les locaux de l'aéroport.
Des réserves quant à la mise en œuvre du système Dublin dans le contexte de l'Italie et quant à l'application d'Eurodac sont également exprimées dans le rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme des migrants, lequel évoque spécifiquement l'impact de Dublin sur les États de la frontière extérieure de l'UE.
4. La qualité de la procédure de décision en matière de protection internationale
En 2012, le nombre de demandes d'asile, 17 352, s'est contracté par rapport aux 34 100 demandes de 2011. Malgré l'établissement de nouvelles sections des commissions territoriales pour la reconnaissance de la protection internationale (ci-après, « les commissions territoriales »), qui sont les organismes compétents en matière de procédure d'asile en première instance, afin de faire face à l'augmentation des demandes et aux retards accumulés qui en résultent, les délais d'attente, s'agissant des décisions de première instance, ont continué à s'allonger et varient sensiblement d'une commission territoriale à une autre. Les retards sont plus importants lorsque les commissions sont situées au sein de grands centres d'accueil (Mineo, Crotone) ou dans des grandes villes (Rome, Milan). Actuellement, en moyenne et d'après les observations du HCR, un demandeur d'asile peut attendre environ quatre à six mois entre l'enregistrement de sa demande d'asile et la décision de la commission territoriale. Dans certains cas, des périodes d'attente s'étirant sur douze mois ont été signalées.
Dans l'ensemble, les normes italiennes de protection, s'agissant des procédures d'asile et du travail des commissions territoriales, restent satisfaisantes aux yeux du HCR, notamment en matière de taux de reconnaissance des personnes ayant besoin d'une protection internationale. Les principes directeurs et les positions du HCR sont dûment pris en considération, par exemple lorsqu'il s'agit de pays d'origine spécifiques ou d'aspects juridiques, tels que la peur des persécutions en raison de l'appartenance à un groupe social donné. Pour autant, un dispositif de surveillance systématique de la qualité, destiné à garantir une approche harmonisée dans toutes les commissions territoriales, et des normes minimales de qualité, particulièrement pour les questions de procédure, doivent encore être mis en place, notamment des procédures normalisées pour l'identification et l'orientation des demandeurs d'asile ayant des besoins particuliers, spécifiquement les enfants, les victimes de tortures et les victimes de la traite.
Concernant les commissions territoriales, il convient de noter que leurs membres ne sont pas légalement tenus de posséder une expérience et des compétences antérieures dans le domaine de l'asile et qu'ils occupent parfois d'autres fonctions au cours de leur mandat de membre d'une commission territoriale. Les décideurs et les interprètes ne disposent pas de compétences spécialisées garanties de manière adéquate par des formations initiales formelles et des formations obligatoires.
Les appels contre les décisions défavorables des commissions territoriales en première instance doivent être introduits auprès de la juridiction civile géographiquement compétente (Tribunale), sous quinze jours à compter de la date de communication de la décision, dans les affaires où le demandeur est hébergé au sein d'un CARA ou d'un CIE, et sous trente jours dans tous les autres cas. Les appels ont un effet suspensif automatique, excepté dans un certain nombre de cas prévus par la loi, où la suspension des effets juridiques de la décision défavorable en première instance peut être demandée au juge par le demandeur. Même si l'on ne dispose pas de données officielles, des retards prolongés dans la procédure judiciaire entre la date de l'appel et la décision de la juridiction sont fréquemment signalés, notamment dans les affaires relatives au règlement Dublin. Les décisions judiciaires favorables sont exécutées directement par les services de l'immigration de la police, lesquels délivrent les permis de séjour. Le HCR salue les efforts accomplis par l'école supérieure de la magistrature pour encourager les juges à se spécialiser dans le domaine de l'asile.
En 2012, on a signalé au HCR des cas où des demandeurs d'asile retenus dans des CIE ont été expulsés vers leurs pays d'origine au cours du délai prévu par la loi pour faire appel d'une décision de première instance défavorable en matière d'asile, ou alors qu'ils attendaient une décision du juge sur leur requête en suspension des effets juridiques de la décision défavorable de première instance, requête dont l'introduction avait été combinée à celle de l'appel. De telles pratiques peuvent donner lieu à un risque de refoulement s'agissant des personnes qui ont besoin de la protection internationale.
L'aide juridictionnelle gratuite prévue par la loi en appel n'est pas toujours garantie en pratique devant certains tribunaux. À Rome, le barreau continue d'exiger que la partie appelante présente une attestation de revenus délivrée par l'ambassade du pays d'origine concerné, en dépit des risques que cela peut faire courir au demandeur et aux membres de sa famille dans le pays d'origine, et bien que la loi prévoie l'aide juridictionnelle gratuite sur déclaration faite par le demandeur lui-même quant à ses besoins financiers.
5. Conditions d'accueil des demandeurs d'asile
L'arrivée de quelque 63 000 personnes par la mer en 2011 a entraîné une détérioration des normes d'accueil des demandeurs d'asile, laquelle a perduré tout au long de l'année 2012 et en 2013. Parmi les nouveaux venus, quelque 28 000 personnes, en particulier des ressortissants de pays tiers arrivant de Libye, ont été automatiquement orientées par les autorités vers la procédure d'asile, ce qui a lourdement pesé sur le système d'accueil. Les capacités d'accueil étaient déjà - dès avant 2011 - jugées insuffisantes pour héberger les demandeurs d'asile en cas d'arrivées massives.
Pour répondre à cette soudaine augmentation des arrivées, dans le cadre de la « situation d'urgence due à l'immigration nord-africaine », le gouvernement et les autorités locales et régionales ont arrêté un plan d'accueil d'urgence, dont la mise en œuvre a été confiée aux services de la protection civile. Quelque 22 000 nouveaux venus, tous des ressortissants de pays tiers arrivant de Libye et enregistrés comme demandeurs d'asile, ont été hébergés dans des centaines de structures d'accueil différentes, dont la plupart étaient gérées par des organisations n'ayant que peu ou pas d'expérience. Le plan d'accueil d'urgence a permis d'héberger un grand nombre de demandeurs d'asile qui étaient arrivés dans un laps de temps limité. Pour autant, les demandeurs d'asile ont été privés de l'accès à bien des prestations minimales prévues par la loi en vue de leur accueil. Qui plus est, la qualité des mesures d'accueil, censées être assurées jusqu'à la fin de la « situation d'urgence », ne s'est pas beaucoup améliorée avec le temps. Le groupe de suivi et d'assistance établi par les services de la protection civile en juillet 2011 en vue d'appuyer la mise en place du plan d'accueil d'urgence a été supprimé en octobre 2011 avant le retrait progressif de ce dernier.
Les conditions d'accueil se sont également dégradées dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CARA), gérés par l'administration. Cela s'explique essentiellement par la surpopulation : le renouvellement des arrivées et départs des centres a été ralenti par l'augmentation du nombre de demandes d'asile et l'accueil prolongé des groupes de ressortissants de pays tiers qui étaient arrivés de Libye dans le cadre de la « situation d'urgence due à l'immigration nord-africaine ». Cela a eu pour effet d'allonger les procédures d'asile. La capacité d'accueil a ainsi été encore plus éprouvée et, depuis lors, le ministère de l'Intérieur peine à trouver des lieux d'hébergement pour les demandeurs d'asile nouvellement arrivés. Qui plus est, les normes en matière d'accueil dans les centres gérés par l'administration (CARA, CDA et CIE) se sont également dégradées du fait de lourdes contraintes budgétaires, contribuant à une situation dans laquelle, depuis 2011, des contrats de gestion de ces structures sont conclus uniquement par sélection des offres de prestataires les moins-disantes, tandis que les critères qualitatifs sont insuffisamment pris en compte.
Bien que les arrivées par la mer en provenance de Libye aient pratiquement cessé dès août 2011, aucune stratégie de retrait progressif du plan d'accueil d'urgence n'a été mise en place pendant plus d'un an. La stratégie de sortie adoptée en septembre 2012 prévoit entre autres que les demandeurs d'asile déboutés, sans prise en compte de leur présence ininterrompue au sein du système d'accueil d'urgence, se voient accorder des autorisations de séjour d'un an pour raisons humanitaires, sur la base d'une révision des dossiers par les commissions territoriales.
Début 2013, les services de la protection civile ont été relevés de leurs responsabilités à l'égard du plan d'accueil d'urgence par le ministère de l'Intérieur, lequel a prorogé les mesures d'accueil jusqu'à fin février 2013. Plusieurs milliers de ressortissants de pays tiers, dont les demandes d'asile avaient été rejetées mais qui avaient obtenu une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, ont quitté les structures d'accueil avant cette date. Ceux qui séjournaient encore dans les structures d'accueil ont perçu une allocation en espèces de 500 euros et les dispositifs concernant leur accueil ont pris fin. Néanmoins, le ministère de l'Intérieur a donné pour consigne aux préfectures locales de maintenir les mesures d'accueil s'agissant des personnes qui ont des besoins particuliers et des demandeurs d'asile pour lesquels la procédure était encore pendante.
Pour ces dossiers spécifiques, on ne dispose pas de statistiques officielles concernant l'intégration socio-économique. Néanmoins, l'autonomie de ces personnes sera un sujet de préoccupation une fois le plan d'accueil d'urgence levé, et ce principalement à cause de la piètre qualité des prestations d'accueil, des retards en matière de clarification du statut juridique des intéressés et, plus généralement, de la situation économique de l'Italie. En outre, un programme de retour volontaire assisté concernant quelque 600 personnes a été mis en place avec des retards importants ; il n'a offert qu'une assistance et des incitations limitées en vue du retour dans le pays d'origine.
Alors que l'Italie engageait des ressources financières et des efforts importants pour faire face à un nombre inattendu d'arrivées par la mer en 2011, le plan d'accueil d'urgence mis en place pour répondre à la « situation d'urgence due à l'immigration nord-africaine » a fait ressortir des insuffisances de longue date du système d'accueil, notamment l'absence de préparation structurelle et stratégique, ainsi que les limites d'une approche basée sur l'urgence. Du point de vue du HCR, cela a illustré le fait qu'un système d'accueil national coordonné et unifié est nécessaire. Les lacunes apparues au fil du temps ont contribué à affaiblir davantage encore le système d'accueil dans son ensemble. De ce fait l'Italie se retrouve prise de court pour répondre de manière adéquate aux situations d'urgence lorsque celles-ci surviennent, comme cela a été le cas en 2011.
Pour piloter le retrait progressif du plan d'accueil d'urgence, un groupe de coordination nationale a été mis en place fin 2012. Ce dernier est présidé par le ministère de l'Intérieur ; le ministère du Travail, les régions, l'Association nationale des communes italiennes (ANCI) et l'Union des provinces italiennes (UPI) en font également partie. Bien qu'il n'en fasse pas partie, depuis octobre 2012 le HCR est régulièrement invité à assister aux réunions du groupe, tout comme l'OIM. Le groupe de coordination nationale regroupe les principaux acteurs institutionnels concernés et a récemment été reconnu en tant qu'organisme permanent, chargé de préparer et de coordonner les interventions en matière d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile et des réfugiés.
Se fondant sur les recommandations du groupe, entre autres éléments de la stratégie de sortie du plan d'accueil d'urgence, le ministère de l'Intérieur s'est engagé à faire croître la capacité d'accueil du Système de protection des demandeurs d'asile et des réfugiés (SPRAR) de 3 000 à 5 000 places, avec une possibilité d'extension supplémentaire à 8 000 places en cas d'afflux important. Le HCR se félicite de la décision du ministère de l'Intérieur mais souligne la nécessité d'une réforme globale du système d'accueil, lequel devrait englober le soutien post-reconnaissance aux réfugiés reconnus. En fait, bien que les centres gérés par l'administration et les projets du SPRAR (lesquels peuvent héberger à la fois des demandeurs d'asile et des réfugiés reconnus) soient en mesure de subvenir aux besoins d'accueil d'un grand nombre de demandeurs d'asile, les mesures de soutien aux réfugiés reconnus restent largement insuffisantes. Il conviendrait que les réformes nécessaires, lesquelles exigent un engagement politique fort et une gouvernance solide, visent également à rendre systématiques les améliorations du système d'accueil qui ont été apportées ces dernières années, essentiellement par le biais de projets pilotes et d'interventions limitées dans le temps.
Quant à l'accueil des demandeurs d'asile, des différences importantes subsistent selon les endroits d'Italie, et ce en fonction des structures d'accueil et, de manière plus générale, des pratiques locales. Il semble que l'on ait abandonné la pratique qui consistait à limiter l'accueil dans les CARA à un maximum de six mois, laquelle était appliquée aux demandeurs d'asile indépendamment de leur capacité à subvenir à leurs propres besoins et avant que n'ait été rendue, dans ce laps de temps, la décision de première instance sur leur demande. Ceci dit, cette évolution ne répond pas à l'éventuel besoin d'hébergement prolongé en structure d'accueil des demandeurs d'asile qui, dans l'attente d'une décision sur un appel contre une décision défavorable, et bien qu'ayant le droit de travailler, peuvent ne pas être en mesure d'accéder à un niveau de vie adéquat, notamment à un hébergement hors des structures d'accueil.
L'Italie a transposé la disposition de la directive Accueil de l'UE relative au droit de travailler des demandeurs d'asile en dépassant les normes minimales exigées par cette directive. Selon l'article 11 du décret législatif no 140/2005, si la procédure d'asile n'est pas achevée dans le délai de six mois, le permis de séjour est renouvelé pour une nouvelle période de six mois et le demandeur d'asile est autorisé à travailler. Des initiatives pilotes, notamment des évaluations en matière de compétences professionnelles élémentaires, ont été mises en œuvre dans les centres gérés par l'administration dans le but de faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail. Cependant, elles n'ont pas été intégrées dans le cadre des prestations d'accueil. Les mesures de soutien à la recherche d'emploi concernent essentiellement les demandeurs d'asile pour lesquels la procédure d'asile excède une durée de six mois, comme dans la procédure du règlement Dublin ou lorsque la décision de première instance est défavorable. Un tel soutien n'existe pas dans les CARA alors qu'il est prévu dans les projets SPRAR.
