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Chapeau

23887/16


I.M. gegen Schweiz
Urteil no. 23887/16, 09 avril 2019

Regeste

  SUISSE: Art. 8 CEDH. Renvoi au Kosovo d'un requérant condamné pour viol.

  La décision d'extension de la mesure de renvoi à tout le territoire suisse constitue l'ingérence dont il est question en l'espèce.
  Outre l'aspect "vie privée", le requérant vivant en Suisse depuis longtemps, l'aspect "vie familiale" entre également en jeu: invalide à 80%, le requérant est quotidiennement assisté par ses enfants adultes et financièrement dépendant d'eux.
  Selon la Cour, les autorités internes ont effectué un examen superficiel de la proportionnalité de la mesure. Compte tenu de l'absence d'une véritable mise en balance des intérêts en jeu, elles ne sont pas parvenues à démontrer de manière convaincante que la mesure d'éloignement était proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc nécessaire dans une société démocratique (ch. 58-79).
  Conclusion: violation de l'art. 8 CEDH en cas de renvoi.



Synthèse de l'OFJ


(2ème rapport trimestriel 2019)

Droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH); examen insuffisant d'une mesure de renvoi.

L'affaire porte sur l'extension à tout le territoire suisse du renvoi du requérant, un ressortissant kosovar résidant en Suisse depuis 1993. Auparavant, le permis de séjour du requérant n'avait pas été renouvelé à la suite de sa condamnation pour un viol commis en 2003. Le requérant, dont le taux d'invalidité a été évalué à 80 %, vit actuellement en Suisse avec ses enfants majeurs dont il dépend.

La Cour a jugé que, - alors qu'il statuait plus de 12 ans après l'infraction commise par le requérant -, le Tribunal administratif fédéral (TAF) n'a pas pris en compte l'évolution du comportement de l'intéressé, ni évalué l'impact de l'aggravation considérable de son état de santé sur le risque de récidive. Il n'a pas non plus pris en considération la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux du requérant avec le pays hôte (Suisse) et le pays de destination (Kosovo), ni fait une analyse suffisamment approfondie des implications de la dépendance du requérant à l'égard de ses enfants majeurs. Elle a considéré que le TAF a effectué un examen superficiel de la proportionnalité de la mesure de renvoi et que, compte tenu de l'absence d'une véritable mise en balance des intérêts en jeu, les autorités internes ne sont pas parvenues à démontrer de manière convaincante que la mesure d'éloignement prise était proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc nécessaire dans une société démocratique. Violation de l'article 8 CEDH (unanimité).





Faits

 
TROISIÈME SECTION
 
AFFAIRE I.M. c. SUISSE
 
(Requête no 23887/16)
 
ARRÊT
 
STRASBOURG
 
9 avril 2019
 
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
 
En l'affaire I.M. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
    Vincent A. De Gaetano, président,
    Branko Lubarda,
    Helen Keller,
    Dmitry Dedov,
    Pere Pastor Vilanova,
    Georgios A. Serghides,
    María Elósegui, juges,
    et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 février 2019 et 12 mars 2019,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
 
