Chapeau
149 III 410
50. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A. SA en liquidation contre B. (recours en matière civile)
5A_190/2023 du 3 août 2023
Regeste
Art. 166 al. 2 LP; art. 239 al. 1 par renvoi de l'
art. 219 CPC; péremption du droit de requérir la faillite; suspension du délai de péremption.
Rappel des principes généraux relatifs à la computation du délai de péremption du droit de requérir la faillite (consid. 5). Le délai de l'art. 166 al. 2 LP est notamment suspendu pendant la durée de la procédure de mainlevée (provisoire ou définitive) de l'opposition, à savoir entre le dépôt de la requête et la notification du prononcé de mainlevée; cette suspension n'est pas prolongée jusqu'à l'échéance du délai de dix jours pour recourir contre ce prononcé (sous réserve du cas où le recours est assorti de l'effet suspensif), ni jusqu'à l'échéance du délai de vingt jours pour ouvrir action en libération de dette (consid. 6.3). Point de savoir si, par "notification du prononcé de mainlevée", il faut entendre la notification du seul dispositif ou celle de la décision motivée (consid. 6.4).
Faits à partir de page 411
A. Le 4 septembre 2020, B. (poursuivant) a fait notifier à A. SA (poursuivie) un commandement de payer la somme de 600'000 fr., plus intérêts à 6 % l'an dès le 4 octobre 2017 (poursuite n° x de l'Office des poursuites du district du Jura-Nord vaudois). La poursuivie a fait opposition totale.
Par prononcé du 23 février 2021, le Juge de paix des districts du Jura-Nord vaudois et du Gros-de-Vaud a levé provisoirement l'opposition dans la poursuite susmentionnée. Cette décision a tout d'abord été communiquée aux parties sous forme d'un dispositif non motivé. Le prononcé motivé a été adressé aux parties le 16 avril 2021. Une copie de cette décision comporte un timbre humide du 26 mai 2021 indiquant qu'aucun recours n'a été formé à son encontre.
Les 3 et 30 juin 2021, le Tribunal d'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois et la Chambre patrimoniale cantonale ont attesté qu'aucune action en libération de dette n'avait été introduite devant eux à la suite du prononcé précité.
B. Le poursuivant ayant requis la continuation de la poursuite, la poursuivie s'est vue notifier une commination de faillite le 14 juillet 2022. Par acte du 2 août 2022, le poursuivant a requis la faillite de la poursuivie.
Statuant le 6 septembre 2022, le Président du Tribunal civil de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois a prononcé la faillite de A. SA, avec effet dès ce jour à 11 heures 45 (I), ordonné la liquidation sommaire de la faillite (II) et mis les frais judiciaires, par 200 fr., à la charge de la faillie (III).
BGE 149 III 410 S. 412
Par arrêt du 30 décembre 2022, adressé aux parties le 6 février 2023, la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois (ci-après: la Cour des poursuites et faillites) a rejeté le recours formé par la faillie contre cette décision.
Le Tribunal fédéral a admis le recours formé par A. SA, annulé l'arrêt du 30 décembre 2022 et renvoyé la cause à la juridiction précédente pour instruction et nouvelle décision.
(résumé)
Extrait des considérants:
3. La Cour des poursuites et faillites a retenu que le délai de l'
art. 166 al. 2 LP avait commencé à courir le 4 septembre 2020 (date de la notification du commandement de payer) et avait été suspendu après sept jours par le dépôt le 11 septembre 2020 de la requête de mainlevée. La suspension avait pris fin vingt jours après l'envoi de la motivation du prononcé de mainlevée - qui avait été adressé aux parties le 16 avril 2021 -, soit le 6 mai 2021, puisqu'il n'y avait pas eu de recours ni d'ouverture d'une action en libération de dette. Compte tenu de ces éléments, le délai de quinze mois était arrivé à échéance le 30 septembre 2022, "soit quinze mois moins sept jours après le 6 mai 2021". La requête de faillite, introduite le 2 août 2022, l'avait donc été en temps utile.