Le HCR continue également de recevoir des informations signalant des cas où des demandeurs d'asile sont privés d'un accès immédiat aux dispositifs d'accueil lorsqu'ils demandent la protection internationale, pour n'en bénéficier que des semaines ou des mois plus tard. Ces retards procèdent de lacunes structurelles et d'une capacité insuffisante au sein du système d'accueil existant, de procédures administratives lentes, et de difficultés lors de l'enregistrement des demandes d'asile. Bien que des différences existent à l'échelon local, les mesures de substitution destinées à pourvoir à la subsistance des demandeurs d'asile sont rarement disponibles lorsqu'il y a des retards. Selon les informations du HCR, le soutien financier limité dans le temps prévu dans les cas où l'hébergement en structure d'accueil est retardé (article 6 § 7 du décret législatif no 140/2005) n'est pas assuré. Le HCR n'a pas connaissance d'instances dans lesquelles des demandeurs d'asile auraient dénoncé ces retards devant une juridiction.
D'une manière générale, lors de leur retour en Italie, les personnes enregistrées comme demandeurs d'asile faisant l'objet d'un transfert Dublin ont accès aux centres d'hébergement de transit disponibles à Milan (35 places), à Rome (150 places), à Venise (40 places) et à Bari (20 places). En revanche, les bénéficiaires de la protection internationale, auxquels la protection a été accordée en Italie avant leur départ, n'ont pas accès à ces centres lors de leur retour en application du règlement Dublin. Bien que des places supplémentaires d'hébergement de transit aient été mises à disposition à Milan (25 places) et à Rome (80 places pour hommes adultes) pour les demandeurs d'asile arrivant par les airs, dans la pratique ces places restent insuffisantes. En effet, les personnes faisant l'objet d'un transfert Dublin peuvent avoir à attendre plusieurs jours dans les aéroports que le transfert d'autres demandeurs d'asile soit effectué depuis ces centres d'hébergement de transit vers un projet SPRAR ou un CARA. En outre, il peut également arriver que des personnes faisant l'objet d'un transfert Dublin, lors de leur arrivée en Italie, passent plusieurs jours dans les aéroports avant d'être placées, même si une place dans un centre d'accueil avait été trouvée au moment où l'Italie s'était déclarée compétente en application du règlement Dublin.
En application de l'article 8 du décret législatif no 140/2005 et d'autres dispositions pertinentes, les besoins particuliers des demandeurs et des membres de leur famille doivent être pris en compte en vue de l'accueil. En outre, les demandes des demandeurs d'asile ayant des besoins particuliers sont, en principe, prioritaires. En raison du manque de places disponibles au sein des structures spécialisées ou des projets SPRAR, le nombre de demandeurs d'asile ayant des besoins particuliers qui, en dépit de leur situation, doivent rester dans les CARA durant la procédure d'asile, sans prise en compte particulière de leurs besoins, a augmenté au regard des années précédentes. Ce problème perdure également après la reconnaissance et l'octroi d'une forme de protection. Des lacunes persistent sous la forme de niveaux médiocres de coordination entre les parties prenantes, d'une incapacité à fournir un appui juridico-social et le suivi logistique nécessaire, ainsi que de dispositifs d'orientation insuffisants. Dans une certaine mesure, ces problèmes se sont aggravés depuis 2011, en raison d'une détérioration générale des conditions d'accueil et de coupes budgétaires dans le système d'assistance sociale.
Les demandeurs d'asile auxquels un permis de séjour a été octroyé ont le droit et l'obligation de s'inscrire auprès du système de santé national (SSN). Cette exigence est généralement respectée par les demandeurs d'asile hébergés dans les projets SPRAR. Par contre, les demandeurs d'asile qui se trouvent dans les CARA lors de l'expiration de la période initiale de 20-35 jours prévue par la loi, en raison du nombre limité de places disponibles dans les projets SPRAR, ne se voient pas systématiquement remettre un permis de séjour, et dès lors ne sont pas en mesure de s'inscrire auprès du SNN. En outre, pendant la période d'accueil dans un CARA, la direction doit fournir des prestations conformes au décret du ministère de l'Intérieur du 21 novembre 2008. La qualité de ces prestations, notamment l'aide nécessaire pour accéder aux dispositifs de soins médicaux hors des centres, est inégale d'une région à l'autre de l'Italie, ce qui reflète le manque global d'harmonisation en matière de normes d'accueil.
En outre, l'attention du HCR a été attirée sur certains cas dans lesquels des demandeurs d'asile, notamment des personnes ayant fait l'objet d'un transfert Dublin, à l'expiration de la période d'accueil obligatoire au sein des CARA, ne se sont pas vu remettre immédiatement l'autorisation de séjour de trois mois comme le prévoit la loi.
Fin 2012, en partie pour combler des lacunes qui existaient de longue date, le ministère de l'Intérieur a accepté de mettre en place, dans le cadre du projet Praesidium, un programme pilote de surveillance dans les centres gérés par l'administration. Dans toutes les localités où se trouvent des centres gérés par l'administration, une commission de surveillance a été établie, placée sous la présidence de la préfecture locale et intégrant les sièges de la police provinciale et les organisations membres de Praesidium. Du point de vue du HCR, il s'agit d'une première tentative pour mettre au point des dispositifs plus systématiques de contrôle de la qualité et de surveillance, en vue desquels une implication forte des préfectures et la volonté du ministère de l'Intérieur d'assurer un suivi adéquat seraient nécessaires.
(...)
RECOMMANDATIONS
(...)
     Conditions d'accueil des demandeurs d'asile
23.  Le HCR engage le gouvernement italien à garantir dans l'ensemble du pays une capacité d'accueil adéquate des demandeurs d'asile, notamment lorsque surviennent de nombreuses arrivées, de manière à ce que tous les demandeurs d'asile dépourvus des moyens de subvenir à leurs besoins puissent avoir accès à un accueil adéquat, conformément aux dispositions de la directive UE relative aux conditions d'accueil. Le système d'accueil doit être plus souple afin de pouvoir faire face aux fluctuations du nombre de demandes d'asile et à la durée effective de la procédure d'asile.
24.  Les normes et les conditions d'accueil dans toutes les structures d'accueil doivent faire l'objet d'une harmonisation d'un niveau qualitatif acceptable. Étant donné les différences structurelles entre les différents types de centres (CARA, CDA, projets SPRAR, structures des zones métropolitaines, et structures établies dans le cadre du plan d'accueil d'urgence), l'approche actuelle pourrait être revue de façon à garantir des normes adéquates pour tous les demandeurs d'asile. Il conviendrait qu'une telle révision recherche également les moyens d'éviter que les demandeurs d'asile ne soient hébergés dans de grandes structures pendant de longues durées.
25.  De même, des mesures sont nécessaires afin de s'assurer que les prestations offertes aux demandeurs d'asile et aux réfugiés soient adaptées à leurs différents besoins, en offrant aux premiers l'assistance dont ils ont besoin dans l'attente d'une décision quant à leur statut tout en apportant aux seconds l'appui nécessaire pour faciliter leur intégration dans la société italienne.
(...)
27.  Le HCR encourage les autorités italiennes à mettre en place des mécanismes destinés à entendre les demandeurs d'asile hébergés dans les structures d'accueil et à faciliter leur participation active, à introduire des dispositifs de réclamation et à s'assurer que les différences de genre, l'âge et les besoins particuliers sont pris en compte.
28.  Le HCR engage le gouvernement italien à renforcer ses systèmes existants de surveillance et de contrôle de la qualité, et à envisager l'introduction de systèmes nouveaux et plus performants.
(...) »
48.  Ces recommandations font suite à des recommandations de même nature formulées par le HCR en 2012 et que la Cour a déjà prises en compte dans sa décision Mohammed Hussein (précitée, § 43).
D.  Rapport publié le 18 septembre 2012 par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Nils Muižnieks, à la suite de sa visite en Italie du 3 au 6 juillet 2012 (CommDH(2012)26)
49.  Ce rapport a déjà été examiné par la Cour dans la décision Mohammed Hussein (précitée, § 44). La Cour estime utile d'en rappeler ici les passages pertinents :
(Traduction du greffe)
« 140.  Le système d'accueil des migrants est resté largement inchangé depuis la dernière visite en Italie du prédécesseur du Commissaire, en mai 2011. Comme l'observait le rapport de 2011, les demandeurs d'asile en Italie peuvent être dirigés vers différents types d'hébergement, notamment les CARA (Centri d'accoglienza per richiedenti asilo, centres ouverts de premier accueil pour demandeurs d'asile), les CDA (Centri di accoglienza, centres d'accueil pour migrants) et les CPSA (Centri di primo soccorso ed accoglienza, centres de premier secours et d'accueil).
141.  Des inquiétudes ont été formulées au sujet des conditions qui règnent dans certains centres d'accueil. Ainsi, ayant visité un CARA lors de sa visite de septembre 2008, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a critiqué ce centre du fait qu'il se trouvait dans des locaux de type pénitentiaire. Si le Commissaire n'ignore pas que le gouvernement italien a défini des normes minimales dans les appels d'offres pour la gestion de ces structures, les interlocuteurs se sont montrés préoccupés par la forte disparité des normes dans les centres d'accueil en pratique, qui peut se manifester ainsi, par exemple : manque d'effectifs et de formation adéquate du personnel ; surpopulation et caractère limité de l'espace disponible pour les prestations d'assistance, les conseils juridiques et la socialisation ; locaux matériellement inadéquats et éloignés des résidents locaux ; ou encore difficultés d'accès aux informations adéquates.
142.  Le manque d'uniformité des normes appliquées dans les centres d'accueil, ainsi que le manque de clarté quant au régime applicable aux migrants qui y séjournent, sont devenus une préoccupation majeure après la proclamation de l'« urgence Afrique du Nord » en 2011. En vertu du plan d'urgence, la capacité d'accueil d'alors a été renforcée en coopération avec les régions italiennes, et ce pour faire face à la forte augmentation des arrivées en provenance des côtes nord-africaines (34 120 demandes d'asile ont été déposées en Italie en 2011, ce qui représente plus du triple du chiffre de 10 050 demandes enregistrées en 2010). Le Commissaire a conscience de la pression à laquelle le système d'accueil italien a été soumis en 2011 et loue les efforts déployés par les autorités centrales et régionales pour fournir la capacité d'accueil supplémentaire qui était nécessaire face aux effets de l'important accroissement des flux migratoires.
143.  Cependant, de nombreux interlocuteurs remettent en question l'efficacité et la viabilité d'une approche des questions d'asile et d'immigration qui est fondée sur l'urgence. Le rapport de 2011 avait déjà exprimé des préoccupations particulières quant à l'offre d'aide juridique, de soins adéquats et d'assistance psychosociale dans les centres d'accueil d'urgence, et au sujet des difficultés liées à l'identification rapide des personnes vulnérables et à la préservation de l'unité familiale lors des transferts. Ces inquiétudes restent d'actualité, et des ONG de défense des droits de l'homme ont mis en avant des informations faisant état d'importants problèmes dans certaines de ces structures, notamment en Calabre et en Lombardie. Des retards et un manque de transparence dans le contrôle de ces centres ont également été signalés, tant par des ONG que par le HCR.
144.  Concernant les effets de la clôture de la période d'urgence, prévue pour le 31 décembre 2012, le Commissaire se félicite des informations fournies par le ministre de l'Intérieur selon lesquelles l'examen des demandes d'asile pendantes (estimées à environ 7 000-8 000) sera achevé avant cette date. Il a été informé que 30 % des demandeurs arrivés pendant la période d'urgence se sont vu accorder une protection. Le Commissaire loue également les efforts considérables des autorités italiennes pour améliorer la procédure d'examen appliquée par les commissions territoriales, au sein desquelles le HCR est représenté, mais observe toutefois que le manque de compétence de certains membres de ces commissions est perçu comme un problème.
145.  Cependant, le Commissaire croit comprendre qu'au-delà de cette date il n'y aura plus d'aide pour les personnes qui se sont vu accorder une protection internationale, les autorités considérant que la formation professionnelle qu'ils auront reçue d'ici-là leur permettra de s'intégrer s'ils choisissent de rester en Italie. Le Commissaire s'inquiète de cette éventualité, compte tenu des graves défaillances qu'il a observées dans l'intégration des réfugiés et d'autres bénéficiaires de la protection internationale (voir ci-dessous). Il n'a pas reçu d'informations sur la situation des personnes dont les recours judiciaires contre une décision négative en matière d'asile seront encore pendants à cette date.
146.  Comme le relevait le rapport de 2011, une autre spécificité du système italien tient au SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati), réseau financé par l'État regroupant des autorités locales et des organisations à but non lucratif, qui héberge des demandeurs d'asile, des réfugiés et d'autres personnes bénéficiant de la protection internationale. Contrairement aux CARA et aux centres d'accueil d'urgence, qui sont souvent de larges structures accueillant un grand nombre de personnes simultanément, le SPRAR est constitué d'environ 150 projets plus modestes ; les interlocuteurs du Commissaire estiment qu'il fonctionne bien mieux parce qu'il s'attache aussi à fournir informations, assistance, soutien et orientations aux bénéficiaires, afin de faciliter leur intégration socio-économique.
