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Chapeau

50364/14


N.A. c. Suisse
Arrêt no. 50364/14, 30 mai 2017

Regeste

SUISSE: Art. 2 et 3 CEDH. Renvoi d'un requérant d'asile soudanais qui est un opposant discret au régime politique de son pays. Examen du risque de mauvais traitements en cas de renvoi vers le Soudan.

La Cour rappelle que la situation des droits de l'homme au Soudan est alarmante pour les opposants politiques de manière générale. Dans le cas d'espèce, elle considère qu'aucun élément n'atteste que les autorités soudanaises ont accordé un quelconque intérêt pour le requérant avant son arrivée en Suisse. Par ailleurs, la Cour considère que les activités politiques exercées par l'intéressé en Suisse se sont limitées à celles d'un simple participant aux activités des organisations de l'opposition en exil et ne sont dès lors pas de nature à attirer l'attention des services de renseignements soudanais. Le requérant n'encourt dès lors pas de risques de mauvais traitement et de torture en cas de retour au Soudan (ch. 43-53).
Conclusion: non-violation des art. 2 et 3 CEDH.



Synthèse de l'OFJ


(2ème rapport trimestriel 2017)

Droit à la vie (art. 2 CEDH); interdiction de la torture (art. 3 CEDH); renvoi vers le Soudan.

Le requérant alléguait que son renvoi vers le Soudan emporterait violation des articles 2 et 3 CEDH. La Cour a jugé que les activités politiques du requérant en exil, qui se sont limitées à celles d'un simple participant aux activités des organisations de l'opposition en exil, ne sont pas raisonnablement de nature à attirer l'attention des services de renseignements sur sa personne. La Cour a considéré en conséquence que le requérant n'encoure pas de risques de mauvais traitements et de torture en cas de retour au Soudan en raison de ses activités sur place. Non-violation des articles 2 et 3 CEDH (unanimité).1 Demande de renvoi devant la Grande Chambre pendante.





Faits

 
TROISIÈME SECTION
 
AFFAIRE N.A. c. SUISSE
 
(Requête no 50364/14)
 
ARRÊT
 
STRASBOURG
 
30 mai 2017
 
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
 
En l'affaire N.A. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
    Helena Jäderblom, présidente,
    Branko Lubarda,
    Helen Keller,
    Pere Pastor Vilanova,
    Alena Poláčková,
    Georgios A. Serghides,
    Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 mai 2017,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
 