4. La recourante fait valoir que ce raisonnement consacre une violation de l'
art. 166 al. 2 LP. Elle soutient que sans tenir compte d'éventuelles suspensions, le délai de quinze mois prévu par cette disposition débutait le 4 septembre 2020 et arrivait à échéance le 4 décembre 2021. En tenant compte d'une suspension entre le 11 septembre 2020 et le 6 mai 2021 (soit 27 jours en décembre 2021, puis, en 2021: 31 jours en janvier, 28 jours en février, 31 jours en mars, 30 jours en avril, 31 jours en mai, 30 jours en juin et 29 jours en juillet), l'échéance du délai devait être reportée de 237 jours, à savoir au vendredi 29 juillet 2022. La réquisition de faillite déposée le 2 août 2022 était donc tardive.
5. A l'expiration du délai de vingt jours de la notification de la commination, le créancier peut requérir du juge la déclaration de faillite. Il joint à sa demande le commandement de payer et l'acte de commination (
art. 166 al. 1 LP). Conformément à l'
art. 166 al. 2 LP, le droit de requérir la faillite se périme par quinze mois à compter de la notification du commandement de payer. Si opposition a été
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formée, ce délai ne court pas entre l'introduction de la procédure judiciaire et le jugement définitif, par quoi il faut comprendre, selon la jurisprudence, une décision judiciaire exécutoire (
ATF 136 III 152 consid. 4.1;
ATF 126 III 479 consid. 2a concernant l'
art. 88 al. 2 LP; arrêts 5A_78/2017 du 18 mai 2017 consid. 2.2 [ad
art. 88 LP]; 5A_703/2018 du 1
er mai 2019 consid. 4.1 [ad
art. 154 al. 1 LP]).
Le délai est suspendu pendant la durée du procès en reconnaissance de dette (
art. 79 et 279 LP;
ATF 136 III 152 consid. 4.1), y compris entre la délivrance de l'autorisation de procéder (
art. 209 al. 1 CPC) et le dépôt à temps de la demande (
art. 209 al. 3 CPC; arrêt 5A_881/ 2017 du 23 janvier 2018 consid. 2.2). Il est aussi suspendu pendant la durée de la procédure de mainlevée - provisoire ou définitive - de l'opposition (
art. 80-83 LP), du procès en libération de dette (
art. 83 al. 2 LP) et de la procédure en constatation du retour ou du non-retour à meilleure fortune (
art. 265a LP). Le but du délai péremptoire de l'
art. 166 al. 2 LP est de prévenir un allongement démesuré de la durée de la poursuite par la déchéance dont elle frappe le poursuivant qui s'est désintéressé de la procédure d'exécution forcée. La péremption constitue la sanction de l'inaction du poursuivant, raison pour laquelle le délai est suspendu aussi longtemps que dure l'instance qui vise à la levée de l'opposition et ne recommence à courir au préjudice du créancier que si, après avoir obtenu une décision exécutoire, l'intéressé n'en fait pas usage pour requérir la continuation de la poursuite. Or, il ne peut faire notifier une commination de faillite (
art. 159 ss LP) qu'en justifiant par titre de la suppression de l'opposition; le délai reste ainsi suspendu tant qu'il ne peut pas obtenir une déclaration authentique établissant le caractère définitif et exécutoire du jugement qui prononce la mainlevée de l'opposition (
ATF 136 III 152 consid. 4.1;
ATF 106 III 51 consid. 3; arrêt 5P.259/2006 du 12 décembre 2006 consid. 3.2). Le délai de l'
art. 166 al. 2 LP est aussi suspendu lorsqu'une plainte contre la commination de faillite a été déposée et que l'effet suspensif a été octroyé avant le dépôt de la réquisition de faillite; dans un tel cas, le créancier est en effet empêché de requérir la faillite, faute de commination entrée en force à joindre à sa requête (
ATF 136 III 152 consid. 4.1 et 4.2).
Il appartient au juge, et non aux autorités de surveillance, de déterminer si la réquisition de faillite a été déposée en temps utile (
ATF 136 III 152 consid. 4.1;
ATF 113 III 120 consid. 2 et les références); il doit d'ailleurs le faire d'office (
ATF 106 III 51 consid. 2).
6. En l'espèce, la cour cantonale a commis plusieurs erreurs dans la computation du délai péremptoire de quinze mois prévu par l'
art. 166 al. 2 LP.