PROCÉDURE
1.  À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 23887/16) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant kosovar[1], M. I.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 avril 2016 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2.  Le requérant a été représenté par Me R. Giebenrath, avocat exerçant à Strasbourg. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Schürmann, de l'Office fédéral de la justice.
3.  Le requérant alléguait que son expulsion vers le Kosovo entraînerait une violation des articles 3 et 8 de la Convention.
4.  Le 24 mai 2016, le requérant a saisi la Cour d'une demande de mesure provisoire sur le fondement de l'article 39 de son règlement afin d'empêcher l'exécution de son renvoi. Le 27 mai 2016, le juge de permanence a décidé de ne pas accorder la mesure provisoire sollicitée.
5.  Le 16 septembre 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  Le requérant est né en 1964 et réside dans le canton de Bâle-Campagne.
A.  Arrivée en Suisse et octroi d'une autorisation de séjour
7.  Après y avoir temporairement séjourné comme saisonnier dès 1989, le requérant arriva en Suisse, le 13 avril 1993, et y déposa une demande d'asile. Par décision du 19 novembre 1993, l'ancien Office fédéral des réfugiés (devenu par la suite l'Office fédéral des migrations [« ODM »], puis le Secrétariat d'État aux migrations [« SEM »]) rejeta cette demande, mettant toutefois le requérant au bénéfice de l'admission provisoire. Le 25 février 1998, le Conseil fédéral leva l'admission provisoire collective octroyée aux déserteurs et aux réfractaires en provenance de la République fédérale de Yougoslavie, de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie, et le requérant se vit impartir un délai de départ au 15 janvier 1999.
8.  L'ex-femme du requérant, Mme M.M., qui vivait au Kosovo et dont il divorça le 5 mai 1998, arriva en Suisse, le 17 août 1998, avec les trois enfants du requérant, nés respectivement en 1990, 1992 et 1995. La demande d'asile de M.M. fut admise.
9.  Le 14 janvier 1999, le requérant épousa une ressortissante suisse. En raison de ce mariage, il fut mis au bénéfice d'une autorisation de séjour.
10.  Le 22 avril 2002, le requérant signa une convention de remboursement portant sur un montant de 22 255 francs suisses (« CHF ») (environ 19 301 euros [« EUR »]) pour des allocations pour enfants et bonifications pour tâches éducatives touchées à tort.
11.  Le 3 décembre 2003, le Tribunal pénal du canton de Bâle-Ville (Strafgericht des Kantons Basel-Stadt) condamna le requérant à trois ans de réclusion ainsi qu'à son expulsion du territoire suisse pour une durée de douze ans avec sursis, avec une mise à l'épreuve de cinq ans, pour contrainte sexuelle, viol et désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel, faits survenus la même année. Par arrêt du 15 avril 2005, le Tribunal d'appel du canton de Bâle-Ville (Appellationsgericht des Kantons Basel-Stadt), qui ne retint que le chef d'accusation de viol, réduisit la peine de réclusion à deux ans et trois mois et confirma l'expulsion du requérant de Suisse pour une durée de douze ans avec sursis, avec une mise à l'épreuve de cinq ans. Le recours du requérant contre ce jugement fut rejeté par le Tribunal fédéral, le 18 avril 2006.
12.  Le 7 février 2006, l'ex-épouse du requérant, M.M., mit au monde des jumeaux de père alors inconnu.
13.  Le 16 mai 2006, le requérant et son épouse suissesse divorcèrent.
B.  La décision de renvoi du territoire cantonal du 24 août 2006
14.  Par décision du 24 août 2006, l'office des migrations du canton de Bâle-Campagne (Amt für Migration des Kantons Basel-Landschaft [« office cantonal des migrations »]) rejeta la demande de prolongation de l'autorisation de séjour du requérant, relevant que la condamnation de l'intéressé à plus de deux ans de réclusion pour viol constituait un motif d'expulsion du territoire suisse. Le fait qu'il avait touché la somme de 41 052 CHF (environ 36 063 EUR) au titre de l'aide sociale, avait des dettes à hauteur de 21 000 CHF (environ 18 448 EUR) et avait avancé des problèmes physiques alors que sa capacité complète de travailler était attestée, étaient d'autres motifs justifiant qu'il ne soit plus autorisé à séjourner en Suisse.
15.  Le Conseil d'État du Canton de Bâle-Campagne (Regierungsrat des Kantons Basel-Landschaft [« Conseil d'État »]), puis le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne (Kantonsgericht des Kantons Basel-Landschaft [« Tribunal cantonal »]), par arrêt du 27 juin 2007, rejetèrent les recours du requérant. Le Tribunal cantonal considérait notamment que les motifs de santé allégués ne s'opposaient pas au retour du requérant au Kosovo et que la décision de renvoi prononcée était proportionnée et conforme à l'article 8 de la Convention. Ce jugement ne fut pas attaqué.
C.  La décision d'extension de la décision cantonale de renvoi à tout le territoire suisse du 22 janvier 2010
16.  Suite à l'entrée en force de la décision de l'office cantonal des migrations du 24 août 2006, le SEM communiqua au requérant son intention d'étendre la mesure de renvoi à tout le territoire suisse et lui accorda le droit d'être entendu à ce sujet. Nonobstant les problèmes médicaux invoqués par le requérant, le SEM décida, le 22 janvier 2010, d'étendre la décision cantonale de renvoi à tout le territoire suisse.
17.  Le 25 février 2010, le requérant interjeta recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral.
18.  Le 26 avril 2010, le Tribunal administratif fédéral accorda l'effet suspensif au recours.
19.  Le 22 février 2013, le requérant demanda la révision du jugement pénal du 15 avril 2005 auprès du Tribunal d'appel du canton de Bâle-Ville.
20.  Le 27 février 2013, le Tribunal administratif fédéral suspendit la procédure relative au renvoi du requérant.
21.  Le 1er juillet 2013, le requérant fut mis au bénéfice d'une rente d'invalidité complète, avec effet rétroactif au 1er octobre 2012, son taux d'invalidité ayant été évalué à 80 .
22.  Par arrêt du 7 octobre 2013, le Tribunal d'appel du canton de
Bâle-Ville rejeta la demande de révision du jugement pénal déposée par le requérant.
23.  Un contrôle à l'aéroport de Zurich permit de constater que le requérant s'était rendu en visite au Kosovo le 3 septembre 2014, le requérant indiquant à cet égard qu'il avait voulu voir la tombe de son père et qu'il avait voyagé par avion en raison de son mauvais état de santé.
24.  Le 15 octobre 2014, le Tribunal administratif fédéral reprit la procédure relative à la décision de renvoi du requérant.
25.  Par arrêt du 28 octobre 2015, le Tribunal administratif fédéral rejeta le recours du requérant. Il considérait que la peine privative de liberté de deux ans et trois mois prononcée à l'encontre de l'intéressé allait clairement au-delà du seuil suffisant pour admettre une violation ou une mise en danger grave de l'ordre et de la sécurité publics. Il indiquait que, bien que les faits se fussent déroulés plus de dix ans auparavant, le viol constituait un crime grave pour lequel même un faible risque de récidive ne devait pas être accepté en matière de droit des étrangers. Le Tribunal administratif fédéral relevait par ailleurs que le viol figurait désormais dans la liste des actes énumérés à l'article 121 alinéa 3 de la Constitution suisse (Cst.), qui prévoyait l'expulsion des étrangers condamnés pour certaines infractions graves. Aussi, il fallait tenir compte de cette catégorisation dans le cadre de la pesée des intérêts selon l'article 8 § 2 de la Convention, respectivement de l'application de l'article 96 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005, à condition que cela ne mène à aucune contradiction avec le droit supérieur ou à des conflits avec la marge de manœuvre que la Cour laisse aux Hautes Parties contractantes pour l'application de leur politique migratoire dans le cadre du droit au respect de la vie privée et familiale. Il soulignait que le principe selon lequel il fallait choisir, parmi plusieurs interprétations possibles, celle qui était la plus fidèle à la Constitution, était généralement reconnu et se rapportait en particulier aux dispositions de la Constitution qui, comme les alinéas 3 à 6 de l'article 121 Cst. précité, n'étaient pas directement applicables. La clause d'exclusion de l'article  14a  alinéa 6 de la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers devait dès lors être appliquée et son application, même en tenant compte des difficultés non négligeables que le requérant devrait surmonter à son retour dans son pays d'origine, s'avérait proportionnée. Sur le terrain de l'article 3 de la Convention, le Tribunal administratif fédéral relevait, pour l'essentiel, que l'état de santé du requérant (troubles douloureux généralisés, hypothyroïdie primaire [imprégnation insuffisante de l'organisme en hormones thyroïdiennes], dépression et gastrite hyperacide) n'était pas d'une gravité telle qu'il excluait son renvoi vers le Kosovo, pays disposant des infrastructures médicales permettant au requérant de recevoir les soins lui étant nécessaires. S'agissant du financement des médicaments et du traitement, le Tribunal administratif fédéral exposait que le requérant, dont le taux d'invalidité avait été évalué à 80 %, ne recevrait certes pas de rente d'invalidité de la part des autorités suisses au Kosovo, mais pourrait bénéficier de l'aide sociale dans ce pays ou se faire aider financièrement par les membres de sa famille vivant en Suisse et en Allemagne. Il relevait enfin qu'un risque d'aggravation de l'état de santé du requérant, en cas de retour au Kosovo, en raison de l'absence de moyens financiers lui permettant d'obtenir à temps une aide médicale adéquate, était largement spéculatif.
D.  Les demandes de réexamen du requérant du 8 juillet 2014 et du 22 janvier 2016
26.  Le 8 juillet 2014, le requérant déposa auprès de l'office cantonal des migrations une première demande de réexamen de l'arrêt du Tribunal cantonal du 27 juin 2007, qui fut déclarée irrecevable le 5 janvier 2016.
27.  Le 22 janvier 2016, le requérant déposa une deuxième demande de réexamen dans laquelle il alléguait être le père des jumeaux de M.M. Cette demande fut également déclarée irrecevable, le 11 mai 2016.
28.  Les recours du requérant contre cette décision d'irrecevabilité furent rejetés. Dans son arrêt du 6 mars 2018, le Tribunal fédéral releva notamment que les demandes des 8 juillet 2014 et 22 janvier 2016 étaient en réalité des nouvelles demandes d'autorisation de séjour et que le requérant aurait pu et dû faire valoir sa paternité en lien avec les jumeaux plus tôt.
E.  La situation familiale du requérant
29.  Le requérant habite dans un appartement avec deux de ses enfants majeurs, alors que les jumeaux et son ex-épouse, M.M., vivent dans un autre appartement, dans le même immeuble.
F.  L'état de santé du requérant