147.  Cependant, ce réseau - qui représente le deuxième niveau d'accueil, après les centres qui sont en première ligne - a une capacité extrêmement limitée (environ 3 000 places), par rapport au nombre de demandeurs d'asile et de réfugiés que compte l'Italie. De ce fait, il arrive souvent que les demandeurs d'asile soient maintenus dans des CARA pendant de longues périodes, au lieu d'être dirigés vers un projet du SPRAR au terme de la procédure d'identification, comme cela était initialement prévu. Dans certains cas, leur séjour dans un CARA peut durer jusqu'à six mois, et il a été signalé au Commissaire que des demandeurs d'asile reçus dans le cadre du plan d'accueil d'urgence étaient même restés dans des centres d'accueil plus longtemps.
148.  Le Commissaire observe que la question des conditions de vie des demandeurs d'asile en Italie fait l'objet d'une attention croissante dans d'autres États membres de l'UE, en raison du nombre croissant de recours formés par des demandeurs d'asile contre leur transfert en Italie en vertu du règlement Dublin. Il observe qu'une série de jugements rendus par plusieurs juridictions administratives allemandes ont sursis à de tels transferts, au motif notamment que les intéressés risquaient de se retrouver sans abri et en deçà du niveau minimum de subsistance. La Cour européenne des droits de l'homme a également reçu des requêtes alléguant qu'il y aurait violation de l'article 3 de la Convention en cas de transfert vers l'Italie fondé sur le règlement Dublin (...) »
E.  Informations fournies par l'Organisation internationale pour les migrations dans un communiqué de presse du 28 janvier 2014
 
50.  Dans un communiqué de presse daté du 28 janvier 2014, l'Organisation internationale pour les migrations s'exprimait notamment ainsi :
« (...) Plus de 45 000 migrants ont risqué leur vie en Méditerranée pour atteindre les côtes italiennes et maltaises en 2013. Ce chiffre est le plus élevé depuis 2008, à l'exception de 2011, année de la crise libyenne.
Plus de 42 900 migrants sont arrivés en Italie et 2800 à Malte. Parmi ceux arrivés en Italie, plus de 5400 étaient des femmes et 8300 des enfants, dont quelque 5200 non accompagnés. La plupart des arrivées ont eu lieu à Lampedusa (14 700) et le long de la côte près de Syracuse, en Sicile (14 300).
« Les mouvements migratoires vers les côtes du sud de l'Italie en 2013 montrent une hausse du nombre de personnes fuyant la guerre et les régimes oppressifs », déclare José Angel Oropeza, Directeur du Bureau de coordination de l'OIM pour la Méditerranée à Rome.
« La plupart des migrants étaient originaires de Syrie (11 300), d'Erythrée (9800) et de Somalie (3200). Tous ont effectivement été contraints de quitter leur pays et ont le droit de bénéficier d'une protection au titre de la loi italienne », fait-il remarquer.
Les mouvements se sont poursuivis en janvier 2014. Le 24 janvier, 204 migrants ont été secourus par la marine italienne dans le canal de Sicile et ont accosté à Augusta, près de Syracuse.
« La vraie urgence dans la Méditerranée est la mort des migrants en mer. Ils disparaissent sans laisser de trace. L'identification des corps reste un problème humanitaire à résoudre. Bon nombre de familles de victimes attendent toujours de savoir si leur être cher se trouve parmi les corps repêchés après les naufrages d'octobre », déclare José Angel Oropeza.
Plus de 20 000 personnes ont péri ces vingt dernières années en tentant d'atteindre les côtes italiennes. Ils étaient 2300 en 2011 et environ 700 en 2013.
« Les migrants et les réfugiés ne sont pas des pions sur l'échiquier de l'humanité. Ce sont des enfants, des femmes et des hommes qui quittent ou qui sont contraints de quitter leur pays pour de multiples raisons. La réalité de la migration doit être traitée de manière innovante, équitable et efficace », a déclaré le Pape François, lors de son discours à l'occasion de la Journée mondiale des migrants et des réfugiés célébrée par le Vatican le 19 janvier.
« Nous nous sommes trop habitués à considérer ces personnes qui fuient la guerre, la persécution, la pauvreté et la faim comme des statistiques. Nous devons rapidement trouver des solutions pour les empêcher de périr en mer alors qu'elles essaient simplement d'avoir une vie meilleure. Nous devons trouver des moyens pour rendre la migration plus sûre et donner à ces gens de réelles alternatives », conclut José Angel Oropeza.
L'OIM collabore avec le HCR, Save the Children et la Croix-Rouge italienne à Lampedusa, en Sicile, en Calabre, et dans la région des Pouilles, dans le cadre du projet Praesidium, financé par le Ministère italien de l'intérieur, qui vise à aider les migrants irréguliers arrivant en Italie par la mer. »
V.  DROIT COMPARÉ PERTINENT
A.  La jurisprudence allemande pertinente
51.  La Cour note que plusieurs tribunaux administratifs allemands, comme, par exemple, ceux de Stuttgart (le 4 février 2013), Gelsenkirchen (les 17 mai et 11 avril 2013) et Francfort sur le Main (le 9 juillet 2013) ont interdit des renvois de demandeurs d'asile vers l'Italie dans le cadre du règlement Dublin, indépendamment du fait qu'ils appartenaient ou non à des catégories considérées comme vulnérables. En particulier dans son jugement du 9 juillet 2013 (no 7 K 560/11.F.A), le tribunal administratif de Francfort a estimé que la pénurie de places dans les centres d'accueil italiens et les conditions d'hébergement qui y régnaient emporteraient probablement violation de l'article 3 de la Convention en cas de renvoi d'un demandeur d'asile afghan de vingt-quatre ans de l'Allemagne vers l'Italie. Dans son jugement, la juridiction administrative s'est exprimée ainsi :
(Traduction du greffe)
« 25.  Le tribunal a la conviction que les défaillances systémiques des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie constituent des motifs sérieux et avérés de croire que, s'il est transféré dans ce pays en vertu du règlement Dublin, le demandeur courra un risque réel d'être soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE (voir l'arrêt de la CEJ du 21.12.2011 - C-411/10, N.S. contre Secretary of State for the Home Department and Others, EuGRZ 2012 24, § 94).
(...)
28.  Le dispositif d'accueil et d'hébergement en Italie est difficile à comprendre et les autorités italiennes elles-mêmes ne semblent pas avoir une pleine vue d'ensemble de sa capacité et de son efficacité (voir l'avis de borderline-europe eV devant le tribunal administratif de Brunswick, décembre 2012, p. 37). Le gouvernement italien a admis ces déficiences devant la CEDH elle-même (Mohammed Hussein et autres, précitée, § 45, 2e alinéa) (...)
49.  Le tribunal ne dispose pas de renseignements et de rapports fiables de nature à réfuter la conclusion à laquelle il parvient, ni même à la mettre en doute. Tout d'abord, d'après la jurisprudence de la CEDH comme de la CJUE, les règles juridictionnelles du règlement Dublin ne cessent pas de s'appliquer dans le seul cas où il est établi avec certitude que le demandeur d'asile subira un traitement inhumain et dégradant s'il est transféré en Italie. Les faits ne permettent pas d'établir une telle conclusion. En effet, l'Italie dispose en réalité d'un certain nombre de structures d'accueil acceptables pour les demandeurs d'asile et l'on peut supposer qu'au moins un demandeur d'asile sur deux peut aussi bénéficier de conditions qui répondent aux exigences de la directive. Toutefois, eu égard à la jurisprudence susmentionnée, il suffit qu'une personne soit exposée à un risque réel de subir un traitement inhumain ou dégradant. Or il y a lieu de conclure à l'existence de pareil risque puisqu'il y a au mieux 50 % de chances qu'un demandeur d'asile obtienne un hébergement conforme aux exigences énoncées (...) »
B.  La jurisprudence pertinente de la Cour suprême du Royaume-Uni
52.  Dans un arrêt du 19 février 2014 ([2014] UKSC 12), la Cour suprême du Royaume-Uni a considéré qu'indépendamment de l'existence ou non de « défaillances systémiques » dans le système d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, la Cour d'appel devait procéder à un examen au cas par cas du risque que les requérants fussent soumis à des traitements contraires à la Convention en cas de renvoi en Italie. Lord Kerr, suivi en cela par Lord Neuberger (Président), Lord Carnwath, Lord Toulson et Lord Hodge s'est notamment exprimé dans les termes suivants :
(Traduction du greffe)
« (...)
42. L'existence d'une violation de l'article 3 n'exige pas (ou du moins n'exige pas nécessairement) que les conditions dénoncées et présentées comme constituant des conditions inhumaines et dégradantes résultent de défaillances systémiques. Il va de soi qu'une violation des droits garantis par l'article 3 n'est pas intrinsèquement subordonnée à la défaillance d'un système. Si cette exigence se greffe sur elle, la présomption sera incontestablement plus difficile à renverser. Ce qui signifie que ceux qui auraient à pâtir d'une violation de leurs droits au titre de l'article 3 autrement qu'en raison d'une défaillance systémique de la procédure et des conditions d'accueil prévues pour le demandeur d'asile, ne pourraient se prévaloir de ces droits pour empêcher leur retour forcé dans le pays en question où pareille violation se produirait. Encore une fois, il serait étonnant que ce soit là le résultat de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (« la CJUE ») dans l'affaire NS [NS c. Secretary of State for the Home Department et M. E., A. S. M., M. T., K. P., E. H. c. Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Equality and Law Reform (CJUE C-411/10 et C-493/10)].
(...)
46. Aux paragraphes 76-80 de son arrêt, la CJUE indique le contexte dans lequel s'inscrit la nécessité d'une confiance mutuelle entre les États membres en ce qui concerne l'obligation incombant aux États participant au système européen commun d'asile de respecter les droits fondamentaux, y compris ceux reposant sur la Convention relative au statut des réfugiés («  la Convention de 1951 ») ((1951) Cmd 9171) et son Protocole de 1967 (« le Protocole de 1967 ») ((1967) Cmnd 3906). Dans ces paragraphes, la Cour traite également de la présomption qui doit être posée, à savoir que les États seront prêts à se conformer pleinement à leurs obligations. Ces deux considérations qui vont de pair (l'importance des obligations et la présomption qu'elles seront remplies) sont le fondement du système - un système conçu pour «  éviter l'engorgement (...) par l'obligation, pour les autorités des États, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d'accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l'État responsable du traitement de la demande d'asile et ainsi d'éviter le forum shopping, l'ensemble ayant pour objectif principal d'accélérer le traitement des demandes dans l'intérêt tant des demandeurs d'asile que des États participants. » (paragraphe 79)
(...)
48. Avant d'examiner ce que la CJUE a dit sur cette question, on peut observer qu'une règle d'exclusion qui reposerait uniquement sur des défaillances systémiques serait arbitraire à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan pratique. Une défaillance systémique ne présente aucune caractéristique qui la distingue au point qu'une violation des droits fondamentaux qui en résulterait serait plus grave ou mériterait davantage de protection. Et, l'expérience le prouve, des violations flagrantes des droits garantis par l'article 3 peuvent se produire en l'absence de toute défaillance systémique.
49. On doit en conséquence avoir soin de rechercher si la CJUE se réfère à des défaillances systémiques simplement afin de les distinguer de manquements mineurs à telle ou telle directive européenne en matière d'asile ou si elle a sciemment décidé de créer une nouvelle condition préalable difficile à remplir pour les demandeurs d'asile qui tentent de se prévaloir de leurs droits au titre de l'article 3 afin de ne pas être renvoyés dans un pays où il peut être démontré que ces droits seront enfreints. Car il ne fait guère de doute que pareille condition serait vraiment difficile à remplir. Certains des faits des présentes causes attestent du bien-fondé de cette thèse.
(...)
La bonne approche
58. On ne saurait à mon avis souscrire à la conclusion de la Court of Appeal selon laquelle seules des défaillances systémiques des procédures d'asile et des conditions d'accueil dans le pays déterminé peuvent justifier de s'opposer au transfert dans celui-ci. Le critère déterminant demeure celui énoncé dans l'arrêt Soering c. Royaume-Uni de la Cour européenne des droits de l'homme ((1989) 11 EHRR 439). Le renvoi d'une personne d'un État membre du Conseil de l'Europe vers un autre pays est prohibé s'il existe un risque réel que la personne transférée soit soumise dans celui-ci à un traitement incompatible avec l'article 3 de la CEDH.
(...)
63. (...) (L]orsqu'il peut être démontré que les conditions dans lesquelles un demandeur d'asile devra vivre en cas de transfert en vertu du règlement Dublin II sont telles qu'il existe pour lui un risque réel d'être soumis à un traitement inhumain ou dégradant, son transfert dans l'État en question est prohibé. Quand des obligations positives sont en jeu (ce qui est le cas dans l'hypothèse où le demandeur d'asile allègue que l'État ne lui a pas assuré des conditions d'existence satisfaisantes), les éléments de preuve se rapporteront plus probablement à des défaillances systémiques, mais la recherche de pareilles défaillances devra tendre à établir l'existence d'un risque réel de violation de l'article 3 plutôt que d'un obstacle à franchir.
64. Il y a toutefois ce que, au paragraphe 42 i) de l'affaire R (Elayathamby) v. Secretary of State for the Home Department [2011] EWHC 2182 (Admin), le juge Sales décrit comme une « forte présomption probatoire » (« significant evidential presumption ») que les États participants s'acquitteront sur leur territoire de leurs obligations découlant de la Convention en ce qui concerne les procédures d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. C'est à la lumière de cette présomption qu'il y a lieu d'aborder toute allégation selon laquelle il existe un risque réel de manquement aux droits garantis par l'article 3.