6.1 Tout d'abord, elle s'est trompée dans le calcul de la durée de ce délai. En considérant qu'il arrivait à échéance "le 30 septembre 2022, soit quinze mois moins sept jours [de suspension] après le 6 mai 2021", elle a en réalité calculé un délai de dix-sept mois et non de quinze.
6.2 Le délai a couru dès le 5 septembre 2020, à savoir le lendemain de la notification du commandement de payer (
art. 142 al. 1 CPC par renvoi de l'
art. 31 LP; arrêt 5A_881/2017 du 23 janvier 2018 consid. 2.4), et non à compter du 4 septembre 2020, date de ladite notification, comme l'a jugé à tort la Cour des poursuites et faillites.
6.3 A juste titre, cette autorité a considéré que le délai a été suspendu après six jours par le dépôt de la requête de mainlevée provisoire, le 11 septembre 2020 (cf. supra consid. 5). Il reste à déterminer à quel moment cette suspension a pris fin. En particulier, se pose la question de savoir si le délai demeurait suspendu jusqu'à échéance du délai (non utilisé) de dix jours (art. 321 al. 2 en lien avec l'
art. 251 let. a CPC) pour recourir contre le prononcé de mainlevée (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC), voire jusqu'à l'échéance du délai (non utilisé) de vingt jours de l'
art. 83 al. 2 LP pour ouvrir action en libération de dette, étant relevé que celui-ci courait à compter de la notification, et non de l'envoi, du prononcé de mainlevée (
ATF 143 III 38 consid. 2.3;
ATF 127 III 569 consid. 4). A cette fin, il y a lieu de déterminer à quel moment le prononcé de mainlevée devient exécutoire, permettant au créancier de demander la continuation de la poursuite et de faire notifier une commination de faillite (cf. supra consid. 5;
ATF 130 III 657 consid. 2.1; arrêts 5A_77/2021 du 1
er mars 2022 consid. 3.2 et les références; 5A_78/2017 du 18 mai 2017 consid. 2.2).
6.3.1 Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de se pencher sur cette question dans un arrêt 5P.259/2006 du 12 décembre 2006. Celui-ci a été rendu sous l'empire de la loi de procédure civile du 10 avril 1987 (abrogée le 1
er janvier 2011) (LPC/GE), qui prévoyait, comme le fait désormais le CPC, que le recours contre les décisions de mainlevée est dépourvu d'effet suspensif automatique. Au consid. 4.2 de cet arrêt, le Tribunal fédéral a retenu que la décision de mainlevée était exécutoire dès sa communication - non pas seulement le
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lendemain de l'échéance du délai de vingt jours de l'
art. 83 al. 2 LP -, et habilitait le créancier à demander la continuation de la poursuite, en l'occurrence la notification d'une commination de faillite. Le créancier pouvait faire notifier une commination de faillite même si un recours avait été interjeté contre le prononcé de mainlevée, à moins que l'autorité de recours ait assorti le recours de l'effet suspensif. Il était arbitraire de suspendre le délai de l'
art. 166 al. 2 LP jusqu'à échéance du délai (inutilisé) de vingt jours pour ouvrir action en libération de dette.
6.3.2 En doctrine, certains auteurs soutiennent que si, en présence d'une décision de mainlevée définitive de l'opposition, l'office peut immédiatement donner suite à la réquisition de continuer la poursuite et notifier la commination de faillite, tel n'est pas le cas lorsque l'opposition a été provisoirement levée. Dans une telle configuration, le créancier devrait encore prouver que le délai pour ouvrir action en libération de dette est échu sans avoir été utilisé ou que l'action en libération de dette a été rejetée, la décision de mainlevée provisoire ne devenant véritablement exécutoire qu'à ce moment-là (cf. dans ce sens MARKUS/WUFFLI, Rechtskraft und Vollstreckbarkeit: zwei Begriffe, ein Konzept?, RJB 2/2015 p. 75-120, spéc. p. 106; CHRISTOF BERGAMIN, Rechtskraft und Vollstreckbarkeit: Wann ist der Rechtsvorschlag definitiv beseitigt?, BlSchK 2020 p. 149-163, spéc. p. 153 s.; DANIEL STAEHELIN, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, 3
e éd. 2021, n° 13 ad
art. 83 LP; PETER DIGGELMANN, in SchKG, Kurzkommentar, 2
e éd. 2014, n° 2 ad
art. 159 LP). Ces auteurs partent toutefois de prémisses théoriques problématiques, qui méritent d'être examinées plus avant.