PROCÉDURE
1.  À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 50364/14) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant soudanais, N.A. (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 juillet 2014 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La juge faisant office de président de la section à laquelle l'affaire fut attribuée a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2.  Le requérant a été représenté par M. T. Hassan, exerçant à Zurich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Schürmann, de l'Office fédéral de la justice.
3.  Le requérant allègue que l'exécution de la décision des autorités suisses de l'éloigner vers le Soudan l'exposerait au risque d'être soumis à des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention.
4.  Le 28 mai 2015, le requérant a saisi la Cour d'une demande de mesure provisoire sur le fondement de l'article 39 de son règlement. Le 29 mai 2015, la juge faisant office de président de la section à laquelle l'affaire fut attribuée a décidé d'indiquer au Gouvernement, en application de la disposition précitée, qu'il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers le Soudan pour la durée de la procédure devant la Cour.
5.  Le 25 août 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  Le requérant affirme être né en 1972 à Khartoum, au Soudan. Il réside actuellement dans le canton de Zurich.
7.  Le requérant allégua appartenir à l'ethnie arabe, avoir travaillé, au Soudan, dans une station de lavage de voitures et avoir nettoyé les différentes voitures qu'un client, membre du Mouvement pour la justice et l'égalité (« JEM »), lui apportait presque quotidiennement. Il affirma que les autorités soudanaises l'avaient arrêté et contrôlé, alors qu'il garait la voiture de ce client, qu'elles avaient trouvé environ 25 armes dans la voiture et qu'elles l'avaient enlevé. Il indiqua avoir été interrogé et maltraité par lesdites autorités durant 45 jours, puis, seulement deux semaines après sa libération, avoir été enfermé durant cinq jours. Il exposa que son client lui avait par la suite conseillé de quitter le pays, lui avait donné de l'argent à cet effet et lui avait obtenu un visa de tourisme pour la Turquie. Par ailleurs, il affirma avoir appris, suite à son départ du pays, que les autorités soudanaises l'avaient recherché. Il indiqua avoir légalement quitté le Soudan fin 2008, avoir transité par la Turquie, s'être rendu en Grèce, y avoir déposé une demande d'asile et y être resté quatre années, avoir ensuite transité par l'Italie et avoir finalement rejoint la Suisse.
8.  Le requérant entra en Suisse le 7 mars 2013 et déposa une demande d'asile le même jour. L'Office fédéral des migrations (désormais le Secrétariat d'État aux migrations [« SEM »]) auditionna le requérant les 15 mars 2013, sommairement, et 17 avril 2013, conformément à l'article 29 de la loi sur l'asile.
9.  Par une décision du 11 février 2014, le SEM considéra que le requérant n'avait pas la qualité de réfugié, rejeta sa demande d'asile et ordonna son renvoi de Suisse. Il indiquait que les motifs d'asile allégués ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance. Il relevait que, d'une audition à l'autre, le requérant s'était contredit à plusieurs reprises s'agissant de la durée de sa première détention, parlant de quinze puis 45 jours ; de son lieu de détention, qu'il avait d'abord dit connaître, avant d'affirmer le contraire ; du nombre de membres des services de sécurité ayant procédé à son enlèvement, en mentionnant quatre puis trois ; du bandeau lui couvrant les yeux, affirmant qu'il lui avait été attaché seulement une fois arrivé sur son lieu de détention, puis dès l'enlèvement ; de la date de sa première arrestation, parlant de deux dates à plusieurs mois d'écart ; de sa deuxième arrestation, indiquant qu'elle avait eu lieu quinze jours après sa libération, puis un mois et demi après cette même libération ; et de ses connaissances au sujet des activités de son client, affirmant n'avoir appris qu'il avait travaillé avec le leader d'une organisation rebelle du Darfour qu'après sa fuite du pays, puis que son client lui en avait parlé personnellement au Soudan. Le SEM considérait également que le renouvellement de son passeport, peu avant de quitter le Soudan, et son départ légal du pays montraient que ses allégations de persécution par les services de sécurité soudanais ne correspondaient pas à la réalité. Il indiquait enfin que ni les motifs médicaux allégués ni aucun autre élément ne s'opposaient à son renvoi vers le Soudan.
10.  Le 17 mars 2014, le requérant recourut contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (« TAF »). Il faisait valoir qu'il courrait le risque d'être persécuté au Soudan en raison de sa coopération avec un membre du JEM. Il reprochait à l'autorité de première instance de ne pas avoir examiné ses allégations relatives à sa détention et aux mauvais traitements qui lui avaient été infligés par les autorités soudanaises et affirmait que ses propos étaient globalement crédibles. Subsidiairement, il alléguait être en danger en cas de retour au Soudan en raison de ses activités politiques en exil. Il faisait valoir qu'il était membre du JEM et qu'il avait participé à plusieurs séances et manifestations organisées par ce mouvement en Suisse. Il indiquait avoir participé au Geneva Summit for Human Rights and Democracy et y avoir eu des contacts avec des opposants au régime soudanais. Le requérant concédait n'être qu'un simple membre du JEM, considérant toutefois que cela ne suffisait pas à affirmer que les autorités soudanaises se désintéressaient de sa personne. Il rappelait que le JEM, également actif à l'étranger, était combattu militairement par le gouvernement soudanais. Enfin, le requérant alléguait un danger pour sa santé et un risque important de suicide en cas de renvoi vers le Soudan.
11.  Lors de la procédure devant le TAF, le requérant fournit sa carte d'identité, son acte de naissance, une carte de membre du JEM, un badge à son nom attestant de sa participation au Geneva Summit for Human Rights and Democracy, des photographies, notamment de lui-même en compagnie du leader du JEM, et un document concernant ses activités politiques en Suisse.