30.  A l'appui de sa requête, le requérant a déposé deux certificats médicaux, établis par son médecin psychiatre, les 5 février et 7 juin 2016, dont il ressort en particulier qu'il souffrait de dépression grave avec idéations suicidaires et qu'il présentait des traits autistiques. Il nécessitait un traitement psychiatrique-psychothérapeutique intégré, était inapte à voyager et entièrement dépendant des soins dispensés par les membres de sa famille, n'étant pas en mesure d'établir des relations stables avec des personnes extérieures à son cercle familial. Il existait de plus un risque d'une grave péjoration de son état psychique en cas d'expulsion. Selon les rapports médicaux des 31 janvier et 10 octobre 2017, établis par le même médecin, le requérant avait vécu dans un état constant de peur et d'insécurité depuis la décision d'expulsion, ce qui avait péjoré son état psychique. Il présentait des traits autistiques et le niveau fonctionnel d'un enfant, dépendant complètement de sa famille. Un autisme grave s'était développé. Le requérant dépendait entièrement de l'aide de ses fils et de leurs familles et n'était plus en mesure de quitter sa maison.
31.  Il ressort par ailleurs de deux autres rapports établis les 5 février et 7 juin 2016 par le médecin du requérant, que celui-ci était inapte à voyager en raison de graves maladies (schwerwiegende Erkrankungen). Un rapport du 2 mai 2016 relève en outre que le requérant souffrait de troubles douloureux généralisés, de dépression et d'une hypothyroïdie primaire. Son état de santé, mauvais depuis plusieurs années, était tel que le requérant ne pouvait se déplacer tout seul que sur de courtes distances. Il avait besoin du soutien permanent de sa famille et courrait, à court ou moyen terme, un danger pour sa vie s'il ne devait pas avoir accès aux médicaments prescrits.
32.  Le 10 mars 2016, une entreprise médicale privée, mandatée par les autorités suisses (O. SA), constata que le requérant était apte au voyage et que ni ses troubles de santé ni le risque de suicide allégué ne s'opposaient à un voyage en avion.
33.  Selon un rapport du 5 octobre 2017 déposé par le requérant, les douleurs affectant son appareil locomoteur et ses difficultés à se mouvoir avaient fortement augmenté, de sorte que l'usage d'un déambulateur lui fut prescrit.
34.  Sur demande de la Cour, le requérant précisa le 20 février 2019 que sa rente d'invalidité avait été suspendue en février 2016, étant donné qu'il était tenu de quitter la Suisse.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Le droit interne pertinent
35.  Les articles 13 et 121 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (« Cst. », RS 101) sont libellés comme suit :
Article 13 (Protection de la sphère privée)
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu'elle établit par la poste et les télécommunications.
Article 121 (Législation dans le domaine des étrangers et de l'asile)
1. La législation sur l'entrée en Suisse, la sortie, le séjour et l'établissement des étrangers et sur l'octroi de l'asile relève de la compétence de la Confédération.
2. Les étrangers qui menacent la sécurité du pays peuvent être expulsés de Suisse.
3. Ils sont privés de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse :
a. s'ils ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d'une autre nature tel que le brigandage, la traite d'êtres humains, le trafic de drogue ou l'effraction ; ou
b. s'ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l'aide sociale.
4. Le législateur précise les faits constitutifs des infractions visées à l'al. 3. Il peut les compléter par d'autres faits constitutifs.
5. Les étrangers qui, en vertu des al. 3 et 4, sont privés de leur titre de séjour et de tous leurs droits à séjourner en Suisse doivent être expulsés du pays par les autorités compétentes et frappés d'une interdiction d'entrer sur le territoire allant de 5 à 15 ans. En cas de récidive, l'interdiction d'entrer sur le territoire sera fixée à 20 ans.
6. Les étrangers qui contreviennent à l'interdiction d'entrer sur le territoire ou qui y entrent illégalement de quelque manière que ce soit sont punissables. Le législateur édicte les dispositions correspondantes. »
36.  Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (« LSEE », RS 142.20), alors en vigueur, mais abrogée avec effet au 1er janvier 2008 par la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (« LEtr », RS 142.20), révisée et renommée loi fédérale sur les étrangers et l'intégration « LEI » depuis le 1er janvier 2019), étaient libellées comme suit :
Article 7
« 1. Le conjoint étranger d'un ressortissant suisse a droit à l'octroi et à la prolongation de l'autorisation de séjour. Après un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans, il a droit à l'autorisation d'établissement. Ce droit s'éteint lorsqu'il existe un motif d'expulsion.
(...)
Article 10
1. L'étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d'un canton que pour les motifs suivants :
a. s'il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ;
b. si sa conduite, dans son ensemble, et ses actes permettent de conclure qu'il ne veut pas s'adapter à l'ordre établi dans le pays qui lui offre l'hospitalité ou qu'il n'en est pas capable ;
c. si, par suite de maladie mentale, il compromet l'ordre public ;
d. si lui-même, ou une personne aux besoins de laquelle il est tenu de pourvoir, tombe d'une manière continue et dans une large mesure à la charge de l'assistance publique.
2. L'expulsion prévue à l'al. 1, let. c ou d, ne peut être prononcée que si le retour de l'expulsé dans son pays d'origine est possible et peut être raisonnablement exigé.
3. L'expulsion ne sera limitée au territoire d'un canton qu'exceptionnellement et si l'étranger possède ou obtient une autorisation dans un autre canton.
4. La présente loi ne touche en rien à l'expulsion, prévue par la Constitution, des étrangers qui compromettent la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse, ni à l'expulsion prononcée par le juge pénal.
Article 12
1. L'étranger qui n'est au bénéfice d'aucune autorisation peut être tenu en tout temps de quitter la Suisse.
2. L'étranger est tenu de quitter le canton à l'échéance de l'autorisation.
3. L'étranger est tenu de partir lorsqu'une autorisation, ou une prolongation d'autorisation lui est refusée ou que l'autorisation est révoquée ou qu'elle est retirée en application de l'art. 8, al. 2. Dans ces cas, l'autorité lui impartit un délai de départ. S'il s'agit d'une autorité cantonale, l'étranger doit quitter le territoire du canton ; si c'est une autorité fédérale, il doit quitter le territoire suisse. L'autorité fédérale peut transformer l'ordre de quitter un canton en un ordre de quitter la Suisse.
4. L'autorité impartit de même un délai de départ à l'étranger expulsé.
Article 14a
1. Si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée, l'Office fédéral des migrations décide d'admettre provisoirement l'étranger.
2. L'exécution n'est pas possible lorsque l'étranger ne peut quitter la Suisse, ni être renvoyé, ni dans son État d'origine ou de provenance, ni dans un État tiers.
3. L'exécution n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine ou de provenance ou dans un État tiers est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international.
4. L'exécution ne peut notamment pas être raisonnablement exigée si elle implique la mise en danger concrète de l'étranger.
4bis. Si l'exécution du renvoi met le requérant d'asile dans une situation de détresse personnelle grave, au sens de l'art. 44, al. 3, de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile, l'Office fédéral des migrations peut décider de l'admettre provisoirement.
5. ...
6. Les al. 4 et 4bis ne sont pas applicables lorsque l'étranger expulsé ou renvoyé a compromis la sécurité et l'ordre publics ou qu'il leur a porté gravement atteinte. »
37.  L'article 96 de la loi fédérale sur les étrangers (« LEtr », RS 142.20) du 16 décembre 2005 est libellé comme suit :
Art. 96 (Pouvoir d'appréciation)
« 1. Les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration.
2. Lorsqu'une mesure serait justifiée, mais qu'elle n'est pas adéquate, l'autorité compétente peut donner un simple avertissement à la personne concernée en lui adressant un avis comminatoire. »
38.  L'article 17 du Règlement d'exécution de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (« RSEE », RS 142.201) du 1er mars 1949, abrogé le 1er janvier 2008, était libellé comme suit :
Article 17 (Autres mesures d'éloignement. Internement)
« 2. Les autorités cantonales communiqueront à l'Office fédéral des migrations toutes les décisions par lesquelles elles fixent un délai de départ à des étrangers (renvoi) auxquels elles n'auraient pu délivrer une autorisation qu'avec son approbation ; il en sera de même lorsqu'il s'agit d'indésirables ou d'étrangers ayant contrevenu aux prescriptions légales ou à des décisions des autorités (art. 13, al. 1, de la loi) ou encore lorsqu'il paraît indiqué de fixer à l'étranger une restriction d'entrée (art. 13, al. 2, de la loi). Les cantons peuvent également, s'ils ont des motifs spéciaux pour le faire, soumettre à l'Office fédéral des migrations d'autres décisions de renvoi ; ils lui donneront alors connaissance de ces motifs. L'Office fédéral des migrations étendra, en règle générale, le renvoi à tout le territoire de la Suisse, à moins que, pour des motifs spéciaux, il ne veuille donner à l'étranger la possibilité de solliciter une autorisation dans un autre canton. »
B.  La pratique interne pertinente
39.  Sous l'ancien droit, l'autorité fédérale pouvait transformer l'ordre de quitter un canton en un ordre de quitter la Suisse. À teneur de l'article  17  alinéa 2 RSEE (paragraphe 38 ci-dessus), l'Office fédéral des migrations étendait, en règle générale, le renvoi à tout le territoire de la Suisse, à moins que, pour des motifs spéciaux, il ne veuille donner à l'étranger la possibilité de solliciter une autorisation dans un autre canton. L'extension à tout le territoire suisse constituait ainsi la règle générale et était considérée par la jurisprudence comme un automatisme (arrêt du Tribunal fédéral, ATF 110 Ib 204 consid. 1c, et Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération, JAAC 57.14 consid. 5 et JAAC 63.1 consid. 11 c).
40.  Ainsi, lorsqu'un canton était compétent, la procédure sous l'ancien droit se composait de deux étapes. Dans un premier temps, l'autorité cantonale rendait une décision concernant la prolongation de l'autorisation de séjour et, en cas de refus, impartissait un délai à l'intéressé pour quitter le territoire du canton. Dans un second temps, l'autorité fédérale rendait une décision concernant l'extension à tout le territoire suisse.
41.  Depuis l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur les étrangers, la décision de renvoi vaut directement pour l'ensemble du territoire suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1139/2012 du 21 décembre 2012 consid. 3.4).
 