Les décisions de première instance
65. Dans son premier jugement concernant l'affaire EM [2011] EWHC 3012 Admin, rendu le 18 novembre 2011, le juge Kenneth Parker s'est référé en y souscrivant à ce qui est dit dans le jugement R v Home Secretary Ex p Adan [1999] 3 WLR 1274, à savoir qu'on ne jugera pas défaillant pour cause d'anomalies un système qui, s'il fonctionne comme il le fait habituellement, assurera au demandeur d'asile le niveau de protection voulu. Au paragraphe 12, il a poursuivi en ces termes :
« Comme il est dit dans KRS, il y a lieu de présumer que pareil système existe. C'est au demandeur qu'il appartient de réfuter cette présomption, en apportant un ensemble de preuves crédibles qui démontrent que l'Italie manque systématiquement et sur une grande échelle à ses obligations internationales envers les demandeurs d'asile. » (souligné dans l'original [le jugement KRS])
66. Par « systématique » il faut entendre qui est « arrangé ou mené selon un système, un plan ou une méthode organisée » tandis que « systémique » signifie « qui se rapporte à un système ou l'affecte ». Dans le contexte, je crois qu'en déclarant qu'il fallait démontrer un manquement systématique et important aux obligations internationales, le juge Kenneth Parker voulait dire que les omissions devaient être majeures et à une grande échelle. Sa façon de voir est donc assez différente de celle de la Court of Appeal car il ne semble pas donner à penser qu'il faut démontrer que le système comporte des déficiences intrinsèques, simplement qu'il y a des difficultés majeures de fonctionnement. Cela se rapproche (pour le moins) de ce qui est, selon moi, la véritable portée de la décision NS. En conséquence, sur un point, la décision du juge Kenneth Parker cadre avec le bon critère et doit être confirmée.
67. J'ai toutefois décidé, pour deux raisons, que ce n'était pas la conclusion correcte à laquelle il fallait arriver. Premièrement, la Court of Appeal a adopté un point de vue différent de celui du juge Kenneth Parker quant à l'effet des éléments de preuve. Comme je l'ai relevé [ci-dessus], la Court of Appeal a indiqué que, n'eût été l'incidence de la décision N.S, elle aurait été tenue de conclure que dans ces quatre affaires une question méritait examen, celle de savoir si leur retour en Italie exposerait les appelants à un risque réel d'être soumis à un traitement inhumain ou dégradant contraire à l'article 3 de la CEDH. Deuxièmement, il y a lieu de se demander si l'approche du juge Kenneth Parker s'accorde précisément avec celle de l'arrêt Soering. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l'homme avait dit que la responsabilité de l'État contractant qui extrade se trouve engagée sur le terrain de la Convention, à raison d'un acte « qui a pour résultat direct d'exposer quelqu'un à des mauvais traitements prohibés ». Pour renverser la présomption, un demandeur devra produire des éléments de preuve suffisants montrant qu'il ne serait pas prudent que le tribunal s'appuie sur cette présomption. Si on y regarde de près, il se peut fort bien que le juge Kenneth Parker n'ait pas voulu dire qu'une personne faisant l'objet d'un retour forcé serait tenue de prouver que le risque encouru par elle de subir un mauvais traitement contraire à l'article 3 de la CEDH résulte d'un manquement majeur et systématique de l'État d'accueil à ses obligations internationales. Il me paraît au demeurant que ce serait aller au-delà de l'exigence énoncée dans Soering que d'imposer une telle obligation dans tous les cas. Le juge Kenneth Parker ne s'étant nullement référé à Soering dans son jugement et la présente Cour ayant réaffirmé le critère dégagé dans cette affaire-là, il serait à mon avis raisonnable de revoir la question.
68. (...) Même si l'on part d'une forte présomption probatoire selon laquelle les États participants rempliront leurs obligations internationales, l'allégation que pareil risque existe ne doit pas être écartée in limine uniquement parce que celui-ci ne représente pas un manquement systémique ou systématique aux droits des réfugiés ou des demandeurs d'asile. Qui plus est, les réalités concrètes sont au cœur de l'enquête ; des preuves concernant ce qui se passe sur le terrain doivent pouvoir renverser la présomption si elles montrent clairement et à suffisance qu'en cas de retour forcé, il y aurait un risque réel de traitement contraire à l'article 3.
Conclusion
(...) 70. Il ne peut être procédé correctement à cet examen que moyennant une appréciation de la situation dans le pays d'accueil. Le cas échéant, un examen rigoureux s'impose - voir Chahal c. Royaume-Uni (1997) 23 EHRR 413, paragraphe 96, et Vilvarajah c. Royaume-Uni (1991) 14 EHRR 248, paragraphe 108. Le tribunal doit envisager les conséquences prévisibles d'un renvoi dans le pays d'accueil, compte tenu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas du demandeur, en ce compris son expérience personnelle antérieure - voir Vilvarajah, précité, paragraphe 108, et Saadi c. Italie, (2009) 49 EHRR 30, paragraphe 130. La Cour européenne des droits de l'homme a suivi cette approche dans des arrêts postérieurs à M.S.S. - Hussein c. Pays-Bas, requête no 27725/10, paragraphes 69 et 78, et Daytbegova c. Autriche, requête no 6198/12, paragraphes 61 et 67-69. »
 


Considérants

EN DROIT
53.  Invoquant l'article 3 de la Convention, les requérants estiment qu'en cas de renvoi vers l'Italie, « sans garantie individuelle de prise en charge », ils seraient victimes d'un traitement inhumain et dégradant lié à l'existence de « défaillances systémiques » dans le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays. Cette disposition est ainsi libellée :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
54.  Sur le terrain de l'article 8 de la Convention, les requérants estiment que leur renvoi vers l'Italie, pays où ils n'ont aucune attache et dont ils ne parlent pas la langue, violerait le droit au respect de leur vie familiale. Cette disposition se lit comme suit :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
55.  Maîtresse de la qualification juridique des faits (Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 43, CEDH 2012 ; Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I ; Halil Yüksel Akıncı c. Turquie, no 39125/04, § 54, 11 décembre 2012), la Cour estime plus approprié d'examiner le grief tiré des conditions d'accueil des requérants en Italie uniquement sous l'angle de l'article 3 de la Convention.
56.  Invoquant l'article 13 de la Convention, en combinaison avec l'article 3, les requérants reprochent aux autorités suisses de ne pas avoir examiné avec suffisamment d'attention leur situation personnelle et de ne pas avoir tenu compte de leur situation familiale dans la procédure de renvoi vers l'Italie, qu'ils estiment trop formaliste et automatique, voire arbitraire. L'article 13 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
A.  Thèses des parties
1.  Les requérants
57.  Les requérants soutiennent que le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie souffre de défaillances systémiques qui selon eux tiennent, d'une part, à des difficultés d'accès aux structures d'accueil liées aux lenteurs de la procédure d'identification ; d'autre part, à une capacité d'hébergement de ces structures de toute manière insuffisante ; et, enfin, aux conditions de vie inadéquates régnant dans les structures disponibles. À l'appui de leur thèse, les requérants invoquent les constats établis par les organisations suivantes : Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), Italie : conditions d 'accueil, Situation actuelle des requérant-e-s d'asile et des bénéficiaires d'une protection, en particulier celles et ceux de retour en Italie dans le cadre de Dublin, Berne, octobre 2013 (le « rapport OSAR ») ; Maria Bethke et Dominik Bender, Proasyl, Zur Situation von Flüchtlingen in Italien, 28 février 2011, www.proasyl.de (le « rapport Proasyl ») ; Jesuit Refugee Service-Europe (JRS), Dublin II info country sheets. Country : Italy, novembre 2011 (le « rapport JRS ») ; Haut-Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies, UNHCR Recommendations on important aspects of refugee protection in Italy, juillet 2012 (les « recommandations 2012 du HCR ») ; Rapport publié le 18 septembre 2012 par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Nils Muižnieks, à la suite de sa visite en Italie du 3 au 6 juillet 2012 (le « rapport 2012 du Commissaire aux droits de l'homme ») ; Réseau européen de coopération technique sur l'application du règlement Dublin II, Dublin II Regulation National Report on Italy, 19 décembre 2012 (le « rapport 2012 du Réseau européen Dublin II »).
a)  Les lenteurs de la procédure d'identification
58.  Les requérants soutiennent que le droit des demandeurs d'asile à être hébergés dans les CARA ou dans les structures du réseau SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati) « ne prend effet qu'à partir » de l'enregistrement formel de leur demande d'asile par la police (verbalizzazione). Or, selon eux, dans la pratique, entre le moment où les personnes concernées se signalent auprès du service de l'immigration de la préfecture de police compétente et le moment de l'enregistrement, il se passe parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pendant lesquels ces personnes restent sans abri. De l'avis des requérants, ce constat a été dressé formellement par le tribunal administratif de Francfort dans un jugement du 9 juillet 2013 (paragraphe 51 ci-dessus) reposant sur des informations soumises par l'OSAR et l'organisation borderline-europe. Il existerait donc des défaillances tenant à la mise en œuvre de la procédure administrative prévue par la loi. Les requérants reconnaissent toutefois que la situation est quelque peu différente en ce qui concerne les demandeurs d'asile renvoyés vers l'Italie dans le cadre du règlement Dublin, qui devraient théoriquement avoir un accès immédiat non seulement aux CARA et aux structures appartenant au SPRAR mais également aux structures mises à disposition par les communes ainsi qu'à celles mises en place dans le cadre des projets financés par le Fonds européen pour les réfugiés (FER) pour 2008-2013.
b)  Les capacités d'hébergement des structures d'accueil
59.  Les requérants reconnaissent que les structures financées par le FER sont destinées aux personnes transférées dans le cadre du règlement Dublin, mais considèrent que le nombre de places disponibles est insuffisant par rapport au nombre de personnes transférées. Citant le rapport OSAR, ils soutiennent ainsi qu'en 2012 il n'y avait que 220 places disponibles au total pour 3 551 personnes transférées, dont 2 981 depuis la Suisse.
60.  Quant aux disponibilités dans les CARA et les structures appartenant au SPRAR, les requérants soutiennent qu'elles sont difficilement accessibles aux personnes qui font l'objet d'un renvoi « Dublin ».
61.  Pour ce qui est des structures du réseau SPRAR, les requérants avancent, toujours en citant le rapport OSAR, que seulement 5 % des personnes qui y étaient logées en 2012 étaient des personnes transférées dans le cadre du règlement Dublin et que, sur ces 5 % de personnes logées, 6,5 % seulement avaient été transférées depuis la Suisse, alors que les transferts depuis la Suisse représentaient 85 % du total des transferts « Dublin » vers l'Italie. Les requérants en concluent que de nombreuses personnes renvoyées selon la procédure « Dublin » se retrouvent sans solution de logement. Ils ajoutent que, selon l'OSAR, dans de nombreux cas les membres de familles transférées en Italie ont été logés séparément.
62.  Les requérants fournissent également des données relatives à l'hébergement des demandeurs d'asile en général, qu'ils aient fait ou non l'objet d'une procédure de renvoi « Dublin ». À ce propos, ils soutiennent que le nombre de demandes d'asile en Italie était de 34 115 en 2011 et de 15 715 en 2012, avec des chiffres en hausse pour 2013. Selon le rapport OSAR, le nombre de réfugiés vivant en Italie en 2012 atteignait 64 000. Or, toujours selon le rapport OSAR, en 2012 il n'y avait que 8 000 places dans les CARA, avec des listes d'attente si longues que pour la majorité des postulants il n'existait aucune perspective réaliste d'accès.
63.  Concernant les structures du SPRAR, le rapport OSAR indiquerait que le nombre de places s'élevait à 4 800 et que 5 000 personnes étaient inscrites sur liste d'attente. Le même rapport relèverait que, d'après deux autres organisations, Caritas et JRS, seulement 6 % des personnes admises dans les structures du SPRAR, où l'accueil serait par ailleurs limité à une durée de six mois, parviennent à trouver un emploi et à s'intégrer professionnellement dans la société italienne.
64.  Quant aux centres d'hébergement communaux, accessibles non seulement aux demandeurs d'asile mais aussi à toute personne démunie, le nombre de places y serait également nettement inférieur aux besoins. Selon le rapport OSAR, la ville de Rome compterait 1 300 places, avec une liste d'attente de 1 000 personnes, et le délai moyen d'attribution y serait de trois mois. À Milan, il n'y aurait que 400 places et les familles seraient systématiquement séparées. Les requérants ajoutent que, si un certain nombre de communes mettent à disposition des logements sociaux pour les familles, elles le font en nombre nettement insuffisant et avec des délais d'attente de l'ordre de dix ans. Par ailleurs, les requérants soulignent que les solutions d'hébergement proposées par les institutions religieuses et les ONG ne permettent pas non plus de faire face au nombre de demandes. Enfin, le marché libre du logement serait inaccessible aux demandeurs d'asile car la situation économique de l'Italie, avec un taux de chômage en augmentation, ne leur permettrait pas de trouver un emploi.
65.  En conclusion, les requérants soutiennent que, en raison de la pénurie de places disponibles dans les différents types de structures d'accueil, un grand nombre de demandeurs d'asile, y compris des familles avec enfants en bas âge, sont contraints de vivre dans des squats insalubres, d'autres logements de fortune ou tout simplement dans la rue. À titre d'exemple, selon le rapport OSAR, dans la ville de Rome il y aurait 1 200 à 1 700 personnes logées dans des conditions précaires et, dans toute l'Italie, 2 300 à 2 800 personnes dormant dans la rue.
c)  Les conditions d'hébergement dans les structures disponibles
66.  Les requérants allèguent que l'accueil, notamment dans les CARA, se fait en violation des dispositions de la directive Accueil. Ils se réfèrent à un constat de l'organisation borderline-europe selon lequel, dans les CARA de Trapani (Sicile), on a logé dans un espace de 15 m2 cinq à six personnes, qui ont dû dormir sur des matelas posés à même le sol. Ces centres connaîtraient également des problèmes liés aux conditions sanitaires et à la promiscuité. La promiscuité serait même un problème récurrent au sein des CARA et aurait des conséquences particulièrement néfastes sur les enfants, notamment lorsque l'unité du groupe familial n'est pas respectée, ce qui serait systématique par exemple à Milan. Dans le CARA de Mineo (Sicile), les personnes hébergées ne recevraient pas de subside, les conditions sanitaires seraient précaires, l'accès aux soins insuffisant et les activités criminelles de même que la prostitution florissantes.