Selon BERGAMIN (op. cit., en particulier p. 153 n. 17), en présence d'une décision de mainlevée provisoire, la continuation de la poursuite ne peut être demandée qu'à l'échéance du délai de 20 jours pour ouvrir action en libération de dette, à savoir au moment où la mainlevée provisoire deviendrait définitive. Cet auteur cite en référence sur ce point STÉPHANE ABBET, La mainlevée de l'opposition, 2017, n
os 4 et 12 ad
art. 83 LP. Celui-ci ne paraît cependant pas véritablement se prononcer sur cette question. Dans les passages cités, il évoque en réalité l'effet, sur la saisie provisoire ou l'inventaire, de l'octroi de l'effet suspensif par l'autorité saisie d'un recours contre le prononcé de mainlevée, respectivement de l'effet à leur égard d'une action en libération de dette.
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Pour sa part, STAEHELIN (op. cit., n° 13 ad
art. 83 LP) considère que la poursuite ne peut pas être continuée (à l'exception des mesures conservatoires mentionnées à l'
art. 83 al. 1 LP) tant que le délai de 20 jours de l'
art. 83 al. 2 LP pour ouvrir action en libération de dette court ou que l'action a été introduite dans ce délai. Le consid. 3 de l'
ATF 128 III 383 auquel renvoie cet auteur retient toutefois uniquement ceci: "la saisie provisoire prévue à l'
art. 83 LP, même si elle doit être exécutée de la même façon que la saisie définitive (
ATF 117 III 26 consid. 1 et arrêt cité) n'est pas une opération de continuation de la poursuite proprement dite au sens de l'
art. 88 LP, l'action en libération de dette pendante y faisant obstacle. Il s'agit d'une mesure conservatoire antérieure à cette phase d'exécution, qui intervient précisément parce qu'une continuation de la poursuite aux fins de réalisation ne peut pas encore être requise." Cet arrêt ne se prononce pas sur le point de savoir si une commination de faillite peut être notifiée durant le délai (non utilisé) de 20 jours pour ouvrir action en libération de dette. Il ne fait de surcroît référence qu'à une action en libération de dette
pendante, non pas au délai pour introduire une telle action. Le seul fait que le passage précité du commentaire de STAEHELIN a été repris tel quel dans l'arrêt 5A_496/2021 du 10 février 2022 consid. 2.3.1, avec référence à cet auteur et à l'
ATF 128 III 383 consid. 3, sans toutefois que cette question précise se posât en l'occurrence, ne permet pas de retenir le contraire. Quant à MARKUS/WUFFLI (op. cit., en particulier p. 106), ils ne se fondent nullement sur la jurisprudence fédérale pour étayer leur opinion.
6.3.3 Depuis l'entrée en vigueur du CPC, la décision du juge de la mainlevée est susceptible de recours au sens des
art. 319 ss CPC (art. 319 let. a en lien avec l'
art. 309 let. b ch. 3 CPC). En tant que voie de droit extraordinaire, la procédure de recours ne suspend pas l'exécution du jugement attaqué, qui acquiert de surcroît force de chose jugée dès son prononcé (cf.
art. 325 al. 1 CPC; arrêt 5A_375/2022 du 31 août 2022 consid. 5.1.4.2). Un prononcé de mainlevée est exécutoire dès sa notification aux parties, à moins que, saisie d'un recours, l'autorité de recours ne suspende le caractère exécutoire en accordant l'effet suspensif (art. 325 al. 2 et 336 al. 1 let. a CPC; arrêts 5A_703/2018 du 1
er mai 2019 consid. 4.3; 5A_78/2017 du 18 mai 2017 consid. 2.2; cf. avant l'entrée en vigueur du CPC:
ATF 130 III 657 consid. 2.2;
ATF 126 III 479 consid. 2 [ad
art. 88 al. 2 LP];
ATF 101 III 40 consid. 2; arrêt 5P.259/2006 du 12 décembre 2006 consid. 4.2; STÉPHANE ABBET, La mainlevée de l'opposition, 2
e éd.