Considérants

EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
42.  Selon le requérant, son expulsion par les autorités suisses porterait atteinte à sa vie privée et familiale et violerait l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
43.  Le Gouvernement conteste cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
44.  Le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. Il reproche au requérant de ne pas avoir recouru contre l'arrêt du Tribunal cantonal du 27 juin 2007 confirmant le refus de prolonger son autorisation de séjour et son expulsion du territoire cantonal. Il expose que l'objet de la procédure devant le Tribunal administratif fédéral concernait uniquement l'extension automatique de la mesure de renvoi à tout le territoire de la Suisse. Le Gouvernement fait également valoir qu'une procédure de réexamen de la décision cantonale était encore pendante lors de l'introduction de la requête du requérant devant la Cour.
45.  Le requérant répond avoir contesté la décision prononçant l'extension de la décision cantonale de renvoi à tout le territoire suisse devant toutes les instances prévues à cet effet. Il allègue qu'il y a lieu de considérer la procédure dans son ensemble et souligne que le Tribunal administratif fédéral a traité ses griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention dans son arrêt, de sorte qu'il serait excessivement formaliste de considérer que les voies de recours internes n'ont pas été épuisées.
46.  La Cour rappelle que la règle de l'épuisement des voies de recours doit s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, qu'elle ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu et qu'en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également, entre autres, de la situation personnelle des requérants (Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99 et 7 autres, § 69, CEDH 2010, et Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-70, 25 mars 2014).
47.  En l'espèce, la Cour relève que le requérant a épuisé les voies de recours internes s'agissant de la procédure en lien avec l'extension de la mesure de renvoi à tout le territoire suisse et que le Tribunal administratif fédéral a dans son arrêt du 28 octobre 2015 examiné la conformité de la mesure litigieuse avec l'article 8 de la Convention. Elle note par ailleurs que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, l'extension de la mesure de renvoi à tout le territoire suisse n'a pas été automatique dans les faits, celle-ci ayant été définitivement validée par le Tribunal administratif fédéral seulement après plus de huit années de procédure. Partant, la Cour est d'avis que le requérant a tenté d'obtenir, dans la forme et le délai prescrits, le redressement de la violation alléguée par une voie de recours appropriée devant la plus haute juridiction nationale.
48.  S'agissant de la procédure encore pendante lorsque le Gouvernement a soumis ses observations, la Cour relève que le Tribunal fédéral a, dans son arrêt du 6 mars 2018 (paragraphe 28 ci-dessus), exclu qu'il s'agissait d'une procédure de réexamen et considéré qu'il s'agissait d'une nouvelle demande d'autorisation de séjour, qu'il a définitivement rejetée. La Cour est dès lors d'avis que l'exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes dans le cadre de cette procédure est sans objet.
49.  Partant, la Cour rejette l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.
50.  La Cour constate que le grief tiré de l'article 8 de la Convention n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Thèses des parties
51.  Le requérant ne conteste pas que son expulsion du territoire suisse était fondée sur une base légale suffisante et que la mesure poursuivait des buts légitimes au sens de l'article 8 § 2 de la Convention. En revanche, il soutient que cette mesure n'était pas nécessaire dans une société démocratique. Il affirme que l'intérêt de l'État de protéger l'ordre public doit être justifié par une analyse de la situation et des circonstances concrètes du cas d'espèce et qu'il faut aussi examiner la situation telle qu'elle s'est développée depuis la commission de l'infraction en cause. Le requérant rappelle ne pas avoir commis d'actes punissables depuis 2003 et fait valoir que son état de santé s'est gravement dégradé, de sorte que son taux d'invalidité a été évalué à 80 %, ses médecins ayant constaté une détérioration continue. Il affirme qu'il n'existe aucun risque de récidive vu son état de santé déficient et son comportement irréprochable depuis la commission de l'infraction.
52.  Le requérant expose par ailleurs qu'il a bénéficié d'une rente d'invalidité complète avec effet rétroactif au 1er octobre 2012 et que la somme qui lui a été versée à ce titre a été restituée à l'autorité de l'aide sociale, dont il ne serait plus dépendant. S'agissant des actes de défaut de bien, le requérant allègue qu'ils sont la conséquence d'un accident au travail. Il relève encore que, depuis la suspension de sa rente d'invalidité, en février 2016, ses trois enfants majeurs le prennent en charge financièrement. Il habiterait avec deux d'entre eux et en serait proche. Il affirme que ces deux enfants s'occupent du ménage, font des achats, le soignent, le lavent, l'habillent et sont les premières personnes de référence pour lui, ce qui attesterait selon lui de l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance à leur égard. Le requérant soutient en outre que la Cour doit, dans son examen, prendre en compte la naissance des jumeaux de M.M., dont il a reconnu être le père, et l'existence de contacts étroits et réguliers avec eux.
53.  Concernant ses liens avec le Kosovo, le requérant indique qu'il n'y a plus de famille ni contacts sociaux. Ses liens seraient bien plus forts avec la Suisse, où il avait vécu de façon permanente depuis 1993, à savoir depuis l'âge de 29 ans, et où vivent ses cinq enfants et son ex-épouse.
54.  Le Gouvernement estime en revanche que l'ingérence en cause est pleinement compatible avec la Convention : elle serait prévue par la loi et poursuivrait des buts légitimes au sens de l'article 8 § 2 de la Convention. Il souligne que le requérant a été condamné pour viol à deux ans et trois mois de réclusion ainsi qu'à son expulsion du territoire suisse pour une durée de douze ans avec sursis, avec un délai d'épreuve de cinq ans. Il soutient que cette infraction est extrêmement grave et qu'elle porte atteinte à la sécurité et à l'ordre public ainsi qu'à d'autres biens juridiques fondamentaux de la société, précisant que le public ne devait pas demeurer exposé à un risque, même faible, de récidive.
55.  Le Gouvernement conteste que le comportement du requérant ait été irréprochable depuis qu'il a commis l'infraction en cause, soulignant que l'intéressé avait bénéficié de 41 052 CHF au titre de l'aide sociale et accumulé des dettes à hauteur de 21 000 CHF.
56.  Le Gouvernement conteste également qu'il existe une relation affective particulièrement étroite entre le requérant et ses enfants majeurs et considère que le requérant n'a pas démontré que sa dépendance envers eux atteignait un degré tel qu'elle devait bénéficier de la protection de l'article 8 de la Convention. Le Gouvernement relève que le requérant n'a pas la garde des jumeaux, qu'il n'a jamais vécu avec eux et qu'il ne leur a jamais payé de contribution d'entretien. Il précise que le droit du requérant de séjourner en Suisse était déjà précaire lorsque les jumeaux sont nés, ce que leur mère, M.M., n'ignorait pas au moment de leur conception. Le Gouvernement soutient par ailleurs que le renvoi du requérant au Kosovo n'aboutirait pas à la rupture des liens avec sa famille vivant en Suisse, des visites et des contacts personnels restant possibles. Il souligne que les jumeaux et M.M. ont la double nationalité suisse et kosovare et qu'ils peuvent donc suivre le requérant dans leur pays d'origine. II affirme qu'il n'existe pas d'obstacles insurmontables au retour du requérant au Kosovo, pays dans lequel il a passé les 29 premières années de sa vie et dont il parle la langue. S'agissant de ses enfants majeurs, le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas non plus prouvé entretenir une relation affective particulièrement étroite avec eux, dans la mesure où, dans sa requête du 28 avril 2016, il n'a pas démontré ni même invoqué que la dépendance de ses enfants majeurs atteignait un degré tel qu'elle devrait être considérée comme bénéficiant de la protection de l'article 8 de la Convention. En toute état de cause, la dépendance alléguée était avant tout de nature économique, de sorte que rien n'empêcherait les fils majeurs du requérant de prendre en charge les coûts d'une aide à domicile.