67.  Dans leurs observations, les requérants se réfèrent notamment aux recommandations 2012 du HCR et au rapport 2012 du Commissaire aux droits de l'homme. Ils attachent en outre beaucoup d'importance au fait que le tribunal administratif de Francfort, dans son jugement du 9 juillet 2013 (paragraphe 51 ci-dessus), a considéré que le risque d'être confronté à des mauvais traitements en cas de renvoi en Italie, faute de conditions d'accueil conformes aux directives européennes, concernait 50 % des demandeurs d'asile.
68.  Enfin, les requérants soutiennent que le gouvernement suisse n'a produit aucun document attestant d'une recherche de solution concrète pour leur prise en charge. Selon eux, aucune demande de garanties minimales ne semble avoir été faite auprès des autorités italiennes, qui n'auraient donné aucune assurance que les requérants seraient hébergés dans des conditions décentes et ne seraient pas séparés. Ils estiment par ailleurs que les conditions de vie au CARA de Bari, où ils ont passé deux jours lors de leur séjour en Italie, étaient inacceptables, en raison notamment de la situation de promiscuité qui y régnait et des violences que cela engendrait.
2.  Le Gouvernement
a)  Les lenteurs de la procédure d'identification
69.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur les difficultés évoquées par les requérants quant aux lenteurs de la procédure d'identification.
b)  Les capacités d'hébergement des structures d'accueil
70.  En ce qui concerne les capacités d'hébergement des structures d'accueil, il y a selon le Gouvernement 235 places réservées aux demandeurs d'asile faisant l'objet d'un renvoi « Dublin » dans les structures financées par le FER. Par ailleurs, le Gouvernement avance que la capacité du réseau SPRAR sera portée à 16 000 places pendant la période 2014-2016. Il se réfère essentiellement aux recommandations 2012 du HCR et au rapport 2012 du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, ainsi qu'aux constatations de la Cour dans la décision Mohammed Hussein, précitée, et à celles de même teneur qui l'ont suivie ( Daytbegova et Magomedova c. Autriche (déc.), 4 juin 2013, no 6198/12 ; Abubeker c. Autriche et Italie (déc.), 18 juin 2013, no 73874/11 ; Halimi c. Autriche et Italie (déc.), 18 juin 2013, no 53852/11 ; Miruts Hagos c. Pays-Bas et Italie (déc.), 27 août 2013, no 9053/10 ; Mohammed Hassan et autres c. Pays-Bas et Italie (déc.), 27 août 2013, no 40524/10 ; Hussein Diirshi et autres c. Pays-Bas et Italie (déc.), 10 septembre 2013, no 2314/10).
c)  Les conditions d'hébergement dans les structures disponibles
71.  En ce qui concerne les conditions de vie dans les structures disponibles, le Gouvernement, se référant là encore aux recommandations 2012 du HCR et au rapport 2012 du Commissaire aux droits de l'homme, considère qu'on ne saurait conclure à l'existence en Italie d'une pratique avérée de violation systématique de la directive Accueil. Il ajoute qu'il n'a pas connaissance d'États « Dublin » qui renonceraient de manière générale à des renvois vers l'Italie et que ni le HCR ni le Commissaire aux droits de l'homme n'ont souhaité intervenir dans la présente procédure, alors qu'ils l'avaient fait dans l'affaire M.S.S.
72.  Pour ce qui est du cas précis des requérants, il indique que, le 22 novembre 2011, l'ODM avait soumis une requête aux autorités italiennes aux fins de la prise en charge des requérants, conformément à l'article 17 du règlement Dublin. Aucune réponse explicite n'aurait été donnée à cette requête dans le délai de deux mois prévu à l'article 18 § 1 du règlement Dublin, ce qui selon le Gouvernement valait acceptation implicite et était d'usage à l'époque entre la Suisse et l'Italie.
73.  La pratique aurait changé et l'Italie répondrait désormais expressément aux demandes de prise en charge émanant de la Suisse.
74.  En général, un transfert dans le cadre d'une procédure « Dublin » serait une mesure préparée longtemps à l'avance et non destinée à faire face à une situation d'urgence, de sorte qu'il serait possible de tenir compte de la situation des personnes présentant un besoin de protection particulier, comme les familles avec enfants en bas âge, avant leur arrivée sur le territoire italien. La collaboration avec les autorités italiennes dans ce domaine fonctionnerait bien, grâce notamment à la présence d'un agent de liaison suisse au sein de l'unité Dublin du ministère de l'Intérieur italien. Depuis le début de l'année 2013, les autorités italiennes auraient adopté une nouvelle pratique consistant à indiquer, en même temps que leur décision d'accepter de prendre en charge le demandeur d'asile, l'aéroport ainsi que la structure d'accueil de destination.
75.  En tout état de cause, à l'audience du 12 février 2014 le Gouvernement a déclaré avoir été informé par les autorités italiennes qu'en cas de renvoi vers l'Italie les requérants seraient hébergés dans un centre de Bologne faisant partie des structures financées par le FER. Il n'a pas donné plus de précisions quant aux modalités de transfert et aux conditions matérielles d'accueil prévues par les autorités italiennes.
3.  Observations des gouvernements italien, néerlandais, suédois, norvégien et britannique, ainsi que des organisations Defence for Children, Centre AIRE, CERE et Amnesty International, tiers intervenants
a)  Les lenteurs de la procédure d'identification
76.  D'après les observations présentées par le gouvernement italien, l'article 20 du décret législatif du 28 janvier 2008 (no 25/2008) prévoit que les demandeurs de protection internationale peuvent être hébergés dans des CARA pendant la durée nécessaire à leur identification, c'est-à-dire avant l'enregistrement de leur demande d'asile, pour une période maximale de vingt jours, et pendant la durée nécessaire à l'examen de leur demande d'asile par la commission territoriale, pour une période maximale de trente-cinq jours. En cas d'acceptation de leur demande, ils auraient accès au SPRAR. Cela étant, selon l'article 6 du décret législatif du 30 mai 2005 (no 140/2005), en cas de manque avéré de disponibilités dans les structures du SPRAR, les demandeurs d'asile à même de démontrer qu'ils sont dépourvus de moyens de subsistance auraient le droit de rester dans les CARA. Le gouvernement italien ne fournit toutefois pas d'informations sur d'éventuels cas où des demandeurs d'asile auraient été obligés de patienter plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant d'avoir accès aux CARA, avant ou après identification. Il indique en revanche que la durée moyenne de l'examen d'une demande d'asile était de soixante-douze jours en 2012 et de quatre-vingt-douze jours en 2013. Ces délais seraient justifiés par le fait que, l'audition de chaque demandeur d'asile par la commission territoriale devant durer au minimum une heure, chacune des dix commissions territoriales serait dans l'incapacité matérielle de traiter plus de dix demandes par jour. Une loi entrée en vigueur le 4 septembre 2013 (no 97/2013) aurait permis la création d'un certain nombre de sections supplémentaires au sein des commissions territoriales, dans le but d'accélérer l'examen des demandes d'asile.
77.  Les autres tiers intervenants ne se prononcent pas davantage que le gouvernement suisse sur l'aspect pratique de cette question.
b)  Les capacités d'hébergement des structures d'accueil
78.  Dans ses observations, le gouvernement italien explique que, par un décret du 17 septembre 2013, le ministère de l'Intérieur a décidé de doubler la capacité totale du réseau SPRAR, pour atteindre 16 000 places à la fin de la période 2014-2016. Le réseau compterait actuellement 9 630 places, dont 1 230 places déjà créées suite à l'adoption de ce décret. Par ailleurs, une circulaire du 7 octobre 2013 aurait invité les préfets de la région Sicile à localiser des structures d'hébergement supplémentaires pour l'accueil des réfugiés, notamment en ayant recours au secteur privé. À ce jour, une quarantaine de ces structures auraient été identifiées, pour un total de 1 834 places. Six autres structures seraient prêtes à être activées en cas d'augmentation de l'afflux de réfugiés. Par ailleurs, selon le gouvernement italien, les demandes d'asile présentées au cours des six premiers mois de l'année 2013 s'élevaient à 14 184 (au 15 juin 2013). Enfin, lors de l'audience du 12 février 2014, la représentante du gouvernement italien a qualifié de « situation dramatique » l'afflux de demandeurs d'asile enregistré au cours des deux dernières années.
79.  Les gouvernements néerlandais, suédois, norvégien et britannique rejoignent en substance la position du gouvernement suisse. Comme lui, ils soutiennent que, contrairement à ce qu'il a fait pour la Grèce, le HCR n'a pas appelé à cesser les transferts de certains groupes vulnérables vers l'Italie.
80.  Le gouvernement suédois indique que l'Italie et le Bureau européen d'appui pour l'asile (EASO) ont signé le 4 juin 2013 un plan spécial de soutien (Special Support Plan) destiné à améliorer l'accueil des demandeurs d'asile. Par ailleurs, les renvois « Dublin » vers l'Italie feraient l'objet d'un échange d'informations systématique entre les autorités des deux pays, particulièrement approfondi dans le cas de personnes vulnérables, notamment d'enfants non accompagnés.
81.  Le gouvernement britannique soutient que les rapports auxquels se réfèrent les requérants dans leur évaluation de la situation sur le terrain, en particulier le rapport Proasyl, omettent souvent de faire la différence entre « demandeurs d'asile », « réfugiés reconnus » et « demandeurs d'asile déboutés ». Or, cette distinction serait capitale dès lors que la directive Accueil ne s'appliquerait qu'aux demandeurs d'asile, dont le statut serait par essence temporaire, alors que la directive Qualification, qui s'appliquerait aux réfugiés, mettrait ces derniers sur un pied d'égalité avec les nationaux en matière d'accès à l'emploi, à l'éducation ou encore à la protection sociale. Les données contenues dans ces rapports seraient dès lors faussées ; à titre d'exemple, le gouvernement britannique avance que le rapport OSAR critique les conditions de vie dans la structure de Tor Marancia, à Rome, tout en reconnaissant qu'elle accueille des hommes afghans ayant le statut de réfugié.
82.  L'organisation Defence for Children se rallie au constat des requérants selon lequel les capacités d'hébergement des demandeurs d'asile en Italie sont nettement insuffisantes, et soutient que les conséquences sont particulièrement graves pour les enfants, dont certains seraient contraints de vivre dans des squats ou autres logements insalubres. L'ONG se réfère aux informations publiées dans le rapport OSAR.
c)  Les conditions d'hébergement dans les structures disponibles
83.  À l'instar des requérants, l'organisation Defence for Children, citant le rapport OSAR, soutient que plusieurs familles renvoyées en Italie dans le cadre du règlement Dublin ont été séparées à leur arrivée dans les structures d'accueil, notamment des CARA. Cette pratique serait même systématique dans la ville de Milan. Dans ses observations, Defence for Children met l'accent sur la notion d'« intérêt supérieur de l'enfant », telle que définie par la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, et considère que dans les affaires de renvoi « Dublin » le développement social et émotionnel de l'enfant devrait être déterminant dans l'examen de son « intérêt supérieur ». L'ONG se réfère en particulier à l'article 6 du règlement Dublin III, entré en vigueur le 1er janvier 2014 (paragraphe 35 ci-dessus).
84.  Defence for Children renvoie en particulier à l'importance que le Comité des droits de l'enfant des Nations unies attacherait à la préservation de l'environnement familial, et se réfère à la jurisprudence de la Cour en matière de détention d'enfants, notamment migrants, pour ce qui concerne les conditions d'hébergement. En conclusion, l'ONG demande à la Cour d'interdire les renvois d'enfants vers l'Italie, en raison de la précarité des conditions d'hébergement des demandeurs d'asile dans ce pays.
85.  Se référant eux aussi à la notion d'« intérêt supérieur de l'enfant », le Centre AIRE, le CERE et Amnesty International considèrent que les enfants ne devraient être transférés vers d'autres États membres de l'Union européenne que si pareille mesure correspond à leur intérêt supérieur.
86.  De son côté, lors de l'audience du 12 février 2014 le gouvernement italien a, d'une part, confirmé que des épisodes de violence étaient survenus au CARA de Bari peu avant l'arrivée des requérants et, d'autre part, nié que des familles de demandeurs d'asile fussent systématiquement séparées, si ce n'est dans quelques cas et pendant des périodes très brèves, lors des premiers jours de prise en charge et d'identification. Dans ses observations, il avance par ailleurs que les demandeurs d'asile appartenant à une catégorie que les autorités italiennes considèrent comme vulnérable - ce qui serait le cas des requérants, en tant que famille avec enfants - sont pris en charge au sein du système SPRAR, qui leur garantirait l'hébergement, la nourriture, l'assistance sanitaire, des cours d'italien, l'orientation vers les services sociaux, les conseils juridiques, des cours de formation professionnelle, des stages d'apprentissage et l'assistance pour la recherche d'un logement autonome.
B.  Appréciation de la Cour
87.  À titre liminaire, la Cour relève que, d'après le gouvernement suisse, en cas de renvoi vers l'Italie, les requérants seraient hébergés à Bologne, dans une structure appartenant au réseau financé par le FER (paragraphe 75 ci-dessus). À supposer même que cette circonstance soulève une question sous l'angle de l'article 37 § 1 b) ou c) de la Convention, la Cour considère qu'il y a lieu de l'inclure dans son examen sur le fond de la requête (paragraphe 121 ci-dessous).
1.  Sur la responsabilité de la Suisse au regard de la Convention
88.  La Cour note que, dans la présente affaire, la responsabilité de la Suisse au regard de l'article 3 de la Convention n'est pas contestée.