BGE 149 III 410 S. 417
2022, n° 125 ad
art. 84 LP), la décision conservant alors uniquement sa force de chose jugée (arrêt 5A_375/2022 du 31 août 2022 consid. 5.1.4.2).
Comme il a été rappelé plus haut (cf. supra consid. 5), une décision de mainlevée de l'opposition exécutoire suffit pour demander la continuation de la poursuite et faire notifier une commination de faillite; dès lors, le créancier peut agir en ce sens dès la notification du prononcé de mainlevée (arrêt 5A_78/2017 du 18 mai 2017 consid. 2.2), qu'il s'agisse d'une mainlevée provisoire ou définitive (cf. supra consid. 6.3.1; dans le même sens EUGEN FRITSCHI, Verfahrensfragen bei der Konkurseröffnung, 2010, p. 76; JÜRG ROTH, Vorläufige Vollstreckbarkeit und Vollstreckung - Ab wann und unter welchen Voraussetzungen sind Vollstreckungsmassnahmen in das Vermögen des Schuldners möglich?, PJA 2011 p. 771, 772 s. [ch. 2.2] par renvoi de la p. 775). L'office peut donner suite à la réquisition de continuer la poursuite dès la notification du prononcé de mainlevée de l'opposition, même si un recours a été interjeté contre cette décision, à moins que l'autorité de recours ait attribué l'effet suspensif au recours comme le lui permet l'
art. 325 al. 2 CPC (arrêts 5A_708/2018 du 1
er mai 2019 consid. 4.3 [réquisition de vente; mainlevée provisoire]; 5A_78/2017 au 18 mai 2017 consid. 2.2 et les références). Il n'a pas à exiger une attestation du caractère exécutoire du jugement de mainlevée, cet effet résultant directement de la loi (arrêts 5A_78/ 2017 du 18 mai 2017 consid. 2.2; 5A_703/2018 du 1
er mai 2019 consid. 4.3). Si l'effet suspensif est octroyé par l'autorité de recours, il déploie des effets
ex tunc, ce qui bloque les effets d'une commination de faillite qui aurait été valablement établie auparavant (
ATF 130 III 657 consid. 2.1 et 2.2; arrêt 5A_77/2021 du 1
er mars 2022 consid. 3.3 [ad effet suspensif attribué au recours devant le Tribunal fédéral]).
Dès lors que le créancier peut faire notifier la commination de faillite dès notification du prononcé de mainlevée, la suspension du délai de l'
art. 166 al. 2 LP prend fin à ce moment-là (cf. supra consid. 5 in fine concernant le fondement de la suspension). Rien ne justifie de prolonger cette suspension jusqu'à l'échéance du délai de dix jours pour recourir contre le prononcé de mainlevée provisoire ou définitive - le cas dans lequel le recours aurait été assorti de l'effet suspensif demeurant réservé - ni, contrairement à ce qu'a retenu en l'espèce la cour cantonale, jusqu'à l'échéance du délai de vingt jours de l'
art. 83 al. 2 LP pour ouvrir action en libération de dette. Le
BGE 149 III 410 S. 418
délai de l'
art. 166 al. 2 LP sera à nouveau suspendu, le cas échéant, dès l'introduction de l'action en libération de dette (cf. supra consid. 5; STOFFEL/CHABLOZ, Voies d'exécution, 2
e éd. 2016, § 4 n. 168; PIERRE-ROBERT GILLIÉRON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5
e éd. 2012, p. 208 n. 834, qui précise que le délai est suspendu dès l'ouverture de l'action en libération de dette, jusqu'au jugement définitif). Pour autant que l'arrêt 5A_579/2022 du 1
er mai 2023 - qui traite de la question de l'annulation d'une commination de faillite, notifiée alors qu'un recours est pendant contre la décision de mainlevée provisoire, mais avant que l'autorité de recours assortisse celui-ci de l'effet suspensif - exprime une position différente (consid. 4.1 et 4.2), celle-ci ne saurait être reprise comme telle.
6.4 La loi permettant de communiquer les décisions de mainlevée sous la forme d'un simple dispositif (
art. 239 al. 1 CPC, applicable en procédure sommaire [
art. 251 let. a CPC concernant les décisions de mainlevée] par renvoi de l'
art. 219 CPC; cf. arrêt 4A_72/2014 du 2 juin 2014 consid. 5), comme cela a été le cas en l'espèce (cf. supra let. A), il reste à déterminer si, par "notification du prononcé de mainlevée", il faut entendre la notification du seul dispositif ou celle de la décision dûment motivée.