12.  Le TAF rejeta le recours du requérant par un arrêt du 4 juin 2014, notifié le 6 juin 2014. Il considérait que les contradictions relevées par le SEM n'avaient pas pu être expliquées. Il concédait que certaines d'entre elles ne pouvaient pas être qualifiées de déterminantes, indiquant toutefois que, globalement, les contradictions émaillant le récit du requérant remettaient sérieusement en question la véracité de ses propos. Il relevait que les descriptions par le requérant de sa détention et des tortures infligées par les autorités soudanaises ne pouvaient être qualifiées de particulièrement étayées ou claires. Il soulignait, s'agissant des détails fournis, qu'ils demeuraient en-dessous de ce qui pouvait être attendu dans ce genre de cas. Il ajoutait que le départ du requérant du Soudan s'était fait en toute légalité, peu après avoir fait prolongé son passeport, et concluait à l'absence de persécution de la part des autorités soudanaises. S'agissant des motifs d'asile postérieurs à la fuite allégués par le requérant, le TAF soulignait que le requérant n'avait fait valoir ses activités politiques en exil qu'au stade du recours et considérait que son engagement politique, qui n'était documenté que depuis octobre 2013, devait être considéré comme marginal. Il retenait en particulier que le requérant n'occupait pas de position exposée au sein du JEM, que son engagement personnel n'était pas important, qu'il n'avait jamais représenté son organisation et que son nom n'avait jamais été cité. Il considérait dès lors que l'on pouvait partir du principe qu'il n'était pas connu du gouvernement soudanais et concluait à l'absence de motifs de crainte de persécutions futures. Au surplus, le TAF considérait qu'aucun élément ne s'opposait au renvoi du requérant vers le Soudan. Il indiquait en particulier, s'agissant des motifs médicaux allégués par le requérant, que ses problèmes psychiques ne nécessitaient vraisemblablement pas de traitement médical et qu'il n'avait fourni ni rapport ni certificat médical justifiant la mise en place d'un tel traitement.
13.  Au cours de la procédure devant la Cour, le requérant affirma encore, s'agissant de ses activités politiques en exil, avoir participé à plusieurs séances et manifestations, notamment organisées par la section suisse du JEM, à l'assemblée générale de ce mouvement, à une séance à l'occasion d'un événement organisé par une organisation non gouvernementale (« ONG ») agissant pour la promotion du respect du droit international humanitaire, à un événement à caractère informatif traitant des discriminations dans le Kordofan du Sud et à une manifestation dénonçant les crimes commis au Darfour et au Kordofan du Sud, au cours de laquelle une pétition fut adressée à divers organes de l'Organisation des Nations unies (« ONU »). Il allégua également qu'il assistait régulièrement le leader suisse du JEM dans la préparation d'une émission de radio.
14.  Le requérant transmit à la Cour divers documents, en particulier des photographies, concernant ses activités politiques en Suisse.
II.  LE DROIT INTERNE, LA PRATIQUE INTERNE ET LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Le droit interne pertinent
15.  Les articles 3 et 54 de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile (« LAsi », RS 142.31) prévoient ce qui suit :
Article 3 : Définition du terme de réfugié
« 1. Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur État d'origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l'être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques.
2. Sont notamment considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l'intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes.
3. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu'elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l'être. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées.
4. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui font valoir des motifs résultant du comportement qu'elles ont eu après avoir quitté leur pays d'origine ou de provenance s'ils ne constituent pas l'expression de convictions ou d'orientations déjà affichées avant leur départ ni ne s'inscrivent dans leur prolongement. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées.
Article 54 : Motifs subjectifs survenus après la fuite
L'asile n'est pas accordé à la personne qui n'est devenue un réfugié au sens de l'art. 3 qu'en quittant son État d'origine ou de provenance ou en raison de son comportement ultérieur. »
16.  Les autres dispositions de droit interne pertinentes ont été exposées dans les arrêts A.A. c. Suisse (no 58802/12, § 19, 7 janvier 2014) et M.A. c. Suisse (no 52589/13, §§ 30-34, 18 novembre 2014).
B.  La pratique interne pertinente
17.  Dans un arrêt E-678/2012 du 27 janvier 2016, le TAF reconnut la qualité de réfugié à un ressortissant soudanais membre à la fois du DFEZ et du JEM, en particulier en raison de ses activités politiques en exil. Dans cet arrêt, le TAF indiquait qu'il fallait considérer que les activités politiques en exil des requérants d'asile étaient connues du gouvernement soudanais, que les services secrets surveillaient et contrôlaient les mouvements d'opposition à l'étranger, que les renseignements obtenus étaient analysés au Soudan et qu'ils étaient, entre autres, mis à la disposition des militaires. Il considérait qu'une surveillance complète des activités politiques à l'étranger était susceptible de dépasser les capacités financières, techniques et en termes de personnel du gouvernement soudanais, mais que les personnes qui, en raison de circonstances particulières, se distinguaient du cercle plutôt anonyme des simples participants aux événements politiques des organisations en exil, pouvaient être ciblées par ledit gouvernement. Le TAF relevait aussi que le JEM était l'une des plus importantes organisations rebelles au Soudan et qu'il était combattu par tous les moyens par les autorités soudanaises. Il indiquait que, le JEM ayant acquis une certaine légitimité en lien avec le conflit au Darfour et le gouvernement soudanais étant discrédité, le danger que représentait cette organisation aux yeux des autorités soudanaises avait augmenté, ce qui avait dès lors entraîné un comportement plus sévère de leur part à l'encontre des membres du JEM. S'agissant du cas particulier, le TAF considérait que la crainte de l'intéressé d'être victime de sérieux préjudices de la part du régime soudanais en cas de retour dans son pays d'origine était justifiée. Pour en arriver à cette conclusion, le TAF prit en compte le degré d'exposition de l'intéressé résultant de ses activités pour le compte du JEM, le qualifiant toutefois de pas très important, son engagement depuis 2007 au sein de cette organisation, sa participation active aux événements que le JEM avait organisés, ses rencontres avec des politiciens en exil, ses contacts personnels avec un membre éminent de l'opposition ainsi que sa qualité de membre actif du DFEZ. Enfin, il accorda également de l'importance à l'appartenance du demandeur à la fois à l'élite culturelle et à une minorité ethnique.
C.  Les documents internationaux pertinents
1.  Rapports d'experts pour le compte des Nations unies