Toutefois, la Cour juge utile de rappeler que, dans l'affaire Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande ([GC], no 45036/98, § 152, CEDH 2005-VI), elle a conclu que la Convention n'interdit pas aux Parties contractantes de transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale à des fins de coopération dans certains domaines d'activité. Les États demeurent néanmoins responsables au regard de la Convention de tous les actes et omissions de leurs organes qui découlent du droit interne ou de la nécessité d'observer les obligations juridiques internationales (ibidem, § 153). Une mesure de l'État prise en exécution de pareilles obligations juridiques doit être réputée justifiée dès lors qu'il est constant que l'organisation en question accorde aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention. Toutefois, un État demeure entièrement responsable au regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses obligations juridiques internationales, notamment lorsqu'il a exercé un pouvoir d'appréciation (ibidem, §§ 155-157 ; voir également Michaud c. France, no 12323/11, §§ 102-104, CEDH 2012).
Il est vrai que, contrairement à l'Irlande dans l'affaire Bosphorus, la Suisse n'est pas un État membre de l'Union européenne. Cependant, en vertu de l'accord d'association du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne, la Suisse est liée par le règlement Dublin (paragraphes 34 et 36 ci-dessus) et participe au système mis en place par cet instrument.
89.  Or, la Cour relève que l'article 3 § 2 du règlement Dublin prévoit que, par dérogation à la règle générale inscrite à l'article 3 § 1, chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement. Il s'agit de la clause dite de « souveraineté » (paragraphe 32 ci-dessus). Dans ce cas, cet État devient l'État membre responsable, au sens du règlement, de l'examen de la demande d'asile et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (M.S.S., précité, § 339). Par l'effet de l'accord d'association, ce mécanisme s'applique aussi à la Suisse.
90.  La Cour en déduit que les autorités suisses peuvent, en vertu du règlement Dublin, s'abstenir de transférer les requérants vers l'Italie si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention. En conséquence, elle estime que la décision de renvoyer les requérants vers l'Italie ne relève pas strictement des obligations juridiques internationales qui lient la Suisse dans le cadre du système mis en place par le règlement Dublin et que, dès lors, la présomption de protection équivalente ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce (voir, mutatis mutandis, M.S.S., précité, § 340).
91.  Dès lors, dans la présente affaire, la Suisse doit être considérée comme responsable au regard de l'article 3 de la Convention.
2.  Sur la recevabilité
92.  Constatant que cette partie la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
3.  Sur le fond
a)  Rappel des principes généraux
93.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l'expulsion d'un demandeur d'asile par un État contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3, donc engager la responsabilité de l'État en cause au titre de la Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Dans ce cas, l'article 3 implique l'obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 152, CEDH 2008 ; M.S.S., précité, § 365 ; Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, §§ 90-91, série A no 161 ; Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, § 103, série A no 125 ; H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 34, Recueil 1997-III ; Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 38, CEDH 2000-VIII ; Salah Sheekh c. Pays-Bas, no 1948/04, § 135, CEDH 2007-I).
94.  La Cour a dit à de nombreuses reprises que, pour tomber sous le coup de l'interdiction contenue à l'article 3, le traitement doit présenter un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (voir, notamment, Kudła c.  Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI ; M.S.S., précité, § 219).
95.  La Cour a également considéré que l'article 3 ne saurait être interprété comme obligeant les Hautes Parties contractantes à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction (Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 99, CEDH 2001-I). Il ne saurait non plus être tiré de l'article 3 un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie (Müslim c. Turquie, no 53566/99, § 85, 26 avril 2005 ; M.S.S., précité, § 249).
96.  Dans l'arrêt M.S.S. (§ 250), la Cour a cependant estimé que la question à trancher dans l'affaire en question ne se posait pas en ces termes. À la différence de la situation dans l'affaire Müslim (précitée, §§ 83 et 84), l'obligation de fournir un logement et des conditions matérielles décentes aux demandeurs d'asile démunis faisait partie du droit positif et pesait sur les autorités grecques en vertu des termes mêmes de la législation nationale qui transposait le droit de l'Union européenne, à savoir la directive Accueil. Ce que le requérant reprochait aux autorités grecques dans cette affaire, c'était l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé, de par leur action ou leurs omissions délibérées, de jouir en pratique de ces droits afin de pourvoir à ses besoins essentiels.
97.  Dans ce même arrêt (§ 251), la Cour a accordé un poids important au statut du requérant, qui était demandeur d'asile et appartenait de ce fait à un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable, ayant besoin d'une protection spéciale, et a noté que ce besoin d'une protection spéciale faisait l'objet d'un large consensus à l'échelle internationale et européenne, comme cela ressortait de la Convention de Genève, du mandat et des activités du HCR ainsi que des normes figurant dans la directive Accueil de l'Union européenne.
98.  Toujours dans M.S.S. (§§ 252 et 253), devant déterminer si une situation de dénuement matériel extrême pouvait soulever un problème sous l'angle de l'article 3, la Cour a rappelé qu'elle n'avait pas exclu « la possibilité que la responsabilité de l'État [fût] engagée [sous l'angle de l'article 3] par un traitement dans le cadre duquel un requérant totalement dépendant de l'aide publique serait confronté à l'indifférence des autorités alors qu'il se trouverait dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu'elle serait incompatible avec la dignité humaine » (Budina c. Russie, (déc.), no 45603/05, 18 juin 2009).
99.  Concernant plus particulièrement les mineurs, la Cour a établi qu'il convenait de garder à l'esprit que la situation d'extrême vulnérabilité de l'enfant était déterminante et prédominait sur la qualité d'étranger en séjour illégal (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 55, CEDH 2006-XI ; Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 91, 19 janvier 2012). En effet, les enfants ont des besoins spécifiques dus notamment à leur âge et à leur dépendance mais aussi à leur statut de demandeur d'asile. La Cour a rappelé d'ailleurs que la Convention relative aux droits de l'enfant incite les États à prendre les mesures appropriées pour qu'un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié bénéficie de la protection et de l'assistance humanitaire, qu'il soit seul ou accompagné de ses parents (voir dans ce sens Popov, précité, § 91).
b)  Application de ces principes au cas d'espèce
100.  Les requérants estiment en substance qu'en cas de renvoi vers l'Italie, « sans garantie individuelle de prise en charge », ils seraient victimes d'un traitement inhumain et dégradant lié à l'existence de « défaillances systémiques » dans le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile.
101.  Pour examiner ce grief, la Cour estime devoir suivre une approche similaire à celle qu'elle avait adoptée dans l'arrêt M.S.S.précité, où elle avait examiné la situation individuelle du requérant à la lumière de la situation générale existant en Grèce à l'époque des faits.
102.  Elle rappelle tout d'abord sa jurisprudence constante selon laquelle l'expulsion d'un demandeur d'asile par un État contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3 lorsqu'il y a des « motifs sérieux et avérés de croire » que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un « risque réel » d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (paragraphe 93 ci-dessus).
103.  Il ressort également de l'arrêt M.S.S. que la présomption selon laquelle un État participant au système « Dublin » respecte les droits fondamentaux prévus par la Convention n'est pas irréfragable. Pour sa part, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la présomption selon laquelle un État « Dublin » respecte ses obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne était renversée en cas de « défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l'article 4 de la Charte, des demandeurs d'asile transférés vers le territoire de cet État membre » (paragraphe 33 ci-dessus).
104.  Dans le cas d'un renvoi « Dublin », la présomption selon laquelle un État contractant « de destination » respecte l'article 3 de la Convention peut donc être valablement réfutée en présence de « motifs sérieux et avérés  de croire » que la personne objet de la mesure de renvoi courra un « risque réel » de subir des traitements contraires à cette disposition dans l'État de destination.
L'origine du risque encouru ne modifie en rien le niveau de protection garanti par la Convention et les obligations que celle-ci impose à l'État auteur de la mesure de renvoi. Elle ne dispense pas cet État d'examiner de manière approfondie et individualisée la situation de la personne objet de la mesure et de surseoir au renvoi au cas où le risque de traitements inhumains ou dégradants serait avéré.
La Cour note d'ailleurs que cette approche a été suivie par la Cour suprême du Royaume-Uni dans son arrêt du 19 février 2014 (paragraphe 52 ci-dessus).
105.  Dans le cas d'espèce, la Cour doit donc rechercher si, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière des requérants, il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de renvoi vers l'Italie les requérants risqueraient de subir des traitements contraires à l'article 3.
i.  La situation générale du système d'accueil des demandeurs d'asile en Italie
106.  En ce qui concerne la situation générale, dans sa décision Mohammed Hussein (précitée, § 78) la Cour a relevé que les recommandations du HCR et le rapport du Commissaire aux droits de l'homme, publiés en 2012, faisaient état d'un certain nombre de défaillances. Selon les requérants, ces défaillances seraient « systémiques » et tiendraient aux lenteurs de la procédure d'identification, aux capacités réduites des structures d'accueil et aux conditions de vie qui régneraient dans les structures disponibles (paragraphes 56-67 ci-dessus).
α)  Les lenteurs de la procédure d'identification
107.  Pour ce qui est des difficultés qui seraient liées aux lenteurs de la procédure d'identification, la Cour note que les requérants ont déjà été identifiés et que les autorités suisses et italiennes disposent désormais de toutes les informations pertinentes les concernant. Elle relève au surplus qu'il n'a fallu que dix jours aux autorités italiennes pour les identifier à leur arrivée à Stignano, bien qu'ils eussent fourni à la police de fausses identités (paragraphe 10 ci-dessus). Dès lors, cet aspect du grief des requérants n'est plus directement pertinent pour l'examen de l'affaire et la Cour n'estime pas utile de s'y arrêter plus longuement.
β)  Les capacités d'hébergement des structures d'accueil
108.  Concernant les capacités d'accueil des structures d'hébergement pour demandeurs d'asile, les requérants s'appuient sur des études détaillées réalisées par des organisations non gouvernementales, selon lesquelles le nombre de demandes d'asile en Italie était de 34 115 en 2011 et de 15 715 en 2012, avec des chiffres en hausse pour 2013. Selon le rapport OSAR, le nombre de réfugiés vivant en Italie en 2012 s'élevait à 64 000. Or, en 2012 il n'y aurait eu que 8 000 places dans les CARA, avec des listes d'attente si longues que pour la majorité des postulants il n'aurait existé aucune perspective réaliste d'accès. Pour ce qui est des structures appartenant au SPRAR, le rapport OSAR indiquerait que le nombre de places s'élevait à 4 800 et que 5 000 personnes étaient inscrites sur liste d'attente. Le même rapport relèverait que, d'après deux autres organisations, Caritas et JRS, seulement 6 % des personnes admises dans les structures du SPRAR, où l'accueil serait par ailleurs limité à une durée de six mois, parviennent à trouver un emploi et à s'intégrer professionnellement dans la société italienne. Quant aux centres d'hébergement communaux, accessibles non seulement aux demandeurs d'asile mais aussi à toute personne démunie, le nombre de places y serait également nettement inférieur aux besoins. Selon le rapport OSAR, la ville de Rome comporterait 1 300 places, avec une liste d'attente de 1 000 personnes, et le délai moyen d'attribution y serait de trois mois. À Milan, il n'y aurait que 400 places et les familles seraient systématiquement séparées.
109.  La Cour note que ces chiffres ne sont pas contestés par le gouvernement suisse, qui se limite à mettre l'accent sur les efforts déployés par les autorités italiennes afin de faire face comme elles le peuvent au flux ininterrompu de demandeurs d'asile que connaît le pays depuis plusieurs années. Dans ses observations, le gouvernement italien indique en effet que les actions entreprises par les autorités italiennes vont dans le sens d'un renforcement des capacités d'accueil des demandeurs d'asile. En particulier, il a été décidé en septembre 2013 de porter la capacité totale du système SPRAR à 16 000 places au cours de la période 2014-2016 ; 1 230 places auraient déjà été affectées, portant le total des places disponibles à 9 630 (paragraphe 78 ci-dessus).
110.  La Cour relève que les méthodes utilisées pour calculer le nombre de demandeurs d'asile privés d'hébergement en Italie sont contestées. Sans entrer dans le débat sur l'exactitude des données chiffrées disponibles, il suffit à la Cour de constater la disproportion flagrante entre le nombre de demandes d'asile présentées en 2013, qui selon le gouvernement italien s'élevaient à 14 184 au 15 juin 2013 (paragraphe 78 ci-dessus), et le nombre de places disponibles dans les structures du réseau SPRAR (9 630 places) qui, toujours selon le gouvernement italien, sont celles susceptibles d'accueillir les requérants (paragraphe 76 ci-dessus). De surcroît, considérant que le nombre de demandes indiqué ne se réfère qu'aux six premiers mois de l'année 2013, il est vraisemblable que le chiffre pour la totalité de l'année soit bien plus élevé, ce qui fragiliserait d'avantage la capacité d'accueil du système SPRAR.
Par ailleurs, la Cour observe que ni le gouvernement suisse ni le gouvernement italien n'ont affirmé que la capacité combinée du système SPRAR et des CARA serait en mesure d'absorber, si ce n'est la totalité, au moins une part prépondérante de la demande d'hébergement.
γ)  Les conditions d'accueil dans les structures disponibles
111.  Pour ce qui est des conditions de vie dans les structures disponibles, les études citées par les requérants font état de certains centres d'hébergement où prévaudraient promiscuité, insalubrité et situations de violence généralisée (paragraphes 66-67 ci-dessus). Les requérants indiquent d'ailleurs avoir eux-mêmes assisté à des épisodes de violence lors de leur bref séjour au sein du CARA de Bari. Ils soutiennent également que, dans certains centres, les familles de demandeurs d'asile seraient systématiquement séparées.