6.4.1 Le Tribunal fédéral a déjà jugé que la décision rendue par une autorité cantonale de deuxième instance et dont le seul dispositif a été communiqué aux parties ne peut pas être exécutée avant sa notification en expédition complète. Cette décision se fonde sur une application analogique de l'art. 112 al. 2, 3
e phrase, LTF, qui dispose qu'une décision notifiée sans motivation ne peut pas être exécutée avant que le délai pour en demander une expédition complète soit échu sans avoir été utilisé ou que l'expédition complète soit notifiée. Elle permet d'éviter que durant le laps de temps parfois long entre la notification du dispositif et celle de la motivation écrite, une décision soit exécutée alors que les parties n'ont pas encore pu requérir du Tribunal fédéral l'octroi de l'effet suspensif, une telle requête ne pouvant pas être formée sans qu'un recours soit introduit (
ATF 139 IV 314 consid. 2.3.2), ce qui suppose que l'expédition motivée de la décision cantonale ait été notifiée aux parties (
ATF 142 III 695 consid. 4.2.1).
Certains auteurs soutiennent que ce principe doit s'appliquer par analogie aux décisions rendues par les autorités de première instance. Ainsi, une décision prise par une autorité de première instance et
BGE 149 III 410 S. 419
susceptible de recours au sens des
art. 319 ss CPC ne pourrait être exécutée que dès la notification d'une expédition complète, respectivement dès que le délai de 10 jours (
art. 239 al. 2 CPC) pour requérir cette motivation est échu sans avoir été utilisé (dans ce sens ABBET, op. cit., 2
e éd. 2022, n° 58 ad
art. 80 LP, n° 4 ad
art. 83 LP et n° 126 ad
art. 84 LP; DENIS TAPPY, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2
e éd. 2019, n° 22 ad
art. 239 CPC; MARKUS KRIECH, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Kommentar, Brunner/Gasser/Schwander [éd.], 2
e éd. 2016, n° 8 ad
art. 239 CPC, p. 1910; ROHNER/MOHS, Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Kommentar, 2
e éd. 2016, n° 2 ad
art. 336 CPC; LORENZ DROESE, in Basler Kommentar, Zivilprozessordnung, 3
e éd. 2017, n° 8 ad
art. 336 CPC;
contra: MARKUS/WUFFLI, op. cit., p. 109; FRANÇOISE BASTONS BULLETTI, CPC Online, Newsletter 17 novembre 2016 p. 7 s.; HEINZMANN/BRAIDI, CPC, Code de procédure civile, 2020, n° 11 ad
art. 239 CPC, et MELANIE HUBER-LEHMANN, Erteilung und Entzug der Vollstreckbarkeit zwischen Entscheideröffnung und Ergreifung eines Rechtsmittels, in Zehn Jahre ZPO - Zwischenstand und Perspektive, 2022, p. 55-88, spéc. p. 67, qui réfutent expressément l'idée d'une application par analogie de l'
art. 112 al. 3 LTF). Ces auteurs se fondent pour l'essentiel sur le fait qu'aucun recours ne peut être introduit avant la notification de la décision motivée (
art. 321 al. 1 CPC), la faculté de saisir l'autorité de recours cantonale avant que le délai de recours ait commencé à courir ne trouvant selon eux aucun appui dans la loi. Dès lors, aucune autorité ne pourrait être saisie d'une requête d'effet suspensif jusqu'à la notification du jugement motivé. En pratique, le Tribunal cantonal vaudois a tendance à suivre cette approche (voir notamment TC VD du 6 octobre CPF 2014/45; TC VD du 10 février CACI 2015/720, in JdT 2015 III 135 [ad point de départdu délai de l'action en libération de dette]; cf. aussi sur ces questionsJuge délégué CACI 11 juillet 2019, in JdT 2020 121, et les références, avec toutefois la mention d'une décision du Juge délégué CACI 24 janvier 2019 qui défendrait au contraire l'application par analogie de l'
art. 263 CPC [cf. à ce sujet infra consid. 6.4.2]), demême que l'Obergericht du canton de Zurich (cf. notamment OGer ZH, RT120039 du 11 juin 2012 consid. 3.9; OGer ZH, PS200240 du 4 janvier 2021 consid. III. 2.4; cf. toutefois les références citées infra consid. 6.4.2 pour des décisions zurichoises retenant le contraire).