18.  Dans son rapport du 28 juillet 2016, l'expert indépendant du Conseil des droits de l'homme des Nations unies relevait que des défis majeurs en matière de droits de l'homme subsistaient au Soudan. Malgré la tenue du dialogue national du Soudan (Sudan's National Dialogue), boycotté par une part importante de l'opposition, dont le JEM, il existait une préoccupation croissante s'agissant des actions invasives du NISS et de leur impact sur l'exercice des droits civils et politiques et de nombreuses arrestations arbitraires et détentions au secret avaient été reportées. La peine de mort continuait à être appliquée, en particulier contre des membres des groupes armés du Darfour, tel le JEM. La situation des droits de l'homme demeurait précaire au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu. Des centaines de milliers de civils continuaient de souffrir des effets du conflit armé à travers des attaques directes, des déplacements et un accès limité à l'aide humanitaire.
19.  Dans le résumé de leur rapport du 9 janvier 2017, un panel d'experts du Soudan constatait que le JEM n'avait plus de présence importante au Darfour en raison de la stratégie de contre-insurrection efficace du gouvernement soudanais, qu'il opérait désormais principalement au Soudan du Sud et qu'il s'engageait dans des activités de mercenaires et supposément criminelles dans ce pays.
2.  Rapports du Secrétaire général des Nations unies concernant l'Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour à l'attention du Conseil de sécurité des Nations unies
20.  Dans son rapport du 23 décembre 2016, le Secrétaire général des Nations unies observe ce qui suit :
« Aucun conflit armé majeur n'a eu lieu au Darfour au cours de la période considérée. Toutefois, la situation est restée instable en l'absence de progrès vers un accord global à même de remédier aux causes profondes de la violence.
(...)
Aucun affrontement n'a été signalé entre le Gouvernement et les forces du Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) et de la faction Minni Minawi de l'Armée de libération du Soudan (ALS/MM) depuis avril 2015 et avril 2016, respectivement. À la suite du cessez-le-feu proclamé par le Président, ces deux mouvements armés, en tant que membres du Front révolutionnaire soudanais, ont annoncé le 30 octobre qu'ils cessaient unilatéralement les hostilités à des fins humanitaires pour une durée de six mois. »
21.  Dans son rapport du 23 mars 2017, le Secrétaire général des Nations unies relève ce qui suit :
« Au cours de la période considérée, les affrontements armés au Darfour continuent de baisser en intensité, et aucun combat de grande ampleur entre le Gouvernement et les groupes rebelles n'a été signalé, y compris dans le Jebel Marra. (...) Toutefois, les attaques contre les déplacés et les civils pour des questions de territoire, d'eau et de moyens de subsistance se sont poursuivies, en particulier celles commises par des milices armées. (...) L'ampleur globale des déplacements est restée la même. Malgré une amélioration des conditions de sécurité, la dynamique du conflit au Darfour a été la conséquence du caractère instable et imprévisible de la situation sur le terrain ainsi que de l'absence de progrès tangible en ce qui concerne la lutte contre les causes et les conséquences du conflit.
(...)
Aucun affrontement n'a été signalé entre les forces gouvernementales et les groupes rebelles, y compris les factions Abdul Wahid et Minni Minawi de l'Armée de libération du Soudan (respectivement ALS-AW et ALS-MM) et le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE).
(...)
Le 8 mars 2017, après la libération, sous les auspices du Président ougandais, de 125 prisonniers de guerre soudanais par le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (MPLS-N), le Président Al-Bashir a signé un décret par lequel il a gracié 259 combattants capturés au cours d'affrontements passés et, notamment, commué les peines de mort prononcées contre 66 membres de la faction Gibril Ibrahim du MJE (MJE-faction Gibril Ibrahim) et de l'ALS-MM. Le Président a également accordé une amnistie générale à 181 combattants du MJE-faction Gibril Ibrahim et à 12 membres de l'ALS-AW et de l'ALS-MM impliqués dans des combats contre les forces gouvernementales en 2015. »
3.  Rapport 2015 du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni sur les droits de l'homme et la démocratie
22.  Dans son rapport du 21 avril 2016, le Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni relevait que, de manière générale, il n'y avait pas eu d'amélioration significative sur le plan des droits de l'homme au Soudan en 2015. S'il y avait eu moins de combats que les années précédentes, en raison de cessez-le-feu, les conflits au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeaient avec des violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises par toutes les parties aux conflits, mais majoritairement par le gouvernement. Les pouvoirs et l'immunité des services de sécurité restaient préoccupants et le gouvernement manifestait peu de volonté d'entreprendre des réformes.
4.   La jurisprudence pertinente de la Chambre d'immigration et d'asile du Tribunal Supérieur du Royaume-Uni
23.  La Chambre d'immigration et d'asile du Tribunal Supérieur du Royaume Uni (the Immigration and Asylum Chamber of the United Kingdom Upper Tribunal « le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni »), dans sa décision IM and AI (Risks - membership of Beja Tribe, Beja Congress and JEM) Sudan (CG) [2016] UKUT 00188 (IAC) du 14 avril 2016, considérait que les informations consultées laissaient apparaître une distinction claire entre les personnes arrêtées pour une courte durée, questionnées, probablement intimidées, voire malmenées sans avoir subi ou risqué de subir un sérieux préjudice, et celles confrontées à un risque bien plus important de sérieux préjudice. Le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni indiquait qu'il fallait faire des distinctions parmi ceux dont l'activité politique n'était pas importante, ou pas perçue comme telle, ou qui n'avaient pas beaucoup d'influence. Il relevait que s'il suffisait de peu pour que le NISS ouvre un fichier, le fait même qu'autant de personnes fussent identifiées comme cibles potentielles impliquait toutefois inévitablement que le NISS distinguât entre ceux qu'il considère comme un réel danger et les autres. Le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni considérait que, pour rendre crédible un risque, il n'était pas suffisant que l'intérêt des autorités se limite au phénomène extrêmement commun d'arrestation et de détention qui, bien qu'intimidant et pensé pour être intimidant, n'atteignait pas le seuil de la persécution. Il considérait qu'il était clair que les autorités soudanaises s'appuyaient sur la récolte de renseignements sur les activités des membres de la diaspora qui incluaient la surveillance secrète. Il indiquait