112.  La Cour note que, dans ses recommandations pour 2013, le HCR décrit effectivement un certain nombre de difficultés, tenant notamment à la disparité des services disponibles, suivant la taille des structures, et à un manque de coordination sur le plan national. Toutefois, tout en relevant une certaine dégradation des conditions d'accueil, notamment en 2011, ainsi qu'un problème de surpopulation dans les CARA, le HCR ne fait pas état de situations généralisées de violence ou d'insalubrité, saluant même les efforts accomplis par les autorités italiennes afin d'améliorer la qualité de l'accueil des demandeurs d'asile. Quant au Commissaire aux droits de l'homme, dans son rapport 2012 (paragraphe 49 ci-dessus), il relève lui-aussi l'existence de certains problèmes dans « certains centres d'accueil », exprimant une inquiétude particulière en ce qui concerne l'assistance juridique, les soins et l'aide psychologique dans les centres d'accueil d'urgence, le délai d'identification des personnes vulnérables et la nécessité de préserver l'unité familiale pendant les transferts.
113.  Enfin, la Cour note que lors de l'audience du 12 février 2014, le gouvernement italien a, d'une part, confirmé que des épisodes de violence étaient survenus au CARA de Bari peu avant l'arrivée des requérants et, d'autre part, nié que les familles de demandeurs d'asile fussent systématiquement séparées, si ce n'est dans quelques cas et pendant des périodes très brèves, notamment pendant les procédures d'identification.
114.  Au vu de ce qui précède, la situation actuelle de l'Italie ne saurait aucunement être comparée à la situation de la Grèce à l'époque de l'arrêt M.S.S., précité, où la Cour avait relevé en particulier que les centres d'accueil disposaient de moins de 1 000 places, face à des dizaines de milliers de demandeurs d'asile, et que les conditions de dénuement le plus total décrites par le requérant étaient un phénomène de grande échelle. Force est donc de constater que l'approche dans la présente affaire ne saurait être la même que dans l'affaire M.S.S.
115.  Si donc la structure et la situation générale du dispositif d'accueil en Italie ne sauraient constituer en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d'asile vers ce pays, les données et informations exposées ci-dessus font toutefois naître de sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système. Il en résulte, aux yeux de la Cour, que l'on ne saurait écarter comme dénuée de fondement l'hypothèse d'un nombre significatif de demandeurs d'asile privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence.
ii.  La situation individuelle des requérants
116.  S'agissant de la situation individuelle des requérants, la Cour note que, d'après les constats de la police italienne et les fiches signalétiques qui se trouvent joints aux observations du gouvernement italien, le couple et ses cinq premiers enfants ont débarqué sur les côtes de Calabre le 16 juillet 2011 et ont immédiatement fait l'objet d'une procédure d'identification, après avoir fourni de fausses identités. Le même jour, les requérants ont été placés dans une structure d'accueil mise à disposition par la commune de Stignano, où ils sont demeurés jusqu'au 26 juillet 2011, date à laquelle, une fois établie leur véritable identité, ils ont été transférés au CARA de Bari. Le 28 juillet 2011, ils ont quitté ce centre, sans autorisation, pour une destination inconnue.
117.  Aussi, de même que la situation générale des demandeurs d'asile en Italie n'est pas comparable à celle des demandeurs d'asile en Grèce, telle qu'elle a été analysée dans l'arrêt M.S.S. (paragraphe 114 ci-dessus), la situation particulière des requérants dans la présente affaire est différente de celle du requérant dans l'affaire M.S.S. : alors que les premiers ont été immédiatement pris en charge par les autorités italiennes, le second avait été d'abord placé en détention et ensuite abandonné à son sort, sans aucun moyen de subsistance.
118.  La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l'interdiction contenue à l'article 3, le traitement doit présenter un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (paragraphe 94 ci-dessus). Elle rappelle également que, en tant que catégorie de la population « particulièrement défavorisée et vulnérable », les demandeurs d'asile ont besoin d'une « protection spéciale » au regard de cette disposition (M.S.S., précité, § 251).
119.  Cette exigence de « protection spéciale » pour les demandeurs d'asile est d'autant plus importante lorsque les personnes concernées sont des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême vulnérabilité. Cela vaut même lorsque, comme en l'espèce, les enfants demandeurs d'asile sont accompagnés de leurs parents (Popov, précité, § 91). Les conditions d'accueil des enfants demandeurs d'asile doivent par conséquent être adaptées à leur âge, de sorte qu'elles ne puissent « engendrer pour eux une situation de stress et d'angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme » (voir, mutatis mutandis, Popov, précité, § 102), faute de quoi elles atteindraient le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l'interdiction prévue à l'article 3 de la Convention.
120.  En l'espèce, comme la Cour l'a constaté plus haut (paragraphe 115 ci-dessus), compte tenu de la situation actuelle du système d'accueil en Italie, et bien que cette situation ne soit pas comparable à celle de la Grèce, que la Cour a examinée dans le cadre de l'affaire M.S.S.l'hypothèse qu'un nombre significatif de demandeurs d'asile renvoyés vers ce pays soient privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence, n'est pas dénuée de fondement. Il appartient dès lors aux autorités suisses de s'assurer, auprès de leurs homologues italiennes, qu'à leur arrivée en Italie les requérants seront accueillis dans des structures et dans des conditions adaptées à l'âge des enfants, et que l'unité de la cellule familiale sera préservée.
121.  La Cour note que, selon le gouvernement italien, les familles avec enfants sont considérées comme une catégorie particulièrement vulnérable et sont normalement prises en charge au sein du réseau SPRAR. Ce système leur garantirait l'hébergement, la nourriture, l'assistance sanitaire, des cours d'italien, l'orientation vers les services sociaux, des conseils juridiques, des cours de formation professionnelle, des stages d'apprentissage et une aide dans la recherche d'un logement autonome (paragraphe 86 ci-dessus). Cela étant, dans ses observations écrites et orales, le gouvernement italien n'a pas fourni plus de précisions sur les conditions spécifiques de prise en charge des requérants.
Il est vrai qu'à l'audience du 12 février 2014 le gouvernement suisse a indiqué que l'ODM avait été informé par les autorités italiennes qu'en cas de renvoi vers l'Italie les requérants seraient hébergés à Bologne, dans l'une des structures financées par le FER (paragraphe 75 ci-dessus). Toutefois, en l'absence d'informations détaillées et fiables quant à la structure précise de destination, aux conditions matérielles d'hébergement et à la préservation de l'unité familiale, la Cour considère que les autorités suisses ne disposent pas d'éléments suffisants pour être assurées qu'en cas de renvoi vers l'Italie, les requérants seraient pris en charge d'une manière adaptée à l'âge des enfants.
122.  Il s'ensuit que, si les requérants devaient être renvoyés en Italie sans que les autorités suisses aient au préalable obtenu des autorités italiennes une garantie individuelle concernant, d'une part, une prise en charge adaptée à l'âge des enfants et, d'autre part, la préservation de l'unité familiale, il y aurait violation de l'article 3 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 3
123.  Les requérants reprochent aux autorités suisses de ne pas avoir examiné avec suffisamment d'attention leur situation personnelle et de ne pas avoir tenu compte de leur situation familiale dans la procédure de renvoi vers l'Italie, qu'ils estiment trop formaliste et automatique, voire arbitraire.
124.  Le gouvernement suisse s'oppose à cette thèse. Selon lui, le risque de traitement contraire à l'article 3 a été dûment examiné par les autorités suisses avant l'adoption de la décision de renvoi des requérants vers l'Italie. Au cours de l'audition du 15 novembre 2011, tenue dans une langue qu'ils comprenaient, les requérants ont en effet été invités à exprimer de manière circonstanciée les motifs susceptibles de militer contre leur renvoi en Italie mais ils n'ont invoqué que des motifs généraux d'ordre économique. Ce n'est qu'après avoir été déboutés par le Tribunal administratif fédéral une première fois qu'ils ont fourni plus de précisions quant à leurs conditions d'accueil en Italie. En tout état de cause, ces nouvelles précisions n'étaient pas de nature à modifier la décision de renvoi et ont été écartées par le Tribunal administratif fédéral dans sa décision du 21 mars 2012.
125.  À l'audience du 12 février 2014, le Gouvernement a indiqué que les autorités suisses n'hésitent pas à appliquer la clause de souveraineté prévue par l'article 3 § 2 du règlement Dublin lorsqu'elles l'estiment nécessaire, comme le confirmeraient les exemples fournis par les organisations Centre AIRE, CERE et Amnesty International, dont une vingtaine concerneraient des renvois vers l'Italie.
126.  La Cour rappelle que le grief d'une personne selon lequel son renvoi vers un État tiers l'exposerait à des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention « doit impérativement faire l'objet d'un contrôle attentif par une « instance nationale » (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 198, CEDH 2012). Ce principe a conduit la Cour à juger que la notion de « recours effectif », au sens de l'article 13 combiné avec l'article 3, requiert, d'une part, « un examen indépendant et rigoureux » de tout grief, soulevé par une personne se trouvant dans une telle situation, selon lequel « il existe des motifs sérieux de croire à l'existence d'un risque réel de traitements contraires à l'article 3 » et, d'autre part, « la possibilité de faire surseoir à l'exécution de la mesure litigieuse » (ibid., § 198).
127.  En l'espèce, la Cour relève qu'à la date du 15 novembre 2011 les requérants ont été entendus par l'ODM, dans une langue qu'ils comprenaient, et invités à exposer de manière détaillée les éventuels motifs qui pouvaient militer contre leur renvoi en Italie.
128.  Suite à la décision de l'ODM du 24 janvier 2012 de rejeter leur demande d'asile et de les renvoyer vers l'Italie, les requérants ont pu introduire le 2 février 2012 un recours auprès du Tribunal administratif fédéral, devant lequel ils ont plaidé que les conditions d'accueil en Italie étaient contraires à la Convention. Le Tribunal administratif fédéral a statué avec célérité sur le recours, qu'il a rejeté le 9 février 2012, soit sept jours après son introduction.
129.  Après ce rejet, les requérants ont décidé d'introduire une demande « en réouverture de la procédure d'asile » auprès de l'ODM. Cette demande, fondée sur un nouveau récit livré par eux de leur séjour en Italie, a été transmise au Tribunal administratif fédéral, qui l'a requalifiée en « demande en révision » de l'arrêt du 9 février 2012 et l'a déclarée irrecevable car tendant essentiellement à une requalification des faits de la cause.
130.  La Cour relève qu'il n'est pas contesté que, dans le contexte de la procédure ayant abouti à l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 9 février 2012, les requérants n'avaient pas présenté aux autorités nationales d'éléments laissant présumer un quelconque risque pour leur sécurité dans l'hypothèse d'un renvoi vers l'Italie. Elle note également que l'arrêt du Tribunal administratif fédéral précité se penche sans ambiguïtés sur la spécificité de la situation des requérants, en tant que famille avec des enfants en bas âge, qu'il répond en détail aux griefs soulevés par ces derniers et qu'il est amplement motivé. De surcroît, la Cour ne relève aucune trace d'arbitraire dans la décision du Tribunal administratif fédéral de ne pas tenir compte du nouveau récit des requérants relatif à leur séjour en Italie et de déclarer leur demande de révision irrecevable. Elle note par ailleurs que ce type de recours revêt un caractère extraordinaire et, s'agissant des faits de la cause, ne peut être déclaré recevable que « si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu'il n'avait pas pu invoquer dans la procédure précédente » (article 123 de la loi sur le Tribunal fédéral), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
131.  En outre, le fait que le Tribunal administratif fédéral se soit dans certains cas opposé au renvoi de demandeurs d'asile vers des États participant au système « Dublin », y compris dans le cas d'une famille avec enfants mineurs qui devait être expulsée vers l'Italie, ou qu'il ait assorti ce renvoi de conditions (paragraphes 26 et 27 ci-dessus), indique que cette juridiction procède normalement à un examen approfondi de chaque situation individuelle et, comme le souligne le gouvernement suisse, n'hésite pas à faire jouer la « clause de souveraineté » contenue à l'article 3 § 2 du règlement Dublin.
132.  Il en résulte que les requérants ont bénéficié d'un recours effectif s'agissant de leur grief fondé sur l'article 3. En conséquence, leur grief tiré de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
133.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable ».
A.  Dommage
134.  Les requérants n'ont présenté aucune demande de satisfaction équitable au titre du dommage matériel. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
135.  Au titre du dommage moral, les requérants réclament la somme de 7 500 euros (EUR).
136.  Le Gouvernement souligne que les requérants n'ont pas été transférés en Italie et considère que le constat selon lequel un tel transfert violerait l'article 3 de la Convention représenterait une satisfaction équitable suffisante.
137.  La Cour estime que son constat au paragraphe 122 du présent arrêt à propos du respect par la Suisse de l'article 3 de la Convention constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants (voir, en ce sens, Beldjoudi c. France, 26 mars 1992, §§ 79 et 86, série A no 234-A ; M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 105 et 143, 26 juillet 2011 ; Nizamov et autres c. Russie, nos 22636/13, 24034/13, 24334/13, 24328/13, § 50, 7 mai 2014).
B.  Frais et dépens
138.  Devant la chambre, les requérants avaient également demandé 3 585 EUR au titre des honoraires de leurs représentants ainsi que 262 francs suisses (CHF), soit 215 EUR, pour les frais d'interprétation concernant les échanges avec leurs représentants.
139.  Le Gouvernement ne s'oppose pas à cette demande.
140.  Le 3 avril 2014, les requérants ont soumis une demande de satisfaction équitable en complément de celle qu'ils avaient présentée devant la chambre. La demande complémentaire porte sur les frais de préparation et de représentation exposés pour l'audience du 12 février 2014. Au total, ces frais additionnels s'élèvent à 10 196 CHF.
141.  Le Gouvernement s'oppose à cette demande complémentaire, considérant qu'elle a été présentée hors délai.
142.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 7 000 EUR, tous frais confondus, et l'accorde aux requérants.