57.  Enfin, le Gouvernement expose que, même si la famille du requérant n'habite plus au Kosovo, celui-ci pourra s'y intégrer rapidement. Le requérant n'aurait jamais réussi à s'intégrer en Suisse, ni professionnellement ni socialement, comme en témoignerait notamment sa mauvaise maîtrise de l'allemand, le fait qu'il ait bénéficié de l'aide sociale et son endettement avant d'être mis au bénéfice d'une rente d'invalidité.
2.  Appréciation de la Cour
a)  Ingérence dans le droit protégé par l'article 8
58.  La Cour observe que, dans sa jurisprudence, elle a envisagé l'expulsion de résidents de longue date aussi bien sous le volet de la « vie privée » que sous celui de la « vie familiale », une certaine importance étant accordée sur ce plan au degré d'intégration sociale des intéressés (Dalia c. France, 19 février 1998, §§ 42-45, Recueil 1998-I, et Ukaj c.  Suisse, no 32493/08, § 28, 24 juin 2014).
59.  La Cour précise que la décision d'extension de la mesure de renvoi à tout le territoire suisse constitue l'ingérence dont il est question en l'espèce.
60.  La Cour estime que, en raison de la très longue durée de séjour du requérant en Suisse, la décision de renvoi constitue une ingérence dans son droit au respect de sa « vie privée » (voir, mutatis  mutandis, Gezginci c.  Suisse, no 16327/05, § 57, 9 décembre 2010).
61.  Se pose encore la question de savoir si la « vie familiale » du requérant est également en jeu dans la présente affaire. La Cour rappelle que pour juger du respect de l'article 8, elle doit tenir compte des développements qui se sont produits depuis la décision interne ordonnant le renvoi du requérant (voir, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 145, CEDH 2010 ; Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, 24 avril 2003). La Cour doit en effet se placer au moment de l'exécution de la mesure litigieuse (Neulinger et Shuruk, précité, § 145, et Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 91, CEDH 2008). À cet égard, elle note certes que le requérant n'a invoqué auprès des autorités suisses le fait qu'il était le père des jumeaux nés en 2006 qu'après l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 28 octobre 2015, cependant elle estime qu'elle ne saurait complètement faire abstraction de ce fait pour garantir la protection concrète et effective des droits découlant de l'article 8 de la Convention.
62.  Par ailleurs, les enfants majeurs du requérant sont respectivement âgés de 23, 26 et 28 ans. La Cour rappelle que l'on ne saurait retenir l'existence d'une vie familiale, au sens de l'article 8 de la Convention, entre des parents et leurs enfants adultes ou entre frères et sœurs adultes sans que soit démontrée l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance (Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 97, CEDH 2003-X, et Danelyan c. Suisse (déc.), nos 76424/14 et 76435/14, § 29, 29 mai 2018). Or, en l'espèce, la Cour estime que le requérant peut se prévaloir de tels éléments supplémentaires à l'égard de ses enfants majeurs dans la mesure où il est dépendant d'une aide extérieure pour faire face à sa vie quotidienne. En effet, il fait valoir que, depuis la suspension de sa rente d'invalidité, en février 2016, ses trois enfants majeurs le prennent en charge financièrement. De plus, il habiterait avec deux de ses enfants majeurs qui s'occuperaient du ménage, feraient des achats, le soigneraient, le laveraient, l'habilleraient et, dès lors, seraient les premières personnes de référence pour lui. La Cour n'a pas de raison valable de douter de la véracité de ces allégations et le Gouvernement ne les conteste par ailleurs pas. En outre, les tribunaux suisses ont pris en compte, dans leur évaluation de l'opportunité du renvoi du requérant, le fait que les membres de sa famille pourraient contribuer à ses frais médicaux (paragraphe 25 ci-dessus). Le fait que ces contributions pourraient lui être versées au Kosovo en provenance de sa famille résidant en Suisse et en Allemagne ne remet pas en question l'existence même d'un lien de dépendance pertinent pour faire entrer en jeu le volet « vie familiale » de l'article 8. Dès lors, la Cour estime que les relations du requérant avec ses enfants relèvent également du droit au respect de sa vie familiale.
63.  Compte tenu de ce qui précède, le requérant peut se prévaloir d'être victime d'une ingérence du droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 § 1 de la Convention.
b)  Justification de l'ingérence
64.  Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l'article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire, dans une société démocratique ».
i.  « Prévue par la loi »
65.  Il n'est pas contesté que le refus de renouveler le permis de séjour du requérant et l'obligation de quitter le territoire suisse était fondés sur les dispositions pertinentes de la LSEE (paragraphe 36 ci-dessus).
ii.  But légitime
66.  Il n'est pas davantage controversé que l'ingérence en cause visait des fins pleinement compatibles avec la Convention, à savoir notamment « la défense de l'ordre » et la « prévention des infractions pénales ».
iii.  Nécessité de la mesure dans une société démocratique
67.  Il reste donc à examiner si la mesure était « nécessaire dans une société démocratique ».
α)  Principes généraux
68.  La Cour rappelle que selon un principe de droit international bien établi, les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l'entrée des étrangers sur leur sol (voir, parmi beaucoup d'autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 164, CEDH 2012, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, § 67, 28 mai 1985, série A no 94, Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil 1997-VI). La Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d'entrer ou de résider dans un pays particulier, et, lorsqu'ils assument leur mission de maintien de l'ordre public, les États contractants ont la faculté d'expulser un étranger délinquant, entré et résidant légalement sur leur territoire. Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le paragraphe 1 de l'article 8, doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique, c'est-à-dire être justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi (Mehemi c. France, 26 septembre 1997, § 34, Recueil 1997-VI, Dalia c. France, 19 février 1998, § 52, Recueil 1998-I, Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 46, CEDH 2001-IX, et Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 113, CEDH 2003-X).
69.  Dans l'affaire Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, §§ 54-60, CEDH 2006-XII, la Cour a eu l'occasion de résumer les critères devant guider les instances nationales dans de telles affaires :
-  la nature et la gravité de l'infraction commise par le requérant ;
-  la durée du séjour de l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;
-  le laps de temps qui s'est écoulé depuis l'infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;
-  la nationalité des diverses personnes concernées ;
-  la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d'autres facteurs témoignant de l'effectivité d'une vie familiale au sein d'un couple ;
-  la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l'infraction à l'époque de la création de la relation familiale ;