que la nature et l'étendue des activités de l'appelant donnaient des informations pour déterminer s'il était probable que ces activités attirent l'attention des autorités soudanaises, tout en gardant à l'esprit la probabilité que les autorités devraient distinguer parmi un groupe potentiellement important d'individus entre ceux qui justifient d'être ciblés et les autres. Il exposait qu'il convenait de dresser un tableau aussi complet que possible de la situation de l'appelant en prenant en considération tous les éléments pertinents, y compris ceux qui n'avaient pas été établis, même selon une norme de preuve inférieure. Il concluait que les coûts et efforts évidents qu'impliquaient la collecte de ces informations rendaient probable que ces ressources soient ciblées sur ceux qui présentaient les risques les plus évidents et, que dans une foule, il n'était pas probable que la surveillance vise à identifier les participants subalternes et plus probable qu'elle se concentre sur les dirigeants, les organisateurs, ceux qui étaient souvent ou régulièrement vus à ce genre d'événements et ceux présents à des événements qui soient susceptibles d'attirer une attention particulière de la part des officiels soudanais.
5.  Informations sur le pays et directives du Bureau de l'Intérieur du Royaume-Uni
24.  Dans deux documents publiés en août 2016, concernant le traitement des requérants d'asile soudanais à leur retour au Soudan et le traitement des personnes ayant été actives politiquement au Royaume-Uni, le Bureau de l'Intérieur du Royaume-Uni indiquait que la Commission des réfugiés, affiliée au Ministère de l'Intérieur soudanais, était responsable de la surveillance des réfugiés soudanais à l'étranger et qu'elle entretenait vraisemblablement des liens étroits avec le NISS, lui-même responsable d'importantes violations des droits de l'homme au Soudan. Le Bureau de l'Intérieur précisait que le NISS était responsable du contrôle des frontières et qu'un amendement récent à la Constitution soudanaise lui permettait de remplir des tâches habituellement confiées aux forces armées. Il soulignait que les personnes suspectées de constituer une menace pour l'État pouvaient être détenues sans être inculpées durant 45 jours, que cette période pouvait être prolongée de trois mois et que les membres du NISS jouissaient de l'impunité pour les actes qu'ils commettaient dans l'exercice de leurs fonctions. S'agissant du retour des requérants d'asile déboutés ayant eu des activités politiques au Royaume-Uni, le Bureau de l'Intérieur relevait que le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni, dans sa décision IM et AI du 14 avril 2016 (paragraphe 23 ci-dessus), n'avait pas défini une liste de facteurs de risques, mais avait en revanche insisté sur la nécessité d'examiner l'ensemble des faits. Le Bureau de l'Intérieur indiquait toutefois que les facteurs suivants, qui ne devaient pas être considérés comme une liste de contrôle exhaustive, pouvaient être pertinents : les autorités se sont déjà intéressées à la personne concernée par le passé, que ce soit au Soudan ou à l'étranger ; la personne concernée a promu des opinions hostiles au régime soudanais à travers divers médias en ligne ; la personne concernée a ou a eu des contacts avec des groupes de l'opposition en exil, y compris en participant à des réunions ou manifestations publiques, ou a un profil en ligne en lien avec des groupes de l'opposition ou une adresse email liée à ces groupes ; la nature du groupe d'opposition concerné et la mesure dans laquelle il est ciblé par le gouvernement ; les relations personnelles ou familiales de la personne concernée avec des figures notoires de l'opposition au régime soudanais.
6.  Rapport commun du Service danois de l'immigration et du Bureau de l'Intérieur du Royaume-Uni
25.  Dans leur rapport commun d'août 2016 portant sur la situation des personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, le Service danois de l'immigration et le Bureau de l'Intérieur du Royaume-Uni indiquaient que les personnes présentant un profil politique retournant au Soudan étaient susceptibles d'être questionnées et arrêtées à leur arrivée à l'aéroport international de Khartoum. Ils soulignaient qu'avoir demandé l'asile à l'étranger ne posait pas de problèmes avec les autorités soudanaises, lors du retour, pour les personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, à l'exception des personnes revenant d'Israël. Ces personnes ne rencontraient pas de difficultés accrues en raison d'un long séjour à l'étranger ou du fait qu'elles voyageaient avec des documents d'identités provisoires et l'appartenance ethnique d'une personne n'affectait pas le traitement reçu à son arrivée à l'aéroport international de Khartoum. Plusieurs sources expliquaient que les passagers arrivant audit aéroport passaient par deux types de contrôle : un contrôle des documents et des permis de séjour auprès d'un bureau de l'immigration puis un contrôle de sécurité effectué par le NISS.
7.  Rapport 2015 du Département d'État des États-Unis d'Amérique sur les pratiques en matière de droits de l'homme
26.  Dans son rapport du 13 avril 2016, le Département d'État des États-Unis d'Amérique indiquait que le conflit entre le gouvernement et les rebelles au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeait et que toutes les parties aux conflits commettaient des violations des droits de l'homme. En janvier 2015, de nouveaux amendements à la Constitution élargissaient le mandat du NISS, lui confiant des tâches précédemment réservées aux forces armées, alors que l'impunité demeurait un problème courant dans toutes les branches des forces de sécurité. Le Département d'État indiquait encore que les forces de sécurité avaient arrêtés trois hommes accusés d'avoir transmis des informations au JEM au Darfour-Occidental en juillet 2015, que l'un d'entre eux avait prétendument été torturé à mort et que les deux autres restaient en détention. Par ailleurs, 76 membres du JEM étaient encore emprisonnés à la fin 2015.
8.  Rapports d'ONG
27.  Dans son rapport mondial du 12 janvier 2017, Human Rights Watch exposait que le bilan du Soudan en matière de droits de l'homme restait épouvantable pour 2016 et relevait que les autorités bloquaient la participation de membres de la société civile à des événements internationaux tel l'examen périodique universel au Conseil des droits de l'homme à Genève.
28.  Dans son rapport international 2016/2017 du 22 février 2017, Amnesty International indiquait que la situation sécuritaire et humanitaire au Darfour, dans le Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu demeurait désespérée et que des indices suggéraient que des armes chimiques avaient été utilisées par les forces gouvernementales au Darfour.
 