6.4.2 Une autre partie de la doctrine défend l'idée que les décisions de l'autorité de première instance qui ne sont pas susceptibles d'une
BGE 149 III 410 S. 420
voie de droit dotée d'un effet suspensif automatique sont exécutoires dès la notification du seul dispositif (cf. THOMAS WINKLER, in SchKG, Kurzkommentar, 2
e éd. 2014, n° 8a ad
art. 88 LP; STAEHELIN, op. cit., n° 7b ad
art. 80 LP et les références et n° 79 ad
art. 84 LP; DANIEL STAEHELIN, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 3
e éd. 2016, n° 35 ad
art. 239 CPC, p. 1740 s.; THOMAS ENGLER, in ZPO Kommentar, 2
e éd. 2015, n° 4a ad
art. 239 CPC; HEINZMANN/ BRAIDI, op. cit., n° 11 ad
art. 239 CPC). Certaines pratiques cantonales vont aussi dans ce sens (cf. notamment CJ GE, ACJC/1649/2022 du 29 novembre 2022 consid. 4.3.2; OGer ZH, PS130222 du 19 décembre 2013, qui considère que sa pratique tendant à considérer qu'un dispositif est immédiatement exécutoire ne peut pas s'appliquer s'agissant d'un prononcé de faillite, lorsque le juge a déjà largement diffusé sa décision; OGer ZG, BA 2018 45 du 2 octobre 2018, in Gerichts- und Verwaltungspraxis [GVP] 2018 173 consid. 4.3, approuvé par KARL SPÜHLER, Zeitschrift für kantonale Rechtsprechung 2019, p. 32 n. 14; TC FR, 101 2018 312 du 2 novembre 2018, in Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ] 2019 77 consid. 1.4; KGer SG, ZV.2014.64 du 17 juin 2014 consid. 2; OGer BE, ZK 18 411 du 17 septembre 2018 consid. II.2.8 et 2.10).
Plusieurs auteurs proposent de pallier le risque que ces décisions soient exécutées avant que le délai de recours commence à courir en prévoyant la possibilité pour les parties de requérir immédiatement, à savoir dès la notification du seul dispositif, le prononcé de mesures provisionnelles auprès de l'autorité de recours. Ils préconisent une application par analogie de l'
art. 263 CPC, disposition qui permet à l'autorité de première instance de prononcer des mesures provisionnelles avant que l'action au fond soit introduite, considérant en substance que le prononcé de l'effet suspensif constitue une mesure provisionnelle
sui generis, qui peut être ordonnée par l'autorité de recours dès que l'autorité de première instance est dessaisie de la cause, ce qui est le cas dès que celle-ci a rendu sa décision (STAEHELIN/BACHOFNER, Vollstreckung im Niemandsland, Jusletter 16 avril 2012 n. 14-17; ENGLER, op. cit., n° 4a ad
art. 239 CPC; MARKUS/ WUFFLI, op. cit., p. 110 ss; dans ce sens aussi OGer ZH, PS130222 du 19 décembre 2013; OGer ZG, BA 2018 45 du 2 octobre 2018, in GVP 2018 173 consid. 4.3; TC FR, 101 2018 312 du 2 novembre 2018, in RFJ 2019 77 consid. 1.4; KGer BL, 430 12 374 du 18 décembre 2012 consid. 1, in FamPra.ch 2013 p. 495 ss; KGer SG, ZV. 2014.64 du 17 juin 2014 consid. 2). Les parties pourraient de cette
BGE 149 III 410 S. 421
manière obtenir la suspension du caractère exécutoire de la décision avant même la notification de la décision motivée.