-  la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ;
-  la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé ;
-  l'intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l'intéressé doit être expulsé ; et
-  la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.
70.  Doivent également être prises en compte, le cas échéant, les circonstances particulières entourant le cas d'espèce, comme par exemple les éléments d'ordre médical ou la nature temporaire ou définitive de l'interdiction de territoire (Shala c. Suisse, no 52873/09, § 46, 15 novembre 2012, et les références citées).
71.  La Cour rappelle que les autorités nationales jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour se prononcer sur la nécessité d'une ingérence dans l'exercice d'un droit protégé par l'article 8 et sur la proportionnalité de la mesure en question au but légitime poursuivi. Sa tâche consiste à déterminer si les mesures litigieuses ont respecté un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d'une part, les droits de l'intéressé protégés par la Convention et, d'autre part, les intérêts de la société (Slivenko, précité, § 113, et Boultif, précité, § 47).
72.  La Cour rappelle également que les juridictions internes doivent motiver leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée, afin notamment de permettre à la Cour d'assurer le contrôle européen qui lui est confié (voir, mutatis mutandis, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 107, CEDH 2013, et El Ghatet c. Suisse, no 56971/10, § 47, 8 novembre 2016). Un raisonnement insuffisant des juridictions internes, sans véritable mise en balance des intérêts en présence, est contraire aux exigences de l'article 8 de la Convention. C'est le cas lorsque les autorités internes ne parviennent pas à démontrer de manière convaincante que l'ingérence dans un droit protégé par la Convention est proportionnée aux buts poursuivis et qu'elle correspond dès lors à un « besoin social impérieux » au sens de la jurisprudence précitée (El Ghatet, précité, § 47, et mutatis mutandis, Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft SRG c. Suisse, no 34124/06, § 65, 21 juin 2012, Saber et Boughassal c. Espagne, nos 76550/13 et 45938/14, § 51, 18 décembre 2018).
73.  En revanche, s'il s'avère que les autorités internes ont procédé à un examen suffisant et convaincant des faits et considérations pertinents, y englobant une pesée adéquate entre les intérêts personnels du requérant et les intérêts plus généraux de la société, il n'appartient pas à la Cour de se substituer à l'appréciation faite par celles-ci, y compris par rapport à l'examen de la proportionnalité de la mesure litigieuse, sauf s'il existe des raisons importantes pour le faire (voir, dans ce sens, Ndidi c. Royaume-Uni, no 41215/14, § 76, 14 septembre 2017, Hamesevic c. Danemark (déc.), no 25748/15, § 43, 16 mai 2017 and Alam c. Danemark (déc.), no 33809/15, § 35, 6 juin 2017).
β)  Application des principes susmentionnés au cas d'espèce
74.  En l'occurrence, l'expulsion du requérant a été décidée à la suite de la condamnation de celui-ci pour un viol commis en 2003.
75.  Dans son arrêt du 28 octobre 2015, le Tribunal administratif fédéral a estimé que, bien que les faits se fussent déroulés plus de dix ans auparavant, le viol constituait un crime grave pour lequel même un faible risque de récidive ne devait pas être accepté en matière de droit des étrangers. Il a indiqué que, dans le cadre de la pesée des intérêts selon l'article 8 § 2 de la Convention, il fallait choisir, parmi plusieurs interprétations possibles, celle qui était la plus fidèle à la Constitution suisse, tant que cela ne contredisait pas le droit supérieur et n'entrait pas en conflit avec la marge de manœuvre laissée par la Cour aux Hautes Parties contractantes dans l'application de leur politique migratoire. Le Tribunal administratif fédéral a ajouté que la clause d'exclusion de l'article  14a  alinéa 6 LSEE (paragraphe 36 ci-dessus) devait être appliquée et que son application, même en tenant compte des difficultés non négligeables que le requérant devrait surmonter à son retour dans son pays d'origine, s'avérait proportionnée.
76.  La Cour note que le Tribunal administratif fédéral s'est prononcé sur la gravité de l'infraction commise, a brièvement traité la question du risque de récidive et a fait mention des difficultés auxquelles serait confronté le requérant à son retour au Kosovo. Elle relève cependant que le tribunal a limité son analyse sous l'angle de l'article 8 de la Convention à ces seuls éléments. Alors qu'il statuait plus de douze ans après l'infraction, il n'a nullement pris en compte l'évolution du comportement du requérant depuis la commission de cette infraction (K.M. c. Suisse, no 6009/10, § 54, 2 juin 2015, et les références citées). Il n'a pas non plus évalué l'impact de l'aggravation considérable de l'état de santé de l'intéressé (taux d'invalidité de 80 % depuis le 1er octobre 2012) sur le risque de récidive et ne s'est pas penché sur plusieurs critères établis par la jurisprudence pour apprécier la nécessité de la mesure d'expulsion. Ainsi, le Tribunal administratif fédéral n'a en particulier pas pris en considération la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux du requérant avec le pays d'hôte, la Suisse, et avec le pays de destination, le Kosovo, ainsi que les circonstances particulières entourant le cas d'espèce, comme par exemple les éléments d'ordre médical (Üner, précité, § 58, et Shala, précité, § 46). S'agissant plus spécifiquement du respect de la vie familiale, bien que les tribunaux aient reconnu la dépendance, au moins financière du requérant par rapport à ses enfants majeurs, ils n'ont pas fait une analyse plus approfondie des implications de cette dépendance pour la jouissance des droits du requérant en vertu de l'article 8 de la Convention.
77.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que, en appliquant les critères établis dans sa jurisprudence (paragraphes 68 et 69 ci-dessus), aucune conclusion claire ne peut être tirée quant à savoir si les intérêts privés et familiaux du requérant à continuer à pouvoir résider sur le territoire de l'État défendeur l'emporte sur l'intérêt public de ce dernier d'expulser le requérant dans le but d'assumer sa mission de maintien de l'ordre public (voir, mutatis mutandis, El Ghatet, précité, § 52). Si les autorités internes avaient procédé à une mise en balance circonstanciée des intérêts en cause, prenant en compte les différents critères établis par la jurisprudence de la Cour, et si elles avaient indiqué des motifs pertinents et suffisants pour justifier leur décision, la Cour aurait, en ligne avec le principe de subsidiarité, pu le cas échéant être amenée à considérer que les autorités internes n'avaient ni manqué de ménager un juste équilibre entre les intérêts du requérant et de l'État demandeur ni excédé la marge d'appréciation dont elles jouissent dans le domaine de l'immigration (voir, El Ghatet, précité, § 52).
78.  Toutefois, la Cour considère que, dans la présente affaire, le Tribunal administratif fédéral a effectué un examen superficiel de la proportionnalité de la mesure de renvoi. Compte tenu de l'absence d'une véritable mise en balance des intérêts en jeu, la Cour estime que les autorités internes ne sont pas parvenues à démontrer de manière convaincante que la mesure d'éloignement prise était proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc nécessaire dans une société démocratique.
79.  Dès lors, il y aurait violation de l'article 8 de la Convention si le requérant était expulsé.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
80.  Le requérant allègue aussi que son expulsion vers le Kosovo constituerait un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 de la Convention.
81.  Eu égard à la conclusion figurant au paragraphe 79 ci-dessus et au fait que le grief soulève en substance les mêmes questions que sous l'article 8, la Cour n'estime pas nécessaire de l'examiner séparément.
 