Considérants

EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION
29.  Le requérant allègue qu'un renvoi vers le Soudan emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention, qui se lisent ainsi :
Article 2
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
(...) »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
30.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
31.  Le Gouvernement affirme que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes s'agissant des faits intervenus après le prononcé de l'arrêt du TAF du 4 juin 2014. Il prétend que le requérant aurait pu faire valoir ces nouveaux faits en déposant une demande de reconsidération ou une nouvelle demande d'asile.
32.  La Cour rappelle que, aux termes de l'article 55 du règlement, si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d'irrecevabilité, elle doit le faire, pour autant que la nature de l'exception et les circonstances le permettent, dans ses observations sur la recevabilité de la requête soumises au titre de l'article 54 du règlement (comparer avec N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 44, CEDH 2002-X, CEDH 2004-III, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 41, CEDH 2006-II, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 57, 9 juillet 2009, et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 69, CEDH 2010).
33.  La Cour note que le Gouvernement a soulevé l'exception d'irrecevabilité relative à l'épuisement des voies de recours internes au moment de soumettre à la Cour ses observations supplémentaires, le 17 mars 2016, en réponse à des observations complémentaires du requérant datées du 8 février 2016, soit après s'être prononcé sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, le 12 novembre 2015. De plus, la Cour ne décèle aucune circonstance exceptionnelle dans le cas d'espèce. En effet, le Gouvernement avait déjà été informé de l'existence de faits nouveaux postérieurs à l'arrêt du TAF du 4 juin 2014 lorsque la présente requête lui fut communiquée, et n'avait alors pas formulé d'exception d'irrecevabilité dans ses observations du 12 novembre 2015 portant sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. La Cour rejette dès lors l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.
34.  La Cour constate, par ailleurs, que le grief tiré de la violation des articles 2 et 3 de la Convention n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Thèse des parties
a)  Le requérant
35.  Le requérant fait valoir un risque d'assassinat par les services de sécurité soudanais ou les forces armées soudanaises en cas de retour dans son pays d'origine. Il rappelle qu'il a indiqué aux autorités suisses à plusieurs reprises que des traces de torture étaient encore visibles sur son corps et qu'il avait des cicatrices corroborant ses allégations selon lesquelles il aurait été incarcéré et torturé par les forces de sécurité soudanaises en raisons de ses liens avec le JEM. À cet égard, il reproche aux autorités suisses de ne rien avoir entrepris afin de clarifier cette situation. Le requérant expose être devenu membre du JEM en Suisse et s'être activement engagé pour la population soudanaise, soutenant que son activisme au sein du JEM, dont témoignerait notamment sa rencontre avec le leader du JEM, et son engagement lors du Geneva Summit for Human Rights and Democracy, lui font courir un réel risque de persécution, et ce indépendamment de son origine. Se référant à l'arrêt A.A. c. Suisse (précité, 7 janvier 2014), il affirme que même les membres de l'opposition n'ayant pas de profil marqué courent un risque de mauvais traitements en cas de retour au Soudan.
36.  En réponse aux observations du Gouvernement, le requérant fait valoir un risque réel d'être arrêté à son arrivée à l'aéroport de Khartoum, ou peu après, détenu, interrogé et torturé par les forces de sécurité et les forces armées soudanaises. Il affirme avoir fait un récit détaillé, consistant et crédible de ses motifs de fuite. S'agissant de son engagement politique, le requérant réfute être un membre passif du JEM dont l'activité politique serait marginale. Il rappelle la teneur de ses activités et énumère les derniers événements auxquels il a participé. Il affirme en particulier assister le président de la section suisse du JEM dans la préparation d'une émission de radio, précisant par ailleurs y avoir lui-même pris la parole, et que des photographies prises en marge d'une réunion du JEM, montrant le requérant avec le leader de ce mouvement, figurent désormais sur internet. Il allègue que le Gouvernement fait abstraction du fait que les autorités soudanaises surveillent les activités de la diaspora soudanaise de manière systématique et qu'elles sont également intéressées par les opposants politiques dont l'engagement est moins fort. Il ajoute que les membres du JEM sont particulièrement exposés du fait que ce mouvement combat militairement le gouvernement soudanais. Le requérant soutient que le Gouvernement n'étaye pas son argument selon lequel l'engagement politique du requérant dans le cas d'espèce diffère de A.A. c. Suisse (précité). Il fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, les opposants risquant des persécutions ne sont pas seulement ceux qui font partie d'une ethnie non arabe du Darfour.
37.  Dans ses observations complémentaires, le requérant fait valoir sa participation à une manifestation dénonçant les crimes commis au Darfour et au Kordofan du Sud, au cours de laquelle une pétition fut adressée à divers organes de l'ONU, et l'arrêt du TAF E-678/2012 du 27 janvier 2016 (paragraphe 17 ci-dessus) reconnaissant la qualité de réfugié à un ressortissant soudanais membre du JEM.
b)  le Gouvernement
38.  S'agissant des motifs de fuite allégués par le requérant, le Gouvernement, reprenant les arguments des autorités internes, soutient que le requérant n'a pas rendu plausible qu'il avait été recherché par les autorités à son départ du Soudan et qu'il risquait, pour cette raison, d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention en cas de retour dans ce pays. Il qualifie de marginal l'engagement politique du requérant, soutenant qu'il n'avait démontré ni un engagement personnel important ni qu'il occupait une position exposée à l'intérieur du JEM. Il ajoute que le requérant ne faisait pas valoir qu'il avait représenté l'organisation, ou que son nom avait été mentionné dans ce contexte, et qu'il reconnaissait lui-même ne pas occuper une fonction dirigeante au sein du JEM. Le Gouvernement expose qu'il n'y a ainsi pas lieu de croire que le requérant serait connu des autorités soudanaises et qu'il pourrait être mis en rapport avec le mouvement d'opposition. Il affirme que l'activité politique du requérant n'est pas comparable à celle de la partie requérante dans l'affaire A.A. c. Suisse (précitée), notamment en ce qui concerne sa qualité, son ampleur, sa durée et son degré d'exposition, et que la jurisprudence de la Cour a été prise en compte par les autorités internes lors de l'examen de la présente affaire. Le Gouvernement soutient que les faits de la présente affaire ne peuvent pas non plus être comparés à ceux à l'origine de l'arrêt A.A. c. France (no 18039/11, 15 janvier 2015), notant que, dans cette affaire, la persécution du requérant avant son départ du Soudan avait été rendue plausible et que le requérant appartenait à une ethnie non arabe du Darfour.