6.4.3 Les divergences actuelles entre les pratiques cantonales sont toutefois vouées à disparaître. En effet, la modification du CPC adoptée le 17 mars 2023, qui n'est pas encore entrée en vigueur, dispose, à l'art. 336 al. 3 CPCrév., qu'une décision communiquée sans motivation écrite est exécutoire aux conditions posées à l'al. 1, à savoir lorsqu'elle est entrée en force et que le tribunal n'a pas suspendu le caractère exécutoire (art. 336 al. 1 let. a CPCrév., qui renvoie aux art. 315 al. 4, 325 al. 2 et 331 al. 2 CPCrév.) ou lorsqu'elle n'est pas encore entrée en force mais que le caractère exécutoire anticipé a été prononcé (art. 336 al. 1 let. b CPCrév.). Dans la première mouture du projet de révision, il était prévu de conférer au tribunal ayant rendu la décision (i.e. l'autorité de première instance) la compétence d'ordonner immédiatement l'exécution anticipée de la décision ou l'effet suspensif (cf. Rapport explicatif relatif à la modification du code de procédure civile [Amélioration de la praticabilité et de l'applicabilité du droit] du 2 mars 2018, p. 70; Message du 26 février 2020 relatif à la modification du code de procédure civile suisse [Amélioration de la praticabilité et de l'applicabilité du droit], FF 2020 653, spéc. 2669 et 2682). Finalement, le législateur a décidé d'attribuer cette compétence à l'autorité de recours. Celle-ci pourra ainsi suspendre le caractère exécutoire d'une décision rendue par une autorité de première instance et communiquée sous forme d'un simple dispositif, si la partie concernée risque de subir un préjudice difficilement réparable. Elle pourra décider avant le dépôt du recours. Elle ordonnera au besoin des mesures conservatoires ou la fourniture de sûretés. Sa décision deviendra caduque si la motivation de la décision de première instance n'est pas demandée ou si aucun recours n'a été introduit à l'échéance du délai (FF 2023 786; cf. art. 325 al. 2 CPCrév. concernant les décisions pouvant faire l'objet d'un recours et l'art. 315 al. 4 CPCrév. s'agissant des décisions susceptibles d'appel; voir aussi l'art. 331 al. 2 CPCrév. concernant la révision).
6.4.4 Cela étant, en l'état, il n'apparaît pas contraire au droit fédéral pour la cour cantonale de ne pas s'être référée en l'espèce au dispositif du jugement de mainlevée, mais au jugement dûment motivé (cf. supra consid. 6.4.1) pour déterminer à quel moment la suspension du délai de l'
art. 166 al. 2 LP avait pris fin - moment qui doit correspondre à la date à laquelle le jugement de mainlevée est devenu exécutoire (cf. supra consid. 6.3.2 in fine). Dès lors que le jugement
BGE 149 III 410 S. 422
de mainlevée n'a fait l'objet d'aucun recours, l'hypothèse selon laquelle l'effet suspensif aurait été octroyé par l'autorité de recours n'entre au surplus pas en considération dans le cas d'espèce.
6.5 En l'occurrence, la suspension du délai péremptoire de l'
art. 166 al. 2 LP a donc pris fin au moment de la notification de l'expédition complète du jugement de mainlevée (cf. supra consid. 6.4, en particulier 6.4.4). Ce délai a recommencé à courir le lendemain (cf. arrêt 5A_881/2017 du 23 janvier 2018 consid. 2.4) et n'a plus été suspendu par la suite, aucune action en libération de dette n'ayant été introduite (cf. supra consid. 5 et 6.3 in fine), la commination de faillite n'ayant par ailleurs fait l'objet d'aucune plainte (cf. supra consid. 5).
Dès lors toutefois que l'arrêt querellé ne contient aucune constatation relative à la date de notification du prononcé motivé - seule la date d'envoi de cette décision aux parties, dénuée de pertinence à cet égard, y figurant -, la Cour de céans n'est pas en mesure de vérifier si la faillite a été requise en temps utile.
6.6 La cause doit donc être renvoyée à la juridiction précédente pour instruction sur ce point et nouvelle décision. En l'espèce, le délai péremptoire de quinze mois (cf. supra consid. 6.1) pour requérir la faillite a couru dès le 5 septembre 2020 (cf. supra consid. 6.2) et a été suspendu le 11 septembre 2020. Il a recommencé à courir le lendemain de la notification du prononcé motivé de mainlevée provisoire (cf. supra consid. 6.3 et 6.4) - date qu'il appartiendra à l'autorité cantonale d'établir - et n'a plus été suspendu par la suite (cf. supra consid. 6.5).