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
82.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
83.  Le requérant demande une satisfaction équitable pour le dommage moral qu'il a subi, causé par sa souffrance physique et mentale, en lien avec la crainte d'être renvoyé au Kosovo et ainsi d'être séparé de sa famille. Il ne formule pas de montant au titre du préjudice moral et s'en remet à l'appréciation de la Cour.
84.  Le Gouvernement soutient qu'un constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout tort moral dont le requérant aurait pu souffrir. Il rappelle par ailleurs que le requérant n'a pas fait valoir de prétention au titre du dommage matériel.
85.  La Cour n'exclut pas que le requérant éprouve un préjudice moral. En tout état de cause, la Cour partage l'avis du Gouvernement et estime qu'à défaut d'une mise en exécution de l'ordre d'expulsion, le constat de violation par la Cour constitue une satisfaction équitable suffisante (Beldjoudi c. France, 26 mars 1992, §§ 79 et 86, série A no 234 A, Raza c. Bulgarie, no 31465/08, § 88, 11 février 2010 ; Udeh c. Suisse, no 12020/09, § 50, 16 avril 2013 et Paposhvili c. Belgique [GC], no 41738/10, § 231, 13 décembre 2016).
B.  Frais et dépens
86.  Le requérant demande également 24 050 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, ventilé comme suit :
17 027 EUR, pour les honoraires de l'avocate qui l'a représenté devant les juridictions internes ;
7 023 EUR, pour les honoraires de Me R. Giebenrath, qui l'a représenté devant la Cour.
87.  Le Gouvernement soutient principalement que la demande de satisfaction équitable du requérant ne remplit pas les conditions énoncées à l'article 60 du règlement de la Cour, de sorte qu'il n'y a pas lieu de lui allouer une indemnité pour ses frais d'avocat. À titre subsidiaire, il relève que la somme de 5 000 CHF (environ 4 336 EUR) couvrirait l'ensemble des frais et dépens pour la procédure engagée devant les autorités internes ainsi que devant la Cour.
88.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Tel n'est pas le cas en l'espèce, les notes d'honoraires produites en ce qui concerne la procédure interne n'indiquant notamment ni le nombre d'heures de travail, ni le tarif horaire réclamé. Il y a par conséquent lieu de réduire les prétentions formulées (paragraphe 3 de l'article 60 du règlement de la Cour). La Cour estime raisonnable la somme de 4 500 EUR au titre des frais et dépens en relation avec la violation constatée de la Convention et l'accorde au requérant.
C.  Intérêts moratoires
89.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
 