39.  En réponse aux observations complémentaires du requérant, le Gouvernement relève que le requérant a quitté le Soudan légalement, avec son passeport. Il estime que le requérant a participé à la manifestation dénonçant les crimes commis au Darfour et au Kordofan du Sud sans fonction particulière et qu'aucun danger particulier ne pouvait être déduit des photos versées au dossier et de la pétition destinée à divers organes de l'ONU. Il ajoute que le requérant ne saurait se réclamer de l'arrêt E-678/2012 du TAF du 27 janvier 2016 (paragraphe 17 ci-dessus), affirmant que les faits à l'origine des deux cas divergeaient profondément. De l'avis du Gouvernement, le requérant ne fait pas partie des personnes qui, en raison de leurs activités ou de leurs fonctions, risquent d'être perçues comme des opposants dangereux pour le régime en place. Il relève enfin que rien n'indique qu'une procédure pénale ait été ouverte ou que d'autres mesures aient été prises au Soudan à l'encontre du requérant en raison de ses activités politiques.
2.  Appréciation de la Cour
40.  La Cour observe d'emblée que les griefs allégués sous l'angle des articles 2 et 3 de la Convention sont indissociables et examinera donc les deux articles simultanément (voir, notamment, mutatis mutandis, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 110, CEDH 2016, Tatar c. Suisse, no 65692/12, § 45, 14 avril 2015, T.A. c. Suède, no 48866/10, § 37, 19 décembre 2013, et K.A.B. c. Suède, no 886/11, § 67, 5 septembre 2013).
a)  Principes généraux
41.  La Cour rappelle que les États contractants ont le droit, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux (voir, par exemple, Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006-XII, et J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, § 79, CEDH 2016). Cependant, l'expulsion d'un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3, et donc engager la responsabilité de l'État en cause au titre de la Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3. Dans ce cas, l'article 3 implique l'obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir, notamment, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-125, et J.K. et autres c. Suède, précité, § 79).
42.  Si le requérant n'a pas encore été expulsé, la date à retenir pour l'appréciation doit être celle de l'examen de l'affaire par la Cour (J.K. et autres, précité, § 83, et Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996-V). Une évaluation complète et ex nunc est requise lorsqu'il faut prendre en compte des informations apparues après l'adoption par les autorités internes de la décision définitive (voir, par exemple, Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, §§ 87-95, CEDH 2008, J.K. et autres, précité, § 83, et Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, § 215, 28 juin 2011).
b)  Application de ces principes au cas d'espèce
43.  S'agissant de la situation générale au Soudan, la Cour a récemment rappelé dans l'arrêt A.A. c. Suisse (précité, §§ 39-40), que la situation des droits de l'homme dans ce pays était alarmante, en particulier pour les opposants politiques. Elle a également noté, dans les arrêts A.A. c. France (précité, §§ 55-56) et A.F. c. France (no 80086/13, § 49, 15 janvier 2015) que la situation s'était encore détériorée depuis le début de l'année 2014. La Cour relève par ailleurs qu'il n'y a pas eu depuis lors d'amélioration significative de la situation. Les conflits au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu ont ainsi perduré et engendré d'importants dommages parmi les populations civiles, même si les combats, notamment au Darfour, étaient moins nombreux. Les rapports internationaux consultés font également état de ce que les individus suspectés d'appartenir à des mouvements rebelles, notamment au JEM, ou de les soutenir, continuent d'être arrêtés, détenus et torturés par les autorités soudanaises (paragraphes 18 à 28 ci-dessus). De plus, il apparaît que les individus encourant un risque de mauvais traitement ne sont pas uniquement les opposants au profil marqué, mais toute personne s'opposant ou étant suspectée de s'opposer au régime en place (A.A. c. France, précité, § 56, A.F. c. France, précité, § 49, et A.A. c. Suisse, précité, § 40). La Cour a enfin indiqué qu'il était reconnu que le gouvernement soudanais surveillait les activités des opposants politiques à l'étranger (A.A. c. Suisse, précité, § 40).
44.  S'agissant des motifs de fuite allégués par le requérant, la Cour n'identifie pas d'élément justifiant de remettre en cause l'appréciation des autorités internes selon laquelle les allégations du requérant ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance (paragraphes 9 et 12 ci-dessus). Elle souligne à cet égard que les autorités internes, après avoir auditionné à deux reprises le requérant, les 15 mars 2013, sommairement, et 17 avril 2013, sur ses motifs d'asile, ont rendu des décisions détaillées et prenant en compte de manière convaincante les arguments du requérant. La Cour considère que le requérant, qui se contente en grande partie de réitérer les arguments qu'il avait soulevés devant les autorités internes, ne fait pas valoir d'argument décisif. Le requérant n'a pas non plus fourni le moindre document permettant d'étayer les mauvais traitements allégués (voir, a contrario, A.A. c. France, précité, § 59, et A.F. c. France, précité, § 53). La Cour précise par ailleurs que la nature différente des deux auditions du requérant par le SEM ne saurait suffire à expliquer les nombreuses incohérences relevées par les autorités internes, notamment du fait que les deux auditions se sont tenues à seulement un mois d'intervalle (voir, a contrario, M.A. c. Suisse, précité, §§ 60-61).
45.  La Cour note que le requérant est membre du JEM en Suisse depuis plusieurs années. Le Gouvernement remet en cause la sincérité de son engagement politique et affirme que ses activités en exil n'ont pas atteint une importance suffisante pour attirer l'attention des autorités soudanaises. En ce qui concerne les activités sur place, la Cour a reconnu qu'il est généralement très difficile d'apprécier si une personne s'intéresse sincèrement à l'activité en question ou si elle ne s'y est engagée que pour justifier après coup sa fuite (voir, par exemple, A.A. c. Suisse, précité). Dans des cas similaires, la Cour a cherché à savoir si le requérant s'était engagé dans des activités sur place à un moment où il était prévisible qu'il dépose une demande d'asile dans le futur, si le requérant était un activiste politique avant de fuir son pays d'origine ou s'il avait joué un rôle important afin de rendre son cas public dans l'État défendeur (voir, A.A. c. Suisse, précité, § 41, S.F. et autres c. Suède, no 52077/10, §§ 66-67, 15 mai 2012, et N. c. Finlande, no 38885/02, § 165, 26 juillet 2005). Cependant, la Cour rappelle que compte tenu de l'importance qu'elle attache à l'article 3 de la Convention et de la nature irréversible du dommage qui résulterait si le risque de mauvais traitements ou de torture se matérialisait, elle préfère analyser le grief du requérant sur la base des activités politiques qu'il a effectivement menées (A.A. c. Suisse, précité, § 41).