C.  Intérêts moratoires
143.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
 


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de la violation de l'article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
 
2.  Dit, par quatorze voix contre trois, qu'il y aurait violation de l'article 3 de la Convention si les requérants devaient être renvoyés en l'Italie sans que les autorités suisses aient au préalable obtenu des autorités italiennes une garantie individuelle concernant, d'une part, une prise en charge adaptée à l'âge des enfants et, d'autre part, la préservation de l'unité familiale ;
 
3.  Dit, à l'unanimité, que la conclusion de la Cour au point 2 ci-dessus constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants ;
 
4.  Dit, à l'unanimité,
a)  que l'État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, la somme suivante, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur, au taux applicable à la date du règlement : 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par les requérants, pour frais et dépens ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
 
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 4 novembre 2014, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
 
    Lawrence Early    Jurisconsulte
    Dean Spielmann    Président
 
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Casadevall, Berro-Lefèvre et Jäderblom.
D.S.
T.L.E.
 
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES CASADEVALL, BERRO-LEFÈVRE ET JÄDERBLOM
(Traduction)
À notre grand regret, nous ne pouvons souscrire à la conclusion de la majorité des juges de la Grande Chambre selon laquelle il y aurait violation par la Suisse de l'article 3 si les requérants devaient être renvoyés en Italie sans que les autorités suisses aient au préalable obtenu des autorités italiennes des garanties individuelles concernant une prise en charge des intéressés adaptée à l'âge des enfants et la préservation de l'unité familiale.
Depuis l'affaire Soering c. Royaume-Uni (7 juillet 1989, série A no 161), la Cour a toujours dit qu'il y aurait violation de l'article 3 si l'on envoyait un individu vers un autre État lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'extrade ou l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La responsabilité repose sur le fait que l'État de renvoi prend une mesure qui a pour résultat direct d'exposer la personne concernée à des mauvais traitements prohibés. La mesure en question revient à faciliter, par le biais du processus d'expulsion, le déni par l'autre État des droits de l'intéressé.
D'ordinaire, ainsi que la Cour l'a noté dans Soering, la responsabilité découle de la Convention lorsqu'une violation s'est en fait produite ; la perspective d'une violation ne suffit pas. La Cour a toutefois bien précisé qu' « [u]ne dérogation à la règle générale s'impose (...) si un [requérant] allègue que la décision de l'extrader enfreindrait l'article 3 au cas où elle recevrait exécution, en raison des conséquences à en attendre dans le pays de destination ; il y va de l'efficacité de la garantie assurée par ce texte, vu la gravité et le caractère irréparable de la souffrance prétendument risquée » (Soering, précité, §§ 90-91). Le caractère absolu des droits garantis par l'article 3 et l'irréversibilité des effets de la torture et d'autres formes graves de mauvais traitements justifient la mise en jeu de la responsabilité des États du fait qu'ils exposent des individus au risque de tels traitements. Le risque doit être « réel », ce qui signifie que le danger doit être prévisible et suffisamment concret.
Dans M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, CEDH 2011), affaire dans laquelle l'expulsion du requérant de la Belgique vers la Grèce avait déjà eu lieu au moment de l'introduction de la requête auprès de la Cour, celle-ci a dit que les conditions dégradantes de vie et de détention en Grèce étaient notoires et faciles à vérifier à partir d'un grand nombre de sources (§ 366).
Dans M.S.S., la Cour a décrit les défaillances des procédures d'asile grecques et les conditions de vie des demandeurs d'asile pendant ces procédures. Les défaillances systémiques et l'absence de volonté de l'État grec de s'en occuper étaient manifestes.
En l'espèce, la description du système d'accueil des demandeurs d'asile en Italie montre de multiples défaillances, dues principalement à l'arrivée périodique de nombreux demandeurs d'asile. Le gouvernement italien, en qualité de tiers intervenant, a décrit la manière dont il s'efforce de faire face à cette situation. De toute évidence, des ressources plus importantes sont nécessaires pour offrir des conditions acceptables à tous les demandeurs d'asile, singulièrement aux groupes particulièrement vulnérables tels que les familles avec enfants.
Comme la majorité en conclut à juste titre, la situation en Italie doit être distinguée de celle qui prévalait en Grèce à l'époque de l'arrêt M.S.S., et la structure et la situation générale du dispositif d'accueil en Italie ne sauraient constituer en soi un obstacle à tout renvoi vers ce pays (paragraphes 114 et 115 de l'arrêt). Nous parvenons à la même conclusion que la majorité, à savoir que les défaillances générales du système italien d'accueil des demandeurs d'asile ne sont pas d'un type ou d'une ampleur propres à justifier une interdiction globale de renvoyer les familles vers ce pays.
Nous constatons à cet égard que le HCR n'a recommandé à aucun État « Dublin » de renoncer aux renvois de demandeurs d'asile vers l'Italie, alors qu'il avait fait cette recommandation expresse relativement aux renvois vers la Grèce. Les rapports établis par les institutions et organisations gouvernementales et non gouvernementales sur les dispositifs d'accueil en Italie font état d'une situation certes difficile, mais démontrent également que l'Italie n'est pas dans l'incapacité systémique d'offrir un soutien et des structures destinées aux demandeurs d'asile ; ils dépeignent une structure complète de services et de soins destinés à répondre à leurs besoins. Certains rapports, émanant du HCR et du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe mentionnent de récentes améliorations visant à remédier à certaines défaillances. Nous notons d'ailleurs que ni le HCR ni le Commissaire aux droits de l'homme n'ont souhaité intervenir dans la présente procédure, alors qu'ils avaient jugé utile de le faire dans la procédure relative à l'affaire M.S.S.
La question est donc de savoir si les allégations des requérants concernant les conditions dans les structures d'accueil italiennes révèlent un risque concret de traitement contraire à l'article 3 dans leur situation individuelle.
Pour effectuer cette appréciation, il ne suffit pas d'établir qu'un grand nombre de demandeurs d'asile sont privés d'hébergement ou sont hébergés dans des structures où la vie privée n'est pas suffisamment protégée, voire dans des conditions d'insalubrité ou de violence. Il faut rechercher si la situation personnelle des requérants aurait dû amener les autorités suisses à conclure à l'existence d'un risque réel de mauvais traitements par les autorités italiennes dans l'hypothèse où les requérants seraient renvoyés en Italie.
En l'espèce, les requérants ont été pris en charge par les autorités italiennes dès leur arrivée en Italie. Malgré leur manque de coopération (ils ont d'abord donné une fausse identité), ils ont été identifiés au bout de dix jours et placés dans un centre d'accueil CARA à Bari.
Nous relevons également que les requérants se plaignent de la situation dans les structures d'accueil en général, et indiquent que les conditions de vie pendant les deux jours passés au CARA de Bari étaient inacceptables, en raison de la promiscuité et des violences que cela engendrait. Nous constatons cependant qu'à aucun moment ils n'ont soutenu avoir fait l'objet de mauvais traitements ou avoir été séparés.
En cela, leur situation est bien différente du dénuement matériel extrême constaté par la Cour dans l'affaire M.S.S. Dès lors, nous estimons que les conditions de séjour de la famille Tarakhel à son arrivée en Italie ne peuvent pas être considérées comme ayant atteint le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l'article 3.
Il est intéressant de noter que, entendus pour la première fois par l'Office fédéral des migrations dans le cadre de leur demande d'asile en Suisse, les requérants ont justifié leur démarche en arguant que les conditions de vie en Italie étaient difficiles et que le premier requérant serait dans l'impossibilité de trouver un emploi dans ce pays. Aucun autre argument inhérent à leur situation personnelle et leur récent vécu en Italie n'a alors été développé par les requérants.
C'est donc bien selon nous à juste titre que l'autorité administrative concernée a considéré que « les conditions de vie (...) en Italie [n'étaient] pas un motif d'inexigibilité de l'exécution du renvoi ».
Il n'a été fourni aucune information concernant la situation financière des requérants ou les possibilités qui s'offraient à eux de trouver un hébergement par eux-mêmes. Nous observons toutefois qu'ils ont eu les moyens de voyager depuis l'Autriche jusqu'à la Suisse et de subvenir à leurs besoins d'une manière ou d'une autre pendant les périodes où ils n'étaient pas pris en charge par les autorités italiennes, autrichiennes ou suisses. C'est uniquement s'ils étaient dans l'incapacité de trouver un hébergement privé qu'il leur faudrait s'en remettre aux autorités italiennes afin que celles-ci leur fournissent un lieu où vivre.
Eu égard à ce qui précède, nous concluons que le risque pour les requérants d'être soumis à un traitement inhumain ou dégradant n'est pas suffisamment concret pour justifier que la Suisse soit tenue pour responsable d'une violation de l'article 3 au cas où elle exécuterait l'arrêté d'expulsion des requérants en direction de l'Italie.
En résumé, nous ne voyons pas comment nous pourrions nous départir des conclusions formulées par la Cour dans de nombreuses affaires récentes et justifier un revirement de notre jurisprudence à quelques mois d'intervalle : voir Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie ((déc.), no 27725/10, 2 avril 2013), où la Cour a constaté à l'unanimité qu'il n'existait pas de défaillances systémiques et qu'il n'y avait pas de raisons de penser qu'une demandeuse d'asile et ses deux enfants en bas âge n'auraient pas bénéficié d'un soutien adéquat s'ils avaient été renvoyés en Italie depuis les Pays-Bas. La même approche a été appliquée dans six autres affaires concernant des renvois vers l'Italie : Halimi c. Autriche et Italie (déc.), no 53852/11, 18 juin 2013 ; Abubeker c. Autriche et Italie (déc.), no 73874/11, 18 juin 2013 ; Daytbegova et Magomedova c. Autriche (déc.), no 6198/12, 4 juin 2013 ; Miruts Hagos c. Pays-Bas et Italie (déc.), no 9053/10, 27 août 2013 ; Mohammed Hassan et autres c. Pays-Bas et Italie (déc.), no 40524/10, 27 août 2013, et Hussein Diirshi et autres c. Pays-Bas et Italie (déc.), no 2314/10, 10 septembre 2013.
On ne peut négliger les principes dégagés par le droit de l'Union européenne, notamment ceux qui sont applicables à la Suisse en vertu de l'accord d'association du 26 octobre 2004. La CJUE, dans son arrêt cité au paragraphe 33, a rappelé que le système européen d'asile est fondé sur la confiance mutuelle et la présomption de respect, par les autres États membres, du droit de l'Union et plus particulièrement des droits fondamentaux. Il est vrai que cette présomption est réfragable « lorsque [l'État] ne [peut] ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans [l']État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de cette disposition » (N.S. c. Secretary of State for the Home Department et M. E., A. S. M., M. T., K. P., E. H. c. Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Equality and Law Reform, CJUE C-411/10 et C-493/10, § 106).
Au paragraphe 104, la majorité fait référence au raisonnement tenu par la Cour suprême du Royaume-Uni dans son arrêt du 19 février 2014, aux termes duquel indépendamment de l'existence ou non de défaillances systémiques d'un État dans le système d'accueil des demandeurs d'asile, il faut un examen individualisé du risque.
Or, nous le répétons, en l'espèce rien ne démontre que les perspectives des requérants en cas de renvoi en Italie, du point de vue matériel, physique ou psychologique, révélaient un risque suffisamment réel et imminent de difficultés assez graves pour tomber sous le coup de l'article 3. Aucun élément ne permet de penser que la famille Tarakhel sera privée du soutien et des structures offertes par l'Italie en application du décret législatif no 140/2005 sur les normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile. Bien au contraire, les autorités italiennes avaient informé le gouvernement défendeur que les requérants seraient hébergés à Bologne, dans l'une des structures financées par le FER.
Mais la majorité n'a pas jugé ces assurances suffisantes et a exigé l'obtention d'informations détaillées et fiables (sic) sur de nombreux points : la structure précise de destination, des conditions matérielles d'hébergement adaptées à l'âge des enfants, la préservation de l'unité familiale.
L'État défendeur a indiqué que la collaboration avec les autorités italiennes quant au transfert de personnes présentant un besoin de protection particulier comme les familles avec enfants en bas âge fonctionnait bien, grâce notamment à la présence d'un agent de liaison suisse au sein de l'unité Dublin du ministère de l'Intérieur italien.
Doit-on pour autant désormais faire peser sur la Suisse - et, par voie d'extension, sur tout autre État dans la même situation - des exigences supplémentaires alors que ni l'existence de défaillances systémiques ni celle d'un risque réel et avéré de mauvais traitements n'ont été démontrées ?
De telles assurances seront-elles exigées pour tout demandeur d'asile susceptible d'être renvoyé en Italie - qui appartient selon l'arrêt M.S.S. à un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable et a besoin d'une protection spéciale -, ou bien seront-elles limitées aux familles avec enfants ?
À n'en pas douter, il était manifestement prévisible pour les autorités suisses que le niveau d'hébergement des requérants en Italie risquait d'être mauvais. À supposer même que ces conditions soient semblables à celles du CARA de Bari, elles ne constitueraient pas un traitement inhumain ou dégradant eu égard à leur nature, degré ou intensité (voir ci-dessus). Le fait qu'elles toucheraient également les enfants, qui sont particulièrement vulnérables, ne nous amène pas à une conclusion différente. Il est possible que de telles conditions, si elles s'étendent sur une longue période, donnent éventuellement lieu à une violation de l'article 3. Si tel était le cas, il serait bien radical de tenir les autorités suisses pour responsables d'une non-prise en compte de cette possibilité dans l'appréciation des risques. C'est l'Italie, État partie à la Convention, qui aurait à répondre d'une éventuelle violation de l'article 3, et il resterait loisible aux requérants de former un recours auprès des autorités italiennes.
1.
Notes de bas de page omises.

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Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 3 CEDH