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 8 de la Convention ;
 
2.  Dit qu'il y aurait eu violation de l'article 8 de la Convention en cas de renvoi vers le Kosovo ;
 
3.  Dit qu'il n'est pas nécessaire d'examiner séparément le grief tiré de l'article 3 de la Convention ;
 
4.  Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
 
5.  Dit
a)  que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), à convertir en francs suisses, au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
 
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 avril 2019, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
    Fatoş Aracı    Greffière adjointe
    Vincent A. De Gaetano     Président
 
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée de la juge Keller.
 
V.D.G.
F.A.
 
OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE KELLER
1.  Je souscris pleinement au constat de violation de l'article 8 de la Convention formulé dans la présente affaire, mais je tiens toutefois à apporter certaines nuances à la décision de la Cour.
2.  Aux paragraphes 77 à 79 de l'arrêt, la Cour constate que l'expulsion du requérant vers le Kosovo constituerait une violation de l'article 8 de la Convention au motif que les autorités suisses n'ont pas procédé à une mise en balance de tous les intérêts en jeu afin d'apprécier, dans le respect des critères établis par sa jurisprudence, la nécessité de la mesure de renvoi du territoire suisse (voir, mutatis mutandis, Saber et Boughassal c. Espagne, nos 76550/13 et 45938/14, §§ 51 et 52, 18 décembre 2018, Gablishvili c. Russie, no 39428/12, §§ 48 et 60, 26 juin 2014, et Kamenov c. Russie, no 17570/15, §§ 34 et 41, 7 mars 2017). En l'espèce, cette mesure a été prononcée à la suite d'un examen sommaire par les autorités nationales, qui n'avaient pas pris en compte les circonstances personnelles et familiales du requérant, telles que l'évolution de son comportement depuis une condamnation remontant à 2003, son état de santé ou le fait qu'il se trouvait sous la dépendance de ses enfants majeurs (paragraphes 75 et 76 de l'arrêt).
3.  Comme le rappelle la Cour au paragraphe 71 de l'arrêt, les autorités nationales jouissent d'une certaine marge d'appréciation dans l'analyse de la nécessité, dans une société démocratique, d'une ingérence dans l'exercice d'un droit protégé par l'article 8 de la Convention. Ce principe implique cependant qu'une telle analyse ait effectivement été effectuée, de manière approfondie et en prenant en compte les circonstances concrètes de chaque affaire, dans le respect de l'ensemble des critères établis par la jurisprudence de la Cour (paragraphes 69 et 70 de l'arrêt). L'absence d'une véritable mise en balance des intérêts en présence par les juridictions internes constitue un manquement important aux obligations découlant de la Convention qui emporte violation de l'article 8, comme en l'espèce (paragraphe 72 de l'arrêt).
4.  En revanche, la Cour constate une violation procédurale de l'article 8 sans conclure que l'État défendeur a nécessairement dépassé la marge d'appréciation dont il jouissait dans l'analyse de la proportionnalité de l'expulsion du requérant au regard des buts légitimes poursuivis, contrairement à ce qu'elle avait fait auparavant dans un certain nombre d'affaires concernant des mesures similaires (voir, entre autres, Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, §§ 61-67, 18 octobre 2006, Emre c. Suisse, no 42034/04, §§ 72-87, 22 mai 2008, et Hasanbasic c. Suisse, no 52166/09, §§ 57-67, 11 juin 2013). Elle ne répond pas à la question de savoir si la marge d'appréciation aurait été respectée si les autorités nationales avaient procédé à une véritable mise en balance des intérêts en jeu (paragraphe 77 de l'arrêt). En effet, certains aspects de notre affaire plaident en faveur d'une non-violation de l'article 8 de la Convention : la gravité de l'infraction commise par le requérant (Chair et J. B. c. Allemagne, no 69735/01, § 61, 6 décembre 2007, Vasquez c. Suisse, no 1785/08, § 44, 26 novembre 2013, et Husseini c. Suède, no 10611/09, § 103, 13 octobre 2011), le fait que l'absence de récidive ne permette pas en elle-même de conclure à une violation de l'article 8 de la Convention (Salija c. Suisse, no 55470/10, §§ 46 et 55, 10 janvier 2017), le fait que le requérant a passé la majorité de sa vie dans son pays d'origine et en parle la langue (K.M. c. Suisse, no 6009/10, § 60, 2 juin 2015) alors qu'il est mal intégré en Suisse et ne maîtrise qu'insuffisamment l'allemand (Kissiwa Koffi c. Suisse, no 38005/07, § 66, 15 février 2013), le fait que la Cour a pour pratique de ne pas attribuer la même valeur à la durée d'un séjour irrégulier en Suisse qu'à la durée d'un séjour fondé sur une autorisation valable (Vasquez c. Suisse, précité, § 45), le fait que les deux enfants mineurs du requérant avaient été conçus à un moment où son droit de séjour était déjà précaire (Udeh c. Suisse, no 12020/09, § 50, 16 avril 2013), le fait que son ex-femme avait connaissance de l'infraction et du risque d'une éventuelle expulsion (voir, mutatis mutandis, K.M. c. Suisse, précité, § 57, et Vasquez c. Suisse, précité, § 47), le fait que si le requérant avait été expulsé au Kosovo, des contacts réguliers auraient pu être maintenus avec ses enfants majeurs par différents moyens de communication (K.M. c. Suisse, précité, § 59, et Shala c. Suisse, no 52873/09, § 54, 15 novembre 2012), ainsi que le fait que les soins nécessaires à ses problèmes de santé soient garantis et accessibles au Kosovo (Danelyan c. Suisse, nos 76424/14 et 76435/14, § 29, 29 mai 2018, et Emre c. Suisse, précité, §§ 81-83).
 
1.
Toute référence au Kosovo, soit à son territoire, à ses institutions ou sa population, doit être comprise comme étant en conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité et sans préjudice concernant le statut du Kosovo.

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Article: Art. 8 CEDH