46.  La Cour considère, à la lumière de l'affaire A.A. c. Suisse (précitée) et des documents internationaux consultés (paragraphes 18 à 28 ci-dessus), que la surveillance par les services secrets soudanais des activités des opposants politiques à l'étranger ne saurait être qualifiée de systématique et que, pour évaluer si des individus peuvent être suspectés de soutenir des organisations d'opposition au régime soudanais et encourent des risques de mauvais traitements et de torture en cas de renvoi vers le Soudan en raison de leurs activités politiques en exil, il convient de tenir compte, notamment, des facteurs suivants : l'éventuel intérêt, par le passé, des autorités soudanaises pour ces individus, que ce soit au Soudan ou à l'étranger ; l'appartenance de ces individus, au Soudan, à une organisation s'opposant au régime en place et la nature de cette organisation ; leur appartenance à une organisation d'opposition dans leur pays de résidence, la nature de celle-ci et la mesure dans laquelle elle est ciblée par le gouvernement ; la nature de l'engagement politique de ces individus dans leur pays de résidence, notamment leur participation à des réunions ou manifestations publiques et leur activité sur internet ; et leurs liens personnels ou familiaux avec des membres éminents de l'opposition en exil.
47.  Dans le cas d'espèce, s'agissant de la question de l'intérêt des autorités soudanaises pour le requérant et plus particulièrement des motifs de fuite allégués par le requérant, qui a notamment fait valoir qu'il avait été enlevé et maltraité par les autorités soudanaises, la Cour rappelle qu'elle n'a pas identifié d'élément justifiant de remettre en cause l'appréciation des autorités internes selon laquelle les allégations du requérant ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance (paragraphe 44 ci-dessus). Ce dernier n'a par ailleurs pas prétendu avoir été actif politiquement au sein de l'opposition alors qu'il vivait au Soudan et a pu quitter son pays d'origine légalement, via l'aéroport international de Khartoum, peu après avoir fait prolonger son passeport. Il n'a pas non plus allégué avoir été actif politiquement au cours de son séjour de plusieurs années en Grèce. La Cour considère dès lors qu'aucun élément n'atteste un quelconque intérêt des autorités soudanaises pour le requérant alors qu'il résidait encore au Soudan ou à l'étranger, avant son arrivée en Suisse.
48.  La Cour relève par ailleurs, comme le TAF dans son arrêt E-678/2012 du 27 janvier 2016 (paragraphe 17 ci-dessus), que le JEM est l'un des principaux mouvements de rébellion au Soudan et que le danger qu'il représente aux yeux des autorités soudanaises a augmenté du fait de la légitimité qu'il a acquise en lien avec le conflit au Darfour, entraînant un comportement plus sévère de la part des autorités soudanaises à l'encontre des membres du JEM. L'appartenance du requérant au JEM depuis plusieurs années constitue dès lors un facteur de risques de persécutions.
49.  La Cour constate que les activités politiques en Suisse du requérant sont documentées depuis octobre 2013, soit depuis plus de trois ans, mais considère toutefois que son engagement politique ne s'est pas réellement intensifié avec le temps (voir, a contrario, A.A. c. Suisse, précité, § 42). Cette appréciation n'est pas remise en cause par ses activités politiques postérieures à l'arrêt final du TAF du 4 juin 2014, alléguées pour la première fois devant la Cour. Par ailleurs, la Cour est d'avis que le profil politique du requérant au sein de l'opposition au régime soudanais en général et du JEM en particulier ne saurait être qualifié de très exposé (ibidem, § 42). En effet, le requérant n'occupe pas de position exposée au sein de JEM, il n'a jamais représenté ce mouvement, son nom n'a pas été cité et il ne s'est pas montré actif sur internet. Si le requérant a allégué avoir participé au Geneva Summit for Human Rights and Democracy, il ne prétend toutefois pas avoir représenté le JEM à cette occasion (voir, a contrario, A.A. c. Suisse, précité, § 43). La Cour considère dès lors que ses activités politiques en Suisse, se limitant à celles d'un simple participant aux activités des organisations de l'opposition en exil, n'étaient pas de nature à attirer l'attention des services de renseignements soudanais. La publication alléguée sur internet de photographies du requérant aux côtés du leader du JEM et la participation alléguée du requérant à une émission de radio, la teneur des propos tenus à l'antenne n'ayant d'ailleurs pas été portée à la connaissance de la Cour, ne sauraient suffire à remettre en cause cette appréciation. Il en va de même des photographies attestant de la participation du requérant aux divers événements mentionnés ci-dessus.
50.  La Cour note que le requérant ne saurait se réclamer de liens personnels ou familiaux avec des membres éminents de l'opposition en exil de nature à pouvoir le mettre en danger. Elle précise que les photographies du requérant en compagnie du leader du JEM, prises en marge d'une réunion de ce mouvement, ne sauraient suffire à remettre en cause cette appréciation.
51.  Vu ce qui précède, la Cour est d'avis que les activités politiques du requérant en exil, qui se limitent à celles d'un simple participant aux activités des organisations de l'opposition en exil, ne sont pas raisonnablement de nature à attirer l'attention des services de renseignements sur sa personne et considère en conséquence que le requérant n'encoure pas de risques de mauvais traitements et de torture en cas de retour au Soudan en raison de ses activités sur place.
52.  Enfin, la Cour n'identifie pas de risque de persécutions en lien avec l'appartenance ethnique du requérant, ce dernier n'ayant pas allégué appartenir à une ethnie non arabe du Darfour (voir, a contrario, A.A. c. France, précité, § 58, et A.F. c. France, précité, § 50).
53.  Dès lors, la Cour estime que l'exécution de la mesure de renvoi ordonnée contre le requérant n'emporterait violation ni de l'article 2 ni de l'article 3 de la Convention.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
54.  La Cour rappelle que, conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu'elles ne demanderont pas le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l'arrêt, si le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre n'a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l'article 43.
55.  Elle considère que les mesures qu'elle a indiquées au Gouvernement en application de l'article 39 de son règlement (paragraphe 4 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu'à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard (voir dispositif).
 


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
 
2.  Dit qu'il n'y aurait violation ni de l'article 2 ni de l'article 3 de la Convention en cas de renvoi du requérant vers le Soudan ;
 
3.  Décide que la mesure provisoire indiquée par la Cour en application de l'article 39 de son règlement reste en vigueur jusqu'à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.
 
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mai 2017, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
  Stephen Phillips     Greffier
  Helena Jäderblom   Présidente
 

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Etat de fait

Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 2 et 3 CEDH